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HISTOIRE
L'ÉGLISE SAINT-SULPICE
17rOGKAPHIE FIRMIN'-DIDOT ET Cie. — MESXIL (EDRB),
->' "
Eglise Saixt-Sultice.
HISTOIRE
DE
L'ÉGLISE SAINT-SLLFICE
Par Charles HAMEL
TRÉSORIER DE T..V FABRIQUE DE I ETTE ÉGLISE
DOCTEUR EN DROIT, COMMANDEUR DES ORDRES
DE SAINT-GRÉGOIRE LE GRAND ET Dl SAINT-SÉPULCRE
PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE
R TT E BONAPARTE. 90
190 0
'
o
PREFACE
En livrant à l'impression VHistoire de l'église Saint-
Sulpice, nous croyons devoir indiquer les motifs qui
nous l'ont fait écrire.
Nous avons déféré to* !^ord au désir que M. le
curé Méritan , de pieuse n: , nous en avait exprimé;
et l'affectueuse bienveillance qu'il nous avait toujours té-
moignée, depuis vingt-cinq ans bientôt qu'il dirigeait la
paroisse, ne nous permettait pas de décliner l'honneur
qu'il voulait bien nous faire en nous adressant cette
invitation.
Nous avons pensé d'ailleurs qu'il pourrait être inté-
ressant de publier les annales de cette église, célèbre
dans la chrétienté tout entière, de signaler les phases
diverses de sa construction qui s'est prolongée pendant
près d'un siècle et demi, et d'indiquer les faits mémo-
rables dont elle a été le théâtre.
Nous avons cru également répondre à la légitime cu-
riosité du lecteur, en plaçant sous ses yeux une brève
notice biographique sur chacun des curés, presque
tous Sulpiciens, qui, depuis M. Olier, ont dirigé cette
paroisse, y ont entretenu la piété exemplaire qui la
distingue et ont justifié par eux-mêmes cette parole,
„ PRÉFACE.
toujours vraie, de Fénelon, « qu'il n'y a rien au monde
« de plus apostolique ni de plus vénérable que la
« Compagnie de Saint-Sulpice ».
Mais une considération, plus haute encore, nous a
surtout déterminé à entreprendre ce travail :
Il nous a semblé qu'en nos temps malheureux de ma-
térialisme croissant il était opportun de mettre en lu-
mière la figure admirable et trop peu connue de M. Olier,
dans la vie duquel le surnaturel éclate à chaque instant,
et qu'il ne pourrait être que très profitable à l'édification
du public religieux de montrer dans ce grand serviteur
de Dieu tous les caractères d'une sainteté éminente, ca-
ractères qui ressortent à la fois des grâces insignes dont
il a été prévenu dès sa naissance; de la fidélité constante
avec laquelle il y a répondu; de l'héroïsme des vertus
d'humilité, d'abnégation, de zèle, de piété qu'il a cons-
tamment pratiquées; de la grandeur des trois principales
œuvres auxquelles il a été prédestiné de Dieu : l'Institu-
tion du Séminaire, la création de la Compagnie et la
restauration de la paroisse de Saint-Sulpice; comme
aussi du cachet de perfection et de durée qu'il a imprimé
à chacune d'elles.
Et notre vœu le plus cher est que la conviction de sa
sainteté, en pénétrant de plus en plus dans l'esprit des
fidèles, augmente leur confiance en son intercession et
provoque, de leur part, un redoublement de prières fer-
ventes, qui contribuent à hâter la venue du jour béni où
le Saint-Siège, en proclamant sa béatification dont la
cause est introduite, nous permettra de placer son image
sur nos autels et de lui rendre un culte public.
PRÉFACE. m
Nous déclarons enfin, comme tout fils soumis de la
sainte Église romaine doit le faire, que si, dans le cours
de cet ouvrage, nous avons cité des faits surnaturels ou
si nous avons appliqué à certaines personnes les épi-
thètes de Saint ou de Vénérable, nous n'avons entendu
préjuger en rien la sentence de l'Église à cet égard et
que nous soumettons, au contraire, sans réserve et
avec un respect tout filial, notre travail comme notre
personne à l'autorité infaillible du Vicaire de Jésus-
Christ.
Paris, 19 janvier 1900, en la fêle de saint Sulpiee.
HISTOIRE
DE
L'ÉGLISE SAINT-SULPICE
CHAPITRE PREMIER
ORIGINES DE L EGLISE SAINT-SULPICE.
Sommaire : Incertitude sur les origines de cette église. — Conjecture la plus
probable. — D'abord une des quatre chapelles succursales de l'abbaye Saiut-
Germain des Prés, elle devient, au vu? siècle, l'église principale et parois-
siale de son vaste domaine. — Étendue de sa circonscription. — Sa recons-
truction au xuc siècle. — Ses agrandissements successifs sous François Ier et
sous Louis XIII. — Son exiguïté par rapport à la population de la paroisse.
— Énumération des communautés et hôpitaux établis sur son territoire. —
Liste de ses confréries. — Culte de la Sainte Vierge.
Les origines de l'église Saint-Sulpice demeurent encore
inconnues , malgré les nombreuses recherches qui ont été
faites jusqu'ici pour les découvrir.
Le vocable sous lequel elle est placée aurait été , selon
Ch. des Granges, l'auteur de Y Histoire illustrée des pa-
roisses de Paris (1), celui d'une communauté de clercs
établie à Paris, sous le règne de Clotaire III, vers l'an 660,
par l'évêque Chrodobert sur l'emplacement même occupé
aujourd'hui par l'église; et il aurait été donné à cette
communauté par son fondateur, en mémoire d'un de ses
[l) 1 vol. in-fol. — 1886.
ÉGLISE SAI.NT-SULPICE.
2 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
prédécesseurs sur le siège archiépiscopal de Bourges,
saint Sulpice, dit le Débonnaire ou le Pieux (1).
Cetle assertion en elle-même n'a rien d'invraisem-
blable* mais elle ne repose sur aucun fondement et sa
gratuité nous empêche de l'admettre. Nous inclinerions
plutôt à croire que dès le septième ou le huitième siècle
l'église Saint-Sulpice est devenue l'une des succursales de
l'abbaye Saint-Germain des Prés, simple oratoire ou cha-
pelle d'abord, puis église plus importante lorsqu'elle fut
rebâtie au douzième siècle et successivement agrandie
ensuite jusqu'à sa reconstruction dernière, commencée
en 16i6 et terminée seulement en 17i5.
Comme tous les anciens monastères, en effet, la puis-
sante abbaye bénédictine de Saint-Germain des Prés,
fondée en 5V3 par Childebert, fils de Clovis, à l'issue de
sa campagne d'Espagne contre Amalaric, et placée, à son
origine, sous le vocable et sous le patronage de saint
Vincent (2), avait sous sa dépendance et sa juridiction
plusieurs chapelles ou églises qu'elle préposait aux be-
soins spirituels des populations de son vaste domaine (3)
et qui leur servaient de paroisses.
(1) lbid., p. 77.
(2) Elle prit le nom de Saint-Germain des Prés en 576, à dater de la
mort de saint Germain, évêque de Paris sous le règne du même Roi, qui
avait beaucoup contribué à sa fondation et qui choisit dans son église le
lieu de sa sépulture.
M. Clément de Ris, dans sa notice sur l'église de Saint-Germain des Prés
(insérée dans l'Inventaire général des richesses d'art de la France, Paris,
Monuments religieux, t. I, p. 105), dit que ce n'est qu'en 75i que l'église
abbatiale changea son nom pour prendre celui de l'illustre évêque qui en
avait conseillé la fondation.
(3) Ce domaine consistait dans la terre fiscale d'Issy. fiscum Isiacen-
sem, dont elle avait élé gratifiée, à titre de don gratuit, par son fondateur.
Cette terre considérable, détachée du domaine de la couronne, avait son
point de départ au Petit-Pont et, longeant la rue de la Harpe , s'étendait
au sud jusqu'à la place Saint-Michel, appelée autrefois porte Gebart ;
de là elle trouvait sa ligne de démarcation à l'ancien enclos des Chartreux,
aujourd'hui remplacé par le jardin du Luxembourg; puis, atteignant le
ORIGINES DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE. 3
L'abbé Lebeuf en compte quatre :
1° C'était d'abord, au nord de l'abbaye, la chapelle de
Saint-Pierre, capella beau Pelri , située à l'endroit où a
été construite depuis X église de la Charité, et si étroite
qu'elle pouvait à peine contenir douze personnes. Cette
chapelle, vulgairement appelée Saint-Père , a donné son
nom à la rue , nommée aujourd'hui, par corruption , la
rue des Saints-Pères. Avec le cimetière qui y était
joint (1), elle n'occupait qu'une superficie d'un demi-
arpent (2).
2° C'était ensuite, au Midi, et adossée à la basilique ab-
batiale elle-même, l'église de Saint-Symphorien , dont la
circonscription territoriale était limitée au cloître ou en-
clos de l'abbaye (3).
Contemporaine de cette dernière, elle avait eu l'hon-
neur de recevoir, tout d'abord, en dépôt le corps de saint
Germain, mort en 176 et qui y fut inhumé à côté d'Éleu-
thère, son père, et d'Eusébie, sa mère, dont elle possédait
déjà les tombeaux (V). Mais il lui fut enlevé en 754-, pour
être transféré dans la basilique (5) , lorsqu'elle n'en fut
plus devenue qu'une annexe, par suite du percement du
mur qui l'en séparait (6).
chemin de Yaaves, elle passait au-dessus de Meudon et allait aboutir à la
Seine en suivant la direction de la petite rivière de Sèvres. (Les églises de
Paris, par l'abbé Chauviesse, p. 103.)
(1) Les anciennes églises paroissiales, dépendant des abbayes, avaient
toutes un cimetière auprès d'elles. (L'abbé Lebeuf, Histoire de la ville
et du diocèse de Paris, t. II, p. 446. Éd. in-12 de 1754.)
(2) Simon de Doncourt, Remarques historiques sur l'église et la pa-
roisse de Saint-Sulpice, p. 5.
(3) Les églises de Paris, par l'abbé Chauviesse, Introd., p. xn.
(4) C'était du monastère de Saint-Symphorien, d'Autun, dont il était
abbé avant de monter sur le siège de Paris, que saint Germain avait tiré
les religieux qui, les premiers, prirent possession de l'abbaye Saint-Germain
des Prés.
(5) L'abbé Lebeuf, loc. cit., p. 429.
(6) Le percement de ce mur et la translation du corps de saint Germain
4 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
Restaurée au xic siècle et dédiée alors à saint Sym-
phorien et à saint Nicolas, évêque de Myre, elle fut re-
construite au commencement du xvne siècle et consacrée
à nouveau, le 27 avril 1619, par saint François de Sales.
Elle fut détruite à la Révolution.
3° C'était aussi la chapelle de Saint-Martin, près de l'ab-
baye, désignée dans un titre de 1286 (1) sous le nom de
Sancli Martini in Fossatis, propè monasterium Sancti
Germani de pratis, et connue également sous le nom de
Sancti Martini in orgeriis , in abbatiâ Sancti Germani.
Une messe y avait été fondée, en 1278, pour le repos de
l'àme d'un des écoliers de l'Université, tué par un domes-
tique de l'abbaye. Détruite en 1368, pendant la guerre
des Anglais, elle fut relevée de ses ruines en 1517 par
l'évêque de Paris, Etienne V de Poncher, qui la conféra à
titre de bénéfice.
k° C'était enfin l'église paroissiale de Saint-Sulpice dont
la circonscription primordiale embrassait toute l'étendue
du domaine de l'abbaye Saint-Germain des Prés (2).
A quelle époque peut-on en faire remonter la première
construction? On est toujours réduit à cet égard à des
conjectures.
Le seul document qui soit parvenu jusqu'à nous et sur
lequel on puisse s'appuyer, est le passage suivant d'une
copie du Martyrologe d'Usuard, moine de l'abbaye, con-
temporain de Charles le Chauve (8V0-877), à qui il le dé-
dia : « VI Idus die 10 mensis Maii, apud monasterium
avaient été prescrits par Lanfroy, quatorzième successeur de Doctrovée, le
premier abbé.
A l'occasion de cette solennité, Pépin le Bref fit présent à l'abbaye de sa
terre de Palaiseau(Palaliolum) avec toutes ses dépendances-, et celte dona-
tion fut constatée par une inscription gravée sur une table de pierre qui
fut scellée dans le mur de la cbapelle Saint-Symphoricn. L'abbé Lebeuf, loc.
cil., p. 430.
(1 L'abbé Lebeuf, loc. cit., p. 430.
(2) Lebeuf, loc. cit., p. 445.
ORIGINES DE L'EGLISE SALNT-SULPICE. 5
« Sancti Germani dedicatio in honore Sancti Joannis Bap-
« tistae, Sancti Laurentii, archidiaconi, atque Sancti Sulpi-
« cii , - episcopi »; d'après l'écriture et les caractères de
cette copie, qui est certainement du xn° siècle, on en
conclut qu'il s'agit là de la mention de la dédicace de
l'église Saint-Sulpice, effectuée vers l'an 11*20. Puis peu
à peu l'usage s'introduisit d'abréger rénumération des
patrons de cette église et de n'en conserver que le der-
nier.
Mais plusieurs raisons permettent de croire que cette
église est beaucoup plus ancienne :
C'est d'abord le témoignage d'Usuard lui-même qui
parle de cette église comme existant en l'année 807 et
qui, dans son martyrologe, fait un éloge tout particulier
de saint Sulpice en traitant de la fondation et des solen-
nités de cette église.
C'est encore la découverte faite, en 172i, dans le parvis
de cette église, de deux sépulcres dont l'un remonte au
xne siècle et l'autre au vme au plus tard, d'après les
caractères de l'inscription suivante gravée sur la pierre
qui le recouvrait : « Hic jacet inchisus Tetdoli ou
Tetopi de stirpe natus Herluinus condam vocatus no-
mine, qui obiit quinquagenarius ». Et l'on sait que les
églises paroissiales, dépendant des abbayes, enterraient
leurs morts non pas seulement dans les cimetières qui
leur étaient contigus, mais même dans leur parvis ou
atrium (1). L'abbé Lebeuf croit même que c'était l'église
baptismale du bourg de l'abbaye [villa Sancti Germani),
de sorte que ce bourg avait son baptistère, comme la Cité
avait le sien à Notre-Dame dans les siècles antérieurs (2).
C'est aussi la grande vénération qui s'attachait, bien
(1) Aussi le mot atrium esl-il souvent employé par les auteurs du moyen
âge comme synonyme de cimetière. L'abbé Lebeuf, toc. cit.
(2) Ibid. Le baptistère était le signe distinctif de la paroisse.
fi HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SCLPICE.
avant le vui° siècle, à la mémoire de saint Snlpice dans
toute la Province ecclésiastique dont il avait été le mé-
tropolitain et particulièrement dans le diocèse de Paris (1)
dès la première moitié du vnc siècle; et d'ailleurs les
moines de Saint-Germain des Prés, qui avaient des biens
dans le Berry, connaissaient mieux que personne la sain-
teté de la vie du pieux archevêque (2).
Saint Éloi, le trésorier de Dagobert Fr (588-659), qui
avait été témoin d'un miracle opéré sur son tombeau, en
avait écrit et publié la relation (3). Il n'est donc pas sur-
prenant que dès alors ils aient tenu à placer sous le pa-
tronage de ce grand saint la principale église du do-
maine de leur abbaye.
Cette église, celle du moins du xnc siècle, était de style
gothique, à en juger par la charmante gravure d'Israël
Silvestre qui en reproduit la façade extérieure, mais
petite et modeste, véritable église de village, pieuse et
recueillie comme il convenait alors aux besoins du fau-
bourg qui, sauf aux environs de l'abbaye et du Luxem-
bourg, n'était habité que par des serfs et des vigne-
rons (4).
A deux reprises, elle fut un peu agrandie : d'abord,
sous François Ier, où la nef fut refaite, puis sous Louis XIII,
de 1614 à 1631, où six chapelles y furent ajoutées, dont
trois du côté du presbytère et trois du côté du clocher,
ainsi qu'un nouveau charnier pour la communion du côté
(1) Le diocèse de Paris faisait alors partie de la Province ecclésiastique
de Bourges.
(2) Saint Sulpice avait fondé lui-même une abbaye bénédictine à Bourges.
(3) Simon de Doncourt, loc. cit., p. 275.
(4) Le bourg Saint-Germain se peupla de plus en plus à dater de l'af-
francbissement que l'abbé Hugues d'Issy accorda, en 1247, à tous ceux de
ses habitants qui étaient serfs, moyennant certaines redevances. Néan-
moins, même du temps de François Ier, plusieurs rues de la paroisse n'é-
taient pas encore pavées. Ce fut un arrêt de Parlement, du 24 mars 1544,
qui ordonna le pavage de la rue de Seine.
ORIGINES DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE. 7
de la rue des Fossoyeurs, d'après les plans du célèbre
architecte de l'époque, Christophe Gamard (1).
Mais même, en 1642, lorsque M. Olier en prit posses-
sion, elle ne mesurait encore que 60 mètres de long sur
27 de large; ses cinq nefs étaient trop étroites; la voûte
de la nef principale trop surbaissée; et, dans ces dimen-
sions restreintes, elle ne répondait plus aux exigences
de sa population qui s'était accrue, de siècle en siècle,
jusqu'au chiffre de cent mille âmes (2).
Entre toutes les paroisses de la capitale, Saint-Sulpice
était celle qui comptait le plus de communautés, d'hôpi-
taux, de confréries, surtout depuis le xvie siècle, et qui se
distinguait aussi davantage par sa piété envers la Très
Sainte Vierge.
Elle renfermait en eflTet :
1° L'hôpital des petites maisons, établi en 1557;
2° L'hùpital de la Charité, rue Saint-Pierre ou des
Saints-Pères, en 1602;
3° Les Auguslins déchaussés de la reine Marguerite,
en 1609;
4° Le Noviciat des Jésuites, rue du Pot-de-Fer, en 1610 ;
5° Les Carmes déchaux, rue de Vaugirard, en 1611 ;
6° Les Religieuses du Calvaire, même rue, en 16*25;
7° Les Dominicains, rue Saint-Dominique, en 1632;
8° L'hôpital des Incurables, rue de Sèvres, en 1634;
9° Les Religieuses chanoinesses du Saint-Sépulcre, de
l'Ordre de Saint-Augustin, venues de Charleville à Relie-
chasse, rue Saint-Dominique, en 1635 ou 1636;
10° Les Rernardines du Précieux Sang, en 1635;
11° Les Récollettes, rue du Rac, en 1640;
(1) Rem. hist., 1-9. Voir le dessin de cette église, infra, p. 77.
(2) La plupart de ces détails sont consignés dans l'ouvrage de l'abbé Le-
beuf, qui se rappelait avoir visité plusieurs fois cette église dans les pre-
mières années du xvue siècle, loc. cit., p. 447.
8 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
12e Les Filles de Saint- Joseph ou de la Providence, rue
Saint-Dominique, en 16il (1).
(1) L'abbé Lebeuf, loc. cit., p. 450.
Plus tard s'y établirent encore jusqu'à la Révolution :
1° Le séminaire de Sainl-Sulpice, en 1642 et 1645.
2° Les Tbéalins, quai Malaquais, en 1648;
3° L'hô|iital des convalescents, rue du Bac, en 1652;
4» Les Filles de Notre-Dame de la Miséricorde, d'abord rue Mézières, en
1649, puis rue du Vieux-Colombier, en 1651 ;
5° Les Bernardines de l'abbaye de Noire-Dame au Bois, transférées du
diocèse de Noyon en la rue de Sèvres, en 1654;
6° Les religieuses du Saint-Sacrement, rue Cassette, en I65'i;
7° Le collège Mazarin, en 1661 ou 1662;
8° Les Prémontrés réformés ou de la Croix Rouge, en 1666;
9° La communauté des Filles de l'Instruction chrétienne, en 1662;
10° Les Bénédictines de Notre-Dame de Liesse, rue de Sèvres, vers 1663;
11° Le séminaire des Missions étrangères, fondé en 1663, rue du Bac et
rue deBabylone;
12° Les Bénédictines de Notre-Dame de Consolation, rue du Chasse-Midi
ou Cherche-Midi, en 1669;
13° L'hôtel royal des Invalides, en 1670;
14° Les Bernardines transférées de l'abbaye de Pantemont, au diocèse de
Beauvais, en la rue de Grenelle, en 1671 ;
15° Les religieuses de la Visitation, rue du Bac, en 1673;
16° La Communauté des Filles orphelines, rue du Vieux-Colombier,
en 1680;
17° Le collège du Mans, transféré de la rue de Reims à l'entrée de celle
d'Enfer, en 1682;
18° La communauté du Bon-Pasteur, rue du Chassa-Midi, en 1688;
19° Le couvent des Carmélites, transféré de la rue du Bouloir en la rue
de Grenelle, en 1689;
20° Le Prieuré des Bénédictines de Notre-Dame des Prés, transféré du
diocèse de Reims en la rue de Vaugirard, en 1689;
21° Le séminaire de Saint-Louis, institué à l'entrée de la rue d'Enfer,
en 1696;
22° La communauté des Filles de Sainte-Thècle, rue de Vaugirard, vers 1700;
23° La communauté des Filles pénitentes de Sainle-Valère, rue de Gre-
nelle, près des Invalides, en 1706;
24° La communauté de l'Enfant Jésus au delà de la rue de Sèvres, établie
par M. Languet, curé de la paroisse, pour l'éducation de 30 jeunes lilles
nobles;
25° Et le couvent des Petites Cordelières à l'entrée de la rue de Grenelle,
supprimé en 1750.
V. Lebeuf, ibicl. et dans son édition Cocheris, t. III, p. 140 et suiv.
ORIGINES DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE. <J
C'était également la paroisse par excellence des Con-
fréries, dont on ne saurait trop reconnaître l'heureuse in-
fluence pour la préservation de la foi et des mœurs dans
les rangs de la bourgeoisie et de la classe ouvrière, aussi
bien en France qu'en Italie (1).
La plus ancienne, dont on ne peut cependant pas pré-
ciser l'origine, était celle du Très Saint-Sacrement et de
son Adoration perpétuelle. Les personnes de tout état et
de toute condition pouvaient en faire partie et, dès l'an-
née 1552, un registre spécial en fait foi, elle comptait
plus de 200 membres. Une bulle de Grégoire XV, du
1er juin 1622, leur accordait, sous les conditions ordinai-
res, une indulgence plénière le jour de leur réception, le
jour de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge et à
l'article de la mort, en invoquant de cœur, sinon des lè-
vres, le saint nom de Jésus (2). Et à partir de 1633 elle
eut des maîtres ou administrateurs dont les premiers fu-
rent choisis le 26 décembre de cette même année.
Une autre, qui remontait aussi à une époque reculée et
qui admettait également les personnes de toute condition,
était celle de Saint-Roch, de Saint-Sébastien et de Sainte-
Julienne. Les marguilliers de la paroisse en étaient, de-
puis 1552, les administrateurs; et une bulle d'Urbain VIII,
du 7 mai 1633, lui avait accordé les mêmes indulgen-
ces. Elle avait pour objet d'éloigner, par l'intercession
de ces trois Saints, la peste et toutes les maladies conta-
gieuses (3).
Celle des jardiniers et jardinières, établie en l'honneur
de Jésus-Christ apparaissant à Madeleine sous la figure
d'un jardinier, était placée sous la protection de saint
Fiacre et de sainte Véronique.
(1) L. Pastor, Histoire des Papes depuis la fin du Moyen Age, t. V,
p. 36 à 54.
(2) Simon Je Doncourt, loc. cit., p. 06.
(3) Ibid., p. 107 et 108.
10 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
Celle de Saint-Christophe et de Sainte-Geneviève, anté-
rieure à 15i0 et dans laquelle toute personne pouvait en-
trer, constituait entre ses membres une société d'assistance
mutuelle et leur assurait, en cas de maladie, les secours
nécessaires (1).
Celle de l'Ascension de Notre-Seigneur, pour les maçons
et tailleurs de pierre, était sous la protection de saint
Louis et de saint Etienne. Elle ne remontait pas au delà
de 1630 (2).
D'autres existaient encore, de temps immémorial, pour
tous les métiers :
Celle de Saint-Pierre aux Liens pour les savetiers;
Celle de Saint-Sulpice et de Saint-Antoine pour les
personnes de tout état.
Celle de Saint-Joseph pour les charpentiers ;
Celle de Saint-Jacques pour les chapeliers;
Celle de Saint-Jean, porte latine, pour les apothicaires,
épiciers et chandeliers-huiliers;
Celle de Saint-Nicolas pour les tonneliers, les maîtres
d'école et les écoliers;
Celle de la Sainte-Trinité pour les tailleurs ;
Celle du Saint Ange Gardien pour les fripiers;
Celle de Saint-Crépin et de Saint-Crépinien pour les
cordonniers ;
Celle de Sainte-Claire pour les brodeuses et ravaudeu-
ses;
Celle de Notre-Dame de Montsara et de Saint-Jacques
pour les pèlerins ;
Celle de Sainte-Anne pour les menuisiers;
Celle de Sainte-Barbe pour les paumiers ;
Celle de la Nativité de la Sainte Vierge pour les tisse-
rands , tissutiers et rubaniers ;
(1) Simon de Doncourt, loc. cit., ]>. 110.
(2) Ibid., \>. 113.
ORIGINES DE L'ËllLISE SAINT-SULPICE. Il
Celle de Saint-Côme et Saint-Damien pour les chirur-
giens;
Celle de Saint-Michel pour les pâtissiers, les tuiliers et
les tourneurs ;
Celle de Saint-Luc pour les peintres;
Celle de Saint-Éloi pour les serruriers, selliers, maré-
chaux, fournisseurs;
Celle de Saint-Honoré pour les boulangers;
Celle de Saint-François pour les tapissiers;
Celle de Saint-Biaise pour les cardeurs;
Celle de l'Ascension pour les couvreurs;
Celle de Saint-Jean-Baptiste pour les fourreurs.
Le culte de la Très Sainte Vierge avait toujours été en
honneur à Saint-Sulpice. On peut même dire qu'il est con-
temporain de la fondation de l'église ; et c'est, à n'en pas
douter, cette fidélité héréditaire de la paroisse dans
ce culte béni qui lui a valu l'insigne faveur de compter
parmi ses pasteurs M. Olier, l'un des fils les plus aimants
et les plus aimés de cette Mère de miséricorde.
On y comptait cinq chapelles qui lui étaient dédiées :
celle de l'Immaculée Conception: celle de Notre-Dame de
Liesse; celle de Notre-Dame des Dix Vertus; celle du Ro-
saire et celle du Saint Xom de Marie (1). Plus tard, ces
cinq chapelles ont été réunies en une seule , celle de der-
rière le chœur, sous l'invocation de la Très Sainte Vierge
dans tous ses mystères , particulièrement dans son Imma-
culée Conception et comme protectrice spéciale de la pa-
roisse | -2 .
(1) Simon dcDoncourt, Rem. hist.,\>. 163.
(2) C'est le sujet de la fresque de la voûte de la chapelle, qui a été
commandé par M. Languet. Trois chapelles basses étaient aussi dédiées à
la Très Sainte Vierge.
CHAPITRE II
SES PREMIERS CURES CONNUS.
Sommaire : I" Raoul ou Radulphus. 1309-1211. — Premier démembrement de
la paroisse. — Sentence arbitrale de janvier 1210. — Indemnité accordée au
curé de Saint-Sulpice. — Construction des deux églises de Saint-André des
Arcs et des Saints Côme et Damien. — Affectation de cette dernière aux
confrères de l'Académie de chirurgie. — Circonscription de ces deux nou-
velles paroisses. — Limites de celle de Saint-Sulpice. —2° Guillaume. 12G7. —
3° Regna'ult de Laitre. 1339-1360. — 4° Philippe Chapelain. 13G8-138G. — Sceau
de la Fabrique. — Premier banc placé dans l'église. — 3° Jean de Lauva-
renne. li-24. — G" Denis Chupin. 1461-14G2. — 7° Philippe de Morigny. L 466-1*72.
— Translation solennelle des reliques de saint Sulpice en 1518. — 8° Louis Cé-
name. 1520. — 9° Louis Quélain. 1536-1356. — Bénédiction du grand autel. —
Premier règlement organique de la Fabrique. — Nombre, attributions, préro-
gatives des Marguilliers. — Solennité de leur installation. — Chargé d'affaires
de la Fabrique. — Prêtre sacristain. — - 10° Philippe Huart. 1537-1588. — Peste
de 1587. — Procession solennelle. — Arrêt du Parlement réglant la perception
du Casuel des curés de Paris. — 11° Aymart de Chavaignac. 1588-1601. — Son
patriotisme. — Estime qu'il inspire à Henri IV. — Son dévouement pendant
la peste de 159G. — 12° Henri Lemaire. 1001-1610. — 13° Simon de Montereul.
1619-1631. — 14° Julien de Fiesque. 1631-1642.— Mission prèchée par saint
Vincent de Paul ù Saint-Sulpice.
Les anciens curés de Saint-Sulpice ne nous sont pas
mieux connus que les origines de l'église ; les documents
historiques nous font défaut sur les uns comme sur les
autres.
1° Raoul ou Radulphus (1209-1211).
Le premier dont il soit fait mention dans les annales
de Paris est Raoul ou Radulphus, qui dirigeait cette pa-
roisse lorsqu'elle eut à subir son premier démembrement.
L'enceinte de la capitale, ordonnée par Philippe-Au-
SES PREMIERS CURÉS CONNUS. 13
guste, venait d'être achevée en 1209; et ses nouvelles
murailles englobaient une certaine partie de terrains dé-
pendant de l'abbaye Saint-Germain et compris jusque-là
dans la circonscription de la paroisse Saint-Sulpice.
Ce changement de délimitation entraîna une double
contestation : l'une, entre l'évèque de Paris et l'abbé de
Saint-Germain des Prés, au sujet de la juridiction sur les
terres nouvellement encloses; l'autre, sur l'attribution
paroissiale de ces terres, entre le curé de Saint-Sulpice qui
voulait les garder et le curé de Saint-Séverin qui préten-
dait y faire les fonctions curiales par suite des règlements
de police qui, prescrivant la fermeture des portes de la
ville pendant la nuit, ne permettaient pas au curé de
Saint-Sulpice d'y pénétrer pour l'administration des sa-
crements.
Ces deux différends furent terminés par une sentence
arbitrale rendue en janvier 1210, ratifiée par l'évèque de
Paris en 1211, confirmée par Philippe-Auguste, et par
saint Louis en 1270, et approuvée par le pape Honorius IV
en 1285. Elle réglait que la juridiction spirituelle appar-
tiendrait désormais à l'évèque de Paris dans l'étendue
des terrains de l'abbaye enclavés dans l'enceinte; que
l'abbé de Saint-Germain pourrait y faire bâtir une ou deux
églises paroissiales dont les curés seraient à sa nomina-
tion (1) et demeureraient chargés envers l'abbaye de
trente sols de rente annuelle et perpétuelle; que l'évèque
de Paris serait tenu de payer à l'abbaye 40 sols de rente
jusqu'à la construction des deux églises; et que pour dé-
dommager le curé de Saint-Sulpice, Raoul, de la perte
qu'il faisait de sa dime, pour lors son principal revenu (2),
(1) En 1345, il céda à l'Université son droit de nomination des curés de
ces deux églises.
(2) Comme les abbés de Saint-Germain des Prés, les curés de Saint-Sul-
pice avaient le droit de mouture au Moulin de la Pointe, situé à la jonc-
lion de la rue de Vaugirard et de celle des Vieilles Thuilleries, prolongement
I i HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
l'abbé de Saint-Germain lui donnerait ou iO sols de rente
sa vie durant, ou, tous les jours, un pain blanc et une
pinte de vin, tels qu'on les donnait aux religieux.
L'abbé accepta cette sentence et s'empressa de l'exécu-
ter, en faisant construire les deux églises de Saint-André
des Arcs et de Saint-Corne et Saint-Damien, qui furent ter-
minées en 1212 et servirent dès lors de paroisses aux ha-
bitants détachés du faubourg Saint-Germain et de la pa-
roisse Saint-Sulpice par la nouvelle clôture de Paris (1).
Celle de Saint-André des Arcs était située dans la rue
de ce nom , isolée comme celle de Saint-Sulpice et bordée
de passages publics ou de rues des quatre côtés (2). Son
territoire embrassait la rue Hautefeuille, tout le carré
formé par le côté de la rue du Battoir le plus proche de
l'église et par la rue des Poitevins; tout le côté gauche de
la rue Saint-André jusqu'à la place du Pont-Saint-Michel,
et s'étendait de là sur le quai des Augustins jusqu'au col-
lège des 4 Nations exclusivement. Cet espace comprenait
la rue Guénégaud, la rue de Nevers, la rue Dauphine, la
rue Contrescarpe, la rue Christine, la rue des Augustins,
la rue de Savoie, la rue Pavée, la rue Git-le-Cœur, la rue
de l'Hirondelle et la rue de l'Éperon.
Celle des Saints Côme et Damien, située rue de la Harpe,
près du carrefour limitrophe de la paroisse Saint-Sé vérin,
était particulièrement affectée aux confrères de l'Acadé-
mie de chirurgie parce que ses deux saints patrons
avaient été versés eux-mêmes clans les sciences médicales.
de celle du Cherche-Midi. Ce moulin fut détruit en 176t. (Desgranges,
les Paroisses de Paris, p. 78.)
! A cette époque, la communion était encore donnée dans l'église de
Saint-Sulpice sous les deux espèces; et les prêtres de cette paroisse di-
saient deux messes à Pâques, aux autres grandes fêtes de l'année et aux
funérailles. 'Doncourt, loc. cit., p. 123.)
(2) Sa tour gothique ne fut élevée qu'à la lin du xvic siècle et son grand
portail au xvnc.
SES PREMIERS CURÉS CONNUS. 15
Tous les lundis , depuis l'époque de saint Louis , les
malades venaient se faire soigner gratuitement sous son
porche, jusqu'à ce qu'en 1361 les confrères aient fait
élever un bâtiment spécial entre ce porche et le chevet
ou réfectoire du couvent des Cordeliers (1).
Elle avait dans sa circonscription le côté droit de la rue
de la Harpe en montant, à l'exception du collège d'Har-
court, le côté gauche de la rue Saint-Hyacinthe, la rue
Saint-Thomas, une partie de la rue d'Enfer et de la rue
Sainte-Catherine, quelques maisons de la place Saint-Mi-
chel, le côté droit de la rue des Fossés de M. le Prince jus-
qu'à la rue de l'Observance qu'elle renfermait en entier
avec le couvent des Cordeliers, partie du côté gauche de
la rue des Cordeliers et de la rue de Touraine , toute la
rue du Paon avec son cul-de-sac, la rue Mignon, celle du
Jardinet et celle du Battoir jusqu'à la rue des Poite-
vins (2).
Cette attribution de territoire à chacune de ces deux
nouvelles paroisses restreignit celui de la paroisse Saint-
Sulpice à tout le surplus du bourg de Saint-Germain,
d'une étendue encore fort considérable et dont elle con-
serva la possession jusqu'en 1777, époque du second dé-
membrement qu'elle eut à subir par suite de la création
de l'église paroissiale du Gros-Caillou. Le passage suivant
d'un règlement, arrêté entre MM. le curé et les marguilliers
de Saint-Sulpice lors de la peste de 1580, détermine ainsi
sa circonscription : « Est nottoire que la paroisse de la
« dite Église de M. S. Sulpice a grand circuit et est de
« belle et grande étendue, comprenant toute la dite ville
« et bourg du dit Saint Germain des Prés, entièrement et
(1) « En quoi ces confrères de l'Académie de chirurgie paraissent avoir
succédé à l'office charitable qu'exerçaient autrefois, à l'entrée de l'église
cathédrale de Paris, les chanoines médecins ou Mires, comme on disait
alors. » (Lebeuf, loc. cit., p. 467.)
(2) Lebeuf, loc. cit., p. 470 et 471.
16 HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SLLPICE.
« sans nulle exception, depuis la rivière de Seine le long,
« tant de la tour et hôtel de Nesle, que les murailles et
« fortifications hors de la ville de Paris jusques auprès
« la porte Saint Michel, au bout de la rue de Yaugïrard,
« comprenant icelle rue jusques aux murailles des clos
« de l'hôtel-Dieu et des religieux Chartreux environnant
« l'hôpital et toutes les autres maisons qui sont au des-
« sein du dit Saint Germain (1 . »
Et l'abbé Lebeuf, dans son Histoire de la ville et de
tout le diocèse de Paris, imprimée en 175i, précise encore
mieux les limites de son territoire :
« La paroisse de Saint-Sulpice, dit-il, comprend tout
« le faubourg Saint-Germain. Mais comme les limites de
« ce faubourg ne sont plus si sensibles depuis qu'il
« touche à la ville et que les murs et portes de Paris ont
« été abattus, il est besoin, pour désigner l'étendue de
« cette paroisse, de marquer ses bornes du côté des pa-
« roisses de Saint-Séverin, de Saint-Côme et de Saint-
« André.
« D'abord elle touche à celle de Saint-Séverin dans la
« rue d'Enfer où elle a quelques maisons proche la porte
« du Luxembourg et du même côté. Elle en a encore
« quelques-unes vers le Séminaire de Saint-Louis. Elle
« poursuit son terrain dans le côté supérieur de la place
« Saint-Michel, puis elle continue dans le côté gauche de
» la rue des Fossés de M. le Prince en descendant. Elle a
« ensuite la rue de Touraine des deux côtés; dans la rue
« des Cordeliers depuis la seconde maison d'après l'égout
« et depuis celle d'après la Fontaine jusqu'au carrefour
« des Anciens Fossés. Ce qui lui appartient ensuite con-
« siste dans la rue des Fossés Saint-Germain, après la-
« quelle elle a quatre ou cinq maisons en entrant dans
(1) Nau elle ce passage à la pag? 52 de son Rapport vins, sur les archives
de la paroisse Saint-Sulpice.
SES PREMIERS CURÉS CONNUS. 17
« la rue Saint-André tant d'un côté que d'un autre, puis
<( six ou sept maisons à l'entrée de la rue Dauphine tant
« à droite qu'à gauche. Elle s'étend ensuite dans les deux
« cotés de la rue Mazarine et elle prend en passant les
« trois ou quatre maisons de la rue Guénégaud de cha-
« que côté, jusqu'aux restes des vieux murs qui pa-
« raissent encore. Elle continue la rue Mazarine jusqu'au
« collège des Quatre Nations où finit son territoire inclu-
« sivement. Tout ce qui est du côté du couchant au delà
« des limites qui viennent d'être désignées, est réputé
« du faubourg Saint-Germain et censé de la paroisse
« Saint-Sulpice (1). »
2° Guillaume (1267). — Son nom est cité dans une
charte de l'abbaye.
3° Regnault de Laitre ou de Fontenay (1359-1360).
Un titre de cette époque le qualifie de « clerc du Roi
notre sire et de M. le Régent du royaume en leur cham-
bre des comptes », le roi Jean étant prisonnier en Angle-
terre et Charles V régent. C'était un frère de Richard de
Laitre, abbé de Saint-Germain des Prés; et il appartenait
à une famille illustre, alliée au roi de Navarre, cognatus
régis Navarrae .
4° Philippe Chapelain (1368-1386), archiprêtre de
Saint-Germain des Prés.
Dès cette époque, la paroisse Saint-Sulpice avait une
Fabrique pour l'administrer au temporel. Les actes passés
en son nom étaient scellés d'un sceau de cuivre (2) où
saint Sulpice était représenté en mitre, tenant une croix
et bénissant un estropié, avec cette inscription tout au-
tour, en lettres capitales gothiques : S. Fabrice Sti Sul-
picii ppe. par. (3).
(1) Lebeuf, loc. cit., t. II, p. 450. Éd. in-12.
(2) Trouvé, en 1753, dans un champ àMontrouge. (Doncourt, l. c, p. 8.)
(3) Les Registres de délibérations de la Fabrique ne commencent cependant
qu'au mois de novembre 1610; mais il est probable que les anciens ont été
ÉGLISE SAINT-SULPICE. 2
18 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
À cette époque aussi, tous les dimanches et fêtes, un
prêtre de Saint-Sulpice était envoyé par le curé faire
l'office à la chapelle de Saint- Père; et la Fabrique y
faisait quêter pour l'entretien de son église.
C'est également au quatorzième siècle seulement que
le premier banc a été placé dans l'église Saint-Sulpice.
En 1581 il n'y en avait encore que trois. On étendait de
la paille sur le pavé les jours de grandes fêtes, et de
l'herbe verte en été (1). Mais trente ans plus lard, la nef
était entièrement garnie de bancs et leur jouissance était
concédée, par adjudication, aux enchères, dans les as-
semblées générales de la Fabrique (2 . Ils disparurent en
1723. lors de la démolition totale de l'ancienne église et
de la construction de l'église actuelle, et furent remplacés
par des chaises, dont M. Olier avait commencé, dès 1644,
à introduire l'usage.
5° Jean de Lauvarenne (1424). Archip. de S'-G. d. P.
6° Denis Chupin (1461-1462). Idem.
V Philippe de Morigny (1466-1472).
Ce fut pendant qu'il était curé, qu'eut lieu l'enquête
pour l'élection du grand prieur de l'abbaye Saint-Ger-
main; et c'est à lui aussi que les Religieux de l'abbaye
louèrent l'île de Bussy en 1471 (3).
perdus : car on trouve dans les Archives des pièces depuis la fin du \\e siècle,
entre autres une fondation de 4 messes de Requiem, du 9 février 1 499.
On trouve aussi dans les registres de dépenses de la Fabrique qu'en 1500
on lâchait, du haut de la voûte, le jour de la Pentecôte, une colombe à
l'heure de Tierce. On y lit de même que la Fabrique fournissait des fouets
pour chasser les chiens de l'église. (Doncourt, /. c, p. 8 et 123.)
Les registres des Baptêmes commencent le 1" du mois de juillet 1537;
ceux des Mortuaires ou décès, le 12 novembre 1604; ceux des Bans et
Mariages, le 7 mai 1600 ; ceux des messes basses à acquitter par les prêtres
de la communauté, le 1er juillet 1671. (Doncourt , ibid.)
(1) Calendrier spirituel et historique à l'usage de la paroisse Saint-
Sulpice, pour l'année 1777, p. 6L
(2) Décision de la Fabrique des 8 et 9 juillet 1635.
(3) Rem. hist., t. I. p. 162.
SES PREMIERS CURES CONNUS. 19
8° Louis Céname (1520). Archip. de S'-Germain des Prés.
Dix-huit mois auparavant, le 27 août 1518, avait eu
lieu la translation solennelle des reliques de saint Sul-
pice données à l'église par l'abbaye de Saint-Germain
des Prés qui les tenait elle-même de l'abbaye royale de
Bourges, gardienne du sépulcre du saint; et désormais la
fête commémorative de cette translation, célébrée, chaque
année, à cette date, devint plus populaire que la fête
patronale du 19 janvier, à cause des nombreux miracles
que Dieu se plaisait à faire, ce jour-là, pour honorer la
mémoire de son grand serviteur. « On a même vu, il n'y
« a pas longtemps (1) , dans le cimetière de cette paroisse,
« écrivait M. Olier, plusieurs grands lits de fer où les
« malades se faisaient apporter, pour y passer la nuit et
« y recevoir guérison et soulagement, en continuation
« des merveilles opérées autrefois à l'occasion de la
« translation de ces vénérables reliques. »
9° Louis Quélain (1536-1556).
11 était docteur en théologie. Ce fut lui qui bénit et
consacra, avec la permission de l'abbé de Saint-Germain
des Prés, supérieur majeur, le grand autel de l'église
Saint-Sulpice sous le nom de Y Immaculée Conception (2).
Son nom figure aussi en tète de la liste des confrères du
Saint-Sacrement, sur le registre de cette confrérie, à la
date du 10 juillet 1552.
L'année suivante (1553), parut le premier règlement
organique de la Fabrique de Saint-Sulpice, qui déter-
minait le nombre, le mode d'élection, la durée du man-
dat, les attributions et les prérogatives des marguilliers
qui la composaient (3).
(1) Faillon, Vie de M. Olier, I, 473.
(2) Cl), des Granges : Histoire illustrée des paroisses de Paris, 1886,
p. 78.
(3) Ce règlement était extrait du Martolloge ou Martyrologe de l'é-
glise et fabrique de M. S* Sulpice à Saint-Germain des Prés les Paris. —
20 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
11 en fixait le nombre à quatre et limitait à deux ans
la durée de leur mandat.
Chaque année, deux d'entre eux devaient être nommés,
à l'issue de la grand'messe soit de la fête du 27 août (1),
soit du dimanche suivant, par l'assemblée générale de
la Fabrique, composée des anciens marguilliers, des mar-
guilliers en charge et de 60 des plus notables paroissiens.
Tout en reconnaissant au Conseil des Marguilliers la
plénitude des droits d'administration temporelle de la
paroisse, il assignait à chacun d'eux des attributions dis-
tinctes :
Au premier, auquel était réservé « le haut lieu de
V œuvre de l'église », le soin et la conduite des contesta-
tions et des procès dans lesquels la Fabrique pouvait être
engagée, ainsi que la poursuite du recouvrement de ses
droits en souffrance;
Au second, tenant le second lieu de l'œuvre, l'encais-
sement de toutes les sommes dues à la Fabrique à un titre
quelconque : revenus des immeubles, arrérages de rentes,
produit des quêtes, des dons et des legs et autres droits
ainsi que les revenus des confréries;
Au troisième, tenant le troisième lieu de l'œuvre, la
surveillance de l'acquit des fondations et de toutes les
messes inscrites au Martolloge, et le paiement de tous les
mémoires, notes, factures, et généralement de toutes les
sommes dues par la Fabrique;
Au quatrième enfin, tenant le dernier lieu de l'œuvre,
la direction des quêtes à faire dans l'église, le soin de sa
décoration aux jours de fête, la surveillance de son mo-
bilier et l'entretien de ses immeubles.
Mais, afin d'alléger pour chacun de ces messieurs le
C'est le nom que les anciennes Fabriques donnaient aux registres des Fonda-
tions et Obits à acquitter.
(1) Celle de la translation des reliques de saint Sulpice.
SES PREMIERS CURÉS CONNUS. 21
poids de leurs fonctions spéciales, que l'importance crois-
sante de la paroisse, surtout depuis l'année 1540 (1), ren-
dait de plus en plus lourd, il eut soin de prescrire en
même temps la création aux frais de la Fabrique de deux
emplois nouveaux :
Celui de charge d'affaires de la Fabrique au profit d'un
clerc lay, à la nomination de rassemblée générale, auquel
seraient confiés tous les détails de l'administration des
biens et du matériel de l'église;
Et celui de prêtre sacristain, déjà établi dès l'année
1530, dont il déterminait ainsi l'office : « Et pareillement
« pour à l'égard des reliques, meubles et autres orne-
ce ments de la dite église de M. S. Sulpice, étant en la
« sacristie et revestiaire d'icelle, a été aussi, depuis l'an
« 1530, advisé d'y commettre un homme d'église, prêtre
« et homme de bien qui, en l'absence des marguilliers,
« aura droit de faire dire les messes du Martolloge, et
« de donner garde qu'il n'y ait aucune faute par chaque
« jour, selon l'intention des fondateurs des dites messes
« et obits.
« Au dit clerc est laissé et baillé la charge des reliques,
« ornements, chappes, chasubles, aubes, et de tous au-
« très ornements de la dite église. Lequel doit résidence
« ordinaire et assidue; et pour ce faire a dix livres tour-
te nois de gaiges de la dite œuvre et église ; duquel clerc
« d'église et revestiaire y ceux marguilliers ont ou doi-
« vent avoir répondant. »
Le prêtre sacristain devait faire l'inventaire du mobi-
lier. Il avait pleine et entière autorité sur les suisses, be-
deaux , sonneur et autres employés de l'église et veillait
à l'exécution des règlements qui les concernaient. Toutes
(1) C'est, en effet, à partir de cette époque que le territoire de la pa-
roisse a commencé à se couvrir de différents couvents, hôpitaux, hôtels de
princes et de gens de qualité. (Lebeuf, loc. cit., t. II, p. 451. Éd. in-12
de 1754.)
22 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
les clefs de l'église lui étaient confiées. Dès l'année 1686,
il recevait iOO livres d'appointements annuels et jouissait
d'un logement au-dessus de la sacristie (1); et par une
décision du 28 mars 1787, la Fabrique avait ajouté à ses
fonctions celles de receveur des convois (2).
Deux autres règlements de la Fabrique furent arrêtés,
l'un eu 1580 pendant la peste qui ravagea Paris, l'autre
en 1713; mais ils n'apportèrent que des modifications de
détail à celui de 1553.
L'installation des rnarguilliers était très solennelle.
Quelques instants avant la grand'messe, le nouvel élu se
rendait du presbytère à la chapelle de Saint-François de
Sales. Le premier marguillier, précédé des suisses et des
bedeaux et suivi de ses collègues, quittait alors le banc
d'oeuvre pour venir le prendre et le conduire à l'entrée
du sanctuaire, où M. le Curé, qui l'y attendait, lui faisait
un compliment, lui donnait la bénédiction et l'embras-
sait. Puis, pendant que ce dernier se revêtait des vête-
ments sacerdotaux, le premier marguillier, le prenant par
la main jusqu'à la stalle de M. le Curé, l'y faisait as-
seoir après s'y être assis lui-même devant tous les mem-
bres du clergé debout, en signe de prise de possession des
biens de l'église, et l'amenait ensuite à l'œuvre où il lui
indiquait la place qu'il devait occuper. La grand'messe
commençait alors et, après la bénédiction du pain bénit,
il accompagnait ses collègues à l'offrande.
(1) En 1743, la Fabrique offrait à M. Fresnel, prêtre sacristain, une écuelle
en argent avec son couvercle, en témoignage de sa satisfaction des j>eines
qu'il prenait pour la conservation des ornements de l'église; et le 21 mars
1762, elle faisait don à M. Pirout, son successeur, de 30 bouteilles de vin
d'Espagne en reconnaissance de sa belle conduite pendant l'incendie de la
foire Saint-Germain, qui éclata dans la nuit du 16 au 17 mars 1762, et pen-
dant lequel l'église avait couru les plus grands dangers.
Nau, Registre mns. des archives de l'église, p. 164.
(2) A ce titre, il avait droit de percevoir à son profit le sou pour livre
ou 5 pour cent du produit des convois.
SES PREMIERS CURÉS CONNUS. 23
Les séances du Conseil de Fabrique devaient être men-
suelles; elles se tenaient le plus souvent le troisième di-
manche de chaque mois, après vêpres, sauf dans les cas
de convocations extraordinaires à la demande soit de M. le
Curé soit de l'un de MM. les marguilliers.
Chacun des membres présents recevait, à titre d'hono-
raires, deux bougies de huit à la livre, qu'une délibé-
ration du 10 août 1756 remplaça par un jeton de pré-
sence, d'une valeur d'environ ïO sols (1). Ce jeton leur
était encore distribué aux assemblées de Fabrique, comme
dans les grandes cérémonies où ils siégeaient au banc
d'oeuvre.
Ils avaient encore d'autres prérogatives. Comme re-
présentants de toute la paroisse ils avaient le premier
rang- aux offrandes et aux processions. Lors des ofiices,
un des bedeaux devait toujours se tenir près de l'œuvre,
afin de recevoir leurs ordres (2). Ils avaient aussi le
droit d'être inhumés dans deux caveaux particuliers de
l'église. Huit jours après leur décès, la Fabrique faisait
célébrer à leur intention une messe solennelle à la-
quelle leur famille était conviée par billet, et chaque
année, le lendemain de la fête patronale, le 20 janvier,
un service pour tous les marguilliers défunts.
Le martyrologe de 1555 fait encore mention du même
curé comme ayant fondé, par contrat du 1er décem-
bre 1556, une messe haute, pour le samedi dans l'octave
(1) Ce jeton, dont le poinçon existe à la monnaie des médailles 'Régne
de Louis XV, ncs 758 et 760), représentait : 1° d'un côté, an trophée de
vases et autres ornements d'église, avec la légende : Curât, custodit et or-
nât, et l'exergue : Les marguilliers dp Saint-Sulpice, 1756; ?.° de l'autre
côté, la charité sous la forme d'une femme allaitant un enfant et donnant
du pain à un autre, avec la légende : Bat escam esurientibus, et l'exer-
gue : Les commissaires des pauvres de Saint-Sulpice, 1756.
Nau, toc. cit., p. 146 et 43.
(2) Analyse mas. des délibérations de la Fabrique, p. 16. Décision des 8
et 9 juin 1635.
2i HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
de l'Immaculée Conception, à laquelle devaient assister
huit prêtres non compris le célébrant. Il mourut peu de
temps après.
10° Philippe Huart, son successeur (1557-1588), était
originaire du diocèse du Mans. Le 24 mars 1557, la con-
frérie du Saint-Sacrement lui présente la reddition de
ses comptes; et au 1er juillet 1560, son nom figure en tête
de la liste des confrères.
Le 8 février 1586, il reçut de l'abbé de Saint-Sulpice,
de Bourges, deux ossements du chef de saint Sulpice en
présence des religieux de Saint-Germain.
En 1587, la famine et la peste faisaient d'aflreux rava-
ges dans Paris. Le i juillet, on porta en procession la
châsse de sainte Geneviève; et le 25 du même mois, le
cardinal de Bourbon, abbé de Saint-Germain, ordonna
pour ce faubourg une procession qui se fit dans l'ordre
suivant :
u Après la bannière de Saint-Sulpice, marchaient deux
à deux les petites filles et ensuite les petits garçons, tous
de la paroisse, parmi lesquels était le jeune baron de
Gondy. Ils étaient habillés de blanc avec un chapeau de
fleurs sur leurs têtes, un cierge à la main, et avaient les
pieds nus. Les Pénitents blancs, les Cordelierset les Augus-
tins précédaient les boulangers du faubourg , qui étaient
tous en chemises faites exprès, ayant un chapeau de fleurs
sur leurs têtes et un cierge à la main ; suivaient ensuite les
bouchers, ayant un chapeau de fleurs et un cierge à la
main couvert d'un grand linge de fin lin. Après la croix
de Saint-Sulpice suivaient un grand nombre de bour-
geois, en chemises, qui, ayant un chapeau de fleurs sur
leurs tètes et un chapelet à la main, portaient les uns
des flambeaux, les autres sept châsses, du nombre des-
quelles était le chef de saint Sulpice. Ils étaient suivis
(1) Uoncourt, loc. cit., t. I, p. 162.
SES PREMIERS CURÉS CONNUS. 25
du curé et des prêtres de Saint-Sulpicc , tous revêtus de
chapes, lesquels précédaient les religieux de l'abbaye
qui tenaient le chant. La châsse de saint Germain, pré-
cédée de douze hommes, en chemises, ayant un chapeau
de fleurs sur leurs tètes et un cierge à la main, était
portée par douze bourgeois du faubourg, aussi en chemi-
ses, couronnés de fleurs et ayant tous un chapelet à la
main; à chaque coin de la châsse il y avait quatre jeunes
gens, en chemises, qui portaient des torches ardentes. Le
roi (Henri III), en habit de pénitent, marchait à la suite
de la procession, mêlé à d'autres pénitents de sa con-
frérie. Les cardinaux de Bourbon et de Vendôme venaient
après en habit rouge; puis le comte de Soissons, plu-
sieurs autres princes et princesses, qui étaient suivis
d'une infinité de peuple. La procession alla d'abord à
l'église des Cordeliers, ensuite à celle de Saint-André des
Arcs et de là à celle des Augustins et revint à l'abbaye où
l'on acheva les prières. On ne vint pas à celle de Saint-
Sulpice, parce qu'elle était trop peu spacieuse.
« Un des porteurs de la châsse de saint Germain, qui
était retenu au lit depuis longtemps, voulut, contre l'avis
des médecins, se mettre sous la dite châsse pour la porter,
et, à peine l'eut-il fait jusqu'au-dessous du portail de l'é-
glise , qu'il fut entièrement guéri et la porta pendant toute
la procession (1). »
Par contrat du 9 octobre 1588, il fonda le Slabat pour
être chanté les jours des deux fêtes de Saint-Sulpice, de
la Purification, de l'Annonciation , de la Nativité et de
l'Immaculée Conception. Par le même contrat, il donna
une maison dont la rente devait être employée à l'achat
des pains nécessaires à la célébration des saints mystères
et à la communion des fidèles. Il mourut dans l'année,
quelque temps après cette fondation.
(1) Doncourl, loc. cit., t. I, p. 124.
26 HISTOIRE DE L ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
Savant théologien, il était devenu recteur de l'Univer-
sité de Paris en 1567 ; et, pendant les trente et un ans qu'il
exerça la charge curiale, il ne cessa de prêcher avec zèle
et succès contre les novateurs (1).
Ce fut aussi pendant son administration de la paroisse
que le parlement de Paris rendit, vers 1565, un arrêt qui
servit longtemps de règle pour la perception du casuel
de MM. les curés de Paris (2).
11° Aymartde Chavaignac (1588-1601).
D'une des plus anciennes familles d'Auvergne, Aymart
de Chavaignac fut appelé à la cure de Saint-Sulpice à la
mort de Philippe Huart, et en prit possession à la fin
de 1588. Il était alors doyen et comte de Brioude.
(1) Doncourt, loc. cit., t. I, p. 163.
(2) Nau, dans son Rapport mas. sur les archives de l'église, page 161,
donne le texte de cet arrêt, dont voici les termes :
« La cour du Parlement étant advertie d'un procès appointé à la dite
cour entre les paroissiens et les curez touchant les sallaires que doit avoir
un curé; afin de corriger les abus que les dits curez faisaient, de prendre
plus que de raison, la dite cour, pour faire droit à un chacun, a donné
arrest sur leurs différents, duquel en bref les plus principaux points et
articles seront ci-dessous desclairez :
« Et premièrement, pour les baptêmes, rien, s'ils ne veullent, sinon
à la volonté des parrains et marraines, et seront tenus de faire regis-
tres.
« Item, les curez ne prestres ne doivent aucune chose prendre pour la
confession, sinon la volonté du pénitent.
'i Item, pour le sacrement de confirmation et extrême-onction ne pour
les inhumations ne sera rien pris.
« Item, pour la conduite et association du corps trespassé, les prêtres et
clercs avec leurs surplis et eau bénite et croix doivent avoir chacun douze
deniers parisis, et seront tenus les dits prêtres de dire en basse ou en
soumise voix les laudes des inhumations écrites avec les oraisons;
« Item, auront pour une messe basse deux sols parisis ;
« Item, auront pour une haute messe simple sans diacre ni sous-diacre,
trois sols parisis; et pour le moins assisteront trois clercs ou prêtres pour
chanter derrière au lutrain.
« Item, pour une haute messe au diacre et sous-diacre, au clerc et poul-
ies deux porte-chapes , six sols parisis:
« Item, pour Vigiles à neuf psaumes et neuf leçons Laudes, des défunts,
avec trois chappes aux assistants, quatre sols parisis, et s'ils disent Recom-
SES PREMIERS CURÉS CONNUS. 27
Il avait accepté tout d'abord l'offre de la Fabrique de
lui payer quarante écus par an pour tous ses droits.
Mais les temps étaient si malheureux, qu'elle se trouva
bientôt hors d'état de tenir ses engagements; et comme
le nouveau curé était lui-même privé de ses propres re-
venus et obligé cependant , au milieu d'une population
appauvrie, de nourrir et entretenir un certain nombre
de gens d'église pour l'aider à célébrer le service divin ,
une seconde convention intervint, à la date du li jan-
vier 1596, entre la Fabrique et lui, qui l'autorisa à accep-
ter en paiement et à aliéner quelques-uns des joyaux les
moins nécessaires de l'église , à savoir : une coupe et
deux calices en vermeil, un encensoir et une navette en
argent, le tout, y est-il dit, pour lui permettre la con-
tinuation de ses secours aux paroissiens indigents.
S'il approuva la ligue, la ligue française, comme on l'a
justement appelée (1), c'est-à-dire celle qui repoussait,
mandasse, sera payé pour icelle deux sols parisis, et seront tenus quatre
prêtres pour l'assistance être présents avec le curé ou son vicaire.
« Item, quant à l'égard des fiançailles payeront ceux qui seront fiancés
douze sols parisis.
« Item, pour la liberté des bancs, où il y aura opposition pour l'un ou
pour l'autre, deux sols parisis.
« Item, pour la liberté de soy transporter en une autre paroisse, pour
cause de mariage, deux sols parisis.
« Item, pour chacun banc, sans opposition, quatre sols parisis.
« Item, pour la liberté de soy transporter dans une autre paroisse, non
pour cause de mariage, douze deniers parisis de celui qui la voudra avoir.
« Item, pour les épousailles, treize deniers parisis, une fois payés.
« Item, pour la bénédiction du lit, paieront les nouveaux mariés douze
deniers parisis.
« Item, pour la messe du marié, qui ne voudra attendre la grand'messe,
deux sols parisis.
« Item, quant aux trépassés, ils seront enterrés et ensevelis franchement
sans liberté s'il n'y a autre canonique empêchement.
« Item, quant aux testaments, quand les curés ou leurs vicaires recevront
ou feront les testaments, ils auront pour leurs sallaires quatre sols pa-
risis, et non plus, pour y celui et pour écrire. »
(1) V. Trognon, Histoire de France. Éd. in-12, t. III, p. 356.
28 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SALNT-SULPICE.
avec une égale énergie, l'hérésie et la royauté de l'étran-
ger, il était indigné des excès des ligueurs et des violences
de la turbulente faction des Seize; et, un jour, du haut
de la chaire, il ne craignit pas de les stigmatiser en s'é-
criant : « Je ne sais pas cacher mes sentiments : je prê-
« cherai toujours contre les voleurs qui, sous le nom de
« catholiques, pillent les maisons des politiques (1). »
En vrai Français, il voyait le salut de la France attaché
au triomphe de la Loi Salique, cette loi politique qui, ap-
puyée sur une tradition six fois séculaire et sur les dé-
clarations réitérées des États Généraux, assurait la per-
pétuité de la charge royale , de mâle en mâle , au sein de
la même race. Et volontiers il eût répété ces paroles que
la Satire Ménippée met dans la bouche du brave d'Au-
bray, parlant au nom du Tiers État : « C'est assez vécu en
« anarchie et désordre : nous voulons un roi, un chef na-
« turel et non artificiel, un roi déjà fait et non à faire...
« Celui que nous voulons est déjà fait par la nature, né
« au vrai parterre des fleurs de lys de France, rejeton
« droit et verdoyant de la tige de saint Louis. Ceux qui
« parlent d'en faire un autre se trompent et ne sauraient
« en venir à bout. On peut faire des sceptres et des cou-
« ronnes, mais non pas des Rois pour les porter. On peut
« faire une jambe de bois, un bras de fer et un nez d'ar-
ec gent, non pas une tète. Ainsi pouvons-nous faire des
« maréchaux à la douzaine, des pairs, des amiraux, des
« conseillers d'État, mais des Rois, point ! Il faut que celui-
« là naisse de lui-même pour avoir vie et vigueur; ac-
« ceptons donc celui que Dieu nous donne, qui n'a que
« faire de notre aide pour l'être, qui l'est déjà sans nous et le
« sera encore malgré nous, si nous voulons l'empêcher. »
C'était bien là la voix de la patrie qui voyait dans la
monarchie son salut contre l'Espagne comme elle l'avait
(I) S. de Doncourt, loc. cit., I, p. 166.
SES PREMIERS CURÉS CONNUS. 29
trouvé, deux siècles auparavant, contre l'Angleterre.
Pourquoi faut-il que nos aînés de la fin du xviue siècle
soient restés sourds à cette voix! Ils nous auraient épar-
gné ces commotions sanglantes, ces guerres civiles et cette
déplorable succession de quinze à seize constitutions,
qui forment l'histoire politique de notre siècle, au terme
duquel la France, toujours travaillée d'un mal profond,
attend encore le gouvernement définitif dont elle a be-
soin pour assurer ses destinées.
Fidèle à ce principe tutélaire, le pieux Curé de Saint-
Sulpice, depuis la mort du duc d'Anjou, le dernier frère
de Henri III et le dernier rejeton des Valois, ne recon-
naissait d'autre héritier légitime et naturel de la couronne
que le roi de Navarre quoique protestant, et ne subor-
donnait pas sa soumission, comme beaucoup d'autres li-
gueurs, à son abjuration; il demeurait plein de confiance
dans sa promesse de se faire instruire et ne cessait pas
d'espérer sa conversion. « Il n'est pas sacrilège, ce Prince,
« disait-il encore; il demande à être instruit; mais ceux-
« là le sont qui, pour être ses ennemis et lui faire des
« cruautés, lui refusent l'instruction. »
Henri IV avait pour lui la plus haute estime. Aussi,
quand il se décida à se faire instruire, il prit soin de l'ap-
peler à Saint-Denis avec le curé de Saint-Merri, de Mo-
reux, celui de Saint-Gervais, Chauveau, et celui de Saint-
Eustache, René Benoist, doyen de la Sorbonne, qui,
quoique hostile aux ligueurs, était si populaire qu'on
l'appelait le Pape des Halles; et quand, après plusieurs
conférences avec ces docteurs , sa conviction fut faite , ce
fut aussi en leur présence, le 25 juillet 1593, dans l'église
de Saint-Denis, qu'il abjura publiquement l'hérésie entre
les mains de l'archevêque de Bourges.
Depuis lors, il entoura d'égards l'abbé de Chavaignac
et voulut à plusieurs reprises lui donner un évêché;
mais le iidèle pasteur se refusa constamment à aban-
30 HISTOIRE DE L ÉGLISE SAINT-SULPICE.
donner sa paroisse. Il s'y signala par des prodiges de zèle
et de charité pendant la peste de 1596 qui ravagea Paris,
et mourut, regretté de tous, le l°r août 1601.
12° Henri Lemaire (1601-1619).
Henri Lemaire, docteur en théologie de la faculté de
Paris, prit possession de la cure de Saint-Sulpice, la
même année. Il se distingua par sa piété et son zèle à
ramener les hérétiques, dont il eut le bonheur de con-
vertir un grand nombre, et aussi par son courage pen-
dant la peste de 1605. Il mourut à la fin de mai 1619.
13° Simon de Montereul (1619-1631).
Son successeur, Simon de Montereul, également doc-
teur en Sorbonne, s'appliqua comme lui à faire rentrer
les huguenots dans le giron de l'Église et reçut les abju-
rations de beaucoup d'entre eux. Son décès eut lieu le
1er août 1631. Six semaines avant sa mort, le 15 juin
précédent, il avait béni, avec la permission de l'évêque
de Metz, abbé de Saint-Germain des Prés, un terrain con-
tigu à l'église et allant de la rue Garancière à celle du
Pied-de-Biche ou du Fossoyeur (actuellement rue Servan-
doni), pour l'agrandissement du cimetière qui longeait
la rue Garancière et qui fut alors enclos de murs dans
toute son étendue, afin d'empêcher les inhumations
qu'on venait y faire, de nuit, des corps des pestiférés, des
huguenots et des duellistes (1).
14° Julien de Fiesque (1631-1642).
M. Julien de Fiesque le remplaça la même année. 11 fit
de vains efforts pour remédier aux abus et aux désor-
(1) On réserva sur ce terrain la largeur de quatorze pieds et demi, pour
pratiquer une rue à laquelle on donna le nom de rue Neuve Saint-Sulpice,
mais qui fut appelée vulgairement la rue du Cimetière.
Une grande partie en fut englobée dans la reconstruction de l'église; ce
qui força M. Languet à acheter, en 1718, du comte de Beauvau plusieurs
maisons pour l'élargir. Dès lors , elle fut appelée la rue Palatine.
Rem. Itist., I, p. 125 et 126.
SES PREMIERS CURÉS CONNUS. 31
dres qui s'étaient multipliés dans sa paroisse pendant
les guerres civiles (1). Affligé surtout de l'opposition qu'il
rencontrait dans son clergé, il se démit de sa cure, en
juin 16i2, en faveur de M. Olier. On ignore l'endroit et
la date de sa mort; mais on est fondé à croire qu'elle
eut lieu clans les premiers mois de 1662, parce que le
10 juillet de cette même année, il fut célébré à Saint-
Sulpice, pour le repos de son âme, un service auquel
M. de Poussé, alors curé, assista avec tout son clergé (2).
(1) 11 faut reconnaître cependant que la mission qu'il y fit donner, en
1641, par saint Vincent de Paul et qui fut la première, y produisit un
grand bien et disposa le faubourg aux bénédictions et aux grâces que la
Providence y répandit dans la suite par le ministère de M. Olier.
Rem. hist., I, p. 24 à 28. Ces guerres civiles avaient, du reste, telle-
ment appauvri le trésor public, que nous lisons dans YAnatyse des déli-
bérations delà Fabrique, page 20, que le 28 septembre 1636, elle donna
la somme de quatre cents livres au Roi à titre de secours et de subvention,
à cause des nécessités pressantes de l'État.
(2) Rem. hist., I, p. 168.
CHAPITRE III
M. ouer (1642-1652)
Sommaire : Sa naissance. — Sa famille. — Ambassade du marquis de Noinlel,
son cousin, à Conslanlinople. — sa première enfance. — Ses études à Lyon et
au collège d'Harcourt. — Prédiction de saint François de Sales à son égard.
— Ses bénéfices ecclésiastiques de Bazainville, de Clisson et de Pébrac. — Sa
première rencontre avec Marie Rousseau. — Son voyage en Italie. — Sa trans-
formation à Lorelte. — Songe révélateur de sa vocation. — Saint Vincent de
Paul, son confesseur. — Ses missions dans les campagnes. — Son ordination.
— 11 participe à la fondation des Conférences de Saint-Lazare. — La mère Agnès
de Jésus travaille à sa sanctification. — Elle lui apparaît deux fois à Saint-
Lazare. — Sa première mission en Auvergne. — Le P. de Condren, son direc-
teur. — Son refus de l'évcché de Hodez. — Le P. de Condren le prépare à la
grande œuvre de la fondation des séminaires. — Sa seconde mission en Au-
vergne. — Sa visite à Marie de Valence. — Sa maladie à Langeac. — Sa ré-
forme du monastère de la Regrippière, en Bretagne. — Ses rapports avec
la mère de Bressan, à Nantes. — La communauté de Saint-Maur. — Il refuse
la coadjutoreriede Chàlons-sur-Marne. — Sa vie d'épreuves et d'humiliations.
— Mort du P. de Condren. — Installation à Chartres. — Insuccès de cette ten-
tative. — Son refus de l'évcché du l'uy. — Mme de Villeneuve. — Première
installation du séminaire à Vaugirard. — Application des maximes du P. de
Condren. — Administration temporaire de la paroisse de Vaugirard. — M. Olier
accepte la cure de Saint-Sulpice. — Ses pensées sur la sublimité du sacer-
doce. — Son traité avec M. de Fiesque. — Sa prise de possession de la cure.
— Limites de la paroisse, sa dépravation. — M. Olier en entreprend la ré-
forme. — Vie de communauté avec ses prêtres. — Règlement de cette commu-
nauté. — 11 répartit entre eux les diverses fonctions du saint ministère. — Con-
version des hérétique?. — Catéchismes. — Prédications. — Écoles. — Fondation
de la maison de l'Institution. — Pompe du culte. — Adoration perpétuelle du
Saint-Sacrement. — Prières des Quarante Heures. — Vol sacrilège dans l'é-
glise. — Réparation de cet attentat. — Le Pater de la jardinière. — Dévelop-
pement du culte de la Sainte Vierge. — Organisation d'une librairie aux portes
de l'église. — Complot et émeute pour forcer M. Olier à se démettre de sa
cure. — Ses concessions à M. de Fiesque. — Mise à l'étude d'un plan de re-
construction de l'église. — Pose de sa première pierre par la Reine Anne
d'Autriche. — M. Olier fait commencer les travaux par la construction de la
Chapelle de la Sainte Vierge. — Compagnie de la Passion. — Efforts de M. Olier
pour extirper le vice et empêcher les duels. — Il travaille à la sanctification
r ffuuf.SsiuM*. fur.
Fondateur du de Saint- Su! r,
rie à Paris le 20 Septembre 1608, mort le 2 .
M. OLIER (1642-1652 . 33
dos ^nmds : du prince de Condé, du duc d'Orléans, du prince de Conli. —
Son inlluence sur la Reine qui le fait entrer dans son Conseil. — Son zèle
pour la conversion des inûdèles el pour celle de l'Angleterre. — Ses rapports
avec l'abbé d'Aubigny. — Ses conférences avec Charles II, roi d'Angleterre.
— Elles déterminent son abjuration à son lit de mort. — Rôle des pauvres
de la paroisse. — Leur vestiaire; leur conseil charitable. — Règlement de la
compagnie de la Charité. — Luttes de M. Olier contre le Jansénisme. — Son
voyage dans le .Midi. — Il travaille à la conversion des hérétiques dans les
Cévcnnes; il organise celle des sauvages dans le Canada par la création de
la société de Notre-Dame de Montréal. — Ses dernières années. — Sa mort.
— La fondation du séminaire et la création de la compagnie de Saint-Sulpice
forment des preuves de sa sainteté. — Son portrait.
M. Olier est avec saint Vincent de Paul, le cardinal de
Bertille et le Père de Condren, un des plus grands ser-
viteurs de Dieu et de san Église au xvnc siècle et Ton
ne saurait trop faire connaître sa vie si belle, si sainte et
si féconde, surtout dans la paroisse de Saint-Sulpice qui
lui doit sa rénovation morale.
Issu d'une famille de robe alliée aux plus grands noms
de la magistrature française (1), Jean-Jacques Olier na-
quit à Paris, rue du Roi-de-Sicile, le samedi 20 sep-
tembre 1608. Il était l'un des huit enfants de Jacques
Olier de Verneuil, alors grand audiencier de France (2).
(11 Le Chancelier de France, Pierre Séguier, le premier Président du
Parlement de Paris, Mathieu Mole, et le Procureur général, Biaise Méliand,
étaient ses parents.
(2) Un de ses cousins, Charles-François Olier, marquis de Nointel, fut en-
voyé par Louis XIV en ambassade extraordinaire à Constantinople, en 1670,
après le rappel de notre ambassadeur, M. de la Haye, dont les droits
comme représentant de la chrétienté en Orient avaient élé méconnus par
la Porte, mécontente des secours donnés par la Fiance à Candie. Nointel
avait pour instructions de réclamer le rétablissement des anciennes Ca-
pitulations et la restitution des Saints Lieux; il eut un succès complet :
Inquiets des immenses armements du Roi, le Divan et la Porte signèrent
les Capitulations de 1673, qui plaçaient sous la protection de la France
« les évèques et les autres religieux qui professent la religion franque de
quelque nation ou espèce qu'ils soient », charte glorieuse de notre in-
lluence et de notre prestige en Orient, que la Convention elle-même eut
à cœur de défendre, mais que la couardise, l'incurie et la passion sectaire
de nos politiciens du jour sont en train de laisser tomber aux mains de
ÉGLISE SAINT-SULPICE. 3
34 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
Les premiers indices de sa vocation au service des au-
tels se manifestèrent dès ses plus jeunes années.
11 était encore au berceau que déjà sa nourrice re-
marquait que pour apaiser ses pleurs et ses cris, elle
n'avait qu'à le porter à l'église Saint-Sulpice, où la Pro-
vidence semblait avoir voulu lui faire passer le temps de
sa première enfance pour lui faire prendre dès alors en
affection cette paroisse dont elle le destinait à devenir
le pasteur (1).
A sept ans, un jour qu'il était allé à l'église des reli-
gieux de Saint-Antoine pour entendre la messe , il eut
tout à coup, à la vue du prêtre qui la commençait, une si
vive lumière de l'excellence du saint Sacrifice, que dès
lors, lorsqu'il voyait un prêtre à l'autel, il croyait qu'il ne
vivait plus que de la vie de Dieu, et souffrait de le voir
cracher ou tourner la tête (2).
l'Allemagne et de la Russie, auxquelles aucun sacrifice ne coûte pour nous
la disputer.
Ce fut alors que se produisit un courant d'opinion très prononcé en
France et jusqu'en Orient parmi les chrétiens de l'Église grecque , et
auquel Nointel ne contribua pas peu par ses dépêches (v. Ch. Gérin,
Louis XIV et le Saint-Siège, t. II, p. 629 et 630) pour pousser Louis XIV
à se montrer le défenseur et le restaurateur de la vraie foi et à détruire
le mahométisme. Ce courant s'accentua encore davantage, lorsqu'en 1683,
après avoir brûlé 10.000 villages, emmené plus de 600.000 chrétiens en
esclavage, et renouvelé toutes les horreurs de l'invasion des Huns, les
Turcs vinrent mettre le siège devant Vienne. Malheureusement, partagé
déjà à leur égard, comme l'est toujours l'Europe, entre le double sentiment
de leur vitalité guerrière et de leur irrémédiable décrépitude morale, le
Roi résista à cette pression de l'opinion publique; et à la gloire d'affran-
chir les chrétiens d'Orient du joug honteux qui pesait sur eux, il pré-
féra sa guerre de Hollande dont le résultat fut d'allumer contre nous une
haine qui ne s'éteignit plus et finit même par former, en 1689, cette coa-
lition et cette ligue de l'Empereur, de l'Angleterre, de l'Espagne, delà Hol-
lande, de la Suède et de la Savoie, qui fit à peu près de l'Europe entière
une ennemie de la France v. dans le Correspondant du 25 septembre 1896.'
un article de M. H. de Lacombe, sur la Crète et la Fiance).
(1) Simon de Doncourt, Iiem. hist., t. I, p. 29.
(2) Faillon, Vie de M. (Hier t. I, p. 5, 4g éd. ; et Nagot, Vie de M. Olicr.
p. 408.
M. OLIER (1642-1652). 35
Mis au collège à huit ans et demi chez les Pères jé-
suites de Lyon dont son père venait d'être nommé inten-
dant (1617), il s'y distingua de suite par sa vive intelli-
gence et surtout par sa tendre dévotion envers la Très
Sainte Vierge, dévotion qui avec celle au Très Saint-Sa-
crement ne fit que grandir en lui avec l'âge et devint le
caractère distinctif de sa piété.
Il se réjouissait d'être né d'un père qui l'avait toujours
aimée, d'une mère qui s'appelait Marie et dans une rue
qui portait le nom de Notre-Dame d'argent (1). Il ne
pouvait rien apprendre, dit-il lui-même, qu'à force
d'Ave Maria; et depuis lors et pendant tout le cours de
sa vie, il n'entreprenait jamais rien sans aller dans quel-
qu'un de ses sanctuaires la prier de bénir ses démarches
et ses actions. Il ne se faisait même pas faire de nouveaux
vêtements sans lui demander la grâce, tant qu'il les por-
terait, de ne point offenser son divin Fils.
Dieu, du reste, prenait un soin spécial de son avance-
ment dans la vertu. « Je n'ai jamais pu rien apprendre,
« dit-il encore, que par grâce et dans le temps quej'é-
« tais en grâce, selon qu'il me semblait. En ma jeunesse,
« dès le collège, quand j'avais commis un péché, j'avais
u l'entendement tout bouché et tout aveugle, et me trou-
ve vais comme impuissant de rien apprendre, si bien qu'il
« me fallait aussitôt aller à confesse (2). » Mais si la
Providence était si attentive à le corriger de ses moin-
dres fautes, elle ne l'était pas moins à récompenser ses
efforts pour le bien. Un jour qu'il traversait une rivière
à la nage, il aperçoit sur la berge quelques personnes
devant lesquelles sa pudeur l'empêchait d'aborder; il
(i) Cette rue prit plus tard le nom de îue du Roi de Sicile, qu'elle dut
à Charles d'Anjou, comte de Provence et roi de Xaples et de Sicile, qui v
avait son hôtel.
(2) Mémoires authentiques de M. Olier, t. I, p. 168.
3G HISTOIRE DE L'ÉGLISE SALNT-SULPICE.
n'hésite pas à retourner en arrière; mais au milieu de
l'eau ses forées l'abandonnent et il se sent perdu, quand,
par un secours qui semble miraculeux, il rencontre un
pieu sur lequel il peut poser le pied et reprendre haleine
pour achever sa course (1).
A ces premières grâces, déjà privilégiées, en succédè-
rent de plus grandes encore à mesure qu'il avança en
âge , et notamment celle de ses rapports avec les plus
saints personnages du temps, qui tous concoururent à le
préparer à sa mission ou à la lui faciliter.
Il achevait ses humanités à Lyon, quand ses parents
le consacrèrent à Dieu et lui obtinrent, en 1620, le béné-
fice ecclésiastique de Bazainville (2). Mais la fougue de
son caractère, emporté et violent, inspira bientôt à sa
mère de vives inquiétudes sur sa vocation; et dans la
crainte d'offrir au service des autels un fils qui n'y fût
pas appelé, elle crut devoir consulter saint François de
Sales qui honorait son mari de son amitié. Le saint évo-
que consulta Dieu pendant trois jours, dans la prière et
au saint Sacrifice, puis, éclairé par une lumière prophéti-
que, il lui répondit de se consoler et de changer ses crain-
tes en actions de grâces parce que Bleu 'préparait en la
personne de ce bon enfant un grand serviteur de son
Église (3).
C'était en 1622. M. Olier avait alors quatorze ans. Dès
lors, le saint évêque le prit en affection et exprima même à
ses parents le désir de l'avoir auprès de lui pour le former
aux vertus ecclésiastiques ; mais la mort, qui l'enleva peu
après, l'empêcha de réaliser son dessein. Toutefois, avant
d'expirer, il lui donna sa bénédiction, et M. Olier, qui,
(1) Mémoires authentiques de M. Olier, t. I, p. 111.
(2) C'était un prieuré, situé au diocèse de Chartres.
(3) Témoignage de M. Chaillard, curé de Villefranche en Beaujolais
Faillon, Vie de M. Olier, t. I, p. 12.
M. OLIER [1642-1652). 37
d'après ses conseils, se décida à porter désormais la sou-
tane, l'invoqua souvent depuis lors et toujours avec
profit.
Trois ans après, en 1625, son père ayant été promu à
la charge de conseiller d'État, il le suivit à Paris, où il
acheva ses études au collège d'Harcourt et soutint bril-
lamment un acte public, en latin et en grec, sur toute la
philosophie.
A dix-huit ans, il prit possession de l'abbaye de Pébrac,
au diocèse de Saint-Flour, fut élu chanoine, comte du
chapitre de Saint-Julien de Brioude, et obtint de plus le
prieuré de la Trinité de Clisson, de Tordre de saint Benoit,
au diocèse de Nantes (1).
Ses parents, désirant alors le pousser aux honneurs
ecclésiastiques, le lancèrent dans le monde et lui procu-
rèrent un grand train de maison. Il prit bientôt goût à
ce genre de vie, prêchant agréablement, ayant soin de
ne rien dire contre les mœurs du monde , contre l'avarice
ou la superbe, et recherchant le commerce des grands et
les divertissements du siècle (2). Sa mère ne tarda pas à
s'alarmer des périls auxquels elle l'avait elle-même im-
prudemment exposé, et elle ne cessa plus de gémir et de
prier pour sa conversion dont l'instrument providentiel
fut une femme, de condition modeste, Marie de Gournay,
veuve d'un des vingt-cinq marchands de vin de Paris,
David Bousseau. Cette âme d'élite, comblée des dons du
ciel et favorisée des communications les plus intimes avec
la Sainte Vierge, demandait à Dieu, depuis son enfance,
la grâce de travailler, pour sa gloire et celle de son
Eglise, à la formation de saints prêtres et au renouvelle-
(1) La balle qui mit M. Olier en possession du prieuré de Clisson est du
17 mai 1625, et celle qui lui donna l'abbaye de Pébrac, du 30 juin de la
même année.
(2) Doncourt, Rem. hist., I, 23.
38 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
ment des mœurs du faubourg Saint-Germain qu'elle
habitait. Le Seigneur l'exauça en lui accordant un rôle
important dans la vie de M. Olier et une grande part à
l'établissement du séminaire et de la compagnie de
Saint-Sulpice et à la fondation de presque toutes les œu-
vres de zèle et de charité auxquelles le serviteur de Dieu
se livra dans le cours de son ministère pastoral (1).
In jour de l'année 1629, elle avait rencontré M. Olier,
accompagné de quatre autres jeunes abbés, tous vêtus de
satin violet, à la porte d'un cabaret voisin de sa maison.
Sans le connaître autrement, elle ne cessa plus d'offrir à
Dieu ses prières, ses jeûnes et ses mortifications pour sa
conversion.
11 ne tarda pas à en ressentir les effets et commença, à
partir de ce moment, — il avait alors vingt et un ans, — à
naître à Dieu par désir et par affection. « Pour moi, dit-il,
« je reconnais être redevable à cette créature de ma pre-
« mière conversion; et Dieu m'a obligé plusieurs fois,
« devant que de connaître cette sainte âme, de dire tout
« haut à nos iMessieurs : Il y a quelque personne dans le
« faubourg Saint-Germain qui est la cause de ma con-
<( version (2). »
Il ne pouvait cependant pas se résoudre à rompre en-
tièrement avec le monde, lorsque la divine Bonté lui
inspira l'idée d'un voyage en Italie, pour s'éloigner un
peu de ses amis et se livrer à l'étude, spécialement à
celle de l'hébreu qu'il désirait connaître en vue de sou-
tenir plus tard, en cette langue, quelque thèse brillante
en Sorbonne. Mais Dieu ne l'y conduisait que dans un
(1) Faillon, Vie de M. Olier, t. I, p. 24.
(2) Faillon, ibid., p. 26, et Mèm. autli. de M. Olier, t. II, p. 305.
« C'est une chose admirable, ajoute-t-il, comme tous ces jeunes messieurs
« (ceux qui l'accompagnaient le jour où Marie Rousseau les rencontra tous
« cinq) qui, étant considérables dans le monde, ont depuis tout quitté
« pour suivre Jésus-Christ et faire profession de ses maximes. »
M. 0L1ER (1642-Ï652). 39
dessein de miséricorde et pour faire de lui un vase
d'élection.
A peine, en effet, est-il arrivé à Rome qu'un mal d'yeux
le force d'interrompre ses études et le met en danger de
perdre la vue. Il fait vœu alors d'un pèlerinage à Lorette.
Il s'y rend à pied, à la fin de mai 1630, vêtu, par péni-
tence, d'habits d'hiver au fort de la chaleur, et est pris
en route d'une fièvre violente causée par l'excès de la
fatigue. Parvenu au terme de son voyage, il va de suite à
l'église qui abrite la sainte maison; il s'y agenouille et
se sent subitement guéri de sa fièvre et de son mal d'yeux.
Il y passe toute la nuit en prières et en larmes, s'y sent
puissamment attiré au service de Notre-Seigneur, et y
reçoit de si grandes lumières et de si fortes impressions
de grâces qu'il a toujours regardé ce moment comme
celui de son entière conversion (1).
Engendré ainsi, à moins de vingt-deux ans, à la grâce
insigne de sa sanctification par les prières de Marie Rous-
seau et par l'intercession de la Très Sainte Vierge, il ne
cessera plus de s'y montrer fidèle. Il sort de Lorette trans-
formé, devient un homme nouveau, et son retour à Paris,
motivé par la mort de son père, ne lui fait rien perdre
de sa ferveur (1631).
Sa mère venait de lui obtenir le titre d'aumônier du
Roi; il le refuse, fait à Noël sa confession générale, et ne
visant plus qu'à la perfection des vertus sacerdotales, il
s'adonne désormais à une vie tout apostolique.
11 s'éloigne des grands, recherche la société des pau-
vres et fait de leur évangélisation son œuvre préférée.
Il les reçoit chez lui pour les instruire, les catéchise jus-
que dans la rue, les conduit lui-même à l'hôpital quand
il en rencontre de malades, les prépare à leurs confes-
sions générales que veut bien entendre son ami, François
(1) Doncourt, Rem. hist., III, 50i.
40 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SALNT-SULPICE.
Renard, dans l'église des capucins du Marais, et, surmon-
tant les révoltes de la nature, s'humilie pendant douze ans
jusqu'à leur baiser les pieds et, même parfois, leurs plaies
les plus répugnantes; et il ne faut rien moins qu'une
injonction de son Directeur pour qu'il cesse cette pratique
héroïque de la charité. Il réunit autour de lui de jeunes
écoliers, même des aspirants au sacerdoce , pour les initier
aux belles-lettres et les former à la vertu.
Chaque jour, il se confesse et s'approche de la sainte
Table. Avide d'austérités, il traite son corps en esclave,
couche sur une simple paillasse et se prive même du né-
cessaire pour augmenter ses aumônes.
Depuis l'âge de quinze ans, il était poursuivi par l'idée
d'embrasser la vie religieuse et de se faire Chartreux. Un
songe, révélateur de sa vocation, qu'il eut vers la fin de
l'année 1638, l'y fit renoncer. « Il me souvient, » rap-
porte-t-il lui-même dans ses Mémoires, en juillet 16i2,
au moment où il allait devenir curé de Saint-Sulpice,
<c de ce songe que j'eus, il y a bien neuf ou dix ans, dans
lequel je voyais saint Grégoire dans un grand trône,
saint Ambroise dans un autre au-dessous de lui, et bien
plus bas quantité de Chartreux. Au-dessous de saint Am-
broise il y avait manque de la place d'un curé pour faire
la hiérarchie entière, ce qui me faisait voir qu'il fallait
peut-être remplir cette place de curé, pour rendre ser-
vice à l'Église en cette qualité (car saint Grégoire et saint
Ambroise l'avaient servie en dignité éminente>, et que
cette occupation était bien plus utile et nécessaire à
l'Église que celle d'être simple Chartreux (1). » A partir
de ce moment, il n'a plus qu'une pensée : celle de prati-
quer toutes les vertus propres aux prêtres; et, pour mieux
s'y former, il prend saint Vincent de Paul pour confes-
seur et pour guide.
(I) Mém. auth. de M. Olier, I, 90-91; Faillon, Vie de M. Olier, I, 67.
M. OLIER (1642-1652). 41
Sous sa conduite, son zèle le porte à renoncer à ses
études de théologie, malgré l'attrait qu'il y trouve, pour
aller dans les campagnes travailler au salut des pauvres.
Approuvé par son Directeur, il s'associe quelques-uns de
ses prêtres et se voue avec eux désormais sans relâche
aux missions des campagnes.
Au bout d'un an de cet apostolat dans diverses pa-
roisses des environs de Paris (1), et sur l'avis de saint Vin-
cent de Paul, il se dispose à recevoir les saints Ordres. Il
s'y prépare par une retraite de quinze jours au collège
des Bons-Enfants, est ordonné le 21 mai 1633, dans la
chapelle de l'archevêché, par l'évêque de Dardanie,
Mgp Etienne Puget, alors auxiliaire de Metz et plus tard
évêque de Marseille, et, selon la coutume des saints prê-
tres du temps, consacre encore un mois tout entier aux
exercices spirituels avant de dire sa première messe , qu'il
ne célébra que le 24 juin suivant, jour de la fête du saint
Précurseur.
Pour mieux conserver les fruits de son ordination et
pour perfectionner en lui l'esprit sacerdotal, dont il était
déjà si bien pénétré, il s'unit à quelques autres ecclésias-
tiques séculiers et, sous la direction de saint Vincent de
Paul, fonde avec eux ces excellentes conférences des mar-
dis dites aussi de Saint-Lazare , où tous ensemble ils
s'efforçaient de s'éclairer sur les devoirs de leur vocation
et de se renouveler dans la ferveur de leur saint état (2).
Il redouble surtout de zèle et de piété envers la Très
Sainte Vierge, ayant toujours une de ses images devant
lui, saluant respectueusement toutes celles qu'il rencon-
trait, faisant de fréquentes visites à ses sanctuaires, réci-
(1) Faillon, Vie de M. Olier, I, 71. Il fut secondé dans ces missions
de la banlieue de la capitale surtout par l'abbé de Coulanges, son ami,
que Mme de Sévigné , sa nièce, n'appelle dans ses lettres que le bon abbé.
(2) Ce furent ces mêmes conférences qu'il organisa plus tard, avec tant
de bénédiclions, au Puy, à Limoges et ailleurs.
12 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULP1CE.
tant son chapelet tous les jours, lui offrant toutes ses
actions et lui vouant uue perpétuelle servitude ; heureux
servage qui le prépara de loin à celui dont il fit le vœu à
Jésus-Christ et qui contribua puissamment à sa sanctifi-
cation.
Du reste, on ne saurait trop admirer les voies toutes
de miséricorde que Dieu ménagea alors à son serviteur
pour l'élever à cette perfection sacerdotale qu'il voulait
du futur Instituteur des séminaires en France. Après
s'être servi d'une humble femme, la veuve Rousseau, pour
l'amener de la vie du monde et du péché à celle de la
grâce, il choisit une vierge d'une éminente vertu, la
Mère Agnès-de-Jésus, Prieure du couvent de Sainte-Ca-
therine de Langeac , de l'ordre de saint Dominique, pour
le conduire par ses prières, ses pénitences et ses conseils
à la vie plus parfaite des Saints.
Dès l'année 1630, comme cette amante de Jésus de-
mandait à son céleste époux de la retirer du monde :
« Tu m'es encore nécessaire, lui dit Notre-Seigneur,
« pour la sanctification d'une ame qui doit servir à ma
« gloire (1). » Et quelques jours après, la Sainte Vierge,
pour qui la iMère Agnès éprouvait un amour ardent, lui
apparut, toute revêtue de gloire, et lui dit : « Prie mon
« Fils pour l'abbé de Pébrac (2). » C'était M. Olier, qu'elle
ne connaissait pas et dont l'abbaye n'était qu'à deux
lieues de Langeac. Et depuis lors, elle ne cessa plus de
l'avoir présent à l'esprit, sans l'avoir jamais vu, et de
s'immoler pour lui comme une victime à la justice de
Dieu. « Elle y employait, » nous dit M. Olier lui-même
dans ses Mémoires, « toutes les inventions que l'amour a
coutume de fournir aux âmes pénitentes , comme cein-
tures, cilices, haires, disciplines de fer, dont les ardillons
(1) Vie manusc. de M. Olier, par M. de Bretonvilliers, t. I, p. 132.
(2) IbUL, et Vie admirable de la sow Agnès de Jésus, t. II, I. vr, ch. 1.
M. OLIER (1642-1652). 43
; se retroussaient contre les os, qui étaient découverts et
; dépouillés de chair. Tels étaient les excès de sa sainte pé-
nitence : à quoi l'on joindra ce qui est de plus précieux,
les soupirs de son cœur, ses contritions violentes, capa-
bles de briser des rochers (1). »
Elle avait ainsi passé trois années entières dans la
prière et l'exercice des plus grandes austérités selon l'ordre
d'en haut, quand un jour du printemps de 1634 (2),
pendant que M. Olier était en oraison dans sa chambre de
Saint-Lazare où il se préparait, dans la retraite, à la
première mission qu'il allait donner en Auvergne, dans
les paroisses dépendantes de son abbaye de Pébrac , elle
lui apparut corporellement (3). « Je vis, dit-il lui-même
« dans ses Mémoires, cette sainte âme venir à moi. Elle
« portait en une main un crucifix et un chapelet dans
« l'autre. Son ange, parfaitement beau, portait la queue
« de son manteau d'une main, et un mouchoir de l'autre
« pour recevoir les larmes dont elle était baignée. Et
« dans ce visage péniteut et affligé, elle me dit : « Je
« pleure pour toi » ; ce qui me donna beaucoup au cœur et
« me remplit d'une douce tristesse (i). »
« Il crut sur l'heure que c'était la Sainte Vierge et à
« cause de la sainte gravité et douce majesté avec les-
« quelles elle parut, et à cause de l'ange qui lui rendait
« cet office de porter le bas de son manteau (5). »
(1) Mémoires auih. de M. Olier, t. I, p. 81, 82.
(2) Avant Pâques, qui, cette année-là, tombait le 16 avril.
(3) L'apparition réelle et corporelle de la mère Agnès à M. Olier est re-
connue expressément par le litre du sommaire des dépositions faites dans
le procès de béatification de la Vénérable, qui le déclare en ces termes :
Cui serva Dei vivens appariât Parisiis , et dans les procédures faites
en 1780, où on lit : « Undè ingenti miraculo a suo monasterio quod
« distat a Parisiis ultra ducenta milliaria, ipsi abbati Olier, diim
« in seminario sancti Lazari versaretur, ibique spiritualia exercitia
« perageret, visibilem et quidem corporaliter se reddidit. »
(4) Mém. auth. de M. Olier, t. I, p. 83.
(5) Vie manuscrite de M. Olier, par M. de Bretonvilliers, t. I, p. 124 et 123.
ii HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SL'LPICE.
Mais une seconde apparition de la même personne, à
peu de temps de là (1), lui fît comprendre, à son costume,
qu'elle n'était pas la Mère de Dieu, pour laquelle il l'a-
vait prise d'abord, mais quelque religieuse de Tordre
de saint Dominique encore vivante; et il conçut un vif
désir de la connaître.
Après sa retraite, il dut encore consacrer quelques se-
maines à réunir les missionnaires qu'il désirait associer à
ses travaux apostoliques. Aussi, lorsque, à la fin d'a-
vril 1634, il se fut assuré leur concours, il ne voulut même
pas différer son départ de deux jours pour pouvoir assister
au mariage de son frère François et se mit en route à la
mi-mai, heureux d'emmener avec lui comme auxiliaires
un des membres de la congrégation de Saint-Lazare et
quelques jeunes prêtres de naissance, entre autres MM. Bar-
rault et Perrochel, amis d'Alain de Solminihac; car on
n'avait pas encore vu des personnes de qualité se livrer
aux missions des campagnes (2). A mesure qu'il appro-
chait de Pébrac, à Riom, à Brioude, il n'entendait parler
que de la Prieure de Langeac, qu'on lui représentait par-
tout comme un prodige de sainteté. 11 se promit de ne
pas quitter l'Auvergne sans aller la visiter.
Leur première entrevue eut lieu dans les derniers jours
de juin 1 634, au couvent de Sainte-Catherine, dont elle
était la Prieure. Dès qu'elle se fut présentée à lui, et
que sur sa demande elle eut consenti à relever le voile
qu'elle tenait baissé sur son visage, selon la coutume de
son ordre, M. Olier la reconnut et lui dit : « Ma Mère,
« je vous ai vue ailleurs. — C'est vrai, lui répondit-elle,
« vous m'avez vue deux fois à Paris, où je vous ai ap-
te paru dans votre retraite à Saint-Lazare, parce que j'a-
ie vais reçu de la Sainte Vierge l'ordre de prier pour votre
(1) Vie de M. Olier, par M. Faillon, t. I, p. 95.
(2) Faillon, loc. cit., I, p. 107.
M. 0L1ER (1642-1652). 45
« conversion , Dieu vous ayant destiné à jeter les fon-
ts, déments des séminaires du royaume de France (1). »
Le miracle de cette apparition, dont la certitude a été
constatée par le procès de la béatification de la Mère
Agnès (2), a eu une portée considérable : car il a été le
principe à la fois de la sainteté de M. Olier, qui depuis
lors a fait dans les vertus sacerdotales des progrès éton-
nants, et de l'institution des séminaires, par laquelle il a
servi si utilement l'Église.
A dater de cette visite et pendant les six mois qu'il
resta encore en Auvergne , la Mère Agnès travailla sans
relâche à la perfection de M. Olier, en lui inspirant un
amour de plus en plus vif de la croix, des mortifications,
des souffrances et surtout de l'humilité. Elle l'incita en
même temps à procurer la réforme de son abbaye de Pé-
brac, dont il avait déjà essayé, mais en vain, en 1033, de
confier le soin à Alain de Solminihac, qui commençait
alors heureusement celle de l'ordre des chanoines régu-
liers de Saint-Augustin dans son abbaye de Chancellade ,
en Guyenne. M. Olier, qu'affligeait la vie peu régulière
de ses religieux, renouvela ses instances auprès du pieux
abbé qui, cette fois, se laissa fléchir et passa avec lui, le
2i juin , un concordat qu'il crut devoir soumettre à l'ap-
probation du cardinal de La Rochefoucauld, abbé de
Sainte-Geneviève et délégué par le Saint-Siège pour ré-
former en France les chanoines de Saint- Augustin. Mais,
sur les plaintes des religieux de Pébrac et à la prière de
la mère de M. Olier elle-même, qui désirait conserver à
son fils ce riche bénéfice, le cardinal rendit, le 11 août,
une ordonnance qui défendait l'exécution de ce concordat
(1) Faillon, ibid., I, p. 99.
(2) « Dubitari nequaquam potest quin vere fuerit apparitio, » dit le Sous-
Promoteur de la foi, dans son rapport à la congrégation des Rites sur
la cause de la canonisation de la Vénérable Mère.
46 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
et enjoignait à M. Olier de rentrer à Paris, le 1er octobre
suivant, pour régler de concert avec lui les conditions de
cette réforme. La Mère Agnès éprouva un vif chagrin de
le voir quitter si vite l'Auvergne, où il faisait tant de
bien; néanmoins elle le pressa d'obéir, et il se résigna
à partir.
Lors de leur dernière entrevue vers la fin de septembre ,
elle lui donna son crucifix qui, peu d'années après, de-
vait opérer, à la communauté de Saint-Sulpice , la gué-
rison, regardée comme miraculeuse (1), de M. Philippe,
supérieur du séminaire d'Aix, et, après lui avoir dit adieu,
elle se mit au lit pour ne plus se relever. Alors encore
elle eut une action considérable sur l'avenir de M. Olier.
Le 12 octobre , elle écrivit au Père de Condren, général de
l'Oratoire, qui la tenait en singulière estime, pour le prier
de se charger de la conduite spirituelle de M. Olier. et huit
jours après, le 19 du même mois, elle rendait sa belle
âme à Dieu , âgée de trente-deux ans seulement.
M. Olier apprit sa mort à Paris, le jour de la Toussaint,
à l'église Saint-Paul, sa paroisse. 11 ne put retenir ses lar-
mes; mais bientôt, l'invoquant elle-même au Très Saint-
Sacrement, où les saints sont présents, il se sentit con-
solé. Il n'en apporta que plus d'attention à suivre ses con-
seils et à pratiquer la pauvreté évangélique. Il vendit
son carrosse et ses chevaux et ne garda plus qu'un seul
domestique, encore sur l'ordre de saint Vincent de Paul.
Des deux affaires qui l'avaient rappelé à Paris, la pre-
mière, la réforme de son abbaye de Pébrac, ne reçut pas
la solution qu'il eût désirée : Le cardinal de La Rochefou-
cauld ne ratifia pas le traité qu'il venait de passer avec
Alain de Solminihac, dont le plan de réforme lui parut
trop sévère; et, par une décision du 1er mars 1C35, il réu-
nit cette abbaye ainsi que tous les autres monastères de
(1) Nagot Vie de M. Olier, p. 42.
M. OLIER (1642-1652). 47
chanoines de Saint-Augustin eu une seule congrégation,
celle de Paris, dont le nouveau supérieur général, le Père
Faure, y avait introduit une réforme plus adoucie.
La seconde, plus laborieuse, exigea l'intervention de
la Providence, pour se terminer selon ses vues. Un évo-
que, que le Père Ed. Gloysault, dans son recueil des Vies
de quelques Prêtres de l'Oratoire, croit être celui de Ro-
dez, Mgl de Corneillan, dont l'humilité s'effrayait de la
charge de l'épiscopat, crut avoir trouvé clans M. Olier,
par la grande opinion qu'il avait de son zèle et de sa
piété, le successeur qu'il souhaitait : il le demanda au
Roi, et trouvant dans sa résistance un nouveau motif de
redoubler ses instances, il les iit appuyer par saint Vin-
cent de Paul qui lui-même le croyait appelé à l'épiscopat.
Mais M. Olier ne cessait de prier la Sainte Vierge pour
qu'elle voulût bien faire échouer ce projet. Se sentant
alors en proie à des peines intérieures très vives que
saint Vincent de Paul, son directeur, ne parvenait pas à
dissiper, il se décida à faire une retraite spirituelle (1),
au cours de laquelle, écrit-il (2), « une voix puissante,
comme celle d'un maitre tout-puissant, me dit : « Le
« Père de Condren te mettra en paix »; ce qui eut tant
d'efficace, ajoute-t-il, que j'en sentis en un moment une
paix et un calme indicibles ».
Dieu lui-même le soustrayait ainsi à la conduite de
saint Vincent de Paul, parce que ce grand saint, s'il était
capable de le former aux plus sublimes vertus, pouvait
aussi le détourner de sa vocation , en secondant les vues
de l'évêque.
Le Père de Condren, qu'on peut regarder comme son
vrai maitre, l'en dissuada au contraire. « Dieu a d'autres
« desseins sur vous, lui dit-il; ils ne sont pas si éclatants
(1) C'était au commencement de l'année 1635.
(2) Mém. aulh. de M. Olier, t. I, p. 37.
48 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
« ni si honorables que l'épiscopat; mais ils seront plus
« utiles à l'Église (1). »
Cette seconde affaire néanmoins traîna en longueur et
retint M. Olier à Paris pendant dix-huit mois : temps pré-
cieux , que la Providence lui ménagea pour qu'il pût* bien
se pénétrer de l'esprit et des maximes du Père de Con-
dren, « l'un des hommes les plus intérieurs qui aient ja-
mais paru dans l'Église (-2) », dont on a pu dire que « la
vie de Jésus-Christ lui était comme tournée en nature,
tant il avait sur toutes choses les pensées et les affections
mêmes de ce divin Sauveur (3) et qui , tout plein de l'es-
prit sacerdotal, agissait en toutes choses comme une hos-
tie volontaire, s'immolant sans cesse, à l'image du divin
Sauveur, pour glorifier Dieu et pour sauver les âmes ».
Nul plus que « cet homme incomparable (4) » n'éfait
convaincu de la nécessité de l'établissement des séminai-
res pour la réforme du clergé (5), objet des vœux univer-
sels. Aussi, dès qu'il eut accepté la direction spirituelle
de M. Olier, qu'il regardait lui-même comme prédestiné
à cette grande œuvre, s'appliqua-t-il à l'y préparer et à
lui inculquer les plus hautes maximes de la perfection.
Excitant l'ardeur de sa dévotion au Saint-Sacrement et
à la Sainte Vierge, il le fit entrer dans l'association de
piété et de charité qu'il venait d'organiser sous le nom de
(1) Faillon, Vie de M. Olier, t. I, p. 144.
(2) Vie du P. J. Eudes, par le P. de Montigny, Jésuite, p. 415.
(3) L'Oratoire de France au xvne et au xixe siècles, par Ad. Penaud,
de l'Oratoire, aujourd'hui cardinal évêque d'Autun, p. 192.
(4) Expressions de saint Vincent de Paul qui, lorsqu'il apprit sa mort,
se jeta à genoux et, se frappant la poitrine, s'accusa, les larmes aux yeux,
de n'avoir pas honoré ce saint homme autant qu'il méritait de l'être.
Faillon, Vie de M. Olier, t. I, p. 139. Et M. Olier a écrit lui-même dans
ses Mémoires, que rien ne lui a fait autant comprendre la sainteté in-
comparable de Noire-Seigneur que l'exemple de la vertu, si pure et si
éminente, de son directeur. Faillon, ibid., p. 296.
(5) V. notre Histoire de l'abbaye et du collège de Juilly, p. 114 et
115, 3e éd.
M. OLIER (1642-1652). 49
' Compagnie du Saint-Sacrement et qui avait une grande
! analogie avec l'œuvre actuelle des Conférences de Saint-
Vincent de Paul , obtint sa renonciation au doctorat et son
premier refus de l'épiscopat, et lui imposa le sacrifice de
! son désir de passer au Canada pour recommencer ses
missions de France, voulant qu'il fût rompu aux fonc-
tions du saint ministère avant d'y former les autres.
Sans plus tarder, M. Olier se joignit à plusieurs mem-
bres de la Conférence de Saint-Lazare pour prêcher le
carême de 1636 au refuge de l'hôpital de la Pitié, en
obtint quelques-uns de saint Vincent de Paul pour coopé-
rateurs et, après une retraite aux environs de Paris, dans
laquelle, il le dit lui-même, Notre-Seigneur lui fit con-
naître qu'il voulait se servir de lui pour la prédication (1),
il reprit avec eux le chemin de l'Auvergne.
Il y resta dix-huit mois, évangélisant tour à tour les
diocèses de Clermont, de Saint-Flour et du Puy, avec un
zèle dont on peut juger par cette belle lettre qu'il écrivait,
le 2i juin suivant (1636), à saint Vincent de Paul et aux
prêtres de la Conférence pour leur demander de nouveaux
ouvriers : « Ne refusez pas ce secours à Jésus, leur di-
« sait-il, la gloire est trop grande de travailler pour lui,
« de contribuer au salut de ses âmes et à la gloire qu'il en
« doit retirer toute une éternité. Vous avez heureusement
« commencé, et vos premiers exemples m'ont chassé de
« Paris; continuez en ces divins emplois, étant vrai que
« dessus la terre il n'y a rien de semblable. Paris, Paris!
« tu arrêtes du monde qui convertirait plusieurs mon-
« des. Hélas! combien de bonnes œuvres sans fruits, de
« fausses conversions et de saints discours perdus, faute
« de dispositions que Dieu épanche ailleurs. Ici un mot
« est une prédication , et rien ne nous parait inutile; ici
« l'on n'a point égorgé les prophètes, je veux dire que
(1) Nagot, Vie de M. Olier, p. 47.
ÉGLISE SV1NT-SLI.PICE.
50 HISTOIRE DE L ÉGLISE SAINT-SULPICE.
« leur prédication n'a point été méprisée comme de-
« dans ces villes; et pour cela, Messieurs, avec fort peu
« d'instruction, tous ces pauvres se voient remplis de béné-
« dictions et de grâces de Dieu (1). » Partout il prêchait
la dévotion au Saint-Sacrement et à la Sainte Vierge avec
un succès prodigieux, opérant de nombreuses conver-
sions même parmi les hérétiques, par sa piété, sa mo-
destie , ses macérations et ses disciplines rigoureuses non
moins que par l'ascendant de sa parole (2).
Au cours d'une de ces missions , qu'il donnait dans le
Vivarais, il alla visiter Marie Tessonnière , connue sous le
nom de Marie de Valence, âme angélique qu'on a com-
parée à sainte Thérèse pour l'éminence de ses dons et que
saint François de Sales appelait « une relique vivante » .
Cette sainte veuve ne cessait de demander à Notre-Sei-
gneur de remplir tous les prêtres de piété, de science,
de pureté d'intention, de zèle et de détachement. Elle en
fut récompensée par la vision surnaturelle de la destinée
de M. Olier. « Ce fut elle, dit-il, qui me témoigna, après
« avoir prié pour moi, que Notre-Seigneur voulait faire
« de grandes choses, par moi, dans son Église. Béni soit
« à jamais mon Dieu , qui , dans tous les états périlleux
« de ma vie, m'a suscité des âmes saintes et peut-être des
« plus saintes qu'il manifeste à son Église , auxquelles il
a a non seulement permis , mais ordonné et imprimé des
« liaisons très fortes et très puissantes, et des obliga
« tions de m'offrir continuellement à lui, dans le temps de
« leur union plus intime à sa divine Majesté (3). »
11 avait à peine terminé sa dernière mission à La Motte-
Canillac, qu'en route pour son abbaye de Pébrac, il
tomba si gravement malade qu'il dut s'arrêtera Lange-ac,
(1) Faillon. Vie de M. Olier, t. I, p. 175 à 177.
2 Naj-ot, Vie de M. Olier, p. 70.
(3) Faillon, Vie de M. Olier, t. I, p. 192 et 193.
M. OLIEK (1642-1652). 51
où deux médecins en renom, qui assistaient ]a fille du
seigneur du lieu, purent lui donner leurs soins. Se sen-
tant à toute extrémité, il fit vœu de se rendre au tom-
beau de saint François de Sales et incontinent il fut
guéri (1). Mais bientôt après il fut pris d'un mal de ge-
nou que les chirurgiens voulaient traiter par des inci-
sions qui l'eussent certainement laissé estropié. Sa mère,
accourue de Paris pour le soigner, s'y opposa. Il fit alors
un vœu à Notre-Dame de Bon-Secours de Tournon, où il
se rendit boiteux et d'où il revint avec le libre usage de
son genou (2).
Dieu, en l'affligeant de ces deux maladies, avait répondu
à ses propres désirs : car, peu de jours auparavant,
il disait à un de ses amis : « Après avoir travaillé dix-
« huit mois avec tant de force et de santé , pour avoir
« un témoignage assuré que notre travail a été agréable
« à Dieu il ne nous manque plus que quinze jours de
« maladie. »
Rentré, à la fin de l'année 1637, à Paris où le bruit de
ses succès apostoliques l'avait devancé, il y reçut le plus
affectueux accueil de saint Vincent de Paul qui lui dit, en
l'embrassant : « Je ne sais comment vous faites; mais la
« bénédiction de Dieu vous suit partout où vous allez. »
Il y partagea son temps entre l'étude de la théologie,
le soin des pauvres et l'instruction des jeunes gens.
L'année suivante, il se rendit en Bretagne où il réforma
le monastère de la Régrippière, occupé par des reli-
gieuses de l'ordre de Fontevrault et où le relâchement et
l'esprit du monde s'étaient introduits. Il tomba malade
ensuite à son prieuré de Clisson et se fit transporter à la
Visitation de Nantes, où il se lia avec la supérieure, la
Mère de Bressan, qui avait eu saint François de Sales
(1) Faillon, Vie de M. Olier, p. 197 et 198.
(2) Ibid., p. 198.
52 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
pour directeur et qui était devenue une de ses plus
saintes filles.
De retour à Paris au commencement de 1639, il lui
tardait de revenir dans ce pays d'Auvergne qu'il avait
déjà évangélisé avec tant de fruit. Mais le Père de Con-
dren, pour le préparer davantage à l'exécution de son
grand dessein : l'établissement des séminaires, ne le lui
permit pas; il le retint aux environs de Paris et le décida
à former une société avec quatre autres ecclésiastiques
de ses pénitents : MM. du Ferrier, de Foix (1), Brandon (2)
et Amelotte (3). Et dans les derniers mois de 16V0, il
quitta l'hôtel de sa mère pour venir avec eux se fixer à
Saint-Maur, où ils vécurent tous cinq dans une maison de
M. Brandon sous la direction d'un des plus jeunes d'entre
eux, M. Amelotte, qu'ils choisirent pour supérieur; et de
là, ils continuèrent leurs missions jusqu'à l'heure, atten-
due par le Père de Gondren, où Dieu les appellerait à son
œuvre des séminaires.
Au mois de juillet de la même année (1639), Louis XIII
nomma M. Olicr à la coadjutorerie de Chàlons-sur-Marne,
à la demande de l'évèque, Mgr Clausse de Marchaumont,
pair de France. Mais pour la troisième fois, il se déroba
aux honneurs de l'épiscopat, après avoir consulté de
nouveau le Père de Gondren, qui lui répéta ce qu'il lui
avait déjà dit : « Que Dieu avait d'autres desseins sur lui,
(( qui n'étaient pas si éclatants ni si honorables, mais qui
« seraient plus utiles à l'Église (4). » Et pour se dérober
aux applaudissements que lui attirait ce refus, bien rare en
(,1) François Caulct, prêtre de Toulouse et abbé de Saint-Volusien de
Foix.
(2) M. Brandon avait été maître des comptes; on l'appelait M. de Bas-
saicourt.
(3,i Peu d'années après, M. AmeloUe entra dans la Congrégation de l'Ora-
toire.
(4) Cloyseault, Vie du P. Ch. de Condren, ch. V.
M. OLIER (1612-1652). 53
ce temps-là, comme aussi pour se purifier de tout senti-
ment de superbe, il demanda à Dieu la grâce de substituer
en sa faveur les mépris et les rebuts aux témoignages d'es-
time qu'on lui prodiguait partout (1). Il fut exaucé; mais
l'épreuve fut longue et dure. Pendant deux ans, la Provi-
dence traita comme la balayure du inonde celui qu'elle
avait comblé de ses dons et qu'elle destinait à devenir
l'Instituteur des séminaires en France, paralysant ses fa-
cultés intellectuelles et physiques et le laissant dans un
état d'abjection indicible.
Il a dépeint lui-même cette sorte de martyre qu'il eut
à souffrir. « Il semblait que notre bon Maître voulait que
« je sentisse ensemble quasi toutes les peines intérieu-
« res, peines de réprobation et du dédain de Dieu, con-
« tinuei ressentiment de la superbe et l'amour-propre,
« privation d'élévation à Dieu, obscurité d'esprit, em-
« brouillement , environnement du démon, rebut des
« gens de bien, délaissement de mon directeur, con-
« damnation dedans les Écritures, mépris universel de
« tout le monde, parents, amis, serviteurs, grands et
« petits; croyance d'être un Judas, avec un tel effet
« que perpétuellement, en ouvrant le Nouveau Testa-
<( ment, je tombais sur les passages qui parlent de lui
« avec des afflictions et des pressures de cœur non pareil-
ce les, et me semblait qu'on me donnait un coup de poi-
« gnard dans le cœur (2). » Ses amis eux-mêmes finirent
par n'avoir pour lui que du dédain et par l'abandonner;
et il put dire à la lettre, comme Notre-Seigneur : « Ceux
qui m'approchaient se sont éloignés de moi et je leur suis
devenu insupportable (3). »
(1) Nagot, Vie de M. Olier, p. (J0.
(2) Mémoires, t. I. p. 31.
(3) « Longe fecisti notos meos à me; posuerunt me abominaiionem
sibi. » Ps. lxxxvii, v. 9.
54 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
Accablée sous le poids de cette lourde croix, l'âme
de M. Olier fut comme noyée d'amertumes; mais il sut
rester fidèle à l'oraison, à ses exercices de piété et à ses
travaux de mission. Sans se lasser de ses souffrances, sans
murmurer contre ses délaissements, il demeura dans une
soumission parfaite à la volonté de Dieu, ne donnant
d'autre marque de sa douleur que ces paroles qu'il pro-
nonçait quelquefois en soupirant : « Mon Dieu, vous êtes
bien changé (1). »
Des dispositions si admirables lui valurent de nou-
velles grâces. Dieu, satisfait de sa résignation, lui rendit
une partie de ses dons. On le vit croître encore en sain-
teté, et peu de temps après, aux pieds de Notre-Dame de
Chartres qu'il était venu implorer à la fin de ses deux
missions du Loreau et d'Épernon, il retrouva, avec la paix
du cœur, sa gaité habituelle.
Sur ces entrefaites, le Père de Condren mourut le 7 jan-
vier 1641. M. du Ferrier avait recueilli ses instructions
in extremis sur l'établissement immédiat d'un séminaire;
il s'empressa de les transmettre à ses associés; et tous,
ils étaient au nombre de huit, se firent un devoir d'en
commencer de suite la réalisation.
Ils se fixèrent d'abord à Chartres, où ils reçurent l'ac-
cueil le plus empressé de la part de l'évêque, M6' de Va-
lence. Mais au bout de huit mois, l'inanité de leurs efforts
pour arriver à cette fondation d'un séminaire, les déter-
mina à se retirer; et ils étaient résolus à reprendre leur
vie de Missionnaires, quand l'un d'eux, M. Picoté, alla
voir à Vaugirard une de ses pénitentes, Mme de Villeneuve,
qui s'y occupait de la fondation de la communauté des
Filles de la Croix, destinées par elle à diriger les écoles
des campagnes. Cette pieuse veuve avait eu saint Fran-
çois de Sales pour directeur et demandait, elle aussi,
1) Nagot, loc. cit., p. 97.
M. OLIER (1642-1652). 55
instamment à Notre-Seigneur la création des séminaires
en France , comme le moyen le plus propre à réformer le
clergé. Dès qu'elle fut instruite par son confesseur de la
tentative avortée de Chartres, elle n'eut de cesse qu'elle ne
fût reprise à Vaugirard et le décida à en écrire à Chartres
où M. Olier, qui tout d'abord s'y montra opposé, consentit
cependant à recommander l'affaire à la Très Sainte Vierge,
lors de sa prochaine retraite à Notre-Dame des Vertus (1).
Cette retraite, qu'il fit dans les premiers jours de dé-
cembre 1641, changea du tout au tout son opinion. Il en
sortit assuré que Dieu agréait ce dessein ; et dès lors il
travailla sans relâche à sa réalisation. Il loua, près de l'é-
glise, une maison délabrée et peu commode, qui appar-
tenait à un ami de M. Bourdoise , l'appropria à la hâte
et s'y installa avec MM. de Foix et du Ferrier, les seuls de
ses associés de Saint-Maur qui lui fussent restés fidèles.
Il témoignait là de son abandon absolu à la volonté de
Dieu : car toutes ses ressources et celles de ses associés
avaient été épuisées pour subvenir aux frais soit des mis-
sions continuées par leurs amis soit de la création du
séminaire de Chartres; et il ne lui restait plus rien pour
ouvrir celui de Vaugirard. Mais Dieu avait parlé; cela
lui suffisait pour reprendre l'œuvre, malgré son complet
dénùment : tout était pauvre, en effet, dans cette petite
maison, le logement comme la nourriture; le logement,
dont une partie se composait de cellules pratiquées dans
un vieux colombier; la nourriture, dont ils étaient rede-
vables à la charité de Mme de Villeneuve qui, chaque jour,
leur envoyait, dans un petit chaudron, pour leur diner de
midi, du potage et du bouilli, et le soir, pour souper, un
(1) Au cours de cette négociation, le chapitre du Puy, dont il avait re-
nouvelé la ferveur, pendant ses missions de 1636 et de 1637, le demanda
au Roi, comme évêque, à la mort de son premier pasteur, M?r Juste de
Serres, arrivée le 28 août 1641. Mais, cette fois encore, il déclina cette
haute dignité.
56 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICIi.
peu de mouton rôti sans dessert. Sa confiance s'inspirait
d'ailleurs de cette double circonstance : que Vaugïrard
était un bourg consacré à la Sainte Vierge, Oppidum bea-
t;i' Marias Vallis Girardi, et que dans l'église se trouvait
une de ses statues miraculeuses.
Ce fut dans les premiers jours de janvier 164-2 (1) qu'il
prit possession de sa nouvelle demeure ; ettiussitùt sa filiale
et prompte obéissance envers Dieu reçut sa récompense.
A partir de ce moment, toutes ses épreuves prirent fin ; il
recouvra l'usage de ses brillantes facultés; il obtint le
directeur dont il était privé depuis la mort du Père de
Condren, en la personne du Père Tarisse, général des
Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, non moins
recommandable par sa haute vertu que par son rare dis-
cernement des esprits, et que la Providence lui ménagea
pour mener à bien sa grande entreprise; et il put en
même temps choisir pour confesseur le Père Bataille,
Procureur général de la même Congrégation, « qui lui
« semblait avoir reçu en plénitude tous les dons du Saint-
« Esprit (2) ».
En reconnaissance de ces faveurs signalées, son premier-
acte fut de faire le vœu de servitude à Notre-Seigneur,
c'est-à-dire d'entière dépendance de corps et d'esprit et
en toutes choses envers lui, « lien extraordinaire, dit son
« biographe, qu'il ne s'imposa que par une conduite
« toute particulière de Dieu qui, le destinant à être le
« chef d'une nouvelle Société dans l'Église, voulait qu'il
« ne mit pas de bornes à la générosité de son amour,
« afin de n'en mettre pas lui-même à l'abondance de ses
« grâces (3) ».
Le second acte, qu'il accomplit avec ses deux associés,
(1) Nagot, ibid., 109. et Faillon, ibid., I, 333 .Plutôt même dès le 29 Xbrc 1611.
(2) Mém. auth. de M. Olier, t. II, p. 39, 89, 129 et 130.
(3) Faillon, Vie de M. Olier, l. I, p. 3i7.
M. 0L1ER (1642-1652). 57
fut le pèlerinage de Montmartre, où tous trois se consa-
crèrent à la Sainte Trinité et se promirent de se former
en compagnie et de rester unis — sans cependant se lier
par aucun vœu, selon l'ordre du Père de Condren — pour
travailler ensemble à l'instruction et à la sanctification
du clergé. Et dès lors on les vit pleins de joie, au milieu
de leurs tribulations, vaquer, chaque jour, à la prière, à
l'oraison et à l'étude de l'Écriture Sainte, sur laquelle
M. Olier, tout pénétré de l'esprit de Notre-Seigneur, leur
faisait, chaque soir, une conférence des plus élevées, et
passer aux pieds de Notre-Seigneur une partie de leurs
récréations, entourés de leurs élèves de plus en plus nom-
breux et recrutés parmi les jeunes clercs les plus distin-
gués et les plus pieux.
Le succès de cette grande œuvre s'accusait ainsi aussi
rapide qu'inespéré. Il était dû à la sagesse de M. Olier qui,
dans sa persuasion que M. de Condren avait été instruit
par Notre-Seigneur lui-même des conditions d'existence
des séminaires, s'attacha à fonder le sien sur les principes
et les maximes formulés par ce grand homme.
Aux derniers jours de sa vie, le Père de Condren avait
dit à M. du Ferrier « qu'il n'y avait rien de plus aisé que
« de faire réussir utilement cette entreprise des sémi-
« naires, pourvu qu'on n'y reçût que des jeunes gens
« avancés en âge et dont le jugement fût formé, et capa-
« ble de faire juger, après les avoir éprouvés, s'ils sont
« appelés à l'Église (1) ». M. Olier fit de cet avis du Père
de Condren la règle première et fondamentale de l'ad-
mission des jeunes clercs dans son séminaire. Saint Vin-
cent de Paul l'adopta, d'après lui, dès le mois suivant (2),
(1) Mémoires manuscrits de M. du Ferrier, p. 136.
(2) Msr Bougaud nous semble faire erreur quand, dans sa Vie de saint
Vincent de Paul (I, 224 et 239) , il attribue à ce grand saint et l'idée du
Père de Condren et le mérite de sa première application. « Et par ce coup
58 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT- SULPI CE.
février 16i2, dans son collège des Bons-Enfants; M. Bour-
doise. à Saint-Nicolas; l'Oratoire, à Saint-Magloire; et le
Père Eudes, à Caen, l'année suivante. L'existence des sé-
minaires, jusque-là si précaire, était ainsi assurée (1).
Comme corollaire de cette première règle, il prit, dès
le début, le plus grand soin de la probation de ses élèves,
pour laquelle il ouvrit la maison d'Avron, en dehors du
séminaire.
Il s'inspira également des pensées du Père de Condren
dans la fondation, bien autrement importante, de l'édifice
spirituel de la piété parmi ses jeunes clercs. Persuadé
comme lui qu'à l'origine la piété se communiqua d'abord
par Jésus-Christ qui en a été le plus parfait modèle, puis
par les Apôtres qui ont répandu partout la bonne odeur
de ses vertus, de sa douceur, de son humilité, de sa pa-
tience et de sa charité, il s'appliqua, pour la faire revivre
dans ses élèves, à leur inculquer la nécessité de se dépouil-
ler du vieil homme, de renoncer à eux-mêmes et à leur
volonté propre, surtout de crucifier leur cœur, source de
toutes les inclinations et de tous les appétits, afin qu'ils
pussent ensuite reproduire en eux les sentiments et les
vertus de Notre-Seigneur et vivre de sa vie intérieure; et
il donna pour fondements à leur piété la double dévotion
à cette vie intérieure de Jésus-Christ, dont il leur fit célé-
« de maître, dit-il. — la séparation des jeunes gens d'avec les enfants, —
« il fonda à la fois les grands et les petits séminaires, dans la double
« forme qu'ils n'ont jamais quittée depuis. » Voir Lettre de saint Vincent
de Paul du 9 février 16V2 et Faillon, loc. cit., t. I, p. 429 et 430.
(1) Il fut confirmé plus tard dans la certitude de l'excellence de cette
règle, lorsque le lundi, 22 mars 1649, en allant à Notre-Dame avec M. de
Bretonvilliers , soumettre à la Sainte Vierge l'entreprise des nouveaux
bâtiments du Séminaire, cette bonne Mère lui apparut, portant dans ses
mains le modèle de l'édifice, et qu'elle le lui donna pour qu'il se chargeât
de le faire exécuter. Car dans ce plan ce n'étaient plus les vastes salles du
séminaire de Milan qui servaient, à la fois, de dortoir, de salle d'étude et
de réfectoire aux élèves, mais, au contraire, une série de chambres sépa-
rées. Mém. auth., t. V, p.. 55 et 402, et Faillon, loc. cit., t. III, p. 57.
M. OLIER (1642-1652). 59
brer la fête chaque année, et à la vie intérieure de la
Sainte Vierge, canal de toutes les grâces pour l'ordre
sacerdotal, dont il choisit la Présentation au temple pour
fête principale de la maison, comme le mystère dans
lequel il voyait le type le plus accompli de la sépara-
tion du monde et de la consécration à Dieu. Et pour les
mieux pénétrer de ces deux dévotions, il ne cessait,
dans ses conférences quotidiennes, de raviver en eux l'a-
mour pour le Saint-Sacrement et pour l'auguste Mère de
Dieu dont il leur imposa la récitation journalière du cha-
pelet, qu'il choisit pour première patronne du Sémi-
naire, et aux litanies de laquelle il ajouta l'invocation :
Regina Cleri, qu'approuva l'Assemblée générale du Clergé
de 1651.
Le règlement intérieur, qu'il traça en même temps,
convergeait au même but dans toutes ses dispositions,
alliant, dans une juste mesure, la prière à laquelle il
donnait le pas sur la science, l'oraison dont il indiquait
la méthode et qui devait être d'une heure au moins par
jour, et l'étude dont il appréciait l'importance pour le
prêtre ; et ce règlement fut trouvé si parfait par cette même
Assemblée du clergé, qu'il mérita son approbation sans
réserve. Mais il eut soin d'interdire à ses coopérateurs la
direction des Communautés religieuses; et cette défense
si sage, combattue d'abord au sein de sa petite Société,
est devenue la règle absolue de tous les Séminaires sul-
piciens, parce qu'on a reconnu que la formation des clercs
demande de la part de leurs directeurs une application et
une assiduité continuelles.
Enfin il compléta cette admirable organisation de son
Séminaire par le choix heureux de ceux de ses collabo-
rateurs qu'il préposa aux diverses parties de la direction.
M. de Foix et M. de Sainte-Marie furent chargés de la sur-
veillance de la conduite générale des élèves; M. de Bas-
sancourt, de la direction des cérémonies et des chants
60 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
liturgiques; M. de Ferrier devait les initier à tous les dé-
tails du saint ministère; un docteur de Sorbonne leur
enseignait la théologie; M. Olier leur faisait lui-même,
chaque après-midi, une conférence sur l'Éeriture Sainte;
rt M. Bourdoise venait de temps en temps les former aux
pratiques du ministère sacré et aux cérémonies parois-
siales.
Une autre circonstance, toute providentielle, devint la
source de précieux avantages pour son œuvre. Cinq ou six
jours après son arrivée, le curé de Vaugïrard, M. Copin,
le pria de prendre soin de sa paroisse jusqu'à son retour
de Paris, où il comptait ne rester que quinze jours et où
il fut obligé de demeurer neuf mois. Il accepta et ne put
qu'adorer la bonté de Dieu, qui lui procura ainsi le
moyen de s'instruire à fond, lui et les siens, des devoirs
des curés et des vicaires et d'y exercer ses élèves. Aussi
quand, l'année suivante, il devint curé de Saint-Sulpice, il
fît, en son nom et en celui de sa Compagnie, protestation de
dévouement perpétuel à sa nouvelle paroisse; et, depuis
lors, tous les curés de cette paroisse, sauf deux (1), ont
été tirés du corps du Séminaire ou s'y sont agrégés.
M. Emery jugeait lui-même cette union avec la paroisse
si nécessaire au maintien de l'esprit du Séminaire qu'il
aima mieux, après la démolition des bâtiments qui l'abri-
taient, en 1803, acheter à ses frais une maison très incom-
mode , rue du Pot-de-Fer, que d'accepter les oiïres avan-
tageuses qu'on lui faisait de se fixer dans un quartier
éloigné de l'église, et de rompre par là même cette pré- S
cieuse union (2).
Cependant la juste renommée de la pauvre petite mai-
(1) MM. de Pancemonl et Collin; car M. de Pierre, qui nétait que mem-
bre de la Communauté de la paroisse lors de sa nomination à la cure, se lit
agréger ensuiteà la Compagnie. Gosselin, Vie de M. Emery, t. II, p. 5, 1862.
(2) Faillon, loc. cit., t. I, p. 471.
M. OLIEK (1642-1652). 61
son de Vaugirard ne tarda pas à se répandre au loin; et
il fallut bientôt songer à en louer une plus grande, que la
générosité de son propriétaire , M. de Rochefort, permit
k M. Olier d'acheter au prix de 2.000 écus, que valait à
elle seule une métairie comprise dans la vente.
Mais quatre mois s'étaient à peine écoulés depuis son
installation, quand la Providence lui imposa la charge
de la cure de Saint-Sulpice et celle de la translation, dans
son nouveau presbytère, du séminaire de Vaugirard.
Le titulaire de cette cure était alors, nous l'avons dit,
Sf. Julien de Fiesque. Affligé des désordres de sa paroisse
et plus encore de la résistance de plusieurs de ses prêtres
aux réformes qu'il aurait voulu y introduire, il résolut
de résigner ses fonctions en faveur de celui qu'il en juge-
rait le plus digne. Il connaissait le zèle de M. Olier,
ses lumières pour la conduite des âmes; il savait ses
collaborateurs animés de son esprit; il chercha parmi
eux son successeur. Il leur en fît la proposition, le jour
de Saint-Marc, où il allait en procession, avec sa paroisse ,
à l'église de Vaugirard. Mais aucun d'eux ne se souciait
de l'accepter, M. Olier par modestie, tous par crainte
d'un aussi lourd fardeau.
Loin de se rebuter, M. de Fiesque renouvela ses instan-
ces auprès d'un de ces Messieurs, qui eut la pensée d'en
instruire Marie Rousseau. Cette pieuse veuve n'hésita pas
à déclarer à M. Olier que c'était la volonté de Dieu qu'il
acceptât lui-même cette cure; qu'il y procurerait le salut
d'un grand nombre d'âmes; et qu'il devait d'ailleurs en-
visager l'offre de M. de Fiesque comme le moyen que lui
ménageait la Providence de développer et conduire à sa
perfection son œuvre du Séminaire, nécessaire à l'Église
de France, et destinée à servir de modèle à d'autres éta-
blissements semblables. Frappé de son langage affîrmatif,
il voulut prendre l'avis de son directeur, le Père Tarisse ,
alors à Vendôme avec le Père Bataille pour la tenue du
62 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
chapitre général de leur Congrégation, et lui dépêcha
M. du Ferrier. Comme Marie Rousseau, le Père Tarisse vit
dans la proposition de M. de Fiesque l'ouvrage de la main
de Dieu, qu'il fallait accepter sans délai ; et il s'offrit même
à assurer le succès de cette entreprise; ce qui était très
important : car la paroisse de Saint- Sulpice , comme tout
le faubourg Saint-Germain dont elle faisait partie et qui
s'appelait la ville Saint-Germain des Prés, était sous sa
juridiction et était exempte de celle de l'archevêque de
Paris.
M. Olier se rendit à ces conseils qu'il regarda comme
l'expression de la volonté manifeste de la Providence; et
lui qui avait par trois fois refusé les premières dignités de
l'Église, il embrassa son nouvel état, beaucoup moins con-
sidérable, dans les sentiments de la plus profonde humi-
lité mais aussi de la plus grande estime pour les fonctions
curiales. « Hélas! mon Dieu, s'écriait-il dans une lettre à
« un de ses amis en lui annonçant sa détermination, quelle
« grâce de me vouloir choisir du milieu des pécheurs et
« de la lie du peuple , du bourbier puant et infâme de
« mes péchés , pour m'élever à cette haute , sainte et di-
« vine dignité de curé, de pasteur et d'époux de l'Église...
« Et qu'aveugle est le monde qui juge comme il fait des
« grandeurs véritables de Dieu , les ravalant si misérable-
« ment par son estime ignorante; qui pense qu'une cure
(( n'est rien, qu'elle ravale la dignité d'un homme de nais-
« sance, et qui croit, malheureux qu'il est! que l'origine
<( d'Adam, la naissance accompagnée de cette fausseté de
« biens imaginaires, de richesses et d'honneurs, soit
« quelque chose d'estimable. Oh! qu'il sache que Dieu
" seul est estimable et son Église ; qu'il n'y a que sa grâce,
« ses sacrements, ses vertus et ses dons qui doivent passer
« pour des biens véritables et non pas ces imaginations
« chimériques de leurs biens apparents, tels que le sont
« l'honneur, les richesses et les délices; l'un est du vent;
M. OLIER (1642-1652). 63
« les autres, de la boue et de la fange; et les troisièmes,
« une infâme corruption (1). »
Pénétré de la sublimité du sacerdoce et de la sainteté
de vie qu'il exigeait, il disait encore : « Un prêtre est le
« Dieu de l'Église. A travers la forme tout humaine qu'il
« présente aux yeux du corps, la lumière de ses œuvres
« doit faire découvrir et éclater les perfections adorables
« de Dieu dont il est l'image ; sa patience , sa douceur, sa
« charité, sa sainteté, sa sagesse, sa force, sa stabilité.
« Dieu étant invisible aux hommes de chair, ils ont be-
« soin, pour le connaître, l'adorer et l'aimer, de quelque
« chose de sensible en quoi il daigne se montrer à eux ; et
« c'est à quoi sert la vie des prêtres : car ils persuadent
« aux hommes, par leur exemple, qu'ils peuvent imiter
« Dieu dans cette vie, en attendant qu'ils le contemplent
« et le possèdent dans la vie parfaite (2). »
Dans de tels sentiments, M. Olier, on peut l'affirmer,
n'acceptait cette cure difficile que pour servir Notre-Sei-
gneur et son Église et lui acquérir des serviteurs. « iMain-
« tenant que nous allons prendre la cure de Saint-Sulpice,
« écrivait-il, Dieu, ce me semble, me manifeste ma voca-
« tion qui est de ranimer la piété chrétienne dans ces
« quartiers... Sa bonté me donne un zèle ardent pour
« renouveler dans les esprits et dans les cœurs le souve-
« nir et l'amour des obligations contractées envers Dieu
« par le baptême... et pour sauver tout le monde... Mes
« désirs s'enflamment encore davantage, quand je pense
« que les plus grands du siècle demeurent sur cette pa-
« roisse; et alors je me réjouis d'avoir l'occasion, si long-
« temps désirée, de leur découvrir leur vanité et de les
« désabuser de leurs erreurs (3). »
(1) Rem. hist., III, 583.
(2) Nagot, loc. cit., p. 564.
(3) Faillon, ibid., I, p. 452 et 453.
64 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
Mais la Providence ne lui imposait un tel fardeau qu'en
lui montrant en même temps la récompense de son abné-
gation. « Je voyais, dit-il, que les paroisses de Paris se for-
te nieraient dessus la nôtre, et qu'elle pourrait servir de
« modèle non seulement à Paris mais encore à toute la
« France. Que Pieu soit béni , qui nous donne ces gran-
« des ouvertures, et qu'il nous fasse la grâce d'y pouvoir
« correspondre et d'être fidèles à ses miséricordes (1). »
Ce fut le 25 juin 164-2, dans l'octave de la Fête-Dieu, que
fut conclu le traité de permutation de la cure de Saint-
Sulpice, par lequel M. Olier fit abandon à M. de Fiesque
de son prieuré de Glisson qui lui rapportait 1.(500 livres
par an, et s'engagea à lui compléter un revenu total de
mille écus, en lui assurant une pension viagère annuelle
de 1.400 livres. Suivant l'usage, il n'aurait dû être ins-
tallé qu'après avoir reçu ses provisions de Rome. Mais
M. de Fiesque, qui ne voulait donner aucune explication à
ses paroissiens sur sa démission, se décida à se retirer
inopinément; et M. Olier, sur les injonctions de son con-
fesseur, le P. Bataille, dut le remplacer de suite. Dès le
\ août, il se prépara à son entrée dans la charge pastorale
par une retraite où Dieu lui révéla les grandes et nom-
breuses croix qu'il aurait à supporter pendant qu'il l'exer-
cerait. Le 9, M. Picoté et M. du Ferrier vinrent occuper le
presbytère. Le lendemain, dimanche, 10, fête de saint
Laurent, M. Olier fut mis en possession de la cure par
deux religieux de l'abbaye (2), et le 15, fête de l'Assomp-
tion de la Sainte Vierge, il présida lui-même la proces-
sion solennelle de Saint-Sulpice et commença l'établisse-
ment de la Communauté, dont les membres devaient
partager avec lui les fonctions curiales et la direction du
séminaire.
(1) Mémoires, écrit le 1er septembre I6i2.
(2) Rem. kist., p. 222.
M, 0L1ER (1642-1662). 65
A cette date de 16V2, la paroisse de Saint-Sulpice,
malgré le premier démembrement que lui avait fait su-
bir, en 1212, la création des églises paroissiales de Saint-
André des Arcs et des Saints Corne et Damien, était encore
la plus vaste de Paris. Bornée à l'Est par les limites de ces
deux paroisses et de celle de Saint-Séverin (1); au Midi
par celles de Saint-Benoit, de Saint-Étienne du Mont et
de Saint-Jacques du Haut-Pas (2); au Nord par la Seine,
elle s'étendait à l'Ouest jusqu'aux villages de Grenelle, de
Vanves et de Vaugirard, et comprenait dans son immense
périmètre, comme nous l'avons déjà dit, tout le faubourg-
Saint-Germain (3), sur le territoire duquel furent érigées
plus tard et successivement les sept nouvelles paroisses de
Saint-Pierre du Gros-Caillou, en 1777; de Saint-Germain
des Prés et Saint-Thomas d'Aquin, à la Révolution (i) ;
(1) Voir supra, p. 15.
(2) L'église Saint-Benoit était une des plus anciennes de Paris. Une pieuse
tradition la faisait remonter au temps de saint Denis, notre Père dans la
foi, qui l'aurait consacrée à la Sainte Trinité. Reconstruite sous Fran-
çois Ier, elle fut détruite à la Révolution. Sa cure, malgré la modicité de
ses revenus, était très recherchée, parce que, placée au centre de l'Uni-
versité, elle a toujours compté parmi ses paroissiens des hommes de
science et de talent.
Sous M. Morin, curé de celte paroisse de 1548 à 1586, les habitants du
faubourg Saint-Jacques, qui en dépendaient, obtinrent de l'évêque de Paris,
M?r Eustache du Bellay, l'autorisation de bâtir une église succursale dans
leur quartier et, provisoirement, la permission d'user d'une chapelle nom-
mée du Haut-Pas, qui devint bientôt après succursale des trois églises
de Saint-Benoit, de Saint-Ilippolyle (toutes deux supprimées par la loi du
4 février 1 791 j et de Sainl-Médard ; et ce ne fut que soixante-six ans après
son achèvement que l'église de Saint-Jacques du Haut-Pas, construite à
côté de cette chapelle, fut érigée, en 1640, en paroisse, pour la formation
de laquelle on enleva à celle de Saint-Benoit toutes les maisons qu'elle
avait dans le faubourg et dans la rue d'Enfer. V. Chronologie historique
de messieurs les curés de Saint-Benoit, par M. Brute, l'un d'eux, de 1747
à 1753.
(3) V. plus haut p. 15 et 16, la description détaillée des limites de la
paroisse Saint-Sulpice.
(4) Saint-Germain des Prés et Saint-Thomas d'Aquin furent érigées en
églises paroissiales par la loi du 4 février 1701.
é<;use SAiNT-siLPicn:. 5
66 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
de Sainte- Valère (1), aujourd'hui Sainte-Clotilde; des Mis-
sions étrangères (2), aujourd'hui Saint-François-Xavier,
cl de L'Abbaye aux Bois (3), lors du Concordat; et de
Notre-Dame des Champs, en 1857.
Mais elle en était aussi la plus dépravée. Kenclez-vous
de tous les impies, centre de réunion des huguenots dont
le zélé n'avait d'autre fin que d'affaiblir la foi des catho-
liques et de répandre partout des germes d'indifférence
et d'athéisme, elle était aussi le réceptacle de tous les li-
bertius et de tous les débauchés, dont les désordres res-
taient à peu près impunis sous l'autorité de l'abbé de
Saint-Germain des Prés dont la justice était des plus dé-
fectueuses.
Les duels y faisaient fureur; on compta jusqu'à dix-
sept de leurs victimes en une seule semaine aux débuts
du ministère de M. Olier. Les grands ne valaient pas
mieux que les gens du peuple; presque tous affichaient
un dédain cynique pour les choses de Dieu; et le frère du
roi, Gaston d'Orléans, n'était guère connu que par ses blas-
phèmes. La foire Saint-Germain, qui durait deux mois, fé-
vrier et mars, ne faisait qu'ajouter encore au nombre et
à la gravité des scandales.
M. Olier ne vit de remède à tant de maux que dans la
piété, la patience et la charité de ses prêtres. Pour payer
(!) Avant la Révolution, Sainte- Valère était la chapelle d'un couvent de
Repenties, autorisé par Lettres (latentes du 3 septembre 1717 et situé à
l'angle de la rue de Grenelle, côté droit, et de l'esplanade des Invalides.
Après la Révolution, celte chapelle devint l'église paroissiale de Sainte-
Valère. Elle tut démolie en 1837; et jusqu'à l'ouverture de l'église, au-
jourd'hui basilique mineure de Sainte-Clotilde, la paroisse de Sainte- Va-
lère eut son église provisoire dans une maison de la rue de Rourgogne.
(2) La chapelle du séminaire des Missions étrangères, dont la solennité
de la bénédiction, qui eut lieu le 27 octobre 1663, fut rehaussée par un
sermon de Rossuet, servit longtemps, en ce siècle, d'église paroissiale
jusqu'à l'ouverture de l'église SainJt-Françoîs-Xavier.
.; ouverte au culte dès 1796, l'église de l'Abbaye aux Rois fut reconnue
par le Concordat.
M. OLIER (1612-1G52). 67
le premier d'exemple, il résolut dès lors de mener la vie
la plus sainte qui lui serait possible, et s'engagea par
vœu, dans l'église de Notre-Dame, à ne plus faire, le reste
de ses jours, que ce qu'il saurait être le plus parfait. 11
demanda à Noire-Seigneur, par l'intercession de la Sainte
Vierge, de bons prêtres pour l'aider dans sa réforme de
la paroisse. Exaucé aussitôt, il l'entreprit avec une ving-
taine de collaborateurs : quatre des dix-sept vicaires de
M. de Fiesque, plusieurs prêtres de Vaugirard et sept à
huit autres, auxquels se joignirent bientôt de nouvelles
et précieuses recrues, entre autres : MM. Raguier de Poussé,
Alexandre le Ragois de Bretonvilliers, Claude Joly, qui
mourut évoque d'Agen; Louis Philippe, qui devait être
guéri miraculeusement au contact du crucifix de la Mère
Agnès, et Gabriel de Caylus, abbé de Loc-Dieu, qui passa
deux années au Canada, de 1G57 à 1659.
Dès le jour de l'Assomption, il leur imposa la vie de
Communauté et s'y assujettit lui-même, afin que, séparés
du monde, ils fussent plus unis entre eux et plus libres
dans le service de Dieu. Leur sanctification fut le premier
objet de sa sollicitude. Il priait et faisait prier de tous
côtés Notre-Seigneur, pour leur obtenir de sa bonté que
le Saint-Esprit daignât les vivifier tous et les éclairer de
ses lumières. Et pour les rendre dignes de cette grande
grâce, il les entretenait fréquemment de la sainteté de
leur état, de leur obligation étroite de sanctifier les âmes,
de l'impossibilité d'y réussir s'ils n'étaient saints eux-
mêmes, puisqu'on ne peut donner ce que l'on n'a pas; et
dès lors de la nécessité pour eux de vivre tout en Dieu, en
union parfaite avec lui, et pour cela de s'adonner à l'orai-
son mentale, à la lecture des livres spirituels et surtout à
l'adoration du Très Saint-Sacrement et à la prière aux
pieds de la Très Sainte Vierge.
Il régla qu'ils auraient, sous l'autorité des curés, un
supérieur chargé du bon ordre de la Communauté et de
G8 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
la distribution des emplois, auxquels il les voulait indif-
férents, comme étant tous, même le plus modeste, égale-
ment estimables dans la maison de Dieu.
II leur interdit de laisser pénétrer aucune femme dans
le presbytère, et les astreignit à un désintéressement
absolu, en leur défendant d'accepter aucun présent pour
l'administration des sacrements, la visite aux malades ou
les besoins de la Communauté, et en prescrivant que tous
leurs honoraires de messes, de baptêmes, de mariages et
de convois fussent mis en commun, pour être distribués
par le curé assisté de quatre de leurs anciens, en sorte
que chacun se contentât, suivant le désir de l'Apôtre, de
la nourriture et du vêtement. Et pour mieux leur incul-
quer cette vertu du désintéressement, il ne se lassait pas
de leur répéter « qu'on travaille trop pour enrichir les
« communautés et pas assez pour les sanctifier, et
« qu'ainsi on 1rs ruine en voulant les établir : car, ajou-
« tait-il, Dieu permet qu'on ait la terre , puisqu'on la
« veut; mais il retire son esprit et ses grâces qu'on né-
« glige. Que si, au contraire, on ne songeait qu'à fonder
« Jésus-Christ dans les maisons, Jésus- Christ aurait soin
« de tout le reste (1) ».
Il leur donna à tous le titre de vicaires, leur enjoignant
de prendre celui de prêtres de la communauté de Saint-
Su/pice, et réservant celui de prêtres habitués aux treize
vicaires de M. de Fiesque qui s'étaient refusés à partager
leur vie commune.
Après les avoir ainsi formés, il répartit entre eux les
diverses fonctions du saint ministère.
Il divisa la paroisse en huit quartiers, les plaça sous la
protection de la Sainte Vierge et les désigna tous sous le
nom d'une de ses fêtes. Il préposa à la direction de cha-
cun d'eux un de ses prêtres, qu'il chargea de veiller à
(1) Rem. hist., I, 34.
M. 0L1ER (1642-1652). 69
tous ses intérêts spirituels et temporels, d'y visiter les ma-
lades et de tenir un registre, indicateur du nom de tous
les paroissiens, de leur âge, de leur demeure, de leur pro-
fession, de leurs ressources, de leurs sentiments religieux.
Bientôt ces chefs de quartiers ne suffirent plus à leur
tâche; et il fut obligé de leur adjoindre un ou deux prê-
tres auxiliaires. Il en chargea un autre de présider à
l'office canonial, qu'il avait trouvé établi dans la pa-
roisse (1); six, de l'administration des sacrements de l'Eu-
charistie et de l' extrême-onction; cinq, de celle des bap-
têmes et des mariages; deux, de recevoir à toute heure les
confessions; un, du soin des pauvres (2); quatre, de celui
des sacristies; plusieurs, de la direction des Confréries. Il
nomma en même temps douze surnuméraires pour sup-
pléer les malades et les absents.
Après avoir ainsi pourvu à l'exercice du saint ministère
dans sa paroisse , il en entreprit la réforme.
Il travailla d'abord à la conversion des hérétiques par
des controverses publiques que dirigeait un dialecticien
renommé, le Père Veron; par des missions qu'il leur fai-
sait donner par le Père Yvan, autre controversiste célè-
bre; par des entretiens qu'il leur ménageait avec deux
de ses prêtres, spécialement chargés de les instruire;
par les prières continuelles de sa Communauté pour leur
retour à la vérité catholique, et plus encore peut-être
par les conférences de deux simples laïques, hommes
(1) Calendrier spirituel de Saint-Sulpice, p. 5.
(2) A ceux de ses prêlres qu'il consacrait au service des pauvres, il
disait : « Lorsque nous sommes appelés au service des indigents, sup-
portons avec une chanté à toute épreuve les incommodités qu'ils causent.
Souvenons-nous que ISolre-Seigneur a choisi les pauvres pour servir
de témoignage à la divinité de sa mission et pour en tirer la preuve la
plus indubitable de la vérité de sa doctrine. Les plus souffrants sont ses
membres plus particulièrement que les autres; ils ont donc un droit de
préférence à notre affection et à notre tendresse. » M. Icard, Doctrine
de M. Olier expliquée par sa vie et ses écrits, p. 481.
70 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-ST'LPICE.
sans lettres mais pleins de l'esprit de Dieu, le coutelier
Jean Clément et le mercier Baumais, « qui ramenèrent
« à eux seuls, dit le biographe de M. Olier (1), pins de
a huguenots à la vraie foi que n'en convertirent en-
ce semble tous les docteurs de Sorbonue de ce siècle ».
Il s'appliqua ensuite à combattre l'ignorance, source
de tous les vices dans son peuple, par des catéchismes
et des instructions de toute sorte, comme aussi par le
soutien et le développement des écoles.
Tous les dimanches et fêtes, après vêpres, il faisait
lui-même ou faisait faire dans l'église deux catéchismes
aux enfants, l'un pour les garçons et l'autre pour les
filles, afin de les initier aux mystères de la foi. Il en
établit douze autres dans les différents quartiers de la
paroisse et confia chacun d'eux à deux de ses prêtres ou
de ses séminaristes, dont l'un était chargé de le faire et
l'autre d'appeler les enfants à le suivre au moyen d'une
clochette qu'il avait à la main et qu'il devait sonner dans
toutes les rues de son quartier (2). En sorte qu'on compta
bientôt dans la paroisse jusqu'à quatre mille enfants qui
recevaient en même temps l'instruction religieuse (3).
Ce fut à leur usage qu'il composa le Catéchisme des
enfants de la paroisse Saint-Sulpice qui fut approuvé
en février 1j652.
Indépendamment de ces quatorze catéchismes ordi-
naires, il en fonda six autres spéciaux :
(1) Faillon, loc. cit., t. II, p. 368.
(2) C'était l'exemple que saint François de Sales donnait a ses curés.
Le saint évêque faisait appeler les enfants au catéchisme qu'il faisait,
ions les dimanches de l'année, tour à tour avec ses chanoines, par un
hèraull, vêtu d'une espèce de cotte d'armes bleue, sur laquelle le nom
de Jésus était écrit en lettres d'or. Ce hérault, agitant une sonnette par
les rues, criait d'une voix haute et sonore : A la doctrine chrétienne , à
lu doctrine chrétienne.' On vous y enseignera le chemin du Paradis.
Faillon, Histoire des catéchismes de Saint-Sulpice, p. \n.
(3) Rem. hist., 4' part., p. 61(5.
M. 0L1E11 (I6i2-1652). 71
Deux pour la première communion des enfanls, l'un à
la fête de Pâques, qui durait deux mois, l'autre à celle
de la Pentecôte, qui durait six semaines;
Un troisième, préparatoire à la réception du sacrement
de Confirmation;
Un quatrième, trois fois la semaine , pendant le carême ,
préparatoire à la communion pascale pour les laquais,
les pages et les gens de service ;
Un cinquième, aussi trois fois par semaine, pendant
le carême, et clans le même but pour les pauvres men-
diants. A leur sortie de chaque réunion, ils recevaient
tous une aumône pour les encouragera l'assiduité ; et cette
aumône était plus forte pour ceux qui avaient le mieux
répondu aux questions qui leur avaient été posées (1);
Un sixième, tous les vendredis de l'année, pour les
vieillards, hommes et femmes, secourus par la compagnie
de charité (2).
11 en établit d'autres encore, qui se faisaient dans les
charniers de l'église (3), et dont il avait eu soin de gra-
duer les programmes suivant l'âge et l'instruction des
enfants, depuis les plus petits et les plus ignorants jus-
qu'aux plus avancés (4).
11 avait aussi institué, dès son entrée dans la paroisse,
une prédication pour les artisans. Il l'avait confiée à l'un
de ses prêtres les plus habiles dans la controverse avec
les hérétiques, M. Dardenne, qui la faisait tous les jours,
en été, à quatre heures du matin, pour que les gens de
service pussent y assister plus aisément (5).
(1) Rem. hist.,ie part., p. G17.
(2) Ibid., p. 618.
(3) On appelait Charniers non seulement les lieux où les corps morts
étaient déposés, mais aussi les Galeries autour des églises de Paris, où l'on
donnait la communion aux grandis fêtes. Littré, Dict. (le la langue
française, t. I, p. 567.
(4) Doncourt, Rem. Intl., 4e part, 616.
(5) Faillon, loc. cit., t. II, p. 370.
72 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
Il apporta la même sollicitude à l'instruction primaire
des petites filles pauvres et à l'accroissement du nombre
des écoles qui la leur procuraient.
Les premières et les plus anciennes qui existaient sur
la paroisse lorsqu'il y arriva, étaient les trois que te-
naient, rue du Gindre, des dames pieuses et instruites,
placées sous la direction de Marie Rousseau, et où elles
enseignaient gratuitement aux enfants qu'elles gardaient
du matin au soir, la doctrine chrétienne, la lecture,
l'écriture, les éléments du calcul et quelques travaux
manuels (1).
Il en trouva une autre, dont la création datait de 1639,
dirigée, rue Saint-Dominique, par les Filles de la Provi-
dence, dites de Saint-Joseph, vouées à l'éducation des
pauvres petites filles orphelines, qu'elles recevaient dès
l'âge de neuf à dix ans, auxquelles elles apprenaient les
divers travaux convenables à leur sexe , et qu'elles rete-
naient jusqu'à ce qu'elles pussent se placer (2).
En 16i8, il fonda lui-même, pour une quarantaine
d'enfants orphelins, des deux sexes, la maison de la Mère
de Dieu, à la tète de laquelle il plaça des filles vertueu-
ses, qui, sans faire de vœux, étaient appelées Sœurs et
dont la mission était de placer les garçons en métier chez
différents maîtres et d'instruire les filles qu'elles gar-
daient auprès d'elles (3).
La même année, Mme Lebret, veuve d'un conseiller au
Chàtelet de Paris, avait fait une fondation pour l'instruc-
tion des petites filles pauvres et avait ouvert pour elles
(1) Faillon, loc. ci!., t. II, p. 384, et Rem. hist., t. I, p. 67.
(2) Rem. hist., t. I, p. 71 et 286.
3) Rem. hist., t. I, p. 72. Cette maison, établie d'abord rue de Gre-
nelle, puis rue du l'elil-Bourbon, fut ensuite installée, en 1678, par M. de
Poussé, rue du Vieux-Coloinb'.er, après que le Roi eut autorisé cette ins-
tilution sous le nom de Maison des orphelins par ses lettres patentes
du mois de mai 1678.
M. OLIER (16i2-i652). 73
plusieurs petites écoles au quartier des Incurables.
M. Olier augmenta le nombre de ces écoles, et nomma
des Inspecteurs, qui durent les visiter deux fois par mois
et lui faire des rapports sur l'exactitude des enfants à les
fréquenter et sur leur application au travail. Un des prê-
tres de sou Séminaire était chargé d'aller leur faire une
instruction , toutes les semaines.
Ces écoles l'amenèrent à créer une institution qui en
fut le complément, la Maison de l'Instruction. C'était un
grand ouvroir, fruit de son zèle et de celui de Marie Rous-
seau, qui en resta la directrice jusqu'à sa mort (1), où,
sous le nom de Filles de la Très Sainte Vierge ou de Sœurs
de l'Instruction chrétienne , de pieuses filles ou veuves,
après avoir subi un examen de capacité à l'abbaye Saint-
Germain, apprenaient gratuitement divers états aux jeunes
filles sorties de ces écoles et que leurs parents ne pou-
vaient pas entretenir, et les retenaient auprès d'elles
jusqu'à leur mariage ou à leur établissement.
OEuvre précieuse, qui, tout en préservant ces enfants
des périls sans nombre que leur faisaient courir leur
jeunesse et leur pauvreté, les préparait à gagner hon-
nêtement leur vie. C'est là la véritable origine de nos
écoles professionnelles actuelles (2).
On ne voit pas qu'il ait pu fonder des écoles de gar-
çons (3) et faire autre chose que stimuler à l'accomplis-
sement de tous leurs devoirs les maîtres qu'il trouva à leur
(1) Marie Rousseau mourut en odeur de sainteté le 4 août 1688, et fut
enterrée à Saint-Sulnice, le 6. Rem. hist., t. I, p. 221.
(2) Rem. hist., I, 68 et 286. Faillon , loc. cit., t. II, p. 384.
(3) A celte époque et « jusqu'en 1669, l'abbé de Saint-Germain, nous ap-
prend M. A. Ravelet dans son étude si attachante sur le Bienheureux
J. D. de La Satie, fondateur de l'Institut des Frères des Écoles Chrétiennes,
grand in-4°, 1888, p. 20i), avait sous sa direction les petites écoles du
faubourg. Les maîtres étaient obligés d'enseigner gratuitement les pauvres
qui se présenteraient avec un certificat du Bureau. Le faubourg Saint-Ger-
74 HISTOIRE DE LÉGLISE SAINT-SULP1CE.
tète et dont malheureusement un grand nombre laissait
à désirer, soit pour la tenue de leurs classes, soit pour l'ins-
truction de leurs élèves, soit même pour la moralité. Mais
il priait et faisait prier Dieu incessamment pour cette
grande œuvre dont il estimait tout le prix, et dont il
souhaitait que quelque congrégation nouvelle de reli-
gieux voulût bien prendre la direction; car il ne souhai-
tait pas avec moins d'ardeur que son ami, M. Bourdoise,
le grand propagateur de la réforme ecclésiastique, « de
voir les écoles des enfants du peuple dans un esprit sur-
naturel » et dirigées par de vrais maîtres d'école qui
non seulement leur apprissent la lecture, l'écriture, la
grammaire, le calcul et les éléments de l'histoire, mais
surtout qui les formassent à être de bons paroissiens en
les instruisant de cette doctrine chrétienne, la seule base
vraie de toute morale, individuelle ou sociale (1). La
Providence ne resta pas sourde à ses vœux : car ce fut
sa réputation de sainteté qui décida le bienheureux de
La Salle à entrer, en 1670, à Saint-Sulpice, sous M. Tron-
son; et, en 1688, il revint à Paris, avec deux frères de
son nouvel Institut, fonder sa première école, rue Prin-
cesse, sur la paroisse Saint-Sulpice.
Il s'occupa avec non moins d'ardeur d'extirper le vice
de sa paroisse. Les mauvais lieux y abondaient. Il en fit
fermer un grand nombre, et veilla à ce que les proprié-
taires n'en introduisissent plus chez eux. 11 pourvut aux
besoins des malheureuses tilles qui se montraient dispo-
sées à les quitter, et en plaça plusieurs à la Madeleine,
main avait ainsi été divisé en dix-sept quartiers et dans chacun d'eux il y
avait un maître et une maîtresse, ce qui représentait trente-quatre écoles.
Tous les mailres, à l'exception d'un seul, étaient laïques; et le plus souvent
le mari et la femme tenaient deux écoles, l'une pour les garçons, l'autre
pour les filles ». Ces écoles payantes étaient indépendantes des écoles de
charité établies par M. Olier.
(1) Lettre de M. Bourdoise à M. Olier, citée par M. Ravelet, loc cit., p. '.»2.
M. OLIER (1042-1652). 75
asile de Pénitentes situé près du Temple. Et comme il en
restait encore beaucoup à sa charge, il songea à leur
ouvrir une maison semblable sur sa paroisse. Mais il en
fut empêché par des personnes de qualité, qui craignaient
que cette seconde maison ne nuisit à la première. Et ce
ne fut qu'un peu plus tard qu'un de ses successeurs,
M. de la Barmondière, reprit son projet et parvint à le
faire réussir en fondant, en 1G84, la Communauté du Bon-
Pas feur (1).
Il mit également tous ses soins à préserver l'innocence
des jeunes fdles exposées au mal, soit en assistant leurs
parents, dont la misère pouvait èlre un danger pour elles,
soit en les plaçant à la Maison de l Instruction ou chez
d'honnêtes ouvrières, soit par toutes sortes d'industries
de son zèle. Et au moment où la maladie l'obligea à se
démettre de sa cure , il méditait le dessein de fonder une
autre maison où la Compagnie des Pauvres pourrait
envoyer toutes celles qu'elle croirait en danger, faute
d'assistance (2).
En même temps, il s'efforçait de développer la vertu
et la piété chez ses paroissiens en les exhortant, dans tous
ses sermons et tous ses prunes, à la fréquentation des sa-
crements et à l'assistance aux offices. Et pour les y attirer
plus nombreux il donna une nouvelle pompe au culte,
exigea la présence du séminaire à toutes les grandes so-
lennités de son église , restaura à grands frais le maitre-
autel, dota la sacristie de riches ornements et de vases
sacrés qui lui manquaient (3), releva la dignité des céré-
monies en établissant une exacte discipline parmi tous les
ofliciersde l'église et en ordonnant que les chantres fus-
(1) Nagot, Vie de M. Olier, p. 102 et 163.
(2) Rem. hist., 4° part., p. 024.
(3) 11 n'y avait trouvé que trois calices à son entrée dans la cure. Rem.
hist., t. I, p. 37.
76 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
sent tous ecclésiastiques (1), et encouragea surtout de tout
son pouvoir, par de nouvelles pratiques ajoutées aux an-
ciennes, la dévotion au Saiut-Sacrement et à la Sainte
Vierge.
La confrérie du Saint-Sacrement de la paroisse, fort en
honneur de temps immémorial, avait déjà l'adoration
perpétuelle de jour du Très Saint-Sacrement. Il lui donna
un nouveau lustre en lui obtenant l'adoration perpétuelle
même de nuit. Il en fixa le lieu dans la chapelle de la
Sainte Vierge, exigea que deux cierges, fournis à ses frais,
brûlassent continuellement des deux côtés de l'autel , et
lit don d'une magnifique lampe à sept branches représen-
tant les sept esprits montrés à saint Jean autour du trône
éternel, pour qu'elle demeurât toujours allumée devant
le tabernacle (-2). Il institua et fit célébrer solennellement
les prières des quarante heures pendant les trois derniers
jours du carnaval, et établit l'exposition du Saint-Sacre-
ment aux fêtes de l'Epiphanie et de Saint -Martin, qui
étaient l'occasion de graves désordres dans le faubourg.
Il fonda encore, tous les premiers jeudis de chaque
mois, la grand'messe du Très Saint-Sacrement avec le
salut et la procession le soir, ainsi que la procession après
vêpres, tous les premiers dimanches du mois.
Par ces pieuses industries de son zèle, il réussit à ins-
pirer à toutes les classes de ses paroissiens une religion
profonde pour la sainte Eucharistie, et il en obtint une
preuve touchante lors de l'horrible sacrilège, commis
dans la nuit du 27 au 28 juillet 1648, où des voleurs, au
nombre de douze, pénétrèrent dans l'église par une fe-
nêtre de la chapelle de sainte Barbe, forcèrent la porte
du balustre de celle de la Sainte Vierge, et, après avoir
brisé la porte du tabernacle où reposait le Saint-Sacre-
(1) Na»ot, Vie de M. Olier, p. 149.
(2) Ibid., p. 15i.
M. OLIER (1642-1652). 77
ment, emportèrent le saint ciboire , et jetèrent les saintes
hosties qu'il contenait sur les dalles de la chapelle de
sainte Barbe (1).
(1) Trois mois après, un des voleurs fut pris et exécuté au bas de la
rue de Tournon. M. Olier l'assista lui-même et l'accompagna sur l'écha-
faud.
78 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
La population tout entière s'associa aux cérémonies de
réparation de cet attentat que M. Olier prescrivit, au jeûne
de trois jours et aux prières des quarante heures qu'il
ordonna; le troisième jour, toutes les boutiques fermè-
rent dans le faubourg; et, au milieu d'un concours im-
mense de fidèles, la reine Anne d'Autriche suivit la pro-
cession solennelle du Saint-Sacrement que portait le
Nonce du Pape. La mémoire de cette réparation se célèbre
depuis lors, chaque année, à Saint-Sulpice, le premier
dimanche d'août (1).
Pour ranimer la dévotion à la Très Sainte Vierge, il
établit une autre procession en son honneur tous les pre-
miers samedis du mois, afin de mettre sa paroisse sous sa
protection, donna une extension nouvelle à sa confrérie,
institua la communion des premiers samedis du mois pour
les enfants qu'il lui consacrait, décida que désormais sa
bannière se déploierait en tête de toutes les processions,
et ne cessa de prêcher et de faire prêcher par les prêtres
de sa Communauté cette doctrine si admirablement cxpli-
(1) Une aulre preuve frappante de l'efficacité du zèle de M. Olier pour
faire pénétrer les sentiments chrétiens dans toutes les classes des fidèles,
et qui fait trop d'honneur à la paroisse de Saint-Sulpice pour ne pas être
consignée ici, est celte touchante paraphrase du Pater, inspirée à une
pauvre jardinière qui l'habitait, par l'amour de Dieu que le pieux Pasteur
savait si bien inculquer à ses ouailles. Un des prêtres de sa communauté,
M. de Flamenville, qui mourut évêque de Perpignan, dans une de ses
visites aux pauvres du quartier dont il était chargé, la lui entendit ré-
cller, et la trouva si belle dans sa simplicité qu'il s'empressa de la mettre
par écrit et de la publier sous le litre du Pater de la jardinière.
M. le curé Meritan, si bon juge de la vraie piété, n'a pas manqué de
la reproduire, a la page lfi4 de son excellent Manuel de la vie et de la
piété chrétiennes. Un vol. in-18, Paris, Lecoffre, éd. 1899. Nous lui en
empruntons le passage suivant : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain
« quotidien. Mon Dieu, je vous demande trois sortes de pain : Celui de votre
« divine parole pour m'apprendre ce que je dois faire; celui de la sainte Eu-
« charislië, qui fortifie mon âme; et celui qui m'est nécessaire poursustenter
« mon corps; et je vous promets, mon Dieu, après avoir pris ce qui me sera
nécessaire, d'en assister du reste ceux qui pourront en avoir besoin. »
M. OLIER (1642-1652). 79
quée par Bossuet (1) après saint Bernard, que « Dieu
« ayant une fois voulu nous donner Jésus-Christ par la
<( Sainte Vierge, les dons de Dieu sont sans repentance ,
<( et cet ordre ne se change plus »; et qu' « il est et sera
« toujours véritable qu'ayant reçu, par sa charité, le
« principe universel de la grâce, nous en recevions en-
« core, par son entremise, les diverses applications, dans
« tous les états différents qui composent la vie chré-
« tienne (2) ».
Toutes les autres confréries de la paroisse (3) lui du-
rent, elles aussi, leur retour à l'esprit de piété qui avait
inspiré leur fondation.
Enfin il installa une librairie aux portes de l'église, à
l'endroit même où, avant lui, on ne vendait que des ins-
truments et des ouvrages de superstition et de magie,
pour que ses paroissiens pussent trouver, dans une collec-
tion choisie de bons livres, les antidotes nécessaires aux
poisons renfermés dans la multitude de mauvais livres
que les protestants et les impies répandaient à profusion
dans le public.
La rénovation de la paroisse, opérée par l'ensemble de
ces sages mesures, était trop prompte et trop complèle
pour ne pas provoquer la rage du démon. Aussi sus-
(1) Bossuet. Sermon sur la dévotion à la Sainte Vierge pour la fête de
la Conception, 9 décembre 1G69 : éd. Lebarq, t. V, p. 609.
(2) Cette idée fondamentale est développée dans la savante étude de
M. lcard sur la Doctrine de M. Olier expliquée par sa vie et par ses écrits,
au chapitre intitulé : la Sainte Vierge, et spécialement au 3e paragraphe :
Ce que la Sainte Vierge est par rapport à l'Église, aux congrégations
religieuses et aux âmes, qu'il termine par ces lignes que nous nous
[liaisons à reproduire : « Nous ne pouvons que respecter, bénir et aimer
« cette conduite de Notre-Seigneur qui daigne donner à son Église, au
« clergé, aux congrégations religieuses, âuv simples lidèles et d'une m'a-
« nière spéciale aux âmes les plus désireuses de lui plaire, sa sainte
« Mère, comme protectrice, soutien et consolation. Vita, Dulccdo et
« spes nostrx, Salve. » P. 287 à 352.
(3) Voir leur liste supra, p. 9 et 10.
80 HISTOIRE DE LÉGLISE SAINT-SULPICE.
cita-t-il contre M. Olier, en juin 1615, une persécution
violente à laquelle prirent part tous les libertins du fau-
bourg, et jusqu'à ses marguilliers, au prince de Condé et
à l'abbé de Saint-Germain lui-même, dans le but de le
contraindre à se démettre de la cure, pour y réintégrer
M. de Fiesque. Une émeute éclata le jeudi de la Pentecôte ;
des factieux attaquèrent le presbytère, en forcèrent l'en-
trée, se saisirent de M. Olier et, après lui avoir fait subir
mille outrages, le tramèrent dans la rue, où quelques
amis, entre autres saint Vincent de Paul, parvinrent à
grand'peine à le dégager des mains de la populace et à
le faire entrer au Luxembourg où la maréchale d'Estrées
le combla d'égards.
Il conserva dans ce tumulte son calme et sa sérénité
habituels; il intercéda même pour ses ennemis, fit élar-
gir plusieurs des émeutiers qu'on avait mis en prison et
épargna à M. de Fiesque, qui l'avait abreuvé d'injures,
une prise de corps dont le menaçait un gentilhomme du
faubourg.
On lui proposa alors, pour son repos, d'abandonner sa
cure. « La croix, répondit-il, est l'apanage des œuvres
qu'on entreprend pour Dieu »; et quand, peu de temps
après, la reine s'associa au désir de l'évêque de Rodez,
Msr de Gorneillan, qui renouvela ses démarches pour l'a-
voir comme coadjuteur, il se borna à en référera l'abbé de
Saint-Germain, son supérieur naturel, dont il se déclara
prêt à accepter la décision comme l'expression de la vo-
lonté de la Providence. L'abbé, tout opposé qu'il lui fût,
admira son humilité, le maintint à la tête de ses deux
grandes œuvres et lui promit de le seconder dans leur ac-
complissement; il renonça même aux 7.500 livres qu'il lui
devait, comme seigneur temporel du faubourg, sur les locls
et vente du terrain qu'il venait d'acheter pour l'agran-
dissement du séminaire, et lui facilita l'octroi des lettres
patentes du Roi, qui en approuvaient l'établissement.
M. 0L1ER (1642-1652). 81
Cependant il ne put obtenir la paix qu'au prix de con-
cessions pécuniaires fort onéreuses qu'il fit à M. de Fies-
que. Il dut, en effet, prendre avec lui de nouveaux ar-
rangements, bien qu'il sût qu'il n'y était pas obligé, et
lui procurer pour dix mille livres de bénéfices avec l'aide
de deux prêtres de la Communauté, MM. de Lantage et de
Sève, qui se démirent à son profit de ceux qu'ils pos-
sédaient.
Il eut beaucoup de peine à se résigner à ces sacrifices ;
il les trouvait exorbitants : car cette somme de 10.000 li-
vres équivalait à la totalité des revenus de la cure. Aussi,
pour les épargner à ses amis , hésita-t-il un instant à la
conserver; mais sur l'ordre du Roi, il se décida à la gar-
der (1).
Dès que le calme fut rétabli, il s'employa avec une
nouvelle ardeur aux intérêts multiples de sa paroisse.
Son premier soin fut de donner suite à un projet qu'il
avait formé dès qu'il en avait pris la direction, celui de
commencer la construction d'une nouvelle église parois-
siale, qu'il voulait voir édifier sur l'emplacement de
l'ancienne, mais beaucoup plus vaste et plus en harmo-
nie, par ses proportions, son style et sa belle ordon-
nance, avec l'importance de la population, le nombre
I croissant des fidèles et aussi avec la somptuosité du nou-
veau palais du Luxembourg : car en apprenant la mort
de la reine Marie de Médicis (2), il avait été saisi de tristesse
à la pensée des sommes énormes qu'elle avait employées
à faire bâtir, 'pour sa personne et pour sa mémoire, ce
palais dont la magnificence étonnait le Bernin, tandis
qu'elle souffrait que la personne adorable de Notre-Sei-
(1) Rem. hist., t. I, p. 223.
(2) Elle mourut à Cologne, le 3 juillet 1642, à l'âge de soixante-neuf ans,
dans les sentiments de la plus vive piété. V. Sa vie par M""-' d'Arconville,
3° vol.
ÉCMSE SAINT-SUI.Pir.E. 6
82 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
gneur restât si mal logée sur sa paroisse, dans cette petite
église de Saint-Sulpice, qui menaçait ruine et qui était si
incommode et si exiguë, que les jours de grandes fêtes,
pour éviter l'encombrement des foules, on était obligé
de faire l'office paroissial à l'église de l'abbaye; et
ayant été averti intérieurement qu'elle était redevable à
la justice divine à cause de ce superbe édifice, il se sentit
porté à satisfaire pour elle en sa qualité de pasteur (1).
Aussi, dès le mois de décembre suivant, il exposait à
ses fabriciens ses vues sur la reconstruction de l'église ;
le 10 mars 1643, il les soumit de nouveau aune assemblée
générale de la paroisse, qui les approuva d'une voix
unanime et choisit, pour dresser les plans de la future
église, le célèbre architecte Christophe Gamard, qui déjà,
de 1615 à 1631, avait dirigé les divers travaux d'agran-
dissement de l'ancienne (2) ; et comme les constructions
nouvelles devaient s'étendre dans le cimetière adjacent,
M. Olier cédaàla Fabrique, en échange du terrain qu'elles
allaient occuper, la moitié du jardin dont jouissait la
Communauté (3).
Le 2 novembre, il réunit encore les notables de la pa-
roisse pour solliciter leur concours à cette grande entre-
prise. Mais, malgré toute son activité et bien que le Roi,
avec l'assentiment de la Régente, lui ait fait don de toutes
les pierres de taille nécessaires aux substructions, au
mois de mars 1644, la construction resta à l'état de pro-
jet jusqu'au jour de l'Assomption de 1645, où le Conseil
de Fabrique adopta l'un des trois plans que M. Gamard
était venu lui présenter, et donna, séance tenante, l'ordre
de l'exécuter. Immédiatement l'architecte traça les fon-
dements du chœur de la nouvelle église et en fit com-
(1) Faillon, foc. cit., t. II, p. 361.
(2) Rem. hist., t. I, p. 9.
(3) Faillon , loc. cit., 1. II, p. 362.
M. OLIER (1642-1652). 83
mencer les fouilles; et, le 20 février 16i6, la Reine ré-
gente, Anne d'Autriche, vint en grande pompe, avec toute
sa cour, en poser et maçonner la première pierre qui fut
placée dans le cimetière à l'endroit où devait s'élever le
maitre-autel (1).
Après la cérémonie, M. Olier lui déroula le plan et le lui
expliqua. Elle en fit l'éloge, promit de contribuer large-
ment à son exécution et demanda que les deux chapelles
les plus voisines de celle de la Sainte Vierge portassent,
l'une, le nom de sainte Anne, sa patronne (2); l'autre,
celui de saint Louis, le patron do son fils, Louis XIV. Tous
les grands qui l'entouraient promirent de leur côté une
généreuse souscription; et le duc d'Orléans, qui était ab-
sent, s'engagea à verser une somme de 10.000 livres
par an jusqu'à l'achèvement de l'édifice.
Lorsque les fondements du chœur eurent été ainsi je-
tés, M. Olier exigea que les travaux commençassent par la
construction de la chapelle de la Sainte Vierge, comme
pour offrir les prémices de la nouvelle église à cette au-
guste Reine. Mais les troubles politiques qui éclatèrent
alors clans la capitale, la misère qu'ils aggravèrent, et
aussi l'obligation pour M. Olier de pourvoir à l'entretien
de son séminaire, ne lui permirent pas de donner à ce
grand ouvrage toute l'impulsion qu'il eût désirée; il ne
put qu'achever les murs de cette chapelle et les voir, avant
sa mort, élevés à toute la hauteur qu'ils ont aujour-
d'hui (3). Néanmoins c'est à lui qu'il est juste d'attribuer
l'honneur de la conception de la vaste étendue du nouvel
(1) La Heine était accompagnée, entre antres personnages de marque, du
prince et de la princesse de Condé, de la duchesse d'Aiguillon, de la com-
tesse de Brienne, du duc de Guise et du duc d'Uzes. flan, hist., t. I,
p. 10.
(2) La chapelle actuelle de Sainte Anne était, dans l'ancienne église, sous
le vocable de Sniale Barbr.
(3) Faillon, loc. cil., t. IF, p. 3G5.
84
HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SLLPICE.
^fl fV^lJ
2H W • • • o X $S
Plaa du rez-de-chaussée de l'église actuelle et tracé de l'ancienne.
M. 0L1ER (1642-1652)
SS
Plan des caveaux de l'église actuelle et du reste des piliers de l'ancienne.
86 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
édifice (1), comme tout le mérite de son style, si majes-
tueux dans sa simplicité sévère, revient en entier à Ga-
mard, dont le plan, dans son ensemble et sauf l'agran-
dissement par Levau des proportions du chœur, a été
respecté et suivi par ses successeurs (2).
Il reprit en même temps l'œuvre ébauchée par le Père
de Condren vis-à-vis de la noblesse d'épéc et parvint
bientôt à exercer sur elle un très grand ascendant. 11 réus-
sit à former dans son sein une compagnie de cent gentils-
hommes auxquels il fit accepter de renoncer aux maximes
du monde, de vivre entre eux en une étroite union et d'ho-
norer par une dévotion spéciale le mystère de la Passion
de Notrè-Seigneur; ce qui leur fit prendre le nom de
Compaq h ie de la Passion.
Leurs principaux membres étaient :
1° Le marquis de Fénelon qu'il avait converti ;
2° Le baron de Renty, redevable à la lecture de Y Imi-
tation de son retour à la vie chrétienne, et qui vint se
mettre sous la direction de M. Olier quoiqu'il ne fût pas
son paroissien ;
3" M. de Laistre, conseiller-secrétaire du Roi;
k° Le maréchal de Fabert qui, pendant plus de trente
ans, avait rendu à la France les plus signalés services.
M. Olier les employa surtout à empêcher les duels dont
(1) L'ancienne église ne mesurait extérieurement que 60 mètres de long
sur 27 de large, et était très basse. Le sol de la nouvelle mesure 118 mè-
tres 80e de long et 57 mètres 30e de large; et ses voûtes ont une hauteur
de 33 mètres. Voir le plan comparatif, ci-contre, des deux églises.
(2) D'abord par Levau, l'habile architecte de l'hôtel Lambert, puis par
Gillard, qui, de 1G60 à 1675, dirigèrent et terminèrent les travaux de cons-
truction du nouveau chœur, des bas-côtés et du bras gauche du trans-
sept; ensuite par Oppenord, qui éleva, en 1719, la grande nef et le por-
tail de la rue des Fossoyeurs; après lui, par le florentin Servandoni qui
commença la façade en 1732; par Maclaurin qui la continua en 1768, et
enfin par Chalgrin qui l'acheva, de 1777 à 1781. Levau mourut, en 1670,
premier architecte du Roi.
M. OLIER (1642-1652 , 87
la fréquence le désolait. Un jour de Pentecôte, il reçut le
serment du maréchal de Fabert et du marquis de Féne-
lon, que désormais ils refuseraient tout duel. Leur décla-
ration à ce sujet toucha le grand Condé, jusque-là mal
disposé pour M. Olier; elle fut approuvée par le Conseil
des Maréchaux; et l'un des premiers édits du jeune Roi
décréta l'abolition des duels (1).
M. Olier fut aussi l'instrument de la sanctification d'un
grand nombre de princes et de princesses et de personnes
du plus haut rang.
Une de ses filles spirituelles, Catherine de Montberon,
que le marquis de Fénelon épousa à cause de sa piété,
mourut à vingt-sept ans, en odeur de sainteté.
La maréchale de Rantzau, après avoir abjuré l'héré-
sie de Luther, devint, en suivant ses conseils, une chré-
tienne exemplaire et se dévoua avec succès, avec Mm de la
Rochejaquelein , à la conversion des huguenots.
Sous sa conduite, la duchesse d'Aiguillon s'adonna aux
bonnes œuvres avec un zèle admirable. Elle devint no-
tamment la généreuse protectrice des Religieuses de
Notre-Dame df Miséricorde qu'en pleine guerre civile, en
janvier 16i9, M. Olier établit sur sa paroisse, pour la-
quelle elles furent une source d'édification (2).
Le prince de Condé, Henri II, qui s'était déclaré contre
(1) Après la mort de M. Olier et vers la fia de la vie de M. de Breton-
villiers, cette Compagnie se changea en une communauté de gentilshommes,
anciens militaires, placés sous la direction d'un prêtre de Saint-Salpice,
et dont la chapelle, située dans l'église, était dédiée à saint Maurice. Fail-
lon, loc. cit., t. il, p. '272.
(2) Le père Yvan, leur fondateur, qui les établit d'abord à Aix en Pro-
vence, lieu de sa résidence, où il avait fait des prodiges pendant la peste
qui ravagea celte ville, les soumit à la règle de saint Augustin et leur
assigna, comme fin de leur Institut, la charge de recevoir gratuitement
et de former les filles qui avaient la vocation religieuse. Installées d'abord
rue Mézières, elles demeurèrent ensuite rue Cassetle, puis rue du Co-
lombier. Rem. hist., t. I, p. 129-131.
88 .HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULP1CE.
lui lors de la persécution de 1645, revint à de tout autres
sentiments, Tannée suivante, qui fut celle de sa mort.
Il reçut avec piété le ministère de M. Olier, se repentit
de ses fautes privées et de son alliance avec les huguenots,
recommanda à ses trois enfants de demeurer fidèles au
Roi et, en mourant , chargea M. Olier de transmettre à la
Reine un avis important pour le maintien de son autorité,
celui de détruire la cabale de la nouvelle secte qui s'or-
ganisait à Port-Royal.
M. Olier demeura le conseiller de sa veuve, lui traça
un règlement de vie, où il lui rappelait tous les devoirs
des grands, et l'assista elle-même, à ses derniers mo-
ments, à Chàtillon-sur-Loing.
Il eut aussi une grande part à la conversion du duc
d'Orléans, que son exil à son château de Blois, après la
première Fronde , l'abaissement de sa maison et les
prières de sa femme avaient préparée. Il se servit à cette
fin de Mme de Saujeon, fille d'honneur de la duchesse.
Cette conversion s'acheva lors de la naissance de son fils
et se consolida par la mort de cet enfant. Le prince, pour
réparer ses torts dans la guerre civile et les ruines qu'elle
avait entraînées, employa, sur le conseil de M. Olier, des
sommes considérables en aumônes.
Mme de Saujeon l'aida encore à former à la piété la fille
de ce prince, Isabelle, qui, devenue duchesse de Guise, fut
un modèle de vertu à la cour, et, lorsqu'elle se retira
dans son duché d'Alençon, fit nommer curé de cette ville
un sulpicien, M. Ghenart, qui y convertit un grand nom-
bre de huguenots et y établit une communauté de prê-
tres.
Le prince de Conti, autre paroissien de M. Olier qui
avait tant prié pour sa conversion, revint à Dieu après la
défaite de la Fronde, dont il avait été un des appuis. Il
eut alors de fréquents rapports avec M. Olier et , d'après
ses avis, prit part à toutes sortes de bonnes œuvres et
M. 0L1ER (1642-1652). 89
consacra à des aumônes plus de deux millions de francs
pour réparer les maux de la Fronde qu'il avait excitée.
La Reine elle-même, qui l'avait en grande estime et qui
le lit entrer dans son Conseil (1), se montra plus d'une
fois déférente à ses vues : car, après la première Fronde,
quand le peuple força Mazarin à quitter le royaume,
M. Olier écrivit à la Reine pour lui rappeler qu'elle avait
suivi trop complaisamment les conseils de ce ministre
dans l'attribution des évêchés et des bénéfices ; et d'après
ses observations, elle n'en disposa plus qu'après avoir con-
sulté saint Vincent de Paul. En janvier 1G52, il lui écrivit
encore pour l'engager à céder aux circonstances et à ren-
voyer Mazarin. Anne d'Autriche ne sut alors que tem-
poriser et ses hésitations coûtèrent bien des maux à l'État.
Le zèle ardent de M. Olier pour la gloire de Dieu et le
salut des âmes lui avait toujours inspiré le désir de se
consacrer à l'évangélisatiou des peuples infidèles. Il s'en
était ouvert au Père de Rhodes, jésuite, le grand apôtre
de la Cochinchine et du Tonkin, qui l'en avait dissuadé.
« Il y a huit jours, » écrivait-il à ce sujet, à un pieux ami,
« que je vous fis paraître la superbe de mon cœur, vous
« témoignant le désir que j'avais de suivre ce grand apô-
« tre du Tonkin et de la Cochinchine : mais, après lui avoir
« parlé à fond de ce dessein, ou plutôt de ce projet, ce
« saint homme, ou Notre-Seigneur en lui, m'a jugé indi-
« gne de cette grâce. Aussi je me vois obligé de demeurer
« ici dans mon néant, attaché à l'emploi que la divine Ma-
« jesté m'a donné, où, rempli de la vue de ma misère, je
« gémirai et soupirerai toute ma vie pour m'ètre rendu
« par mes infidélités si indigne de cet honneur. Si du
(1) Dans un acte de vente par les époux Thène à la Communauté du
séminaire de Saint-Sulpice, passé devant Me Boindin, notaire à Paris,
le 15 mars 1655, dont la minute est aujourd'hui conservée en l'étude de
Me Breuillaud, notaire à Paris, rue Saint-Martin, n° 333, M. Olier est qua-
lifié des titres de Conseiller du, Roi en ses Conseils.
90 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
« moins, dans le néant où la grâce me retient et me
« renferme, j'osais encore espérer et regarder quelque
« chose de la solide gloire qu'on peut trouver dans le ser-
« vice du divin Maître, en donnant sa vie et répandant son
« sang pour lui, je regarderais l'Angleterre comme mon
« espérance; et comme ce grand apôtre, dont je vous
« parle , me dit que toutes ses intentions avaient toujours
« été, dès sa jeunesse, d'aller ou du côté de la Chine,
« ou , s'il ne le pouvait obtenir, d'aller du moins en kn-
« gleterre, je m'offre à lui pour accomplir son zèle par
« tous les services que je pourrais lui procurer et à toute
« l'Église (1). »
Et lorsque, en lGi*2, il jetait à Vaugirard les fondements
de sa Compagnie, il écrivait quelques jours après, le
12 mars, fête de saint Grégoire le Grand : « Ce jour-là
« je me sentis porté en esprit à m'offrir à Dieu comme
« victime pour la conversion de l'Angleterre et me pré-
« senter à mourir pour la conversion de cette pauvre
« province dont saint Grégoire était l'apôtre. A l'is-
« sue de l'office, je me sentis obligé à porter notre jeu-
ce nesse à communier, ce jour, à l'honneur de ce grand
« saint, pour demander à Dieu la conversion de l'Angle -
« terre dont j'avais ouï dire, les jours passés, qu'il s'y fai-
« sait des martyrs et que quelques prêtres l'avaient été
« depuis peu (2). »
La Providence le retint attaché à l'emploi d'éducateur
du clergé qu'elle lui avait confié ; mais elle lui tint compte
de son désir et exauça ses ferventes prières, qu'il accom-
pagnait même de rudes macérations (3), en lui procurant
le moyen de contribuer personnellement à arracher l'An-
gleterre des mains du prince des téuèbres.
(1) Lettres <l<> M. (Hier, éd. Gainon, lettre 247, à M. de la Dauversière,
février 1G53.
(2) Mémoires, le 16 mars 1642.
(3) Paillon, loc. cit., t. II, p. 320.
M. OLIER (1642-1652). 91
Elle le lui fournit lorsque Charles II, roi d'Angleterre ,
vint se réfugier en France, où était déjà sa mère, la reine
Henriette-Marie, pendant la tyrannie de Cromwell. La
conversion de ce prince était ardemment souhaitée par un
de ses parents, l'abbé d'Aubigny (1), qui en appréciait
toute l'importance pour l'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande.
Ce pieux abbé était entré en relations avec M. Olier à l'oc-
casion du mariage de son cousin Edouard Stuart, prince
palatin du Rhin (2), avec la princesse Anne de Gonzag'uc,
fille du duc de Nevers (3) , et des difficultés soulevées
par cette alliance, que le curé de Saint-Sulpice avait su
aplanir. Depuis lors, plein de vénération pour sa per-
sonne et d'estime pour sa science théologique et sa rare
sagesse dans la conduite des âmes, il le regardait comme
le seul prêtre capable d'opérer cette conversion, et il n'eut
de cesse qu'il l'eût mis en rapport avec le Roi. 11 y parvint
avec l'aide d'un des favoris du prince, Edouard de Som-
merset, marquis de \Yorcester, qui lui-même avait la plus
haute opinion de la vertu et des talents de M. Olier.
Charles II s'intéressait fort peu alors aux questions reli-
gieuses, et ses premiers entretiens avec M. Olier l'y laissè-
rent très indifférent. Tout entier à ses plaisirs, il n'y
faisait trôve que pour s'occuper de reconquérir son
royaume. Il avait écrit au Pape pour lui demander du
secours et il se montrait très froissé du silence de Sa Sain-
teté. M. Olier saisit cette occasion d'entrer dans ses inté-
rêts et fut assez heureux pour pouvoir lui promettre dix
(1) Dès qu'il fut reçu dans les saints Ordres, le prince Louis Stuart,
(ils du duc de Lennox, issu du sang royal d'Ecosse, se fit appeler l'abbé
d'Aubigny, du nom de la terre d'Aubigny, en Berry, qui fut donnée, en
1422, par Charles VII, roi de France, à Jean Stuart, pour lui et ses des-
cendants, en récompense de ses services. Lingard, H/s t. d'Angleterre,
t. XII, p. 453.
(2) Ce Prince était petit -fils par sa mère, Elisabeth Stuart, de Jacques Ier.
roi d'Angleterre.
(3) Le mariage fut célébré le 24 avril 1645.
92 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAUNT-SULPICE.
mille hommes de troupes réglées afin de l'aider à rentrer
en possession de ses États, s'il voulait s'engager à y ré-
tablir la foi catholique (1). Le prince, touché de son dé-
vouement à sa cause, prêta désormais une oreille plus
attentive à ses instructions; il fut frappé de l'exposé lu-
mineux qu'il lui fit de la vérité catholique , avoua que
personne jusque-là ne l'avait aussi bien éclairé et se dé-
clara pleinement satisfait.
A la suite de ces conférences, le Roi ne fit pas son abju-
ration publique par des raisons d'État que le Pape voulut
bien admettre (2). Du moins, il tint à n'épouser qu'use
princesse catholique, malgré les instances de la cour
d'Espagne pour l'unir à une princesse protestante de
Danemark; il leva le séquestre sur les biens d'un grand
nombre de catholiques; fit élargir tous les prêtres et
religieux incarcérés; fit entrer dans la Chambre haute des
lords catholiques; réclama, en 1GG2, un concordat d'A-
lexandre VII pour établir la liberté de conscience dans
ses États; sollicita, pour la mieux assurer, le chapeau de
cardinal en faveur de l'abbé d'Aubigny (3Ï ; et à l'article
de la mort, fit son abjuration publique entre les mains
du Père Hudleston (i).
Ces résultats des etïbrts de M. Olier étaient considéra-
bles; les catholiques anglais ne l'ont jamais oublié. Aussi,
(1) Faillon, loc. cit., t. II, p. 323. Ce fut Mazarin , donl la politique
était favorable au Protecteur, qui empêcha l'exécution de cette promesse.
Faillon, ibid., p. 324.
(2) Faillon, ibid., p. 324. Son abjuration secrète eut lieu en 1655.
(3) L'abbé d'Aubigny mourut à Paris, à l'âge de quarante-six ans, le 11 no-
vembre 16G5, quelques heures après l'arrivée du courrier qui lui apportait
la barrette de Cardinal. Faillon, loc. cit., t. II, p. 350.
(4) « A son lit de mort, se repentant de sa faiblesse, — celle d'avoir pré-
tendu, après coup, être protestant, — il réitérait la profession de foi que
M. Olier l'avait engagé à faire à Paris ; il mourait catholique. » Discours
du cardinal Vaughan, à Arles, du 12 octobre 1897, reproduit dans la .Se-
maine religieuse de Paris, du 23 du même mois, p. 511.
M. OLIER (1 (',42- 1652). 93
lorsque deux siècles et demi plus tard, en 1897, Léon XIII
érigea, sous le nom de Notre-Dame de la Compassion,
une archiconfrérie de prières pour la conversion de l'An-
gleterre, ce fut le cardinal Vaughan, Primat de ce
royaume , qui, en reconnaissance des services rendus par
M. Olier à la cause du catholicisme dans son pays, sollicita
et obtint du Saint-Père que cette archiconfrérie eût son
siège à l'église et au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris, et
que son directeur fût toujours le supérieur général de la
Compagnie de Saint-Sulpice (1).
Les rapports de M. Olier avec les grands ne lui faisaient
pas négliger la persévérance de ses autres paroissiens et
l'accroissement de la piété parmi eux. Pour mieux l'assu-
rer, il composa à leur usage une Journée chrétienne pour
la sanctification de toutes nos actions; il facilita aux fem-
mes de toute condition les exercices de la retraite, qu'il
jugeait, avec tous les saints personnages de son temps,
l'un des moyens les plus efficaces pour établir les âmes
dans une piété solide, en leur ouvrant une maison de re-
traites où, sous la direction de Marie Rousseau et de quel-
ques autres vertueuses et intelligentes veuves, elles pou-
vaient venir, pendant une dizaine de jours chacune,
méditer les grandes vérités du salut (2).
Il réorganisa enfin, en la développant, la Compagnie de
Charité, qu'il avait instituée dès le début de son ministère
pastoral, et qui, composée exclusivement de dames, ne
se vouait qu'au soulagement des pauvres honteux. Il y
(1) Lettres apostoliques du 22 août 1897.
(2) Ce fut là l'origine de la Communauté des Filles de l'Intérieur de la
Très Sainte Vierge, fondée en 1659, aux frais de M. de Bretonvilliers, d'après
les intentions de M. Olier, pour procurer aux daines le bienfait des retraites
spirituelles. M. Olier en avait dicté les règles à M"v de Saujeon ; et M. de
Bretonvilliers les publia sous le titre d'Instructions pour les Filles de l'In-
térieur de la Très Sainte Vierge, en y ajoutant seulement quelques arti-
cles moins importants que M. Olier lui avait fait connaître à lui-même.
Bertrand, loc. cit., t. I, p. 65.
9i HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-Sl'LPICE.
admit désormais les hommes et augmenta le nombre des
œuvres de miséricorde dont il la chargea.
Atiu de bien connaître les pauvres, objet de sa sollici-
tude la plus tendre, et de les assister utilement, il en fit
dresser un nouveau rôle détaillé. A cet effet, il divisa la
paroisse en sept quartiers, attacha à chacun d'eux quatre
préposés spéciaux et les chargea d'en découvrir tous les
pauvres, d'étudier leurs besoins et d'en faire rapport à la
Compagnie. C'est ainsi qu'à son assemblée générale du
10 avril 1651, il compta 866 familles de pauvres hon-
teux, renfermant 2.V96 bouches, réduites à de telles ex-
trémités que les relations sur les misères des pauvres de
Picardie, de Champagne et des autres provinces ruinées
par le passage ou le séjour des armées, n'en signalent
pas de plus grandes (1).
Il les divisa alors en trois catégories : les valides, lçs
malades et les infirmes.
Les pauvres valides durent être visités, tous les quinze
jours, par les membres de la Compagnie de Charité, dont
les assemblées bi-mensuelles furent fixées aux deuxième
et quatrième dimanches de chaque mois. Le principal
soin de leurs visiteurs devait être de leur procurer du
(1) « Nous en avons vu beaucoup, dit le Rapport général de ces prê-
te posés, qui n'avaient pas seulement de la paille pour se coucher; d'au-
« très qui languissaient dans de méchants lits entre deux et trois de
« leurs enfants sains et malades; quelques-uns que nous avions connus
« fort accommodés, qui, taule de haillons pour se couvrir, traînaient
« une vie malheureuse dans des greniers ou des caveaux, sans oser sortir,
« même pour assister à la messe. Nous en avons rencontré, dans le quar-
« tier des Incurables, qui passaient plusieurs jours sans manger; d'au-
« très qui vivaient d'un peu de son cuit dans de l'eau de morue, ou qui
« adoucissaient l'aigreur de leur pain par la chair qu'ils allaient ramasser
« dans des voiries. Enfin, nous avons trouvé des enfants qui tiraient le
« sang des mamelles de leurs mères, après avoir sucé le peu de lait que
« le manque de nourriture avait produit. Il y eut même des hommes et
« des femmes que le déplaisir de ne se voir pas de quoi subvenir à leurs
« familles porta jusqu'à se pendre aux planchers de leurs chambres. »
Doncourt, Ilcm. hist., 4° part., p. 14.
M. OLIER (1642-1652). 05
travail. Chacune de ces visites coûtait à M. Olier de 1.000
à 2.000 livres.
Les pauvres malades furent confiés par lui à une Com-
pagnie spéciale de dames, dont les assemblées se tenaient
le 1er jeudi de chaque mois. Et un peu plus tard, en 1G5G,
de concert avec M. de Bretonvilliers, son successeur, il
établit, rue du Pot-de-Fer (1), les premières Filles de la
Charité, à titre de servantes des pauvres malades.
Les pauvres infirmes, aveugles, estropiés, paralytiques,
furent remis par lui aux soins d'autres membres de la
Compagnie, dont les assemblées se tenaient les premiers
samedis de chaque mois.
En outre, il se réserva à lui-même la possibilité de re-
lever, par des secours exceptionnels ou par un appui
spécial, certaines familles que des causes particulières
avaient fait tomber dans l'infortune (2).
Sa charité n'excluait pas les mendiants. Au nombre
quelquefois de huit et neuf cents, il leur faisait distribuer
de la soupe ou du pain, deux fois par semaine, à la porte
du séminaire. En plus, il faisait distribuer, tous les
jours, aux pauvres honteux, au tour de la paroisse, neuf
cents potages qui étaient pour lui une dépense de 50 li-
vres par jour, soit de 18.250 livres par an (3).
Pour ces diverses catégories de pauvres, il ouvrit un
vestiaire où les dames de la Compagnie de Charité ve-
naient leur confectionner des vêtements avec des étoffes
qu'il leur faisait acheter.
Il institua en même temps, pour la défense de leurs
droits, « l'accommodement de leurs procès » et le règle-
ment de leurs intérêts, un Conseil charitable, dont les
(1) Rem. Iiisf., 1. 1, p. 67. En 1732, leur maison fut transférée rue Férou.
(2) C'étaient le frère Jean Blbndeau et l'abbé Gibily, le confesseur des
pauvres, qui élaient les distributeurs ordinaires de ses aumônes.
(3) Rem. hist-, ie part., p. 170.
96 HISTOIRE DE LÉGLISE SAINT-SULPICE.
réunions avaient lieu les premier et troisième dimanches
de chaque mois (1).
Il compléta enfin cette réorganisation de la Compagnie
<lo la Charité par une refonte de son règlement général,
dans lequel il précisa la fin de cette Compagnie, les sujets
qui pouvaient en faire partie , la composition de son bu-
reau, l'élection et les fonctions de chacun de ses mem-
bres, la date, le lieu et l'ordre du jour de ses diverses
assemblées, le mode de distribution des secours, les con-
ditions d'admission et les causes d'exclusion des pau-
vres (2).
Autant M. Olier montra de sollicitude pour faire croître
(1) Rem. hist., 4e part., p. 49. « Toutes ces aumônes, dit M. Icard, l'obli-
geaient à mettre des sommes considérables à la disposition des Compa-
gnies de charité et des autres personnes dont il se servait. Il se voyait
quelquefois sans argent, toutes ses ressources étant épuisées; mais la foi
vive avec laquelle il recourait à la Sainte Vierge lui attirait des secours
inespérés. « La bourse du Père des pauvres, disait-il, est inépuisable pour
a ceux qui recourent à lui. » Il avait attaché aux sacs, destinés à renfermer
l'argent des pauvres, une image de la Sainte Vierge, qu'il avait établie
leur avocate et gardienne de leur trésor. Il disait, un jour, à des ecclé-
siastiques en leur montrant celte image : « Voilà sur quoi je. me repose,
« pour le soin des pauvres de la paroisse; j'en laisse la conduite et le
x maniement à la Mère de Dieu. Je lui expose mes nécessités et elle a la
« bonté d'y pourvoir. Elle ne m'a jamais manqué; il n'y a qu'a s'aban-
« donner à elle pour tout. » Doctrine de M. Olier, p. 482.
(2) La sagesse et l'esprit pratique de ce Règlement le tirent adopter
bientôt par la plupart des autres confréries charitables. Son article 2 fixait
a trois années consécutives le temps de résidence des pauvres sur la pa-
roisse pour y acquérir le droit de domicile et de secours. Toute distri-
bution de sommes fixes et réglées en forme de pension était interdite par
l'article 5; et l'article 7 portait : « Par ce que l'usage de l'argent à
« mains des pauvres est rarement bon et presque toujours infructueux,
« on fera ordinairement les aumônes en pain, à prendre chez les boulan-
» gers, affidés en chaque quartier, ou bien aux artisans, en espèces de
« cuir, bois, soie et autres matières de leur art, ou en habits, lits, cou-
« verlures, ustensiles, ou en bois à brûler, charbon et chaussures pen-
« dant l'hiver, et jamais à aucun des dits pauvres en deniers, que dans
« des occasions rares et extraordinaires pour relever les familles. » Rem.
hist., 4' part., p. 48 à 74.
M. OLIER (1642-1852). 97
la piété parmi ses paroissiens, autant il déploya de zèle
pour les préserver des funestes atteintes du jansénisme,
« cette hérésie déloyale, a dit d'elle justement le Père
« Lacordaire, qui n'osa jamais attaquer l'Église en face et
« qui se cacha dans son sein comme un serpent (1) ».
Saint-Cyran et ses disciples cherchèrent d'abord à attirer
à eux les jeunes lévites de Saint-Sulpice; mais ils n'y fi-
rent d'autre recrue que M. de Gondrin, le neveu de l'ar-
chevêque de Sens, que M. Olier exclut aussitôt de sa
Communauté. Ils s'efforcèrent alors de faire croire que
M. Olier était des leurs; mais dès qu'il en fut informé, il
professa hautement, du haut de la chaire, ses sentiments
d'opposition à leur doctrine; et il écrivit à Mlle de Por-
tes, qu'il dirigeait et qui s'était laissé gagner par ces
novateurs, une lettre remarquable pour l'éloigner de cette
secte artificieuse. « Si vous me voulez promettre en Jésus-
ce Christ, lui dit-il, de ne garder aucun commerce avec
« ce parti , qui fait présentement un schisme formé dans
« l'Église, et qui, nonobstant les sentiments supérieurs,
« ne laisse pas de contrister dans son obstination, je puis
« vous assurer en Notre-Seigneur que je vous rendrai
(1) J. de Maistre, dans son livre de l'Église gallicane, l'avait déjà
flétrie en la qualifiant d'hypocrite et de vile. Et M. l'abbé Houssaye,
dans ses études magistrales sur le cardinal de Bérulle, a parfaitement ré-
sumé ses déplorables suites : « Qui ne sait, dit-il, les ravages qu'elle fit
dans l'Église de France, dont elle divisa les forces; dans les âmes qu'elle
séduisit par l'apparente rigueur de ses principes, le talent de ses docteurs,
les incontestables vertus de quelques-uns de ses disciples; dans la société
tout entière, où elle jeta des semences trop fécondes de révolte contre
l'an lorité. » M. de Bérulle et les Carmélites de France, t. I, p. 8. Et il
ajoute : « Qu'on lise le mémoire confidentiel adressé, en 1705, au Souve-
rain Pontife par Fénelon, et on sera confondu de voir avec quelle passion
non seulement des docteurs séculiers, mais les théologiens des ordres les
plus réformés, des compagnies les plus pieuses, s'étaient enrôlés sous la
bannière de l'évêque d'Ypres. Saint-Sulpice seul résistait avec cette foi
sûre, ce bon sens modeste et ferme qui lui attira les hautaines injures
de Saint-Simon. »
ÉGLISE SAINT-SULPICE. 7
98 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
« tous les devoirs que vous pouvez attendre de ma eon-
« dition. Je me fie en Notre-Seigneur, en qui j'ai pris les
« ordres et la puissance de vous conduire; et, d'autant
« plus que je me trouve dépendant de lui, autant je me
« trouve en impuissance et en interdit de servir les âmes
« qui se jettent en un parti contraire et injurieux à son
« épouse, la sainte Église (1). »
Dès 16i5, ils avaient fait nommer un des leurs, M. du
Hamel , à la cure de Saint-Merry qui affectait une sorte
de rivalité avec celle de Saint-Sulpice , et ils étaient par-
venus à y attirer de grands personnages, entre autres le duc
et la duchesse de Liancourt, qui avaient leur hôtel, rue
de Seine, près Saint-Sulpice; le duc de Luynes et les ha-
bitants de l'hôtel de Nevers qui appartenait au comte du
Plessis-Guénégaud. Aussitôt que le nouveau curé de Saint-
Merry y eut établi la pénitence publique, M. Olier crut
nécessaire de la combattre; et, le jour delà fête de saint
Sulpice , il monta en chaire pour s'élever contre la pré-
tendue nécessité de cette pénitence pour tous les pé-
cheurs et contre la prédication de l'inutilité de l'absolu-
tion, non précédée de la satisfaction et de la contrition
parfaite. C'était, en effet, avec ce rigorisme outré, que
saint Vincent de Paul constatait à Saint-Sulpice 3.000 com-
munions de moins que les années précédentes.
Il fit plus; il sollicita et obtint du Chancelier l'interdic-
tion pour les prédicateurs de la secte, entre autres pour
les Pères Desmares et Esprit, Oratoriens, de prêcher dans
Paris.
La Reine , du reste , n'était pas disposée à favoriser les
Jansénistes, depuis les troubles de la première Fronde,
où ils cherchèrent à former une armée, sous le nom de
VOEuvre sainte , pour faire la guerre au Roi; elle n'igno-
(1 Lettre 256, à la marquise de Portes, premiers mois de 1G53, éd.
Gainon.
i
M. OLIER (1642-1652). 99
rait pas d'ailleurs qu'ils encourageaient les plus mons-
trueux dérèglements, en soutenant que nous péchons par
faute de grâce et non par abus de notre liberté.
Tant de travaux avaient épuisé la santé de M. Olier.
Son médecin lui prescrivit un voyage dans le midi, qui
ne fut pour lui qu'une occasion nouvelle de se sanctifier
davantage.
Il s'arrêta en pèlerin aux sanctuaires les plus célèbres :
à Chàtillon-sur-Seine, où le culte de Marie était en hon-
neur ; à Clairvaux, où il resta deux jours en prières dans la
cellule de saint Bernard; à Dijon, qui le retint dix jours
à sa Chartreuse, dont l'abbé l'associa, lui et son Sémi-
naire, à tous les mérites de ses religieux; dans le Jura,
où, après s'être égaré dans la montagne, il passa tout un
jour à vénérer le corps de saint Claude; à Annecy, où
il pria longtemps au tombeau de saint François de Sales.
Il ne manqua pas non plus de visiter les personnages
les plus vénérables des lieux qu'il traversait :
ABeaune, la sœur Marguerite du Saint-Sacrement, car-
mélite, à laquelle il donna le crucifix qu'il portait tou-
jours sur lui; c'était celui qu'il tenait de la Mère Agnès,
dont il décida le Père Amelotte à écrire la vie, après
qu'il eut introduit à Saint -Sulpice les pratiques de la
dévotion de cette grande servante de Dieu à l'enfance du
Sauveur, dont il fit célébrer l'office le 25 de chaque mois
et dont un prêtre de la Communauté, le futur archevêque
de Cambrai, Fénelon, composa plus tard les litanies;
A Valence , la pieuse fille Marie Teissonnière , après la
mort de laquelle il revint prier sur son tombeau comme
sur celui d'une sainte (1) ;
(1) Ce fut à son retour à Valence, qu'étant allé chez un peintre pour
acheter le portrait de Marie Teissonnière, il remarqua dans l'atelier une
toile obscène, qu'il acheta incontinent pour la déchirer et la brûler sous
les veux de l'artiste.
100 HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SULHCE.
Au Pont-Saint-Esprit, la Mère Françoise de Mazelli,
fondatrice du couvent de la Visitation de cette ville;
A Avignon, la Mère de Saint-Michel, morte, quelque
temps après, en odeur de sainteté.
Ce voyage ne lui fut pas salutaire; il revint aussi faible
qu'il était parti ; le repos seul eût pu le remettre ; mais il lui
était odieux. L'hiver aggrava encore son état; et en juin
1852, une station de toute une nuit qu'il fit devant la
châsse de sainte Geneviève provoqua une fièvre intense
qui mit ses jours en danger et lui fit recevoir les derniers
sacrements. Il guérit cependant, suivant l'assurance que
lui en avait donnée la Très Sainte Vierge; mais il crut
devoir se démettre de sa cure entre les mains de l'abbé
de Saint-Germain, qui la confia à M. de Bretonvilliers,
son disciple, h qui il avait prédit lui-même qu'il serait son
successeur.
Quelques semaines après, son médecin l'envoyait aux
eaux de Bourbon.
Ce nouveau voyage fut pour lui l'occasion de l'établis-
sement du séminaire de Viviers, qui devint bientôt une
source de grâces pour les vastes régions de l'Auvergne,
du Comtat, du Dauphiné et de la Provence. Il prépara
également la création de celui d'Avignon et ne fut pas
étranger à celle des séminaires de Toulouse, de Saint-
Irénée de Lyon et de Besançon, dont un de ses disciples,
M. de Villetertre, devint supérieur.
Mais le zèle apostolique dont il était rempli et qui lui
avait fait désirer de former de bons prêtres pour gagner
par eux le plus grand nombre possible d'âmes à Jésus-
Christ, le poussa jusqu'à renoncer à la conduite de son
séminaire pour aller en Perse travailler à l'extension de
la Foi. L'évêque d'Ispahan venait de rentrer en France et
le Schah se faisait fort de procurer à l'Église romaine la
soumission de quatre-vingts évèques arméniens schisma-
tiques de ses États, si le Pape lui envoyait un délégué qui
M. OLIER (16i2-1652). 101
ne fût ni italien, ni anglais, ni espagnol. C'est alors que
le Nonce offrit à M. Olier le siège de Babylone que ses
confrères l'empêchèrent d'accepter, pour le laisser, sui-
vant l'avis du Père de Rhodes lui-même, tout à son tra-
vail de rénovation de l'ordre sacerdotal en France.
Il se dédommagea de ces entraves à ses désirs en met-
tant à exécution le dessein qu'il avait formé depuis
longtemps d'aller travailler à la conversion des héréti-
ques des Cévennes; et malgré ses infirmités et la rigueur
de l'hiver, il se mit en route avec quelques-uns de ses
prêtres, pour aller droit à Privas, le boulevard de l'hé-
résie. En quelques semaines, il transforma cette ville , y
décupla le nombre des catholiques et y ouvrit plusieurs
petites écoles pour les enfants des huguenots. A son
retour, il s'arrêta au Puy pour y fonder une maison d'é-
ducation spéciale aux enfants de huguenots, dont les
parents voulaient les contier à des ecclésiastiques. Ce fut
là le prélude de plusieurs autres établissements sembla-
bles qui s'ouvrirent en France sous le nom de Propaga-
tion de la Foi ou du Saint-Sacrement.
Mais l'œuvre qu'il eut le plus à cœur, après celle de la
sanctification du clergé et du retour de l'Angleterre à
l'unité catholique, fut celle de la conversion des sauvages
du Canada ou Nouvelle France , dont il se préoccupait dès
les premières années de son sacerdoce.
Peiné de voir que l'ambition ou l'intérêt avaient seuls
inspiré les Compagnies qui, depuis plus d'un siècle que
ce pays était soumis à la France, exploitaient ses ri-
chesses, il résolut à son tour d'en former une qui n'eût
d'autre but que le salut de ces nations abandonnées ; et
sachant que Québec, le seul établissement qui y fût encore
ouvert, était trop éloigné pour les sauvages, il conçut le
projet de bâtir, dans l'Ile de Montréal, une ville qui serait
à la fois le siège des missions, une barrière contre les
incursions des sauvages, et le centre de leur commerce ,
102 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
et qu'il consacrerait à la Sainte Vierge, sous le nom de
Ville Marie.
De l'aveu du P. Leclercq, missionnaire récollet, il n'y
eut pas de dessein mieux combiné ni plus désintéressé. Il
fut aidé dans son exécution par M. de la Dauversière qui,
de son côté, avait formé un plan analogue, et il lui remit
cent louis d'or pour jeter les premiers fondements d'une
colonie dans cette ile, encore inculte et déserte. En même
temps il forma une association de personnes riches et
zélées sous le nom de « Société de Notre-Dame de Mon-
tréal » et lui obtint du Saint-Siège d'abondantes indul-
gences. M. de la Dauversière, qui en fut le procureur,
obtint de M. de Lauzon, intendant du Dauphiné, par acte
du 17 août 16-VO, la cession de l 'ile de Montréal au profit
de M. Olier et des autres membres de la Société, et y
envoya, comme premiers colons, quarante hommes sous
la conduite d'un chef habile, M. de Maisonneuve.
M. Olier consacra la colonie naissante, en février 16 12,
à la Sainte Famille, dans l'église de Notre-Dame, et ne
cessa jamais de nourrir l'espoir de s'y rendre lui-même.
M" Manse, de Langres, s'offrit alors à lui pour aller y
soigner les malades, en même temps qu'une fille non
moins dévouée, de Troyes, Mlle Marguerite Bourgeois,
y partit de son côté pour y fonder, en faveur de l'ins-
truction des petites filles, une congrégation aujourd'hui
encore très nombreuse et très prospère.
La première mission qu'il y envoya à la demande de la
Société et dont il accepta la conduite, se composa de
MM. de Queylus, Souart, Galinieret d'Allet; et lorsqu'elle
s'y fut développée, il songea à affermir la colonie par
l'érection d'un Siège épiscopal, pour lequel il proposa
M. de Queylus. En outre, par son testament, il laissa
10.000 livres pour la dotation de l'évèque et de son cha-
pitre.
Les dernières années de M. Olier furent des années de
M. OLIER (1642-1652). 103
souffrances physiques et de sécheresses morales, qu'il
supporta constamment avec la plus admirable patience.
Atteint de paralysie d'une moitié du corps, au Péray,
près CorJjeil , chez Mrae Tronson, en septembre 1653, ce
mal, qu'il sentit s'aggraver d'année en année, ne fit que le
fortifier dans sa résolution de tout souffrir en union à
Notre-Seigneur attaché à la croix, et de redoubler de zèle
à son service. Ce fut alors, en effet, que conservant toute
la liberté de son esprit, il composa plusieurs ouvrages du
plus grand mérite pour le bien des âmes : le Catéchisme
chrétien, pour la vie intérieure; Y Introduction à la vie et
aux vertus chrétiennes ; Y Explication des cérémonies de
la grand'messe de paroisse.
Sentant sa fin approcher, il renouvela ses pèlerinages
au Puy d'abord et ensuite à Notre-Dame des Anges, près
le château d'Avron, annonça sa mort, le premier jour
du Carême de 1657, et eut avec M. de Breton villiers sur la
conduite et les règlements du séminaire de longs entre-
tiens que ce dernier eut soin de consigner par écrit et
dont M. Tronson, en 1678, tira le Règlement des Supé-
rieurs et Directeurs des séminaires de province.
Enfin une dernière attaque d'apoplexie l'enleva le
lundi de Pâques, 1" avril 1657. Il n'avait que quarante -
huit ans.
Saint Vincent de Paul, qui était présent à ses derniers
moments, le regardait comme un saint et ne cessa pas
de l'invoquer pendant les trois années qu'il lui survécut.
Et trois guérisons, qui ont tous les caractères de guéri-
sons miraculeuses : celle de Mlle Manse au contact de son
cœur; celle du marin Trescartes, au Havre, par l'attou-
chement d'un linge imbibé de son sang; et, en 18i6, celle
de la sœur Dufresne, à l'hôtel-Dieu de Montréal, corro-
borent le témoignage, déjà si considérable par lui-
même, de saint Vincent de Paul.
Aujourd'hui la cour de Rome est nantie des pièces du
104 HISTOIRE DE LÉGLISE SAINT-SULPICE.
procès tendant à l'introduction de la cause de sa canoni-
sation, et les paroissiens de Saint-Sulpice peuvent adres-
ser avec confiance leurs plus ferventes prières à Notre-Sei-
gneur et à sa sainte Mère, qu'il a tant aimés, pour qu'ils
daignent hâter le jour où la déclaration par le Saint-Siège
de son titre de bienheureux leur permettra de l'invoquer
publiquement; caria vie admirable de ce grand homme,
dans laquelle le surnaturel se rencontre si souvent, ma-
nifeste avec éclat, dans chacune de ses phases, sa sain-
teté éminente, par les grâces insignes dont Dieu l'a pré-
venu, par sa fidélité constante à y correspondre, mais
surtout par l'objet de sa mission et par la permanence de
son œuvre.
L'œuvre capitale à laquelle M. Olier a consacré sa vie, a
été, en effet, l'établissement du séminaire de Saint-Sulpice,
pour y former lui-même de saints prêtres, et en même
temps la fondation de la Compagnie qui devait, après
lui, continuer cette œuvre unique.
Or, ces deux créations simultanées et connexes suffi-
raient à elles seules, par leur importance et leurs diffi-
cultés, à prouver que leur auteur était vraiment l'élu
de Dieu.
En ce qui touche d'abord celle du séminaire de Saint-
Sulpice, il ne faut pas perdre de vue qu'avant M. Olier
cette grande œuvre des séminaires, quoique ordonnée par
le concile de Trente comme le moyen le plus efficace de
renouveler le clergé et de réformer l'Église , n'existait pas.
Saint Charles Borromée l'avait bien, il est vrai, com-
mencée en Italie. Mais son premier essai n'était qu'une
ébauche; ses règlements pour la conduite de ses maisons
cléricales pouvaient bien s'adapter aux besoins et aux
mœurs de l'Italie ; mais en France , s'ils suffisaient pour
de jeunes écoliers qu'il faut maintenir dans le devoir par
une vigilance constante et une exacte discipline, ils ne
convenaient pas à des élèves du sanctuaire, engagés
M. OLIER (1642-1652). 105
déjà clans les saints Ordres ou près de les recevoir, et qui
n'entraient d'eux-mêmes dans ces maisons que pour se
perfectionner dans l'exercice et les vertus de leur saint
état. Aussi leur application ne donna-t-elle aucun résul-
tat satisfaisant dans les diocèses qui les adoptèrent , tels
que ceux de Bordeaux, d'Agen, de Limoges, de Reims et
de Rouen. Saint Vincent de Paul n'avait pas mieux réussi
dans son collège des Bons-Enfants. Et l'Oratoire lui-même,
qui semblait tout d'abord avoir pour mission spéciale la
formation du clergé, se bornait dans la maison de Saint-
Magloire, reconnue cependant, depuis vingt-trois ans
déjà, comme séminaire diocésain, à y enseigner la théo-
logie à ceux de ses élèves qui se destinaient à l'état ecclé-
siastique et limitait ses exercices pour les Ordinands à la
retraite de dix jours prescrite par l'archevêque de Paris,
Mgr de Gondy.
Dès lors les évêques de France en étaient toujours à
chercher la forme à donner à ces noviciats du sacerdoce,
pour que les jeunes clercs qui en sortiraient fussent péné-
trés suffisamment de l'esprit ecclésiastique.
Le séminaire de Saint- Sulpice fut ainsi le premier
grand séminaire établi en France; et la perfection de
son organisation, comme l'excellence de ses résultats, le
firent considérer bien vite comme un modèle sur lequel
la plupart des évèques s'empressèrent de calquer les leurs.
La création de la Compagnie de Saint-Sulpice , condi-
tion indispensable de la durée du séminaire lui-même,
était tout aussi nécessaire et non moins difficile : car il
n'est pas aisé de réunir des prêtres, d'une science et d'une
vertu éprouvées, qui consentent à se vouer exclusivement,
toule leur vie, à la formation des jeunes clercs. Saint
François de Sales avait échoué dans ses efforts pour doter
son diocèse d'un séminaire, parce qu'il n'avait jamais pu
parvenir à former trois hommes capables d'en prendre
la direction.
106 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
« J'avoue, disait-il à M. Bourdoise, qu'il n'y a rien de
« plus nécessaire dans l'Église que la formation des ecclé-
« siastiques. Mais après avoir travaillé moi-même pendant
« dix-sept ans à former seulement trois prêtres, tels que
« je les souhaitais, pour m' aider à réformer le clergé de
« mon diocèse, je n'ai pu en former qiiim et demi; et je
« n'ai pensé aux filles de la Visitation que lorsque j'ai eu
« perdu tout espoir à l'égard des ecclésiastiques (1). »
Aussi M. Bourdoise, en voyant la facilité avec laquelle
M. Olier jetait les fondements de son nouvel Institut, au
milieu des plus rudes et des plus humiliantes épreuves,
voyait là l'œuvre de Dieu (2).
« L'érection d'une nouvelle communauté dans l'Église,
« écrivait-il, n'est pas une œuvre triviale et ordinaire.
« Dieu ue donne pas son esprit à toutes sortes de per-
« sonnes indifféremment pour établir des Instituts ; mais
« ceux qu'il choisit pour ces entreprises, il les dispose par
« des voies qui n'ont rien d'humain, c'est-à-dire qu'il les
« fait passer par les croix, et les humiliations, les persé-
« cutions accompagnées de patience, de fidélité, de cou-
« rage et de persévérance, tenant sur eux une conduite
« de grâce peu commune (3). »
Combien ce saint prêtre eût été confirmé dans son
opinion s'il avait pu constater, comme nous, le dévelop-
pement progressif et continu de l'œuvre de M. Olier, qui,
aujourd'hui, s'étend à 34 séminaires, tant en France qu'aux
États-Unis et au Canada, dirigés par près de 400 membres
de sa Compagnie, tous animés de son esprit et donnant
partout l'exemple de ses vertus (4).
(1) Vie de M. Bourdoise, Ms. in-4°, p. 110.
[2 Pendant plus de trente ans, M. Bourdoise essaya en vain d'établir
un séminaire et ne réussit qu'à former une communauté de prêtres de
paroisse à Saint-Nicolas du Cliardonnet.
(3) Vie de M. Bourdoise, Ms. in-fn, p. 1093.
i La Compagnie de Saint-Sulpice dirige vingt-neuf grands séminaires :
M. OLIER (1642-1652). 107
Nous pouvons donc, avec ce grand serviteur de Dieu,
regarder M. Olier, à raison de l'importance, de la diffi-
culté, du succès et de la permanence de son œuvre,
comme un des hommes de la droite du Très-Haut, choisi
par lui pour être l'instrument principal du relèvement
de l'Église de France au dix-septième siècle (1).
vingt-quatre en France, quatre aux États-Unis, à Baltimore, à Boston, à
New York et à San-Francisco, et un à Montréal, au Canada, plus les cinq
séminaires des Instituts catholiques de Paris, Lyon, Angers, Toulouse et de
l'Université de Washington, et les petits séminaires de Montréal, de Balti-
more et de San-Francisco.
(1) M. Baudrand, le quatrième successeur de M. Olier dans la cure de
Saint-Sulpice, et qui l'avait connu dans sa jeunesse, a fait de lui le por-
trait suivant :
« Il était d'une taille médiocre, un peu replet; il avait le port libre,
« dégagé, avantageux. Sa complexion était sanguine, délicate quoique
« forte et robuste, s'il ne l'eût point altérée par ses jeûnes , ses longues
« veilles et sa rigoureuse pénitence. Son teint était blanc et mêlé de
« vermeil; son visage plein, son nez aquilin, son front large et se-
« rein; il avait les yeux vifs, remplis d'un feu doux et engageant, la
« physionomie fine, la bouche d'une grandeur médiocre, les lèvres ver-
« meilles, la voix belle et argentine,, flexible, la prononciation libre et
•< dévote, soutenue d'une éloquence mâle, élevée et si heureuse que sur-
« le-champ, sans étude et sans rien puiser que dans son propre fonds,
« il ravissait les esprits et enlevait les cœurs. Enfin, il avait le visage beau,
« agréable et bien proportionné, accompagné d'un air de tant de grâce, de
« modestie et de majesté, qu'il était impossible de l'approcher sans en
« concevoir de l'estime et du respect et sans en être élevé à Dieu. »
Mémoire manuscrit à laBibl. nationale et Nagot, Vie de M. Olier, p. 320.
Son portrait que nous donnons ci-dessus, page 33, est la reproduction de
celui qui a été peint par Stresor et gravé par Boulanger.
CHAPITRE IV
M. DE BRETOXVILLIERS (1652-1658).
Sommaire : Il succède, à trente-deux ans, à M. Olier comme cure de Saint-Sul-
pice. — Son origine. — Ses premières études. — Il embrasse l'état ecclésias-
tique sous la conduite de M. Olier. — Ses talents; sa grande fortune; son hu-
milité : sa vie pauvre et mortifiée. — Sa tendre piété envers la Sainte Vierge.
— Son zèle pour la gloire de Dieu. — Son application à continuer toutes les
œuvres de M. Olier. selon ses vues et son esprit. — Estime dont il jouit dans
le clergé de Paris. — Générosité de ses dons pour la construction de la nou-
velle église. — Sa démission de la cure.
M. de Bretonvilliers n'avait que trente-deux ans lors-
que, le 19 juin 1652. il prit possession de la cure de
Saint-Sulpice, en remplacement de M. Olier qui se plai-
sait à l'appeler son cher enfant.
Né à Paris en 1620, M. Alexandre le Ragois de Breton-
villiers était le second fils de M. de Bretonvilliers, con-
seiller d'Etat et secrétaire du Conseil du Roi. Après avoir
fait ses premières études au collège de Navarre avec
M. Tronson et les avoir achevées chez les jésuites (1), il se
livra à celle du droit. Lorsqu'il l'eut terminée, son père
aurait voulu l'attacher à la personne de M. d'Avaux, son
parent, notre ministre plénipotentiaire au congrès de
Munster, pour ensuite, à son retour, se démettre en sa
faveur de sa charge qui valait un million. Mais déjà le
jeune homme songeait à se faire prêtre, même jésuite,
(1) Au collège de Clermont.
M. DE BRETONVILLIERS (1652-1658). 109
lorsque s'étant rencontré avec M. Olier, il fut tellement
séduit par sa modestie, sa piété et le charme de sa con-
versation, qu'il éprouva un vif désir d'entrer en relations
plus étroites avec lui. De son côté, M. Olier, prévenu en
sa faveur par son ingénuité, la candeur et la droiture de
son âme, le prit bientôt en affection, et fut assuré, un
jour qu'il avait dit la messe pour lui, que la Providence
le destinait à collaborer à son œuvre.
A dater de ce moment, le jeune de Bretonvilliers réso-
lut d'embrasser, sous sa conduite, l'état ecclésiastique. Il
s'en ouvrit à son père qui tout d'abord en éprouva un
très vif chagrin; car c'était le renversement de tous ses
rêves d'avenir pour ce fils bien-aimé. Mais très pieux lui-
même, il prit conseil de M. Olier qu'il vénérait et qui lui
affirma que c'était bien là un appel de Dieu ; et se rap-
pelant ce que lui avait dit le Père Georges, capucin, alors
que son fils n'avait que neuf à dix ans : « Élevez bien cet
« enfant; car Dieu le destine à être un jour à la tête
« d une communauté considérable d'ecclésiastiques , » il
se résigna, amena lui-même son fils au presbytère de
Saint-Sulpice , le 19 juin 1643, lui donna sa bénédiction
et le confia à M. Olier.
La joie fut grande dans la Communauté; c'était pour
elle une précieuse recrue que ce jeune homme simple,
franc, ouvert, charitable, d'une pureté angélique, d'uue
tendre piété envers la Sainte Vierge et si porté déjà à
l'oraison, que ses condisciples le surnommèrent bientôt
le grand prieur de France. Son esprit cultivé, sa mémoire
heureuse et son ferme bon sens lui permirent d'acquérir,
en moins de quatre années d'études, une vraie science
théologique. Une fois admis aux saints ordres, son père,
qui jouissait d'une grande faveur auprès de la Reine et du
cardinal de Richelieu, chercha à le produire à la cour en
qualité d'aumônier du Roi. Mais il s'y refusa en disant
qu'il n'avait pas quitté le monde pour y rentrer; que
110 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAIINT-SULPICE.
toute son ambition était de devenir un bon prêtre, de
procurer la gloire de Dieu et son salut. Son père n'insista
pas. Peu de temps après, il eut le malheur de le perdre,
ainsi que son frère aine, et hérita d'eux de plus de 40.000
écus de rente (2i0.000 francs), qui le rendirent le plus
riche ecclésiastique de France , bien qu'il n'eût aucun bé-
néfice. Cette énorme fortune n'enfla pas son cœur; il s'hu-
milia, au contraire, de se voir dans un état si contraire à
celui qu'avait choisi le Fils de Dieu , ne se regarda plus
que comme le trésorier des pauvres et le dépositaire de
leurs biens, et considérant la Très Sainte Vierge comme
sa souveraine et, à ce titre, maîtresse de sa fortune, ne
voulut plus en disposer que sous son autorité et en son
nom.
Aussi personne n'était-il plus pauvre que lui dans ses
meubles, son linge, ses habits. Il ne quittait ceux qu'il
portait qu'à la dernière exlrémité, et les pauvres eux-
mêmes les refusaient comme étant trop usés.
Constamment en la présence de Dieu, il ne commen-
çait jamais une action sans la lui avoir olferte. Sa vie était
une oraison continuelle. A Paris, il entrait à l'église entre
huit et neuf heures du matin, et n'en sortait qu'à une
heure, employant tout ce temps à préparer et à célébrer
la sainte messe et à faire ses oraisons, quand la direction
des fidèles ne le réclamait pas. Il ne disait son office et
ses autres prières que le soir.
Tous les jours, il récitait le chapelet de Notre-Seigneur
et celui de la Sainte Vierge; il disait aussi celui de la
Sainte Trinité et celui des défunts, l'un composé de cent
Gloria Patri, l'autre de cent Requiem œternam doua eis.
Son zèle pour la gloire de Dieu était admirable. Il se
réjouissait de la conversion des âmes, et, afin d'y contri-
buer lui-même davantage, il donna des sommes considé-
rables à l'Hôtel-Dieu de Paris pour en agrandir les bâti-
ments et y multiplier les lits ; et clans le désir ardent qu'il
M. DE BRETONVILLIERS (1652- 1G58). 111
avait toujours eu de travailler à l'évangélisation des infi-
dèles, il n'était jamais plus heureux que lorsqu'il rece-
vait des nouvelles de la propagation de la Foi.
Sa tendre dévotion envers la Très Sainte Vierge re-
montait à ses plus jeunes années : au collège de Cler-
mont, il entra de suite dans sa congrégation et, à dater
de ce moment, il dit tous les jours son petit office et son
chapelet de six dizaines , entendit la messe de préférence
dans les églises ou aux autels qui lui étaient dédiés, jeûna
tous les samedis, se confessa et communia tous les diman-
ches. Elle s'accrut encore sous l'influence de M. Olier qui
mettait tous ses soins à la faire progresser dans son cher
disciple , par un ordre exprès de cette divine Mère qui lui
avait dit, un jour, dans l'oraison : Regardez-le comme
mon enfant (1). Au début de chaque année, il allait lui
rendre ses devoirs à Notre-Dame, qu'il regardait comme
sa principale demeure, lui demander la continuation de
ses bontés et lui renouveler l'offrande de tout lui-même
et de tout ce qui lui appartenait (2). Chaque jour, la pre-
mière et la dernière de sa prière était un Ave Maria; et il
n'en laissait pas passer un seul sans écrire quelque chose
à son sujet et sans faire quelque aumône en son hon-
neur, pour remercier Dieu des grandes bontés qu'il avait
eues envers elle.
Et quand arrivait le temps des vacances, il les com-
mençait toujours par le pèlerinage à Notre-Dame des Ver-
tus (à Aubervilliers) ; il les employait autant qu'il le
pouvait à visiter les lieux où son culte était le plus en
honneur (3), et il les terminait par le pèlerinage de
(1) Simon de Doncourt, ibid., 4 e part., p. 756.
(2) Ibid., p. 764.
(3) Entre ces divers pèlerinages, ceux qui étaient le plus selon son
cœur, étaient, en France, celui de Chartres, qu'il faisait presque tous les
ans, et celui de Notre-Dame de Bethléem, à Ferrières en Gàtinais, nommé
aussi Ferrières en chrétienté, parce que cette bourgade, berceau du
112 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
Notre-Dame de toutes grâces, chez les minimes de Chail-
lot, où il ne manquait jamais d'aller dire la sainte messe,
lorsqu'il séjournait à Issy, parce que c'était pour lui un
plaisir extrême de considérer la Très Sainte Vierge sous
ce titre de Notre-Dame de toutes grâces (1).
Entre les mains de ce vrai fils de M. Olier, le gouver-
nement de la paroisse de Saint-Sulpice continua à pro-
duire les mêmes fruits de bénédiction. Entrant dans
toutes les vues de son maître vénéré, il s'appliqua, avec
son assistance, à continuer toutes ses œuvres et à affer-
mir le règne de Dieu dans les âmes, vaquant comme
lui à tous les devoirs de sa charge pastorale, aux prônes,
aux confessions, à la visite des malades, au soulagement
des pauvres, à la surveillance des écoles, à l'extirpation
des vices, et s'y dépensant avec une telle ardeur que sa
santé affaiblie et sa poitrine épuisée le jetèrent, pendant
de longs mois , dans un grand accablement.
Entouré de l'estime de tout le clergé de Paris, il en
reçut la preuve en deux circonstances solennelles :
Lors de l'emprisonnement au château de Vincennes
du cardinal de Retz, qui s'était trop engagé dans les af-
faires de la politique pendant les deux guerres civiles,
les curés de Paris, privés de leur premier pasteur et ne
le jugeant pas aussi coupable que le croyait la Cour, s'as-
semblèrent pour délibérer sur les moyens d'obtenir son
élargissement; et ce fut M. de Bretonvilliers qu'ils choisi-
Christianisme en France, aurait été la première de notre pays appelée à la
lumière de la Foi, que seraient venus lui apporter, onze ans seulement après
la mort de Notre-Seigneur, les trois disciples de saint Pierre : Savinien, Al-
tin et Polenlien ; et en Italie, celui de Lorette, qu'il fit en 1671. En vertu
d'un bref spécial du pape Léon XIII, le couronnement de Notre-Dame de
Bethléem a eu lieu, le 6 septembre 1898, sous la présidence de Me* Tou-
chet, évêque d'Orléans.
(1) Il ne cessait pas de louer saint François de Paule d'avoir dédié son
monastère à la Sainte Vierge sous cet excellent titre, qui lui convient si
bien.
M. DE BRETONVILLIERS (1G52-1G58). 113
rent pour porter aux pieds de Leurs Majestés l'expression
de leurs vœux et qui s'acquitta de cette mission délicate
avec un tact parfait et à la satisfaction de tous.
Il fut encore une autre fois député par eux pour de-
mander justice contre le livre "du Père Bagot, qui, sous
prétexte de défendre l'épiscopat, renversait la hiérarchie
et ruinait les droits des curés; et le résultat de sa dé-
marche, dont il rendit compte à ses collègues, reçut leur
approbation unanime (1).
Un de ses plus ardents désirs était de voir avancer la
construction de la nouvelle église de Saint-Sulpice. 11 con-
sacra à ces travaux plus de iO.OOO livres de ses deniers,
et légua à la fabrique une somme de 12.000 livres pour
leur continuation (2). Ce fut aussi dans ce but qu'il en-
gagea le séminaire à acheter à un prix élevé la chapelle
de Saint-Jean l'Évangéliste, patron du clergé de Paris,
dans l'espoir que ce prix servirait de base à celui de la
cession des autres chapelles (3).
Il n'occupa la cure que pendant six ans et s'en démit,
en 1658, à la mort de M. Olier, qui l'avait désigné pour
son successeur dans la supériorité du séminaire, par un
billet de sa main. Il vécut encore dix-huit ans, pour le
' plus grand avantage de ce séminaire qu'il sut maintenir
dans sa régularité première par sa sagesse et sa fermeté.
Il y mourut le samedi 13 juin 1G78, âgé de cinquante-
I six ans, et y fut inhumé, au-dessus du corps de M. Olier,
dans la chapelle souterraine, près de l'autel, du côté de
(1) Simon de Doncourt, loc. cit., t. I, p. 237 et 238.
(2) Ibid., t. I, p. 239 et 240.
(3) En 1731, cette chapelle fut cédée par le séminaire à M. le curé Lan-
guet de Gergy , qui dut en faire abandon à Mme de Chevreuse, de la
maison de Luynes, en échange de celle de Saint-François de Sales, dont celte
dame était depuis longtemps en possession, et que M. Languet fut
obligé de supprimer pour en faire la sacristie des messes basses. Simon
de Doncourt, ibid., p. 17 et 239, en note.
ÉGLISE SAINT-SULPJCE. 8
114 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
L'Évangile. La Compagnie avait été instituée sa légataire
pour une grande partie de son immense fortune ; mais
par l'organe de son supérieur, M. Tronson, elle n'en re-
tint à peu près que la maison d'Issy (1).
(l) Bertrand, Bibliothèque sulpicienne ou Histoire littéraire de la
Compagnie de Saint-Sulpice, t. I, p. 51. Le portrait de M. de Bretonvil-
liers, peint par Montagne, a été gravé par L. Barbery. Ibid. L'inscription
qu'on lit au bas de celte gravure résume bien les vertus éminentes de ce
disciple de prédilection de M. Olier : Alexander Le Ragois de Bretonvilliers
presbyler, loannis Iacobi Olier lundatoris et primi superioris seminarii
Sancli Sulpitii successor, hteres operis, aemulus pietatis; stupendum in
ditissimo patrimonio paupertalis exemplar; semper sibi parcus, pauperi-
bus nunquam, verè pauperuin dator; spiritu precum, sacerdotii zelo, ac Dei-
parae Virginis amoreconspicuus, obiit 13 Jun. ann. Dom. 1670. /Etat. sua3 56.
CHAPITRE V
M. de poussé (1658-1678).
Sommaire : L'abbé de Saint-Germain appelle M. de Poussé à la cure de Saint-
Sulpice en remplacement de M. de Bretonvilliers. — Ses antécédents ; son
dévouement à ses fonctions pastorales. — Retraite donnée par le P. Eudes. —
Prédications de Bossuet et de Bourdaloue à Saint-Sulpice. — Estime de Bossuet
pour M. de Poussé. — Développements donnés à la Compagnie de la Passion
par l'abbé Brenicr. — Règlement de la Compagnie des Gentilshommes. —
Luîtes de M. de Poussé contre le Jansénisme. — Nouvel attentat sacrilège à
Saint-Sulpice. — Sa réparation. — Active impulsion donnée par M. de Poussé
aux travaux de reconstruction de l'église; dette de 500.000 francs qu'ils en-
traînent pour la Fabrique. — Suspension de travaux. — M. de Poussé résigne
sa cure à M. de la Barmondière. — Sa retraite au presbytère. — Sa mort édi-
fiante.
Son successeur dans la cure de Saint-Sulpice fut M. de
Poussé, un autre des premiers et des plus distingués dis-
ciples de M. Olier.
Né en 1617, au diocèse de Sens, Antoine Ragnier de
Poussé appartenait à une des premières familles de Cham-
pagne. A l'instigation de son ami, l'abbé de Gondrin, plus
tard archevêque de Sens, il entra au séminaire de la rue
Guisarde le 1er septembre 1642, alors qu'il n'était encore
que clerc et bachelier de Sorbonne. Sa piété, sa modestie,
sa grande dévotion à la Sainte Vierge (1), ses talents
d'orateur et d'écrivain le firent remarquer de M. Olier
(1) En tête de toutes ses lettres, il mettait cette devise, qui était déjà
celle de M. Olier : « Qui a Jésus a tout » ; et au bas, il ajoutait à sa
signature les trois lettres S. A. D., qui signifiaient : servus ancillae Domini.
serviteur de la servante du Seigneur.
1]6 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
qui, dès qu'il fut revêtu du caractère sacerdotal et
pourvu du bonnet de docteur de Sorbonne, l'attacha
d'abord à la personne de M. de Bretonvilliers en qualité
de vicaire, le chargea de la rédaction du Livre des Exa-
mens particuliers, auquel il collabora lui-même et qui fut
ensuite complété par M. Tronson, puis lui conlia succes-
sivement les postes importants de directeur du sémi-
naire, de directeur de la Solitude et enfin, en 1657, de
supérieur du séminaire de Clermont, lorsque son chef,
M. de Caylus, fut envoyé à Montréal.
C'est de Clermont qu'il fut appelé par l'abbé de Saint-
Germain à la cure de Saint-Sulpice, dont il prit posses-
sion le 7 février 1658. Il n'en resta pas moins uni par
des liens très étroits au Séminaire et à la Compagnie de
Saint-Sulpice : car, l'année suivante, en 1659, l'assemblée
générale le nomma premier consulteur et lui en renouvela
jusqu'à sa mort le titre et les pouvoirs qui lui permirent
de prendre une part active au gouvernement de la Com-
pagnie.
Dans ses fonctions pastorales auxquelles il se dévoua
avec un grand zèle, il s'appliqua à mettre constamment
en œuvre tous les moyens qui avaient réussi à ses deux
vénérables prédécesseurs pour opérer le renouvellement
de la paroisse.
Après les troubles de la Fronde, M. Olier était parvenu
à arrêter les désordres qu'ils avaient entraînés dans sa
paroisse, par une mission qu'avait prêchée, pendant le
Carême et le Jubilé de 1651 , le Père Eudes, son ami. qu'il
appelait la Merveille de son siècle, tant il avait le don
d'annoncer avec fruit la parole de Dieu et de provoquer
les plus éclatantes conversions.
M. de Poussé voulut procurer le même bienfait à ses
ouailles; et, à sa demande, le Père Eudes revint, en 1660,
avec plusieurs de ses prêtres, présider aux exercices
d'une retraite générale, que la Reine Mère suivit plu-
M. DE POUSSÉ (1658-1678). 11"
sieurs fois. Cette nouvelle mission dura trois mois et pro-
duisit, comme la première, les plus heureux effets.
Au mois de février de la même année , un service
solennel pour le repos de l'âme de Gaston d'Orléans, duc
de Montpensier, avait été célébré à Saint-Sulpice , sa pa-
roisse. M. de Poussé y fit prononcer le sermon de circons-
tance par un prédicateur en vogue, le Père Girou , jésuite.
Quatre ans plus tard, en lCGi, la grande voix de
Bossuet, déjà célèbre, se fit entendre à Saint-Sulpice, une
première fois, le 19 janvier, jour de sa fête patronale, où
il prononça, devant la Reine iMère, son beau panégyrique
de Saint-Sulpice, dans lequel il flétrit avec tant de force
la licence effrénée des mœurs de son temps; une seconde,
le 28 avril, à la solennité du baptême qui y fut administré
à un jeune Maure par l'évèque de Dax, Guillaume Leboux.
Quelques chroniqueurs ont même regardé comme pro-
bable qu'il avait prêché toute la station du Carême de cette
même année 1). Leur assertion est gratuite et dénuée de
fondements. Il est possible cependant que Bossuet ait
prêché d'autres fois encore à Saint-Sulpice : car il tenait
M. de Poussé en très grande estime ; et il lui en donna la
preuve lorsque, après sa nomination à Févêché de Con-
dom, le Roi le choisit, en 1670, pour précepteur du Dau-
phin. Des scrupules troublèrent alors sa conscience : il
ne croyait pas pouvoir exercer à la fois ces deux fonctions ;
et, sur l'insistance du Roi, il désigna quatre théologiens,
entre autres le curé de Saint-Sulpice, pour trancher la
question de cette incompatibilité; mais ils jugèrent qu'il
pouvait accepter provisoirement le préceptorat du Dau-
phin , sans avoir pour cela à différer la cérémonie de son
(1) Mémoires manuscrits pour servir à l'histoire de la Compagnie
de Saint-Sulpice, T partie, p. 6. L'abbé Lebarq classe le sermon du
28 avril 166 i, parmi ceux de Bossuet qui sont perdus et sur lesquels on n'a
aucune donnée. Il lui assigne, par erreur, la dale du 18.
118 HISTOIRE DE L ÉGLISE SAINT-SULPICE.
sacre, se réservant à eux-mêmes de décider plus tard,
d'après les circonstances, s'il pourrait conserver cette
charge ou s'il devrait la résigner. Louis XIV agréa cette
décision et nomma définitivement Bossuet précepteur de
son fils, le 5 septembre 1670.
Le Père Bourdaloue monta, lui aussi, quelquefois dans
la chaire de Saint-Sulpice , à partir de cette même année
1670, quand il venait à la maison professe de la rue du
Pot-de-Fer, préparer pour Versailles ses éloquentes sta-
tions de l'Avent. Il y prêcha également la station du
Carême de 1678 (1), montrant dans tous ses sermons de
cette station c. cette continuelle et touchante sollicitude
« pour le salut des âmes et cette intrépidité dans ses
« censures de la conduite des grands qui ont fait de lui,
« aux yeux de ses contemporains, le parfait modèle des
« vertus apostoliques (2) ».
Ce fut aussi vers le même temps, que Fénelon, le futur
et illustre archevêque de Cambrai, lit ses débuts dans
cette même chaire de Saint-Sulpice , et qu'il y révéla un
talent oratoire de premier ordre. Ordonné prêtre, en
167i, au séminaire de Saint-Sulpice, il se consacra immé-
diatement aux fonctions du saint ministère et entra, à cet
effet, dans la Communauté des prêtres de la paroisse, où
le curé, M. de Poussé, le chargea spécialement d'expli-
quer l'Écriture Sainte aux fidèles, les jours de dimanche
et fêtes. Il y resta trois années entières, jusqu'au jour où
son rare mérite, signalé à l'archevêque dé Paris, Mgl de
Harlay, le fît nommer par ce prélat supérieur des Nouvelles
Catholiques et des filles de la Madeleine de Traisnel (3).
(1) A. Feugère, Bourdaloue, sa prédication et son temjis, p. 35.
(2) Ibid. et Journal de M. Bourbon secrétaire de M. Tronson, supé-
rieur de la compagnie. Mss. du Sém. de Sainl-Sulpice.
'3) Histoire de Fénelon, par le cardinal de Bausset, t. I, pages 30 à 3",
6e éd. La communauté des Nouvelles Catholiques était une association
de quelques personnes pieuses, qu'aucun vœu religieux ne liait entre elles.
M. DE POUSSÉ (1658-1678). 119
Il quitta alors la Communauté pour aller s'installer chez
le marquis de Fénelon. son oncle, à qui le Roi avait ac-
cordé un logement dans l'abbaye de Saint-Germain des
Prés.
Le Conseil charitable, créé par M. Olier pour la défense
des intérêts des pauvres, ne fonctionnait plus depuis plu-
sieurs années. M. de Poussé lui donna une nouvelle vie en
y faisant entrer des magistrats et des hommes de loi, re-
commandables par leurs talents comme par leur piété.
La Compagnie de la Passion, qu'il avait également
fondée et qui réunissait les gentilshommes et les anciens
militaires désireux de travailler à leur salut loin du
tumulte du monde , avait été modifiée et étendue par un
prêtre de la Compagnie , fondateur du petit séminaire
de Saint-Sulpice , M. Brenier. M. de Poussé approuva le
nouveau règlement que ce pieux et intelligent confrère
avait rédigé pour elle, en 1676, sous le titre de Commu-
nauté des gentilshommes, et sut trouver dans ses mem-
bres de précieux auxiliaires pour la visite des hôpitaux et
des prisons et pour le soulagement des pauvres honteux.
Très attentif à maintenir dans sa paroisse les saines
doctrines sur les matières de la grâce, si vivement agitées
autour de lui, il ramena à la vérité le Père Thomassin qui
s'était tout d'abord laissé entraîner aux erreurs de Jan-
sénius, força l'abbé Feydit à les rétracter sur son lit de
mort, et signala avec une respectueuse fermeté à la du-
chesse de Liancourt les dangers auxquels elle exposait son
Elle avait été instituée, en 1634, par M?r de Gondi (Jean-François), le pre-
mier archevêque de Paris, et approuvée par une bulle d'Urbain VIII. Son
but était d'affermir les nouvelles converties dans la doctrine catholique et
d'instruire les personnes du même sexe qui se montraient disposées à se
converlir. Elle s'était établie tout d'abord, près de l'église Saint-Sulpice,
dans la rue des Fossoyeurs, et y resta jusqu'au jour où le maréchal de
Turenne, après son abjuration du calvinisme, lui eut acquis une maison
plus spacieuse dans la rue Sainte-Anne. Ibid., p. 37 et 38.
120 HISTOIRE DE L'EGLISE SALNT-SULPICE.
salut par son opposition aux décisions du Saint-Siège.
A son tour aussi, il éprouva une poignante douleur.
L'attentat sacrilège qui avait tant affligé M. Olier en 16'*8,
se renouvela dans la nuit du 25 octobre 1665, avec cette
aggravation que les voleurs, après avoir brisé les grilles
du sanctuaire et forcé le tabernacle , y prirent quatre
ciboires avec les saintes hosties qu'ils renfermaient et
qu'on ne retrouva jamais. Les cérémonies de réparation
de ce sacrilège eurent lieu le 28, jour de la fête de saint
Simon et saint Jucle, et les deux jours suivants. Une pro-
cession solennelle du Très Saint-Sacrement parcourut les
principales rues du Faubourg et s'arrêta à trois stations,
suivie par une foule de fidèles, en tête desquels le Roi
marcha , entouré de plusieurs princes et princesses de sa
famille, depuis la rue Dauphine jusqu'au Luxembourg et
à l'église où il assista à l'office célébré en grande pompe.
Le soir la Reine y vint entendre le sermon et le salut ainsi
que l'amende honorable, prononcée du haut de la chaire
par M. le curé (1). La mémoire de cette réparation se
célèbre depuis lors, tous les ans, à Saint-Sulpice, le dernier
dimanche d'octobre.
La sollicitude incessante de M. de Poussé pour le bien
des âmes confiées à sa direction, ne l'empêcha pas de
pousser activement les travaux de construction de la nou-
velle église. C'est même lui peut-être qui les a le plus fait
avancer : car non seulement il a achevé la chapelle de la
Sainte Vierge , mais il a fait construire tout le chœur avec
ses bas-côtés et les chapelles adjacentes du pourtour, et
commencer les fondements du portail septentrional, dit
de Saint-Pierre (2), et des quatre piliers de la croisée. Mal-
Ci) A celte occasion, la Reine, mère du Roi, et la Reine, son épouse,
liient don à Saint-Sulpice de deux superbes ciboires de vermeil, qui ser-
virent au grand autel jusqu'à la Révolution. Mém. mss., art. sur M. de
Poussé, p. 16.
(2) Rem. hist., t. I, p. 182. Le cboeur et les cbapelles de son pourtour
M. DE POUSSÉ (1658-1678). 121
heureusement il ne songea pas assez à proportionner
l'importance de ces travaux à l'étendue des ressources
dont il pouvait disposer. Aussi, pour les solder, en-
traina-t-il sa fabrique à s'obérer d'une dette de plus de
500.000 livres en principal (1), dont elle mit plus de vingt-
deux années à opérer l'extinction, et qui ne lui permi-
rent pas de reprendre ces travaux avant l'année 1718
sous M. Languet.
M. de Poussé était d'une santé délicate ; et déjà en 1662 .
à la suite d'une maladie très dangereuse, il avait parlé
de sa démission, et l'abbé de Saint-Germain s'était montré
disposé à l'accepter et à nommer à sa place Bossuet, de pré-
férence à M. d'Hurtevent qu'eût souhaité la Compagnie. Au
cours de cette maladie, le P. Eudes vint le voir un jour et
lui dit à voix haute : « On dit, Monsieur le curé, que vous
« en faites trop et que les excès de votre zèle sont la vraie
« cause de votre maladie. » Puis s'approchant de lui , il lui
dit tout bas à l'oreille : « Et moi , je vous assure que vous
« n'en faites pas assez et que si Dieu vous rend la santé,
« vous devrez en faire davantage. »
Le pieux pasteur, qui ne sut jamais ce que c'était que de
se ménager quand il s'agissait de procurer la gloire de
Dieu et le salut des âmes, suivit si bien le conseil de son
furent bénits, le 20 décembre 1673, par M?1' de Harlay, archevêque de
Paris, assisté de MBr de Péricard, évoque d'Angoulême, de Fromentin,
évêque d'Aire, et de Sève, évèque d'Arras: celle du Rond-Point à l'hon-
neur de la Sainte Vierge; la première à droite, en sortant de celte cha-
pelle, et qui est aujourd'hui celle de Saint-Louis, fut dédiée au Saint-
Esprit; la seconde (celle de Saint-Joseph) à l'honneur de sainte Marguerite:
la troisième de saint Charles; la quatrième de saint Jean l'évangélisle:
la cinquième de saint François de Sales; la première à gauche, à l'hon-
neur du saint Ange Gardien; la seconde de sainte Catherine; la troisième
de saint Éloi; la quatrième de saint Denis. Après cette bénédiction les
trois évêques consacrèrent le maître-autel , celui de la Sainte Vierge et
les neuf autres en présence de M. le curé. Rem. hist., t. I, p. 278.
(1) Mém. mss., art. sur M. de Poussé, p. 17, et sur M. de la liarmon-
dière, p. 37.
122 HISTOIRE DE L ÉGLISE SAINT-SULPICE.
ami qu'en peu d'années les fatigues du saint ministère
épuisèrent totalement ses forces et qnen octobre 1678 il
fut obligé de résigner sa cure à M. de la Barmondière.
Il se retira alors au presbytère, où il choisit pour sa
retraite la plus pauvre chambre, meublée seulement de
six chaises de paille , d'une petite table et d'un lit com-
mun, et consacrant tout son revenu assez considérable
au soulagement des pauvres. Il y mourut, moins de deux
ans après, le 8 juillet 1680, à l'âge de soixante-trois ans,
regretté de tout le clergé de Paris auquel il avait su ins-
pirer la même estime qu'à saint Vincent de Paul qui dé-
clarait à l'évèque de Genève, Mgr d'Arenthon, « qu'il ne
« connaissait pas de prêtre plus humble que lui ».
CHAPITRE VI
M. DE LA BARMONDIÉRE (1678-1689)
Sommaire : Son origine; ses études; son admission et ses fonctions dans la
Compagnie. — Incidents à l'occasion des obsèques du Nonce du Saint-Siège,
Msr Vareri. — Sollicitude de M. de la Barmondiére pour les catéchismes' et
les écoles. — Il installe une manufacture de tricots de laine dans une de
ces écoles. — Il ouvre la première maison des Sœurs des Écoles chrétiennes
dites de V Enfant Jésus et la première maison des Frères des Écoles chré-
tiennes.— Il donne à l'abbé de La Salle la haute direction de toutes ses écoles.
— Il ouvre encore d'autres petites écoles. — Il fonde une communauté du Bon-
Pasteur. — Sa charité envers les pauvres. — Il crée la Petite Paroisse. —
Kloigncriient des baladins. — Maintien des comédiens français. — Embarras
que lui causent les dettes laissées par son prédécesseur. — Il se démet de
sa cure en faveur de M. Baudrand. — Sa sainte mort.
Issu d'une famille noble du Lyonnais, M. Claude Bottu
de la Barmondiére était né, en 1631, à Villefranche en
Beaujolais. Lorsqu'il eut achevé ses premières études, ses
heureuses dispositions pour la science et la piété détermi-
nèrent ses parents à l'envoyer à Paris suivre les cours de
philosophie et de théologie. Il entra au Séminaire de
Saint-Sulpice le 7 avril 1655, et après avoir obtenu le bon-
net de docteur de Sorbonne (1), il fut reçu dans la Com-
pagnie, en 166i, par M. de Bretonvilliers.
(1) 11 avait passé sa seconde thèse de Licence, le 12 décembre 1661, sous
la présidence de M. de Poussé, curé de Saint-Sulpice, et sa soutenance fit
quelque bruit en Sorbonne. il avait choisi pour sujet : l'Infaillibilité du
Pape dans les faits dogmatiques, sujet qui, comme on sait, causa un grand
émoi dans la Faculté et au Parlement; et il en défendit brillamment les
conclusions qui se résumaient en ces termes : « Roman us Pontifex contro-
124 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
Chargé immédiatement de l'enseignement de la théolo-
gie au Séminaire, il y acquit, en peu d'années, la répu-
tation d'un des directeurs les plus accomplis par l'éten-
due de son savoir et la pénétration de son esprit non
moins que par sa haute vertu : car, aussi indulgent pour
les autres que sévère pour lui-même, il couchait habi-
tuellement sur la dure et la maigreur de son visage attes-
tait la rigueur de ses jeûnes et de ses austérités. En 1665,
rassemblée générale de la Compagnie l'élut pour un des
assistants du supérieur; et M. Tronson, qui en avait la
charge, désirant opérer une réforme dans la Commu-
nauté de la paroisse, ira peu déchue de son premier es-
prit, lui donna M. de la Barmondière pour supérieur en
1676.
Le succès avec lequel il s'acquitta de ce dernier emploi
décida M. de Poussé à résigner sa cure en sa faveur. Il
ne l'accepta que par obéissance et en prit possession le
4 novembre 1678.
Il eut aussitôt à donner la mesure de sa fermeté dans
l'accomplissement de son devoir.
Le Nonce du Saint-Siège, Mgl Vareri, archevêque d'An-
drinople, dont l'hôtel était situé sur la paroisse, venait
de recevoir les derniers sacrements sans que le curé de
Saint-Sulpice ni personne en son nom eut été invité à
cette cérémonie; et à sa mort, qui eut lieu dans la nuit
du ï au 5 novembre, ses officiers cherchèrent à transpor-
ter son corps directement à l'église des Théatins, où, par
son testament, il avait choisi sa sépulture, sans le présenter
auparavant à l'église paroissiale. L'archevêque de Paris,
versiarum ecclesiaslicarum est conslilutus judex a Chrislo qui ejus défini-
tionibus indelicientem lidem promisit (Luc, xn). Caveant proinde catholici
a fermente- recentium luereticorum qui ea quœ apostolicis conslitutionibus
Innocentii X et Alexandri VII abunde fuerunt definita , contra Jansenium
ejusque sectatores, in dubium revocare vel subdolis interpretationibus la-
befacere non verentur. » Bertrand, loc. cit., I, p. 104.
M. DE LA DARMONDIÈRE (1078-1689). 125
Mgr de Harlay, après avoir pris l'avis du Roi, dans la
crainte de paraître porter atteinte aux privilèges d'un
ambassadeur du Pape et de soulever un conflit entre les
deux Cours, rendit une ordonnance qui prescrivait la pré-
sentation du corps du défunt à Saint-Sulpice. sa paroisse,
avant d'être porté aux Théatins.
A sa réception, M. de la Barmondière s'empressa d'en-
voyer dix de ses prêtres prier, en habits de chœur, auprès
du corps; et la veille des funérailles, fixées au 10, sur
les quatre heures du soir, il se transporta lui-même à
l'hôtel du Nonce, précédé de la croix et accompagné de
son clergé, fit la levée du corps avec les cérémonies pres-
crites, l'emmena à l'église et le déposa dans le chœur où,
le lendemain, il célébra un service solennel en sa pré-
sence, le fît placer ensuite sur son carrosse de deuil et le
conduisit, suivi d'une partie de son clergé , à l'église des
Théatins.
La paroisse avait accueilli sa nomination avec une
grande joie; elle ne fut pas déçue dans ses espérances.
Après s'être enquis de sa situation et de ses divers besoins,
du nombre et du degré de misère des familles indigentes,
de l'état des écoles et des autres établissements fondés
par ses prédécesseurs , il prit la résolution , dont il ne se
départit plus, d'employer à les soutenir et à les dévelop-
per, les revenus de son patrimoine aussi bien que ceux de
la cure.
Il s'occupa tout d'abord des catéchismes et seconda
efficacement le zèle de leur directeur, M. Baiihin, par les
fréquentes visites qu'il leur faisait et à chacune desquelles
il récompensait, parla distribution d'images, de chape-
lets ou de livres , ceux des enfants qui avaient le mieux
répondu à ses interrogations.
Son attention se porta tout particulièrement sur les
écoles établies dans les divers quartiers de la paroisse.
Il les inspectait fréquemment, stimulant dans chacune
126 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SALNT-SULPICE.
d'elles les efforts des maîtres et l'application des élèves
et saisissant toutes les occasions de perfectionner leur
enseignement et d'en augmenter le nombre.
Ce fut ainsi que dans le bâtiment que la Fabrique leur
avait affecté, il installa une manufacture , où l'on ap-
prenait aux enfants à faire divers ouvrages de laine et
spécialement de tricot. Il avait placé à sa tète un homme
entendu qui, sous le titre de Promoteur de la manufac-
ture, dirigeait, avec plusieurs ouvriers sous ses ordres,
le travail des enfants et en opérait la vente dont le pro-
duit était consacré au soulagement des plus nécessiteux.
Grâce à cette heureuse innovation de M. de la Barmon-
dière, origine de nos modernes écoles professionnelles,
les enfants apprenaient, dans les écoles de la paroisse,
avec les principes de la religion et les éléments des lettres,
un état manuel qui les préservait de l'oisiveté et de la
misère en leur assurant un gagne-pain.
Ce fut lui encore qui, en 1686, dota sa paroisse de la pre-
mière maison (1) des Sœurs des Écoles chrétiennes, dites
de l'Enfant Jésus , vouées à l'éducation chrétienne des
jeunes filles pauvres , dont l'Institut venait d'être créé à
Rouen, en 1666, par le P. Barré, minime. Et il eut la joie
de les voir y ouvrir successivement huit écoles : à Saint-
Joseph, rue Saint-Dominique, à la Grenouillère, rue de
Seine et rue Saint-Placide , et y fixer même , rue Saint-
Maur, leur noviciat, qui subsista jusqu'à la Révolution.
Elle lui est également redevable de l'établissement sur
son territoire , rue Princesse , de la première maison des
Frères des Écoles chrétiennes, institués à Reims, en 1679,
par l'abbé de la Salle.
M. de la Barmondière avait connu au séminaire le saint
(lj Celle première maison avait été ouverte tout d'abord, en 1677, sur
la paroisse de Saint-Jean en Grève, à l'appel du curé de cette paroisse;
mais elle n'avait pas pu s'y maintenir.
M. DE LA BARM03DIÉRE (1678-1689). 127
fondateur de l'admirable Institut. Il le pressa à maintes
reprises de venir s'installer à Paris, et parvint à l'y dé-
cider en lui faisant écrire par M. Baudrand, son assistant,
qu'il pouvait venir avec deux maîtres, et qu'il leur donne-
rait le logement et une pension de 250 livres par tête.
L'abbé de la Salle lui arriva avec deux de ses frères , le 25
février 1688. Il les installa dans le bâtiment des écoles de
la paroisse (1) et les autorisa à partager avec les anciens
maîtres la direction de ces écoles, qui, sous leur conduite,
ne tardèrent pas à changer de face; car quelques jours
seulement leur suffirent pour y faire succéder la régularité
la plus parfaite au désordre et à la confusion que la né-
gligence des maîtres et l'insubordination des élèves y
avaient entretenus jusque-là (2).
Frappé de cette prompte et complète métamorphose , il
profita de sa visite du mois d'avril suivant pour donner à
l'abbé de la Salle la haute direction de toutes ses écoles
et pour enjoindre aux anciens maîtres de se borner à
travailler sous ses ordres. Ceux-ci, jaloux de se voir ainsi
supplantés, mirent tout en œuvre pour le perdre dans son
esprit et finirent même par décider le promoteur de la
manufacture à se retirer en lui persuadant que la nou-
velle méthode d'enseignement des Frères ne laissait plus
assez de temps pour le travail manuel et compromettait
l'avenir de ses ateliers auxquels ils savaient que M. le curé
attachait une grande importance. Mais M. de la Barmon-
dière ne fut pas dupe de ces manœuvres; éclairé sur la
vérité des faits par l'abbé de Janson (depuis archevêque)
qu'il avait chargé de s'en enquérir et par M. Baudrand .
(1) « Celait une grande maison, la 3e et la 4e du côté gauche de la rue Prin-
cesse, en entrant par la rue Guisarde, d'après les censiers de Saint-Germain.
Cette maison appartenait au curé et était conliguë à celle qu'occupèrent
les prêtres de la Communauté. » Ravelet, loc. cit., p. 206.
(2) Mémoires mss. de la Compagnie, article sur M. de la Barmon-
dière, p. il.
,28 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
toujours plein d'estime pour le Bienheureux qu'il avait
eu pour pénitent au séminaire, il maintint sa confiance
à M. de la Salle et se borna à remplacer son promoteur
par un frère fort habile à travailler la laine et à tricoter,
qui, en peu de temps, sut obtenir des enfants une appli-
cation soutenue et des ouvrages mieux faits et plus lu-
cratifs que ceux que leur faisait produire son prédéces-
seur.
M. de la Barmondière établit encore d'autres petites
écoles, auxquelles il portait un vif intérêt, mais qui sub-
sistèrent peu de temps, faute de ressources, entre autres
celles de la communauté de filles que Mme Picart. la
veuve de l'intendant de M. le Prince et la trésorière de
l'Assemblée des Pauvres malades de la paroisse , avait
fondée rue des Fossoyeurs, pour instruire gratuitement les
pauvres filles de la paroisse, leur apprendre un métier et
leur faire faire des ouvrages qui leur permissent plus tard
de gagner honnêtement leur vie. Cette communauté fut
dissoute en 1698 (1), et une partie des revenus des écoles
qu'elle dirigeait fut appliquée au soutien d'une autre
communauté, établie dans le même but par M,le Séguier,
mais qui n'eut, comme la première, qu'une très courte
existence.
Par ces créations si utiles, M. de la Barmondière mérite
d'être rangé au nombre des plus grands bienfaiteurs et
des propagateurs les plus insignes de l'œuvre essentielle
de l'éducation chrétienne de l'enfance.
11 travailla aussi à préparer à l'Église de bons ministres,
par la fondation qu'il fit, en 1686, dans le voisinage du
séminaire, d'une communauté qui fut appelée de son
nom : Communauté de M. de la Barmondière . dans le
but d'élever des enfants de familles peu aisées, qui ne
(l) Sa fondatrice mourut le 18 décembre 1710, âgée de qualre-vingl-
cinq ans.
M. DE LA RARM0ND1ERE (1 GTS- 1 r.s«.) . 129
pouvaient pas payer leur pension au séminaire, et de fa-
voriser leur vocation à l'état ecclésiastique. A sa mort, en
1694, et en vertu des dispositions de son teslament, cette
communauté fut réunie au petit séminaire.
Il procura en môme temps à la paroisse un autre éta-
blissement, des plus importants pour la réforme des
mœurs, et que M. Olier avait en vain cherché à créer, celui
d'une Communauté du Bon-Pasteur, destinée à servir
d'asile aux filles pénitentes. La Providence le lui facilita
en lui ménageant la collaboration d'une jeune veuve,
IMm1' de Combé, protestante convertie (1), d'une intelli-
gence aussi haute que la piété, qui sut donner à cette
icommunauté, dont il lui confia la direction, un si prompt
jidéveloppement, qu'en peu d'années elle put y recueillir
jusqu'à deux cents de ces pauvres filles, et que sa maison
de la rue du Cherche-Midi, qui lui avait été procurée par
le Roi en 1688 (2), devint bientôt le modèle et le chef-lieu
(1) Elle était née à Leyde, en 1650, de parents protestants.
(2) Le Roi, en effet, instruit des services rendus par cette communauté,
la prit sous sa protection spéciale; et, tout en lui facilitant son installa-
ion dans cette maison de la rue du Cherche-Midi, il donna encore 1.500
ivres à MmP de Combé, pour y faire les réparations nécessaires. Elle fut
uitorisée, en 1G98, par des Lettres patentes, et subsista florissante jus-
lu'à la Révolution.
Sa pieuse fondatrice mourut en odeur de sainteté, le 16 juin 1692, âgée
e trente-six ans seulement. Son biographe rapporte un trait singulier de
a vie : Le premier jour de l'an 1691, elle fut tout à coup saisie d'une
ièvre violente et en proie à d'atroces douleurs d'intestin. Se croyant à
a tin, elle communia en viatique, avec une sainte joie, des mains de M. de
Il Rarmondière et le pria de lui donner l'extrème-onction. Tout en se
réparant à déférer à son désir, il se (it apporter un peu d'eau chaude et
li en fit prendre quelques cuillerées. Instantanément la fièvre la quitta
lt elle se sentit guérie. Quelle que soit la cause à laquelle on doive at-
ihuer cette guérison extraordinaire, ou L'efficacité de l'eau chaude que
lint Grégoire le Grand, dans son pastoral, recommande comme un vrai
cMnède, ou celle des prières et de la foi du vénérable pasteur, de la
oalaJe et de ses pieuses filles, toujours est-il que M. de la Barmondière
vait grande confiance dans ce remède, en usait de temps en temps, le
commandait autour de lui et composa môme un petit traité sur la vertu
ÉCLISE SA1NT-SDLPICE. 9
130 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
de plusieurs autres qui s'ouvrirent ensuite, en province, à
Amiens, à Angers, à Orléans, à Troyes, à Toulouse.
L'application de M. de la Barmondière à soutenir cette
fondation si utile, ne lui faisait pas négliger les besoins des
familles indigentes de sa paroisse, dont le malheur des
temps avait élevé le nombre à plus de quatre mille, ni
ceux des malades dont plus de deux cents, dans un entier
dénuement, ne pouvaient pas trouver place dans les hô-
pitaux, ni surtout ceux des pauvres petits enfants, or-
phelins ou abandonnés. Toutes ces misères étaient l'objet
de sa plus vive compassion et, chaque semaine, il con-
sacrait de longues heures à présider, à la cure, les
diverses assemblées de charité dont les membres se dé-
vouaient à leur soulagement.
Ces œuvres de zèle, si multiples et dont la charge pe-
sait si lourdement sur lui, ne l'empêchaient pas de s'em-
ployer aux fonctions habituelles du saint ministère. Il se
faisait un devoir de les partager avec les prêtres de sa
Communauté; et pour être toujours prêt lui-môme à ad-
ministrer les derniers sacrements, il portait constam-
ment sur lui les objets nécessaires, savoir : un rituel, une
étole, un surplis, de l'eau bénite et un crucifix.
L'accroissement de la population dans les quartiers les
plus éloignés de la paroisse lui inspira l'idée de créer
curative de l'eau chaude. Mém. Mss., ibid., p. 20 et 21. Le passage du
traité de saint Grégoire de Cura paslorali, part. 3, cap. XIV, est ainsi
conçu : Plerumque aegros quos fortis pigmcntorum potio curare non valuil,
ad saluteni pristinam tepens aqua revocavit : Le plus souvent les malades
qu'une forte potion de drogues n'a pu guérir, recouvrent la santé simple-
ment par l'eau chaude.
On peut croire que le P. Louis le Comte, Jésuite, avait lu ce petit opuscule
de M. de la Barmondière, quand il écrivait, au tome premier de ses Nouveaux
mémoires sur l'état présent de la Chine, publiés, en 1697, par Jean
Anisson, à Paris : « Peut-être que l'eau chaude est toute seule un bon
« remède contre les maladies , dont on attribue la guérison au Thé : et il
« y a des gens qui sont exempts de beaucoup d'incommodités parce qu'ils
« se sont l'ait une habitude de boire chaud. »
M. DE LA BARMONDIÈRE (1078-1689). 131
une succursale , pour faciliter aux habitants de ces quar-
tiers l'accomplissement de leurs devoirs. C'était le renou-
vellement du projet qu'avait conçu déjà M. Olier, qui avait
même reçu de lui un commencement d'exécution, mais
auquel ses inconvénients l'avaient obligé de renoncer.
M. de la Barmondière crut devoir le reprendre en 1G86,
à la suite d'une pétition signée d'environ deux cents ha-
bitants du faubourg, qui fut présentée à l'archevêque de
Paris pour demander l'érection non seulement d'une suc-
cursale, mais bien de cinq à six nouvelles paroisses; et il
lui adressa lui-même un mémoire favorable à la création
de la succursale. Mais le prélat ajourna sa décision sur
cette question, qui ne fut résolue que cinquante ans plus
tard, en 1738, par l'autorisation de la succursale du Gros-
Caillou. Et cet ajournement fut pleinement justifié par un
opuscule, publié en 1691, qui montrait fort bien que le
nombreux clergé de Saint-Sulpice et le bel ordre établi
par M. Olier et entretenu par ses successeurs pour l'ad-
ministration de cette paroisse, procuraient alors aux pa-
roissiens, même les plus éloignés de l'église, plus de
secours spirituels que n'en recevaient les habitants des
autres paroisses les mieux administrées.
Mais alors le désir de faciliter aux écoliers et aux pau-
vres la pratique de leurs devoirs religieux, suggéra à
de la Barmondière la pensée d'une œuvre beaucoup
plus utile, celle qu'il créa sous le nom de la Petite Pa-
roisse. Ayant remarqué que nombre de ces enfants et de
ces pauvres s'excusaient de ne pas assister au prône et à
la messe de paroisse, sous prétexte qu'ils ne savaient où
jse placer et qu'ils n'avaient pas de bancs à l'église, il fit
construire pour eux la chapelle, dite aujourd'hui des
Allemands, et qui fut appelée alors la Petite Paroisse,
jparce qu'elle leur servait en quelque sorte d'église pa-
jroissiale; et il régla qu'à l'avenir, tous les dimanches et
fêtes, un prêtre de la Communauté viendrait leur y dire
132 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
la messe à huit heures du matin et leur ferait ensuite une
exhortation. Un peu plus tard, il réunit séparément dans
une autre chapelle les écoliers des pensions, auxquels
deux prêtres du Séminaire disaient la messe et adressaient
une instruction. Enfin, lors de l'installation des Frères en
1688, il rassembla les enfants de leurs écoles dans une
autre chapelle (1), où un autre prêtre du Séminaire leur
disait la messe à la même heure et leur faisait aussi une
instruction.
La sollicitude de M. de la Barmondière pour le bien
spirituel de ses paroissiens le faisait gémir de la présence
d'une troupe de baladins et de farceurs, qui s'était ins-
tallée rue des Quatrë-Vents, à proximité de la foire Saint-
Germain, et dont les plaisanteries grossières et souvent
obscènes ou impies affaiblissaient dans le peuple le res-
pect dû au saint Lieu et à l'adorable Eucharistie. 11 de-
manda leur éloignement et sa requête fut accueillie par
le lieutenant de police, M. de la Reynie, qui, en 1080,
leur fit défense de rester dans cette rue, et aux proprié-
taires des maisons qui la bordaient, de les y souffrir, à
peine de 500 livres d'amende pour chaque contrevenant.
L'année suivante, il dut renouveler sa demande, parce
qu'ils avaient voulu s'établir dans la rue des Cordeliers(2);
et la même défense leur fut faite par arrêt du Parlement,
du -2ï janvier 108*2.
Il fut moins heureux dans sa lutte contre les Comédiens
français. L'ouverture du collège Mazarin, en 1085, avait
décidé le Roi à leur enjoindre de transporter ailleurs leur
salle de spectacle, installée rue des Fossés de Nesle (3),1
pour soustraire les étudiants à ce dangereux voisinage.
(1) Très probablement la chapelle neuve de la Communion en face de
celle des Allemands.
(2) Aujourd'hui la rue de l'Ecole-de-Médecine.
(3) Aujourd'hui la rue Mazarine.
M. DE LA BARMONDIÈRE (1078-1689). 133
Ils cherchèrent à l'installer rue du Bouloy ; mais la Reine,
qui avait fondé dans cette rue un couvent de Carmélites,
leur en fit refuser la permission; ils jetèrent alors leur dé-
volu sur une propriété, dite du Jeu de Paume de l'Étoile,
située rue des Fossés Saint-Germain des Prés; et tous les
etlbrts de M. de la Barmondière pour la leur enlever, sa
demande au propriétaire, sa requête au Roi, ses offres
aux comédiens eux-mêmes de la leur racheter au prix de
50.000 livres, plus du double de sa valeur, demeurèrent
inutiles; il eut la douleur de les voir s'installer sur sa
paroisse et ne put qu'interdire, en 1088, le passage par
cette rue de la grande procession de la Fête-Dieu.
Ce ne fut pas le seul chagrin que lui ait causé l'admi-
nistration de la paroisse; les dettes que son prédécesseur
avait fait contracter à la Fabrique pour la construction
de la nouvelle église, lui en suscitèrent de bien plus grands,
parce que la plupart des créanciers, réduits à la misère
par les calamités publiques et ne pouvant pas attendre
leur paiement, s'en prenaient à lui de leurs souffrances,
dont il n'était cependant pas l'auteur, et exhalaient leur
mécontentement en plaintes violentes contre lui.
Ces dettes, nous l'avons vu, dépassaient 500.000 livres,
et la Fabrique était si obérée qu'elle ne pouvait même
pas en servir les intérêts. Dans cette extrémité, M. de la
Barmondière proposa, dans une assemblée de la Fabri-
que, du lor octobre 1679, de s'adresser à l'archevêque de
Paris, MBT de Harlay, dans l'espoir que sa charité et son
crédit lui viendraient en aide. Le prélat fut d'avis de recou-
rir à la bienveillance du Boi qui, dès qu'il fut instruit
de l'état des choses, ordonna la convocation en Assemblée
extraordinaire des principaux habitants de la paroisse , à
l'effet d'aviser aux moyens d'acquitter cette dette (1); et
il s'engagea lui-même, en sa qualité de propriétaire de
(1) Arrêt du Conseil d'Élat, du 22 février 1G83, signé : Colbert.
134 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SLLP1CE.
plusieurs immeubles sur la paroisse, de donner, pour cet
objet, dix fois plus que celui des paroissiens qui offrirait
davantage. Cette assemblée se tint, le 22 mars 1683,
dans la chapelle nouvelle de la Communion. Des sous-
criptions considérables y furent recueillies; la duchesse
Isabelle d'Orléans promit G. 000 livres. Mais toutes ces
sommes réunies restèrent insuffisantes. Il fallut vendre
tous les immeubles de la Fabrique, dont le prix, montant
à 200.000 livres, suffit à peine pour solder les intérêts
échus.
Pour arriver au paiement du principal, un arrêt fut
rendu, le 4 janvier 1689, par le Conseil d'État, qui imposa
à tous les propriétaires des maisons du faubourg" une
taxe spéciale, dont le sixième (1) dut être supporté par
L'abbaye et les cinq autres sixièmes par les autres pro-
priétaires du faubourg. Au moyen de cet impôt extraor-
dinaire la Fabrique fut libérée de sa dette en douze
années; et un arrêt du Roi, en son Conseil, du 2i juillet
1700, la déchargea de toutes ses obligations envers ses
créanciers.
Mais afin d'éviter à l'avenir de semblables embarras,
le Roi défendit expressément, par une déclaration du
30 janvier 1690, à tous les marguilliers de fabriques,
paroisses ou Confréries, d'entreprendre aucun bâtiment
pour la construction ou l'agrandissement de leurs égli-
ses, sans y avoir été autorités par des Lettres patentes
qui ne seraient expédiées qu'après avoir pris l'avis des
archevêques, évèques et juges des lieux sur la nécessite
de ces nouveaux bâtiments.
Tous ces soucis, auxquels vint s'ajouter une maladie
(1) Les deux tiers de ce sixième furent mis à la charge de la mense ab-
batiale et le dernier tiers à celle de la mense conventuelle. Voir plus loin,
au chapitre XVIII : Finances, § 2, les détails que nous donnons sur cette
taxe.
M. DE LA BARMONDIÈRE (1678-1689). 13°
grave dont il fut atteint dans les derniers mois de cette
même année 1688, déterminèrent M. de la Barmondière
à se démettre de sa cure, le 7 février suivant, en faveur
de M. Baudrand, directeur du Séminaire et son assistant,
qui en prit possession quelques jours après.
M. de la Barmondière continua à demeurer à la Com-
munauté, édifiant ses confrères par sa régularité, sa
générosité envers les pauvres et son entière subordina-
tion à l'égard de son successeur, continuant à rendre à
la paroisse tous les services qui dépendaient de lui, et
ne s'absentant guère que pour se rendre dans les Sémi-
naires de province dont le supérieur général, M. Tronson,
le chargeait de faire la visite à sa place.
Ce fut à son retour d'une de ces visites, qu'il tomba
dangereusement malade au commencement de l'année
1694. Il se fit transporter à l'infirmerie du Séminaire où
il édifia tout le monde par sa foi vive, sa parfaite rési-
gnation et sa confiance toute filiale envers la Très Sainte
Vierge. Il y mourut, en odeur de sainteté, le 18 septem-
bre de cette même année, âgé de soixante-trois ans.
CHAPITRE VII
M. BAUDRAND (1 089-1696).
Sommaire: Sa naissance. — Premières années de sa vie sulpicienne. — Il as-
sure la prospérité des écoles de l'abbé de la Salle. — ><>n respect de l'ordre
établi par M. Olier pour l'administration de sa paroisse. — Mission de 1690. —
Translation d'une nouvelle relique de saint Sulpice. — Renouvellement et
bénédiction solennelle des cloches de l'église. — Substitution du rite pa-
risien au rite romain. — Opinion du cardinal Guibert sur ce changement. —
Une paralysie oblige M. Baudrand à résigner sa cure à M. île la Chétardye. —
Sa mort : ses ouvrages.
Né à Paris en 1637, M. Henri Baudrand était le fils de
M. Baudrand de la Combe, sieur de Montréal, d'une an-
cienne famille du Lyonnais. Il entra au Séminaire de
Saint-Sulpice le 6 janvier 1659, s'y distingua dans ses
études, et fut admis, en 1664, dans la Compagnie par
M. de Bretonvilliers. Après avoir pris le bonnet de doc-
teur en 1666, et avoir enseigné la théologie dans un des
Séminaires de province, il remplaça, en 1675, M. de Lan-
tage dans sa charge de supérieur de celui de Clermont.
Il y resta dix ans et fut alors rappelé à Paris pour y rem-
plir les fonctions de directeur du Séminaire, qu'il exerça
jusqu'au jour où sa grande réputation de lumières et de
vertus le désigna au choix du supérieur, M. Tronson, pour
la cure de Saint-Sulpice (1). Son premier soin fut d'assu-
(1) L'assemblée de 1681 l'avait nommé Assistant du supérieur général
et celle de 1682 lui conféra le titre de Consultent substitué, qui lui fut
maintenu parcelle de 1692.
M. BAUDRAND (168(.t-1696). 137
rer à l'abbé de la Salle le gouvernement paisible des écoles
de la paroisse, en congédiant sans éclat leur ancien di-
recteur, l'abbé Compagnon, prêtre de la Communauté,
auteur des Contradictions et des entraves auxquelles
M. de la Salle avait été en butte dans les derniers temps
de l'administration de son prédécesseur, et en lui procu-
rant la place de directeur des enfants de chœur de la
paroisse (1). A partir de ce moment ces écoles devinrent
florissantes et les élèves y affluèrent en tel nombre qu'il
fut obligé de leur en ouvrir une nouvelle, rue du Bac,
près du Pont Royal qui venait d'être livré à la circulation,
au commencement de l'année 1690.
En même temps il fit dresser un état de la paroisse,
qu'il lit imprimer en 1691 et qui indiquait exactement sa
situation lorsqu'il en prit possession, le nombre des prê-
tres et des établissements de piété qu'elle renfermait et
l'ordre établi pour son administration.
On y comptait plus de 300 ecclésiastiques : 80 à la
Communauté; 72 au grand Séminaire; 77 au petit ; 31 à
la communauté de M. de la Barmondière; 15 à celle de
l'abbé Chanciergue, autorisée peu après sous le nom de
Séminaire Saint-Louis. Il y avait en plus 7 couvents
d'hommes, 15 de religieuses; 3 hôpitaux, des maisons de
refuges; plusieurs communautés des deux sexes, dont les
unes étaient destinées à l'éducation gratuite des enfants,
et les autres offraient un asile aux personnes du monde
qui désiraient se livrer, dans la retraite, aux exercices de
piété ou au service du prochain (2).
L'ordre établi par M. Olier pour l'administration de la
paroisse était toujours religieusement observé, seulement
avec quelques modifications légères que le temps et l'ex-
(1) A. Ravelet, le Bienheureux J. B. de la Salle, p. 210 à 212.
(2) Mem. mss. sur les curés de Saint- Sulpice , 2" partie, art. Baudrand ,
p. 3.
13s HISTOIRE DE L'ÉGLISE SALNT-SULP1CE.
périence avaient imposées. La paroisse restait divisée en
huit quartiers; et chacun d'eux était placé sous la sur-
veillance de deux prêtres de la Communauté, qui de-
vaient rendre compte, chaque semaine, à M. le curé de
tout ce qui s'y passait.
L'administration des divers Sacrements était confiée à
plusieurs autres prêtres. D'autres encore étaient chargés
de la conduite des clercs de la paroisse, du soin des pri-
sonniers, de la surveillance des communautés.
Le Séminaire était spécialement chargé du soin des ca-
téchismes ordinaires qui étaient au nombre de 14 et occu-
paient 35 catéchistes, tant au dedans qu'en dehors de l'é-
glise. Il y avait en plus 10 catéchismes extraordinaires,
desservis par *20 catéchistes, et dont l'objet était de pré-
parer à la confirmation et à la première communion non
seulement les enfants mais aussi les adultes , comme les
domestiques, qui ne pouvaient pas assister aux catéchis-
mes ordinaires. Tous ces catéchismes étaient faits par des
prêtres du Séminaire, à l'exception de celui des servantes
réservé aux prêtres de la Communauté.
On continuait également à appliquer toutes les me-
sures si sages qu'avait prises M. Olier pour le soulagement
des pauvres et le règlement de leurs affaires, comme pour
la tenue des assemblées de charité qu'il avait instituées
à l'effet d'y pourvoir.
Non content de maintenir dans tous ses détails cette
belle organisation des divers services spirituels et tem-
porels de la paroisse, M. Baudrand, pour y ranimer l'es-
prit de foi et de piété, y fit donner, en 1690, une nouvelle
mission qui s'ouvrit le 5 février et ne se termina qu'à
Pâques; et les exercices en furent si bien distribués tant à
l'église que dans les chapelles qui en dépendaient, que
les personnes de toute condition purent y prendre part
et qu'elle produisit un notable renouvellement de fer-
veur parmi les fidèles.
M. MUDRAXD (1689-1696). 139
La même année, il reçut de l'archevêque de Bourges,
Mgl Phelipeaux de la Vrillière , un os du bras droit de
saint Sulpice , qui fut solennellement transféré dnns l'é-
glise, le 27 août. On y possédait déjà deux os du chef du
saint, donnés à la fabrique, en 1586, par l'abbé de Saint-
Sulpice de Bourges, et dont la fête de la translation se cé-
lébrait le même jour. A la demande de M. Baudrand, le
poète Santeuil, qui avait déjà composé les hymnes de
l'office de Saint-Sulpice , en composa deux autres à l'oc-
casion du don de cette nouvelle relique (1).
Deux ans après, en 1692, eut lieu le renouvellement
des cloches de l'église. Les anciennes, au nombre de
quatre (2). étaient toutes cassées. 91. Baudrand les fit des-
cendre du clocher, prescrivit leur refonte, pour qu'elles
pussent entrer dans la composition des nouvelles, et les
remplaça par quatre autres plus fortes, qu'il bénit solen-
nellement, le 15 juillet de cette année.
La première, du poids de i.000 livres et sur laquelle
furent gravées les paroles : congregabo ad Deum congre-
gatos ejus, eut pour parrain et marraine le prince de
Condé et la duchesse d'Alençon, qui lui donnèrent les
noms d'Élisabeth-Henriette;
La seconde, du poids de 2.800 livres et sur laquelle on
inscrivit ces mots : in Excèlsis sonitus lœtiliœ, fut appelée
Anne-Louise, par le duc de Bourbon, prince du sang, et
la princesse Palatine, ses parrain et marraine ;
La troisième, pesant 2.000 livres, fut nommée Mar-
guerite par ses parrain et marraine, M. Bignon , premier
(1) La mémoire de ces deux translations se célèbre chaque année, à Saint-
Sulpice, le quatrième dimanche de juillet.
(2) La première pesait 3.418 livres et avait été bénite, en 1614, par M. Le-
maire; la seconde pesait 2.560 livres et avait été bénite, en 1632, par M. de
Fiesque; la troisième, du poids de 1.918 livres, avait été bénite, en 1630,
par M. de Montereul; et la quatrième, du poids de 1.438 livres, avait été
bénite, en 1658, par M. de Poussé. Rem. hist.. t. I, p. 151.
140 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULP1CE.
président au Grand Conseil, et la duchesse de Luynes;
La quatrième, pesant 1.500 livres, reçut les noms de
Jeanne-Françoise , que lui donnèrent le chancelier Teyrat
et la marquise d'Aligre, ses parrain et marraine.
Deux autres y furent ajoutées en 1700, Tune du poids
de 1.200 livres, l'autre de 800, qui furent bénites par
M. de la Chétardye.
De cette même année 1692 encore, date un changement
considérable dans la célébration des offices de la paroisse.
Le 11 avril, jour de Quasimodo, le rite romain, en usage
jusque-là, fut remplacé par le rite parisien, tant pour
le rituel que pour le missel, d'après les ordres exprès de
l'archevêque de Paris, Mgr de Harlay, qui avait prescrit
cette substitution dès l'année 1680, mais qui avait ac-
cordé des délais successifs pour l'exécuter (1).
Quelles purent être alors les raisons de cette réforme
d'une liturgie, de temps immémorial en vigueur dans le
diocèse de Paris? C'était une époque, dit le cardinal Gui-
bert, dans son mandement du 1er novembre 1873 pour le
retour à la liturgie romaine , où déjà s'annonçait <• un
mouvement d'opinion qui conduisait à des innovations
" de tout genre. On suivit ce courant, sans trop se rendre
«compte des conséquences, et ainsi furent introduits
« dans les prières publiques des changements cjui sem-
(1) Le Séminaire cependant, n'étant pas un séminaire diocésain, continua
à suivie le rite romain, jusqu'en 1708 où M-' de Noailles l'obligea à pren-
dre le rite parisien. Il n'y eut plus que la Solitude qui conserva le rite ro-
main jusque la Révolution. La Solitude n'est pas seulement le Noviciat de
la Compagnie, mais encore, selon les vues de M. Olier, un lieu de retraite,
où les supérieurs et directeurs des différents Séminaires peuvent aller, de
temps en temps, passer quelques jours ou même quelques mois pour se re-
nouveler dans l'esprit de leur vocation. Gosselin, Vie de M. Emery. I, 8.
Au mois de juin 1739, on commença, dans la paroisse, à se servir pour
l'ollice public du nouveau Bréviaire et du nouveau Missel, pour se con-
former au mandement de l'archevêque, W de Vintimille. V. Gosselin, Vie
de M. Entery, t. I, p. 36, et Simon de Doncourt, Rem. hist., t. I, p. 158.
M. BAUDRAND (1689-1696). 141
« blaient répondre aux exigences d'un goût plus délicat ».
On se persuadait que cette innovation n'élait qu'une ré-
forme littéraire heureuse, et qui ne touchait à rien d'es-
sentiel dans les choses de la Foi. « Oui, sans doute, ajoute
(< l'émment cardinal, la Foi était sauvegardée; mais la
« prière publique se recommande par un autre mérite,
« celui d'être approuvée par l'autorité, qui doit tout ré-
« g'ier dans le culte divin. Or, l'Église romaine, mère et
« maîtresse de toutes les Églises, ainsi que l'appelle Bos-
« suet, ne reconnaissait pas le droit qu'on s'était attribué
« de modifier les prières canoniques et jugeait cette entre-
« prise comme un empiétement sur les pouvoirs du Saint-
ce Siège. » C'est donc, concluait le cardinal, faire acte
d'obéissance au Pape et donner une preuve d'attachement
à l'Église que de revenir à la Liturgie romaine; et il fai-
sait observer encore que cette Liturgie, « en nous faisant
« prier avec le vicaire de Jésus-Christ, nous associe plus
« expressément à la médiation du Pontife éternel et nous
« met aussi plus parfaitement en communauté de prières
« avec tous les fidèles qui sont sur la terre », et qu'en
même temps elle nous procure la satisfaction de penser
que « dans nos entretiens avec Dieu et dans la prière
« publique, nous exprimons notre adoration ou nos sup-
« plications, notre repentir ou nos actions de grâces avec
« les mêmes paroles qui passèrent sur les lèvres de tant
« de générations chrétiennes et que répétèrent pendant
« si longtemps les voûtes de nos vieilles églises ».
La paroisse Saint-Sulpice ne conserva pas longtemps
son excellent curé. Au commencement de 1(596, il fut
obligé de résigner ses fonctions, à la suite d'une violente
attaque de paralysie dont depuis longtemps déjà il res-
sentait les atteintes; et de concert avec M. Tronson, il
choisit pour son successeur M. de la Chétardye, alors curé
de la paroisse de Notre-Dame de Moutier-Moyen unie au
Séminaire de Bourges, et titulaire du prieuré de Saint-
142 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
Cosme-les-Tours, qu'il céda à M. Baudrand en échange de
sa cure de Saint-Sulpice.
Il vécut encore jusqu'en 1699, où une nouvelle attaque
l'emporta, le 19 octobre, à sa maison de campagne, près
de Beaune en Gâtinais. Il n'avait que soixante-deux ans.
Il reste de lui plusieurs ouvrages manuscrits :
1° Un mémoire sur la vie de M. Olier et sur le séminaire
de Saint-Sulpice, 80 pages in-4";
2° Une vie de M. de Breton villiers en 79 pages in-i°;
3° Le recueil des actes de la Faculté de Théologie de
Paris en ï volumes in-f°.
Ce recueil, qui renferme de précieux documents sur
l'histoire de la Faculté de Théologie de Paris et aussi sur
un grand nombre de faits relatifs à l'histoire de l'Église
de France depuis le milieu de xin° siècle jusqu'à la fin du
xvif, est d'autant plus précieux qu'un incendie a dé-
truit, dans le cours du xvne siècle, en 1670, une partie
des actes de cette Faculté, qui étaient conservés à la bi-
bliothèque de la Sorbonnc;
4° Un recueil de pièces sur la controverse relative à
l'Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge, à l'occa-
sion d'un sermon, prêché le 8 décembre 1672, par l'abbé
Marais, chanoine de Saint-Denis du Pas, dans la chapelle
du collège d'Harcourt où la Nation de Normandie, l'une
des quatre de la Faculté des Arts, célébrait avec beaucoup
de solennité la fête de la Conception de la Sainte Vierge.
500 pages, p' in-f°;
5° Et un mémoire sur les Devoirs des Evêques, in-f° de
2V0 p. conservé au Séminaire de Saint-Sulpice. Bertrand,
loc. cit., I, p. 119 à 123.
CHAPITRE VIII
M. DE LA CHÉTARDYE (1) (1696-171V
Sommaire : Ancienneté de sa Camille.— Son admission dans la Compagnie. —
Succès de son cours de morale et de ses conférences ecclésiastiques au Pu> .
Il est l'auteur du catéchisme de Bourges. — Son explication de l'Apocalypse :
en quoi elle dilfére de celle de Bossuet. — Bévision du règlement de la
communauté des prêtres de la paroisse. — M. de la Chétardye augmente le
nombre des écoles et des catéchismes. — Il crée une école dominicale de
garçons. — Il encourage les deux congrégations d'hommes et de femmes
fondées par l'abbé Deschamps sous la protection de la Sainte Vierge.
— Sa générosité envers les pauvres. — Confiance qu'il inspire au Cardinal de
Noailles. — Il devient directeur de conscience de Mma de Maintenon. — ses
rapports avec Louis Xiv. — son refus de l'évêclié de Poitiers. — Bien-
veillance que lui témoigne le pape Clément XI. — Sa mort. — Son testament.
M. Joachim Trotti de la Chétardye naquit, le 22 novem-
bre 1636, au château de la Chétardye, près d'Excideuil,
en Ang-oumois, d'une ancienne famille originaire d'Italie.
Entré au Séminaire de Saint-Sulpice le 24- décem-
bre 1657, il était déjà docteur en théologie quand il prit
en Sorbonne son premier et son seul titre de Bachelier.
Admis dans la Compagnie par M. de Bretonvilliers vers la
fin de 1663, il resta près de deux ans à la Solitude et fut
envoyé ensuite au Puy pour y enseigner la morale. Le
succès de son cours engagea Févêque, Mgr de Béthune, h
le charger de continuer les conférences ecclésiastiques,
établies quelques années auparavant par son prédéces-
(1) Nous écrivons son nom comme il le signait.
1,4 HISTOIRE DE LÉGL1SE SAINT-SULP1CE.
seur, M-1 de Maupas, et dirigées jusque-là par M. de Langa-
ges; et elles furent elles-mêmes si goûtées, qu'à la de-
mande de Sa Grandeur, il les publia en 1679 (1). 11 se lia
alors avec l'abbé Grousson, vicaire à Saint-Georges, et
prit avec lui une part active à l'établissement des Filles
de l'Instruction, qui fut formé en 1668 et renouvela en
peu de temps les mœurs de la ville.
Son zèle ne se limitait pas au diocèse du Puy. Pourvu
en commende du prieuré de Sain t-Cosme-les-Tours que lui
avait résigné son grand-oncle, M. de la Chétardye, con-
seiller-clerc au Parlement de Paris, il en employait tous
les revenus, d'au moins 2 à 3.000 livres, en aumônes, en
bourses pour de pauvres ecclésiastiques, ou en répara-
tions ou décorations d'églises dépendant de son béné-
fice. Souvent aussi, pendant ses vacances, il allait prè-
cber des missions ou des retraites dans le diocèse de
Bayeux, dont l'évèque, Mgr de Nesmond, était son cousin
germain.
Il quitta le Puy en 1679, pour aller à Bourges où
M. Tronson, qui venait d'accepter la direction du grand
Séminaire, l'adjoignit aux; directeurs de cette nouvelle
maison. Il y fut spécialement cbargé de la cure de Notre-
Dame de Moutier-Moyen , unie alors au séminaire, où ses
prônes du dimancbe attirèrent bientôt un nombreux au-
ditoire, et où il se distingua surtout comme catéchiste
dans ses instructions aux enfants. Frappé de son talent,
l'archevêque, Mgl de la Vrillière, l'invita à rédiger par
écrit ses catéchismes : ce fut là l'origine du Catéchisme de
Bourges, qu'il fit paraître pour la première fois en 1688,
et dont un mandement archiépiscopal, du 5 mai de la
(l) Pondant son séjour au Puy, il fit encore, pour l'édification de sa
sœur, Charlotte de la Chétardye, abbesse du couvent de Sainte-Claire, à
Clermont, une savante traduction, avec notes et remarques, de la vie
de sainte Thecle, la première martyre de son sexe, composée par saint
Basile de Séleucie. Mëm. mss., art. M. de la Chtlardye, p. 106.
M. DE LA CHÉTARDVE (1696-1714). 145
même année, prescrivit l'usage exclusif clans son diocèse.
Le prélat aurait bien désiré s'attacher un prêtre d'un
aussi haut mérite; et dans cet espoir, il lui offrit le
doyenné de sa cathédrale; mais M. de la Chétardye le
refusa pour demeurer fidèle à sa vocation d'éducateur
du clergé.
Tous les dimanches et fêtes également, pendant quatre
mois de l'année, il faisait les catéchismes de tonsure, en-
tretiens ecclésiastiques destinés aux jeunes gens qui se
disposaient à recevoir la tonsure. 11 les imprima à Bour-
ges sous le titre de : Instruction sur la tonsure, à l'usage
des Ordinands. 11 fut même chargé d'un cours de morale,
dont l'objet principal était la matière des sacrements, et
dont les leçons formèrent un abrégé de théologie morale
qu'il publia en 1691, par ordre de l'archevêque, sous le
titre de : Compendia quorumdam tractatuum moralium :
ouvrage précieux pour les jeunes prêtres qui, n'ayant
pas soit le temps, soit le moyen de lire des ouvrages plus
étendus, désirent cependant entretenir les connaissances
qu'ils ont acquises au Séminaire sur cette matière difficile.
La même année, il livra encore au public son Explica*
lion de l'Apocalypse par l'histoire ecclésiastique, destinée
spécialement aux nouveaux convertis du diocèse de Bour-
ges, dans le but d'opposer une explication plausible de
l'Apocalypse aux systèmes protestants qui appliquent au
Pape et à l'Église romaine ce qui est dit dans ce livre de
l'Antéchrist et de Borne idolâtre.
Déjà, deux ans auparavant, Bossuet avait publié, clans
le même but, une étude sur l'Apocalypse dont les prédic-
tions lui semblaient avoir pour objet prochain la chute
de l'idolâtrie et la destruction de Borne païenne, sans
qu'il contestât cependant qu'elles pussent avoir aussi un
objet plus éloigné, la chute de l'Antéchrist et la destruc-
tion de son empire à la fin des temps. Le livre de M. de
la Chétardye étend bien davantage l'objet direct et le sens
ÉCLISE SAINT-SLLPICE. 10
146 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
littéral de l'Apocalypse; il y trouve l'histoire entière de
l'Église depuis son origine jusqu'à la fin du monde; et
selon lui, les sept sceaux désignent les sept âges de
l'Église avec les événements qui caractérisent chacun
d'eux.
Malgré la grande autorité de Bossuet, cette explication
de l'Apocalypse par M. de la Chétardye, quelque diffé-
rente qu'elle fût de la sienne , fut très bien accueillie du
public. Un savant prélat anglais, Charles Walmesley, l'a-
dopta, à la fin du xvinc siècle, dans son Histoire générale
de l'Église chrétienne tirée principalement de l 'Apoca-
lypse, qu'il publia sous le nom de Pastorini et qui fut
traduite en français par Jacques 'Wilson, religieux béné-
dictin de la congrégation de Saint-Maur; et M. Garnier, le
dixième supérieur de la Compagnie de Saint-Sulpice, si
connu par ses profondes études sur l'Écriture Sainte, in-
clina longtemps à préférer l'explication de M. de la Ché-
tardye à celle de Bossuet qu'il n'adopta que dans sa
vieillesse.
C'est au milieu de ces savants travaux, que M. de la
Chétardye fut appelé à la cure de Saint-Sulpice, dont il
prit possession, le 13 février 169G. D'une taille élevée,
beau de visage et distingué de manières, il ne tarda pas à
gagner l'affection de sa* paroisse par son affabilité, sa
droiture et sa bonté.
Son premier soin fut de revoir avec M. Leschassier et de
compléter le Règlement de la Communauté de ses prêtres,
dont il exigea ensuite la stricte application, donnant
l'exemple de l'assiduité aux exercices communs et ne
manquant jamais ni à l'oraison du matin, à laquelle il
arrivait toujours le premier, ni aux exercices de la retraite
de huit jours, à la fin d'octobre.
A partir du dimanche de la Septuagésime, le premier
qui suivit son installation , il se fit un devoir, chaque di-
manche et fête, de célébrer la première grand'messe et
M. DE LA CHÉTARDYE (1696-1714). 147
de faire ensuite le prône , et il ne s'en exempta plus que
pendant ses vacances (1).
Les divers états de la paroisse, imprimés en 1697 et
en 1698, montrent sa vigilance à développer toutes les
œuvres établies par ses prédécesseurs, dont l'accroisse-
ment de la population du faubourg appelait l'extension :
Il multiplia les écoles qu'il porta au nombre de 12, dont
k de garçons, tenues par les Frères des Écoles chrétien-
nes, et renfermant li classes (2) avec 1.100 élèves; et 8 de
filles tenues par différentes communautés, spécialement
par les filles du Père Barré, par celles de Sainte-Thècle (3)
(1) Les prônes de M. de la Chétardye consistaient d'ordinaire dans une
homélie sur l'Épitre on l'Évangile du jour, dont il donnait une explication
simple et familière et où il excellait à tirer les réflexions morales, les plus
appropriées aux besoins de ses auditeurs, du sens naturel des paroles et des
exemples du Fils de Dieu.
Il a publié lui-même, dans les derniers temps de sa vie , le Recueil de ses
homélies, qui se compose de 42 homélies françaises et de 75 homélies la-
tines. Bertrand, loc cit., t. I, p. 194 à 200.
« Il avait la coutume, dit encore M. l'abbé Bertrand [ibid., p. 195), d'é-
crire en latin les homélies qu'il devait ensuite prononcer en français,
l'expérience lui ayant appris, comme il le dit lui-même dans sa préface, que
par ce moyen elles se gravaient plus aisément dans sa mémoire. Plusieurs
célèbres sermonnaires de son temps faisaient de même : tel le P. de Lin-
gendes...; tel aussi Bossuet, au témoignage de l'abbé Ledieu. »
(2) Les quatre écoles des frères étaient celles de :
1° La communauté de Saint-Cassien, rue de Vaugirard 1 classe.
2° Rue Princesse 5
3° Rue Saint-Placide 5
4° Rue de Bourbon, près le Pont Royal 3
14
Et le traitement de chaque frère, que M. de la Barmondière avait fixé à
250 1., fut porté à 300 1. par M. de la Chétardye.
(3) Cette communauté, établie, en 1676, par un prêtre de la Communauté,
M. de Mony, dirigeait quatre écoles gratuites et un pensionnat payant sur
la paroisse. Elle recevait aussi les femmes de chambre et autres domestiques
qui attendaient pour entrer en place, et les formait à la piété et au travail.
Rem. hist., t. I, p. 80, en note.
148
HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
et de l'Annonciation et renfermant 19 classes (1) avec
900 élèves.
Ces diverses écoles comptaient ensemble plus de 2.000
élèves, auxquels on faisait des aumônes considérables en
leur distribuant, tous les jours, du potage à diner et du
pain à souper, sans parler des aumônes extraordinaires
accordées aux plus pauvres, surtout en cas de maladie.
Dans toutes, on leur enseignait le catéchisme, la lecture,
l'écriture, le calcul; et, en outre, on les initiait à divers
travaux manuels, selon leur sexe et leurs aptitudes, pour
les mettre à même de gagner plus tard et honnêtement
leur vie.
Chacune d'elles était visitée, toutes les semaines, par
des ecclésiastiques ou des dames de charité , qui devaient
rendre compte de leurs visites à M. de la Chétardye; et,
tous les mois, il les réunissait chez lui avec les maîtres et
maîtresses- qu'ils avaient inspectés, pour concerter en-
semble les améliorations dont le régime de leurs écoles
était susceptible.
Il compléta cette grande œuvre scolaire parla création,
(1) Les huit écoles de filles étaient celles de :
1° La communauté des filles de l'Instruction, rue du Gindre. .. 3 classes
2° La communauté des filles de Saint-Thomas de Villeneuve,
rue de Grenelle 3
3° La communauté des filles de Sainte-Thècle, rue de Vau-
girard 4
4° La communauté des filles des Écoles chrétiennes de l'Eu-
fant-Jésus, rue Saint-Dominique, à Saint-Joseph 2
5° La communauté des filles des Ecoles chrétiennes de l'En-
fant- Jésus, rue Saint-Placide 2
G0 La communauté des filles des Écoles chrétiennes de l'En-
fant-Jésus, à la Grenouillère 2
7» La communauté des filles des Écoles chrétiennes de l'En-
fant-Jésus , rue de Sèvres 2
8° La communauté des filles de l'Annonciation, rue du
Cherche-Midi - 1
19
M. DE LA CHETARDYE (1696-1714). 140
en 1699, d'une Ecole dominicale qu'il confia aux plus ha-
biles des Frères de M. de la Salle et dans laquelle, chaque
dimanche et fête, il réunissait les apprentis et les jeunes
ouvriers âgés de moins de vingt et un ans. Après la
messe, trois heures y étaient consacrées, le matin, à leur
donner des leçons d'abord d'orthographe et de calcul,
puis de géométrie, d'architecture et de dessin; et, l'a-
près-midi, à leur faire le catéchisme et une exhortation.
En peu de temps cette école devint florissante; les
jeunes gens goûtaient beaucoup son enseignement spé-
cial; mais elle excita les ombrages des maîtres d'écriture,
qui intentèrent un procès à MM. de la Chétardye et de la
Salle et les obligèrent à la fermer en 1705. Ils la rouvri-
rent bientôt après, le soir des jours ouvrables, sous le
titre d 'École gratuite de dessin; mais elle leur suscita, à
son tour, de telles difficultés, qu'ils durent la supprimer.
Néanmoins, c'est l'honneur de l'Église d'avoir inauguré
ainsi en faveur des ouvriers, par l'initiative de M. de la
Chétardye et l'intelligent concours de l'abbé de la Salle,
cet enseignement si utile des arts du dessin appliqués à
l'industrie (1).
Il multiplia également les catéchismes, surtout ceux des
divers quartiers de la paroisse, et en éleva le nombre total
de 14- à 19. Ces catéchismes étaient confiés aux élèves du
Séminaire sous la conduite d'un de leurs Directeurs. Il
les inspectait souvent, interrogeant les élèves, leur don-
nant des explications et des récompenses, et excitant
ainsi leur émulation en même temps qu'il stimulait l'ap-
(1) Indépendamment de ces diverses écoles de charité, créées en faveur des
enfants des pauvres, M. de la Chétardye détermina encore M. de la Salle à
ouvrir, dans sa maison, un pensionnat destiné à donner une éducation plus
relevée aux fils des familles nobles et spécialement des enfants des sei-
gneurs, anglais et irlandais, qui avaient suivi Jacques II dans son exil en
France, où Louis XIV lui accordait , au château de Saint-Germain, uns hos-
pitalité fastueuse. A. Ravelet, loc. cit., p. 253.
150 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
plication de leurs maîtres, en leur imposant le pro-
gramme de son catéchisme de Bourges, qu'il réédita
plusieurs fois à leur usage.
Tout en répandant dans sa paroisse l'instruction reli-
gieuse , primaire et professionnelle , il sut y développer
aussi l'esprit de foi et de piété, en encourageant les nou-
velles congrégations d'hommes et de femmes qu'un neveu
de M. Baudrand, M. Deschamps, l'un des prêtres les plus
zélés de la Communauté, avait établies, de 1700 à 1702,
en l'honneur et sous la protection de la Très Sainte Vierge,
refuge et avocate des pécheurs.
Cet homme de Dieu avait commencé par réunir huit ou
dix hommes, marchands ou artisans du quartier dont il
avait la surveillance, dans une des chapelles de Saint-
Sulpice , leur disant la messe et leur faisant une instruc-
tion, tous les dimanches, et ne manquant jamais de les
exciter à devenir de pieux enfants et de tidèles serviteurs
de Marie. Peu à peu, il eut le bonheur de voir leur nom-
bre s'accroître et bientôt même s'élever jusqu'à trois
cents, qui tous étaient heureux de s'associer ainsi et de
venir réclamer ensemble le secours de cette bonne Mère
pour obtenir de son divin Fils le pardon de leurs péchés et
le changement de leur vie.
Ce succès l'enhardit à prier la Sainte Vierge de l'aider
à former une congrégation semblable de filles; il l'entre-
prit sans tarder; et dès l'année 1702, elle était aussi nom-
breuse que celle des hommes.
En peu de temps, ces deux congrégations devinrent
un grand sujet d'édification pour la paroisse. Placées
sous la protection de la Sainte Vierge : celle des hom-
mes dans son Immaculée Conception et celle des filles
dans son Annonciation , elles virent souvent leur filiale
dévotion envers l'auguste Keine du ciel récompensée par
d'éclatantes conversions parmi leurs membres. Elles se
réunissaient tous les dimanches, d'abord alternativement,
i
M. DE LA CHETARDYE (1006-1714). 151
ensuite simultanément; et elles assistaient, sous leurs
bannières respectives , aux processions du Saint-Sacre-
ment et de la Fête-Dieu. Chacune d'elles avait sa retraite
à Noël et faisait célébrer des services pour ses associés
défunts. Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris,
les approuva toutes deux, et le pape Clément XI leur
accorda, en 1706, des indulgences particulières. Plus
tard, la congrégation des hommes forma, parmi ses
membres, une association d'Assistance mutuelle, qui fut
approuvée, en 1772, par W* de Beau mont, archevêque
de Paris.
A cette sollicitude incessante de M. de la Chétardye
pour le salut des Ames qui lui étaient confiées, s'en ajou-
tait pour lui une plus grande encore, celle de toutes les
misères qui l'entouraient. Dès 1697, il comptait plus de
quinze mille pauvres à sa charge, et leur nombre s'accrut
d'année en année, par suite du chômage du travail et de
la cherté du pain. Pour procurer des secours à cette foule
d'indigents : pauvres malades, prisonniers, pauvres hon-
teux, enfants délaissés, il multiplia les assemblées de
charité et les appels à la piété; et, chaque hiver, il fit dis-
tribuer de fréquentes annonces ou prospectus , indiquant
en détail le nombre et les besoins des pauvres, les som-
mes dont il disposait, celles qui lui étaient nécessaires, et
invitant les fidèles à lui venir en aide par des aumônes,
en deniers ou en nature et par des dispositions testamen-
taires. Dans cette année si malheureuse de 1709, où la ri-
gueur de l'hiver se joignit aux calamités de la guerre, il
fit preuve d'une admirable charité. Après avoir épuisé
toutes ses ressources personnelles et celles de ses prêtres,
il s'entendit avec eux pour vendre tous ceux de leurs
meubles qui ne leur étaient pas strictement nécessaires;
et ils se réduisirent à une telle gène que le Séminaire fut
obligé de pourvoir, pendant plusieurs mois, à leur nour-
riture et à leur entretien. Son désintéressement, du reste,
152 HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SULP1CE.
était sans bornes : Les religieuses du Val-de-Gràce , dont il
était le supérieur, avaient été forcées de lui emprunter
une somme considérable; lorsqu'elles la lui remboursè-
rent, il la fit distribuer tout entière aux pauvres (1).
Une telle générosité ne pouvait manquer d'être com-
municative. Aussi trouva-t-il un appui pécuniaire et des
secours considérables parmi ses paroissiens, qui étaient
heureux de lui témoigner ainsi la vénération qu'il leur
inspirait.
Cette considération, d'ailleurs, était générale. Le car-
dinal de Xoailles, quoiqu'il le sût opposé à ses opinions
gallicanes, l'entourait d'égards; dès l'année 1G96, il l'a-
vait chargé, de concert avec M. Tronson , d'obtenir de
,Mme Guyon la rétractation de toutes les erreurs contenues
dans ses écrils; et plus tard, après qu'il y eut réussi, il
lui confia la conduite de plusieurs communautés reli-
gieuses, entre autres des Carmélites de la rue de Gre-
nelle; des Récollettes de la rue du Bac; des Bénédictines
du Val-de-Gràce et des religieuses de la Visitation de la
rue Saint-Jacques et de Chaillot (2).
(1) Rem. hist., t. I, p. 80.
(2) Une lettre de M. de la Chétardye. qui lui fait honneur, est celle qu'il
écrivit, le 26 juin 1711, au cardinal de N'oailles pour le prier de condamner
publiquement le livre des Réflexions morales sur le Nouveau Testament.,
de Quesnel, le chef du parti janséniste. Ce livre, fort à la mode et qui
avait été l'objet d'une approbation imprudente de la part du prélat, quand
il était encore évêque de Cbàlons, avait élé condamné depuis lors par le
pape Clément XI, le 13 juillet 1708. (La bulle Unigeniius du même Pape,
publiée le 8 septembre 1713, ne fit que confirmer, en la précisant , cette
première condamnation pontificale.) Nous donnons ici le texte de cette lettre
dont nous devons la connaissance à l'extrême obligeance de M. Levesque, le
savant bibliothécaire du Séminaire de Sainl-Sulpice, qui l'a trouvée à la Bi-
bliothèque nationale : Mss. f. français, n° 23.183 :
« La confiance don! vous m'honorez, Monseigneur, et mon sincère attache-
« ment pour vos intérêts, me donnent la hardiesse d'écrire cette lettre à
« Voslre Éminence. Je vous dirai, Monseigneur, que rempli des tristes idées
« que me cause l'ail'aire qu'on vous a suscitée et dont je vois les suites fas-
« cheuses, et priant tel que je suis pour vous, Monseigneur, il m'est venu
M. DE LA CHETARDYE 169G-171V. 153
Les cardinaux d'Eslréés et de Janson l'honoraient de
leur amitié; et ce dernier voulut être assisté par lui, à ses
derniers moments.
Le premier Président du Parlement de Paris, M. de
Harlay, l'appela également à son lit de mort. La princesse
de Condé et la princesse de Conti l'avaient choisi pour
leur directeur. Mme de Maintenon le consultait souvent
sur des affaires importantes, et en 1709, elle lui confia
la direction de sa conscience, à la mort de l'évèque de
Chartres, Mgr Godet-Desmarais (1).
« tout d'un coup dans l'esprit de vous mander que vous feriez bien de con-
« damner solennellement Quesnel; que ce seroit un acte héroïque de vertu
« pour vous, que peut estre vostre salut estoit-il attaché à celte huinilia-
« tion dont je vois la grandeur, et que je ne vous avois pas jusques ici
« conseillée; que cette condamnation édifieroit toute l'Église; qu'elle cou-
« vriroit de confusion ceux qui ont voulu faire soupçonner vostre fov. et
« leur aprendroit à cux-mesmes à s'humilier et à se soumettre, que rien
« ne seroit plus glorieux pour vous; que vous apaiseriez entièrement le
« schisme qui va s'élever, que le Pape et le lloy en seroient plus touchez
« que personne, et reprendraient un cœur nouveau pour vous; que vous
« devriez fouler aux pieds toute considération humaine, et n'écouter là-
« dessus aucun autre conseiller que vostre conscience, nullement le main-
te tien d'une autorité mal entendue en cette occasion, que vous devez mon-
« trer plus de vertu que de fermeté, s'agissant bien moins icy de soutenir
« les droits de l'Episcopat que ceux de vostre propre gloire; songez-y,
« Monseigneur, de peur que vous ne répondiez pas aux desseins de Dieu
« sur vous, ce qui est toujours suivi d'une diminution de grâces, et d'une
« soustraction de secours; enfin qu'une semblable victoire sur vous-mesme
« vous attirerait des bénédictions infinies, que vous mettriez Dieu de vostre
« côté et qu'il prendrait vostre défense en main. Excusez. Monseigneur.
« la liberté de celuy qui croirait se rendre responsable à Dieu, s'il ne vous
« exposoit ce qui luy est venu dans l'esprit.
« Joach. T. de la Chétardye, curé de Saint-Sulpice. »
(1) Dans la préface dont il a fait précéder les quarante lettres inédites
de Mme de Maintenon à M. le curé Languet de Gergy, son dernier confes-
seur, qu'il a publiées dans le Correspondant du 1er décembre 1859, p. Cil
à 69'2, M. Foisset explique ainsi comment elle avait été amenée à choisir
au même litre M. de la Chétard\e, son prédécesseur :
« M"'c de Maintenon, dit-il, était toute sulpicienne. Elle avait fait de
« l'évèque Godet des Marais l'unique dépositaire de son coeur et de son
« âme; et ce Prélat n'avait de passion que pour Dieu et pour la Commu-
[51 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
Louis XIV lui-même, frappé de la sagesse et de la recti-
tude de son jugement, se plaisait à l'appeler dans son
cabinet et à converser avec lui. En 1702, il le nomma à
l'évêché de Poitiers, vacant par la mort de Msr de Gérard.
« J'ai soixante-six raisons de décliner l'honneur que
Sa Majesté veut me faire, répondit le pieux curé au
chambellan qui venait le lui annoncer de sa part : car, à
soixante-six ans, je suis hors d'état d'être évèque (1). »
Le Roi, loin d'être froissé de son refus, n'en conçut
qu'une plus haute estime de son mérite. Il parait même
qu'il songea à le prendre pour confesseur en 1709, à la
mort du P. de la Chaise, et qu'il ne choisit le Père
Letellier que lorsque M. de la Chétardye lui eut fait ré-
pondre qu'il lui était impossible de quitter sa paroisse. Et
lorsqu'il eut la douleur de perdre le Dauphin et le duc de
Bourgogne, il n'admit auprès de lui que le curé de
Saint-Sulpice, avec lequel il resta enfermé plus de deux
heures dans son cabinet.
La réputation de M. de la Chétardye s'étendit jusqu'à
Home où le pape Clément XI lui donna, lui aussi, des
marques particulières de sa bienveillance dans les deux
brefs qu'il lui adressa, le 19 juin 1713 et le 15 mai 171i,
pour le remercier de l'envoi de ses ouvrages qu'il avait
manifesté le désir de connaître et de lire (2). Dans le
« nauté de Saint-Sulpice dont il était l'élève. Lui mort, Mme de Maintenon
« se partagea entre deux hommes, qu'il lui avait recommandés entre tous :
« Bissy. évêque de Meaux, et La Chétardye, curé de Saint-Sulpice. »
(1) Sa nomination à l'évêché de Poitiers lui avait fait concevoir une
grande dévotion pour saint Hilaire. dont le corps reposait dans l'église
collégiale de Saint-Georges, unie au Séminaire du Puy. Afin de la satisfaire,
il demanda une relique de ce grand saint aux Directeurs de ce séminaire,
qui s'empressèrent de lui envoyer un os de son bras. Il ne voulut pas la
garder à Saint-Sulpice, mais l'offrit à l'église paroissiale de Saint-Hilaire,
à Paris, et l'y transféra solennellement, le 12 janvier 1706.
(2) Le Pape, à qui on avait signalé surtout ses homélies et son caté-
chisme, avait chargé son ministre d'État, le cardinal Paulucci, de les lui
M. DE LA CHETARDYE 1096-171 i . 155
second de ces brefs, Sa Sainteté le félicite, dans les termes
les plus flatteurs, du mérite de ses ouvrages et de la
solidité de la doctrine qu'ils contiennent, mais surtout de
son zèle pour le ministère pastoral et pour l'instruction
religieuse des enfants. « Nous avons reçu vos livres avec
« une joie extrême, lui écrit Clément XI, soit parce
« qu'ils nous viennent de vous, que nous aimons cordia-
« lement et que nous estimons d'une manière toute par-
« ticulière, soit parce que vous en êtes l'auteur et qu'ils
« sont à nos yeux des marques sensibles de votre piété,
« de votre doctrine et du soin continuel que vous avez
« d'expliquer au peuple qui vous est confié les saintes
« vérités de la foi et la doctrine du salut et de lui inspi-
« rer l'amour et l'observation de la Loi du Seigneur.
« Mais ce qui nous console surtout, c'est de voir que vous
« vous appliquez avec tant de zèle et d'assiduité à cn-
« seigner aux enfants, les éléments de la foi, ce qui est
« en effet le devoir principal d'un pasteur des âmes.
« Nous souhaitons de tout notre cœur que vous continuiez
« d'apporter vos soins, comme vous l'avez fait jusqu'ici,
<( à une œuvre si sainte et si salutaire, qui est le fonde-
« ment de la piété chrétienne et à laquelle, comme vous
o l'avez appris, nous avons coutume de nous appliquer
« nous-même, pendant notre séjour à la campagne. Soyez,
« au reste, bien persuadé, notre cher Fils, qu'il n'y a
« pas de marques d'affection ni de bienveillance que nous
« ne croyions être dues à vos vertus et à vos saints tra-
« vaux. En attendant nous vous dormons, avec affection,
h notre bénédiction apostolique. »
Un tel éloge était la plus belle récompense que M. de
faire demander par son nonce auprès de la cour de France, W Benli-
voglio; et il le remercia de leur envoi par son premier bref, du 19 juin
1710. Mais leur lecture lui fut si agréable, qu'il exprima le désir d'avoir
tous ses autres ouvrages; et c'est après les avoir reçus, qu'il lui adressa son
second bref, du 15 mai 1714.
156 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
la Chétardye pût attendre, ici-bas, de sa vie toute sacerdo-
tale. Malheureusement il ne lui fut pas donné d'en jouir.
Il venait de recevoir les derniers sacrements et de se dé-
mettre de sa cure entre les mains du cardinal d'Estrées,
abbé de Saint-Germain des Prés, au profit de son vicaire,
M. Languet de Gergy, lorsque, le 19 juin, le Nonce vint
lui apporter ce dernier Bref du Pape, en lui disant qu'il
« était conçu en termes si affectueux et si obligeants,
« qu'il n'en employait pas d'autres dans ses lettres aux
« cardinaux et aux souverains ». M. de la Chétardye n'eut
pas la force de le lire ; mais il le baisa , l'appliqua sur
ses yeux et sur son cœur, et le garda sur lui jusqu'à son
dernier soupir, en signe de respect pour le Saint-Siège et
de reconnaissance pour les bontés du Saint-Père. Il s'étei-
gnit le 29 juin 171i, en la fête de saint Pierre et de saint
Paul, comme si ces deux grands Apôtres avaient voulu
présider à la mort d'un Pasteur qui, toute sa vie, avait été
inviolablement attaché au Saint-Siège. Il était âgé de
soixante-dix-sept ans (1),
Son testament, qui porte la date du 24 avril 1712,
révèle la beauté de son àme et sa profonde humilité.
« Je déclare, dit-il, vouloir vivre et mourir dans le sein
« et la loi de l'Église catholique, apostolique et romaine.
« Je remercie Dieu des innombrables bienfaits que j'ai
« reçus de sa bonté pendant tout le cours de ma vie. Je lui
« demande pardon du mauvais usage que j'en ai fait et
« des péchés infinis dont je suis coupable envers sa
« Divine Majesté, le priant de me les remettre par les
« mérites de son Fils bien-aimé, Jésus-Christ, Notre-Sei-
« gneur, et du sang précieux qu'il a versé pour tout le
« genre humain...
« Je ne mérite pas d'être inhumé dans le caveau de
(1) Menu mss. sur les cures de Saint-Sulpiee, art. de la Chétardye,
p. 97.
M. DE LA CHÈTARDYE (1696-1714). 157
« MM. les prêtres et autres ecclésiastiques du Séminaire
« de Saint-Sulpice, que j'ai toujours regardés comme des
« saints. Je suis très lâché de n'avoir pas profité de l'édu-
« cation chrétienne et ecclésiastique que j'ai reçue chez
« eux. Je les révère comme des vrais serviteurs de Dieu.
« Je prie mon exécuteur testamentaire de faire mettre
h mon cœur dans un vase de plomb et de l'inhumer à
« leurs pieds, voulant y être pour rendre hommage à
« leur sainteté et pour y avoir cette situation humble . en
« réparation des fautes que j'ai commises en leur Com-
« pagnie et qui sans doute les ont mal édifiés et contristés.
« J'espère qu'ils m'admettront par grâce clans leur Com-
te pagnie, où je ne mérite tout au plus que le dernier lieu.
« Pour mon corps, je me tiendrai heureux d'être
« inhumé au cimetière, près la communauté de MM. nos
« prêtres et confrères, aux prières et sacrifices desquels
« je me recommande, autant que Dieu le leur inspirera.
« Je déclare n'avoir ni or, ni argent qui m'appartienne
« en propre... et que ce qu'on en pourra trouver, à ma
« mort, est un dépôt que Messieurs et Daines de la paroisse
« m'ont mis entre les mains pour le dépenser aux besoins
« des pauvres et au maintien des bonnes œuvres de la
« paroisse; et par conséquent, il faut le remettre aux
« assemblées de charité...
« Telles sont mes dernières dispositions au sortir de ce
« monde, où je quitte tout sans regret, excepté l'Église
« de Jésus-Christ, fondée sur les mérites et les miséricordes
« infinis de Dieu. Je ne crains pas la mort, comprenant
« bien qu'un homme, éclairé sur la religion, doit haïr la
« vie d'Adam et soupirer après la vie de Jésus-Christ.
« Ainsi, je m'en vais, mais je reviendrai; je m'endors,
« mais je me réveillerai; je meurs, mais je ressusciterai.
« J'en porte la douce espérance dans mon sein; et j'entre
a dans le tombeau, attendant la résurrection des. morts et
« la vie du siècle à venir. Ainsi soit-il. »
15S HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SL'LPIOE.
En présence d'une telle vie, on constate sans surprise,
par les écrits du temps, qu'à peine M. de la Chétardye
avait disparu, il n'y eut qu'une voix dans le public,
parmi ses ennemis non moins que parmi ses amis, pour
proclamer sa sainteté. Mme de Maintenon, en parlant de
lui dans ses lettres à M. Languet, ne l'appelle que « votre
saint prédécesseur ». Saint-Simon, qui le détestait comme
sulpicien, comme adversaire des jansénistes et comme
guide spirituel de l'épouse de Louis XIV. ne peut s'em-
pêcher, dans ses Mémoires (1), tout en le traitant « du
plus imbécile et du plus ignorant des hommes », de re-
connaître que c'était un fort saint prêtre. Et Montes-
quieu, malgré son dédain des théologiens, dont la science
ne lui semblait qu'« un fratras d'obscurités », dit de lui,
dans ses notes de voyages 1 2) : « ce La Chétardye était un
petit esprit, mais un saint, et ne voulut jamais être car-
dinal, mais mourir curé ».
Un beau portrait de M. de la Chétardye, conservé dans
sa famille, au château d'Excideuil sur Vienne, jusqu'à la
Révolution, orne aujourd'hui, au Séminaire d'Issy, la
chambre du supérieur général de la Compagnie, M. Cap-
tier, qui l'a reçu en don du supérieur du grand Sémi-
naire d'Angers, M. Letourneau 3 .
(1) Mémoires de Saint-Simon, Paris, 1858, in-8°, t. VII, p. 405-406.
(2) Voyages de Montesquieu, publiés par le baron Albert de Montes-
quieu. Bordeaux, 189G, in-4°, t. II, p. 42, 43.
(3) Bertrand, toc. cit., t. I, p. 179.
CHAPITRE IX
M. LA1\GUET DE GERGY. 17H-1748.
Sommaire : Sa naissance; sa famille; ses talents et son amour des pauvres.
— M. de la Chétardye le choisit pour son vicaire. — Sa candidature à la
coadjutorerie de l'évêque de Québec. — Sa nomination à la cure de Saint-
Sulpice. — Son admission exceptionnelle dans la Compagnie; son refus du
titre d'Assistant. — Rares qualités qu'il déploie dans ses fondions curiales;
sa fermeté dans l'application des régies de l'Église. — Sa conduite au lit de
mort de la duchesse de Iierry et au décès d'Adrienne Lecouvreur. — Ses
rapports avec Mme de Maintenon. — il débarrasse la paroisse des convul-
sionnaires. — Il rétablit l'office canonial et crée la confrérie de l'amende
honorable au Saint-Sacrement. — OEuvre des jeunes soldats. — Création de
l'église succursale du Gros-Caillou. — M. Languet fonde l'établissement de
V Enfant-Jésus. — Il y installe une Manufacture de mousseline, dont il est
l'inventeur. — Lettres patentes en faveur de la Manufacture royale de Saint-
Sulpice; condition à laquelle il accepte ce privilège. — Il achève la nou-
velle église sur les plans d'Oppcnort. — Énormes sacrifices qu'elle lui im-
pose. — Loterie spéciale, autorisée par arrêt du Conseil d'État. — Autres
ressources qu'il sait se procurer. — Il embellit la chapelle de la Sainte
Vierge. — Il autorise l'établissement du Gnomon. — Cérémonie de la con-
sécration de la nouvelle église. — il en envoie la relation au roi de Prusse.
— Réponse de Frédéric II. — Il consacre une chapelle spéciale au Sacré-
Cœur de Notre-Seigneur et institue l'adoration perpétuelle du Sacré-Cœur.
— il résigne sa cure à son vicaire, M. Dulau. — Sa mort; son mausolée.
Fils de M. Denis Languet, procureur général au Parle-
ment de Dijon, M. Jean-Baptiste Languet de Gergy naquit
en cette ville, le 6 juin 1675. Après y avoir fait ses pre-
mières études chez les Jésuites, il entra au petit séminaire
de Saint-Sulpice, le 26 novembre 1691, avec son frère
puîné, Jean-Joseph, le futur archevêque de Sens, fit
sa licence avec distinction et, après avoir été ordonné
prêtre à Vienne , en Dauphiné , revint à Paris prendre le
160 I1ISTOIKE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
bonnet de docteur en Sorbonne, le 15 janvier 1703. Il
entra alors dans la Communauté des prêtres de Saint-
Sulpice où ses talents et son amour des pauvres en faveur
desquels il vendit tout son patrimoine, le signalèrent à
l'attention de M. de la Chétardye qui le choisit, en 1704,
pour son vicaire.
L'année suivante, l'évèque de Québec, Mgr de Saint-
Yallier, qu'il avait désiré accompagner à son départ
pour le Canada, et qui appréciait son rare mérite, le
demanda avec instance au Roi comme coadjuteur, lors-
qu'il eut été fait prisonnier par les Anglais et conduit à
Londres. Son zèle pour les missions l'eût porté à accepter,
mais la faiblesse de sa santé l'en empêcha; d'ailleurs le
Roi n'était pas disposé à se prêter au désir du prélat,
qu'il eût préféré voir donner sa démission en faveur de
M-1' de Laval, l'ancien évèque de Québec, qui y rési-
dait 1 .
Quoi qu'il en fût, l'attachement de M. Languet à son
curé lui avait fait renoncer depuis longtemps à la mis-
sion du Canada et à son épiscopat (2), quand il fut dé-
signé par lui pour Je remplacer. Il hésita beaucoup à
assumer ce fardeau, qu'il jugeait trop pesant pour lui;
mais après une retraite de plusieurs jours qu'il fit au Sé-
minaire, ses amis et son directeur parvinrent à triompher
de ses appréhensions; et il prit possession de la cure, le
21 juin 171i.
Sur sa demande, il fut admis dans la Compagnie de
Saint-Sulpice par le supérieur général, M. Lesehassier,
quoiqu'il n'eût pas subi l'épreuve ordinaire de la Soli-
tude. Mais lorsque, en 1724-, l'assemblée générale le désigna
pour la place d'Assistant, vacante par la mort de M. Guy-
(1) Mém. mss., ait. sur M. Languet, p. 6.
(2) Plus tard, son humilité lui fit refuser les évêchés de Poitiers et de
Conserans. ilbid., p. 89.)
M. LANGUE! DE GERGY (1714-1748). 161
ton, l'un des directeurs du Séminaire, sa modestie lui fit
décliner cet honneur : « Je suis indigne d'une si sainte
(( vocation, écrivait-il à M. Lepelletier, l'un des direc-
« teurs; et il me semble que c'est la volonté de Dieu que
m je reste dans l'état dans lequel je suis depuis dix ans.
« J'ai à donner tout le jour à mes brebis et non à mes
« pasteurs. Vous nommerez donc un autre, s'il vous phiit,
« à la place de M. Guyton, qui ait le bonheur de lui
« ressembler dans son esprit d'oraison et dans tout le
« caractère de la sainteté dont je suis trop éloigné. Ce
«. serait faire tort à votre sainte Société que d'y élever
« un aussi pauvre sujet. J'espère en toute autre chose
« vous donner des preuves de mon obéissance, de ma
a reconnaissance et de mon zèle pour M. le supérieur
« général, pour tous nos messieurs et pour la mai-
« son (1). »
L'expérience de ses dix années de vicariat à Saint-Sul-
pice lui avait appris combien le concours empressé de
tous les membres de sa Communauté lui était indispen-
sable pour mener à bien l'œuvre divine du salut des
âmes à laquelle il était voué désormais. Il sut l'obtenir
en gagnant leurs cœurs par sa bonté, l'aménité de ses
manières et la simplicité de sa vie.
Accessible à tous, riches et pauvres, gens du peuple et
gens du monde, il eut bien vite gagné la confiance affec-
tueuse de ses paroissiens par l'agrément de son com-
merce, la sûreté de son jugement, la sagacité et la jus-
tesse de ses avis.
Plein d'égards pour les grands, qu'il savait séduire
par l'onction de sa parole , les charmes de son esprit et
de sa conversation, il ne transigeait jamais avec sa cons-
cience quand il avait à exiger d'eux l'observation des rè-
gles de l'Église. Appelé, en 1719, à administrer les der-
(1) Mém. mss., art. sur M. Langue!, p. 13.
ÉGLISE SAIM-SLLMCE. 1 1
162 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
niers sacrements à la duchesse de Berry, il exigea, au
préalable, le renvoi de deux personnes dont la présence
auprès d'elle était un scandale public, et demeura in-
flexible à cet égard, malgré toutes les instances du duc
d'Orléans, dont il était cependant l'obligé. 11 montra la
même fermeté au décès, sur la paroisse, d'Adrienne Le-
couvreur, la célèbre actrice du Théâtre Français, qui
mourut, le 20 mars 1730, sans avoir voulu se rendre à
ses exhortations ni recevoir les derniers sacrements. Il lui
refusa la sépulture chrétienne; et son corps fut enterré
nuitamment et en secret dans un jardin de la rue de
Bourgogne, près des bords de la Seine. Voltaire ne
manqua pas l'occasion d'exhaler sa haine contre la reli-
gion et ses ministres, et il dédia aux Mânes de la fa-
meuse tragédienne une épitre, dans laquelle il taxe
d'injure flétrissante ce refus de sépulture. Mais toute sa
colère n'eut d'autre effet que de grandir le courageux
pasteur dans l'estime des gens de bien.
Cette estime, d'ailleurs, ne lui était pas témoignée par
ses paroissiens seuls; le Roi et les principaux personnages
de la cour lui en donnaient aussi des preuves, auxquelles
il était d'autant plus sensible qu'il en savait Mme de Main-
tenon l'inspiratrice. Prévenue, en effet, de longue date,
en sa faveur par M. de la Chétardye, elle n'hésita pas,
aussitôt après la démission de ce dernier, à le prendre
pour confesseur. A mesure qu'elle le connut mieux , elle
lui accorda de plus en plus sa confiance; bientôt même,
elle la lui donna tout entière et, de ce moment, elle s'ap-
pliqua à la faire partager à son entourage.
Dès le 21 juin 171 i, trois jours seulement après son
installation, elle lui écrivait : « Je voudrais bien, Mon-
te sieur, vous avoir fait curé de Saint-Sulpice; car j'espé-
« rerais quelque part au bien que Dieu va y faire par
« vous. J'y prendrais un intérêt particulier; et j'espère
« que votre saint prédécesseur vous répondra de l'es-
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). 163
« lime qu'il m'a inspirée pour votre personne et de mon
« attachement pour Saint-Sulpice. Que nous serions heu-
« reux, Monsieur, si la maladie ne nous coûtait que sa
« démission et qu'il pût vivre encore quelque temps pour
« l'Église et pour ses amis. »
Et le k juillet suivant, insistant sur la prière qu'elle
lui avait faite de vouloir bien se charger de la direction
de sa conscience, et à laquelle, par modestie, il hésitait à
se rendre, elle lui mandait de Marly : « Je serais bien fà-
« chée, Monsieur, que vous ne voulussiez pas avoir de
« commerce avec moi. Il est difficile que je m'en passe,
« ayant une très grande confiance en vous ; et quoique
« je n'aie guère l'honneur de vous connaître par moi-
ce même, je ne crois pas agir imprudemment, quand je
« le fais par rapport à votre réputation et au témoi-
« gnage de gens que j'estime infiniment. M de Meaux
« (M. de Bissy) me confirma encore hier dans ce senti-
« ment-là.
« Je crois pourtant qu'il faudra prendre un milieu et
« cacher une partie de notre commerce, pour vous évi-
« ter bien des accablements. »
Le 6 août, encore de Marly : « Madame la Princesse
« (de Condé) a paru penser à vous pour la conduire, en
« parlant à la reine d'Angleterre (Marie d'Este-Modène,
« veuve de Jacques II). J'espère, Monsieur, que vous ne
« la refuserez pas. »
Le 2i octobre : « Je n'ai jamais rien entendu de vous,
« Monsieur, qui ne soit à votre louange. Je crains que
« vous ne trouviez pas de ressources à la cour pour vos
« pauvres. On y jette l'argent pour son plaisir et on y
« crie misère...
« S'il vous revenait quelque chose de moi, Monsieur,
« qui fût répréhensible, vous m'obligeriez infiniment de
« m'en avertir; je tâcherais de m'en corriger ou je vous
« éclaircirais les faits. »
1G4 HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SULPICE.
Et le 3 décembre : « Jamais personne, Monsieur, n'eut
a tant besoin de vos prières que moi, ni ne fera plus de
« cas des vôtres. »
Le 1er de l'an 1715 : « Je suis ravie quand vous mettez
« quelques mots de piété dans vos lettres; celui de l'a-
ce bandon où est Notre- Seigneur m'a fait du bien, en me
« donnant de la confusion de m'être plainte de la perte
« de mes amies, et cela à la veille de ma mort.
« Celui qui vous trouve si propre à remplir l'évèché
« de Soissons (1), trouvait que la cure de Saint-Sulpice
« vous convenait particulièrement. C'est un grand bon-
« beur pour cette paroisse que Dieu vous y ait attaché;
« elle est bien aussi importante qu'un diocèse.
« Je bénis souvent Dieu de m'avoir mise entre les
« mains de gens qui m'ont inspiré la crainte des nou-
« veautés, l'attachement à l'Eglise catholique, aposto-
« lique et romaine, et la soumission convenable à mon
« sexe et à mon ignorance. »
Le 20 du même mois : «... Le Roi est prévenu de
« beaucoup d'estime pour vous, que j'espère qui aug-
« mentera tous les jours. Il y a si longtemps que je vois
« le monde, que je sais le mépriser avec toutes ses inu-
« tiles et incertaines faveurs; mais je sais aussi que le
<( crédit et l'estime du maître est nécessaire pour faire le
« bien; c'est pourquoi, Monsieur, je vous en parle, et
« que je vois avec joie que votre réputation s'établit et
(( qu'il revient de tous côtés qu'on est bien content de
« vous voir dans la place où vous êtes. »
Le 2i mars, de Saint-Cyr : « Vos lettres ne m'impor-
te tunent jamais, Monsieur; je les reçois toujours avec
« plaisir et je les lis avec empressement. Je suis ravie
« d'être en commerce avec un saint, et il me semble
(1) Ce fui son frère qui l'oblint, quelques jours après, le 12 janvier 1715.
Si. LANGUET DE GERGY (1714-1748j. 165
« qu'il rectifie tous ceux que j'ai avec des gens qui ne
« sont point des saints. »
Et le 8 août, de Versailles : « Ne m'oubliez pas clans
« vos prières en ce saint temps, Monsieur, et demandez
« pour moi la foi, l'humilité et la patience. »
Ces quelques extraits des lettres de Mme de Maintenon
à son confesseur, suffisent à montrer l'intérêt qui s'at-
tache à leur publication (1) : car elles fournissent une
preuve éclatante du rare mérite de M. Languet, par le
témoignage qu'en rend, à maintes reprises, dans cette
correspondance, son illustre pénitente; et en même
temps, elles révèlent dans cette femme supérieure, à
lame vraiment royale, l'esprit de foi et toute l'humilité
d'une grande chrétienne.
Plein de vigilance pour préserver ses ouailles du venin
des doctrines fallacieuses de Jansénius et de Quesnel, et
pour les affermir dans le respect des décisions pontificales,
il ne négligeait pas l'arme du ridicule , quand elle s'offrait
à propos à lui; et ce fut elle qui le débarrassa des con-
vulsionnai res de son quartier, que la secte avait affiliés
à son parti et dont elle exploitait les prétendus miracles
pour grossir le nombre de ses adhérents. Un dimanche
de juin 173i, pendant qu'il prêchait, une femme, placée
dans une des chapelles de la nef, se mit tout à coup à
faire des contorsions, accompagnées de sauts et de gam-
bades. Il s'en aperçut, abrégea son prône et allant droit
à elle, il lui renversa sur la tête toute l'eau d'un bénitier
qu'il s'était fait apporter, en lui disant : « Comme ainsi
« soit, ma chère fille, que le démon qui vous possède est
<• un esprit d'orgueil, je vous commande, au nom de Dieu,
« d'aller de suite à la Salpètrière pour y recevoir les
« humiliations et corrections, qui sont le seul remède à
(1) Celte publication a été faite par M. Foisset dans le numéro du Corres-
pondant du 10 décembre 1859, p- 641 à 692. V. p. 153, supra, note 1.
166 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
« votre maladie, sans quoi, je vous y ferai enfermer (1). »
A ces mots, elle se sauva et ne reparut plus. Une autre
fois, informé qu'une trentaine de personnes se rassem-
blaient dans une maison de la paroisse pour s'y livrer à
des convulsions, il les recommanda au prône , comme
étant atteintes d'une folie contagieuse, et invita tous ceux
de ses paroissiens qui passeraient devant la porte de cette
maison affligée , à s'y arrêter, et à y réciter, à genoux sur
le seuil, cinq Pater et cinq Ave, pour que Dieu les gué-
risse de leur folie. Plusieurs de ses auditeurs sourirent à
ces paroles; mais d'autres les prirent au sérieux et, par
leur attitude et leurs patenôtres à la porte de cette mai-
son, provoquèrent une hilarité homérique dans tout le
voisinage. La nuit suivante, tous les convulsionnantes
avaient déguerpi.
Non moins attentif à entretenir en elles l'esprit de piété,
il rétablit, à l'église Saint-Sulpice, l'ancien usage de
l'office canonial quotidien, auquel M. Olier n'avait réussi
que momentanément à donner une nouvelle vie, et qui,
peu à peu, ne se disait plus qu'aux grandes fêtes. Il en
assura la régularité de chaque jour par des fondations spé-
ciales et par un règlement sévère, qui reçurent l'appro-
bation de l'archevêque de Paris, Mgr de Vintimille.
Leur instruction religieuse fut également l'objet de
tous s^s soins. Chaque dimanche, quelles que fussent ses
occupations, il faisait assidûment le prône. Il étendit
l'œuvre des catéchismes et en institua trois nouveaux,
qu'il confia, comme les autres, au Séminaire : deux au
Gros-Caillou, en 1717, l'un pour les garçons et l'autre
pour les filles, et un troisième, l'année suivante, pour les
ramoneurs et les décrotteurs, dont l'assiduité était encou-
ragée par de légères aumônes que les présents recevaient
des membres de la Communauté des gentilshommes.
(1) Mém. mss., art. sur M. Languet, p. 38.
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). ir,7
Les prisonniers de l'Abbaye éprouvèrent aussi les effets
de son zèle. La chapelle de cette prison était desservie
par un prêtre de la Communauté, M. Plainpel, qui y disait
la messe tous les jours et y célébrait les offices du
dimanche. Il remarqua la diminution du nombre des
particuliers qui la fréquentaient; il en fit part à M. Lan-
guet qui, de concert avec lui, établit la confrérie de
X Amende honorable an Saint-Sacrement de l'autel, dans
le but de raviver cette œuvre des prisonniers. Cette con-
frérie ne tarda pas à devenir prospère et nombreuse ; et
le pape Clément XII l'enrichit d'indulgences particu-
lières (1). Tous les mois, elle tenait une assemblée de
charité pour pourvoir au soulagement des prisonniers; et,
chaque année , lorsque le Saint-Sacrement passait devant
la porte de la prison, elle faisait les frais de la délivrance
de plusieurs prisonniers pour dettes ou pour défaut de
paiement de mois de nourrice.
Enfin, il commença l'œuvre des jeunes soldats, c'est-
à-dire de ceux que le sort appelait au service militaire.
Il les réunissait chez lui après leur avoir dit la sainte
Messe et les avoir exhortés à mettre ordre à leur cons-
cience, et distribuait des secours aux plus pauvres.
La création de l'église succursale du Gros-Caillou, en
1738, fut un des principaux événements qui signalèrent
l'administration de M. Languet. Déjà M. Olier s'y était
montré favorable; et, en 1688, M. de la Barmondière l'a-
vait approuvée; mais l'archevêque de Paris ne l'avait pas
jugée alors opportune. Quarante ans plus tard, la situation
n'était plus la même : la construction de l'Hôtel des Inva-
lides et celle du Palais Bourbon avaient attiré la popula-
tion dans ce quartier; et ses habitants, de plus en plus
(1) Bulles des 8 mars 1735 et 18 juillet suivant, analysées dans les Rem.
hist., t. I, p. 94. Le loyer des chaises de cetle chapelle, située rue Sainte-
Marguerite, était entièrement au profit des prisonniers. IOid., p. 93.
168 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
nombreux, souffraient aussi davantage de l'éloignement
de l'église et de la difficulté de leurs rapports avec son
clergé. Leurs plaintes étaient fondées; et vers 1735 ils
sollicitèrent et obtinrent l'autorisation de faire, pendant
trois ans, une quête à Saint-Sulpice, pour l'érection d'une
succursale dans leur quartier. Ils ajoutèrent à son produit
leurs propres souscriptions qui, malgré leur pauvreté,
atteignirent un chiffre assez considérable; et munis alors
de Lettres patentes, avec le consentement de l'archevêque,
du curé et des marguilliers de Saint-Sulpice, ils en com-
mencèrent, dès l'année 1737, la construction qui fut ache-
vée l'année suivante (1). M. Languet y désigna pour des-
servant M. de Renières, un des sujets les plus distingués
de la Communauté, et lui adjoignit deux autres confrères
pour l'aider dans ses fonctions , et huit prêtres du Sémi-
naire pour y faire le catéchisme, tous les dimanches et
fêtes. Les écoles de garçons furent confiées aux Frères des
Écoles chrétiennes, et celles de filles d'abord aux Reli-
gieuses de Saint-Thomas de Villeneuve, puis, à partir de
1762, aux Filles de la Charité.
Le zèle de M. Languet pour le bien spirituel de ses
paroissiens ne lui faisait pas perdre de vue leurs besoins
temporels. A ne considérer même que l'activité qu'il dé-
ployait et que les industries de toute sorte dont il usait
pour accroître sans cesse le pécule des pauvres, on eût dit
qu'il ne vivait que pour eux et que le soin de leurs inté-
rêts était son unique occupation. « Jamais homme, dit un
« de ses contemporains, l'abbé Ladvocat, ne s'est montré
« plus habile et plus industrieux que lui pour se procurer
« d'abondantes aumônes et des legs considérables en fa-
« veur de ses pauvres; et l'on sait de bonne part qu'il
« distribuait environ pour un million d'aumônes chaque
« année. » Mais en même temps, nul n'apportait plus de
(1) La bénédiction de cette succursale eut lieu le 11 août 1738.
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). 169
discrétion et de réserve dans l'acceptation de ces libéra-
lités. Mmo de Cavoye, qui l'avait toujours aidé généreuse-
ment pendant sa vie, lui laissa, en mourant, 600.000 livres
pour ses pauvres. Il sut que_plusieurs de ses héritiers
étaient sans fortune; il ne préleva que 30.000 livres
sur ce legs important, et en abandonna le reste à ses
parents. Le cardinal Maury, dans son Essai sur l'éloquence
de la chaire, cite de lui un beau trait, qui le peint bien
tel qu'il était, plein d'esprit et plus encore de charité :
« Le célèbre Languet, dit-il, curé de Saint-Sulpice, fai-
<( sant la quête dans son église, insistait pour obtenir
« quelque secours d'un inconnu qui , impatienté de ses
« instances, le repoussa par un soufflet : Ce que je viens
« de recevoir est pour moi, lui dit le vénérable Pasteur;
« à présent ce que je demande sera pour mes pauvres.
« L'inconnu lui remit aussitôt sa bourse et disparut (1). »
C'était surtout dans les calamités publiques qu'on pou-
vait juger de son dévouement et de son abnégation. Dans
les incendies, il était toujours le premier au feu, payant
de sa personne pour l'éteindre, de sa bourse pour en
soulager les victimes. Lors de la charte du pain, en 172Ô,
il vendit tous ses meubles et tous les tableaux de prix qu'il
avait collectionnés, n'ayant plus, et encore à titre d'em-
prunt, que trois couverts d'argent et un lit de serge,
que M'ne de Cavoye se borna à lui prêter, parce qu'il avait
vendu auparavant pour les pauvres tous ceux qu'elle lui
avait donnés en différents temps.
Ces prodigieuses largesses de M. Languet avaient fait
croire à bien des personnes que le revenu de sa cure lui
procurait de très grandes ressources. Il les détrompa, lors-
que l'Assemblée du clergé, de 1726, pour se diriger dans
la répartition des taxes qu'elle avait à lever sur les béné-
ficiers à l'occasion de dons gratuits qu'elle avait promis
(1) T. I, p. 447, en noie.
170 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
au Roi, exigea d'eux, sous peine d'une double taxe, la dé-
claration exacte des revenus et des charges de leurs béné-
fices. M. Languet, dans sa déclaration du 28 septembre
1729, établit, tant pour lui que pour sa Communauté,
qu'elle n'avait pas le revenu nécessaire à son entretien,
et que la charité seule des fidèles lui permettait de sou-
tenir ses œuvres (1).
C'est grâce à ce concours, qui lui fut toujours généreux
et dévoué, qu'il put fonder l'établissement de TEnfant-
Jésus, une des institutions qui lui ont fait le plus d'hon-
neur.
L'origine de cette maison date de la création d'une
manufacture de mousseline que M. Languet monla en
1718. Dans son amour éclairé des pauvres, il ne lui suffi-
sait pas de soulager leur indigence par d'abondants se-
cours, il voulait surtout pouvoir les sortir de la misère et
du désordre qu'elle engendre, en leur procurant du tra-
vail, qui les préservât de l'oisiveté et leur permit de gagner
honnêtement leur vie.
Ayant observé que la mousseline est d'un usage général
en France et dans les pays voisins , que le public lui trouve
des qualités de blancheur, de souplesse, de douceur et de
force qui la lui font préférer aux plus belles batistes et
aux linons les plus fins, et que pour se la procurer il
n'hésite à aller l'acheter jusque dans les Indes, il étudia
sa fabrication, en constata la facilité, — car tout le travail
consiste à carder le coton, à le filer, à faire la toile et à
la blanchir; — et comme le coton, qui croit en abondance
dans nos colonies, est moins cher, plus beau, plus soyeux
et plus long que celui des Indes, il chercha et inventa
un très fin filage de ce coton, que des petites filles de six
(1) Trente ans auparavant, M. de la Barmondière avait déjà prouvé que
le revenu de la cure de Saint-Sulpice ne dépassait pas 11.000 livres. Nau,
loc. cit., p. 161.
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). 171
à sept ans pouvaient faire à l'école, et en quoi consiste
tout le principal de V opérât ion de la mousseline ; et dès
qu'il l'eut trouvé, il entreprit sa fabrication. Ses premiers
essais furent des plus heureux ; le Gouvernement en ap-
précia tous les avantages, non seulement pour l'amélio-
ration du sort de bien des pauvres, mais même pour la
richesse du Royaume qui cesserait d'être tributaire de
i l'étranger pour l'achat de ce produit, et qui même, dès
qu'il dépasserait les besoins de la consommation inté-
rieure, pourrait se vendre dans les pays voisins, à meil-
leur marché que celui des Indes. Et par lettres patentes
du Régent, du 17 octobre 1719, M. Languet obtint pour
trente ans le privilège, accordé à lui et à ses successeurs
dans la cure de Saint-Sulpice , d'établir et faire établir, par
telles personnes qu'il choisirait, des fabriques de mous-
seline dans la ville et généralité de Paris, comme aussi
dans la ville de Chartres et pays chartrain, sous le titre de
Manufacture royale de Saint-Sulpice (1). Mais il poussait
si loin le désintéressement, qu'il ne consentit à accepter
ce privilège qu'à la condition que s'il y avait quelque
avantage dans cette fabrique, comme tout portait à le
croire, il ne tournerait pas à son profit personnel, mais à
celui des pauvres et du bien public; et il pria le Régent
de lui nommer un des membres du Conseil du commerce
de Paris pour Inspecteur de la conduite de cet ouvrage ,
des dépenses qu'entraînerait son parfait établissement et
des fruits qu'on en pourrait recueillir (2). Grand exemple
d'abnégation et d'amour du bien public, bien rare en
tous les temps, mais sur lequel il est surtout bon d'appeler
l'attention de nos contemporains!
(1) Le texte de ces lettres patentes est reproduit in extenso à la 4e part,
des Rem. hist., p. 282.
(2) Mémoire de M. Languet à MM. du Conseil du commerce, p. 289 des
Hem. hist., 4e part.
[72 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SLLPICE.
Dès que ce monopole lui eut été octroyé, il modifia le
but de l'oeuvre de l'Enfant- Jésus et en étendit le bienfait
aux classes élevées aussi bien qu'aux classes pauvres.
D'après son nouveau plan, elle eut deux objets : l'un, de
donner dans la maison l'éducation à une vingtaine de
jeunes filles, appartenant à des familles nobles mais sans
fortune. Ce premier objet, analogue à celui de la maison
de Saint-Cyr, en différait cependant par le mode d'édu-
cation, plus simple, moins brillant et qui, sans négliger
entièrement les arts d'agrément, s'attachait surtout aux
soins de l'économie domestique, de manière à faire de
ces jeunes filles des femmes d'intérieur et de bonnes
mères de famille; l'autre, beaucoup plus important, d'y
fournir du travail à un grand nombre de pauvres femmes
de la ville et de la campagne, qu'on y employait à la
filature du lin et du coton. On leur donnait, tous les
jours, la soupe et un salaire proportionné à leur travail,
mais sans les loger. Elles y complétaient aussi leur ins-
truction religieuse. En peu de temps on en compta plus
de quatorze cents, occupées dans cette maison, que
M. Languet plaça sous la direction des dames de Saint-
Thomas de Villeneuve, dont il était le supérieur.
Le travail de ces ouvrières constituait le principal re-
venu de l'établissement, lequel, selon l'engagement de soi
fondateur, était employé en entier à procurer des secours
à une multitude de pauvres de la paroisse. Mais il n'était
pas le seul. Cette maison était située entre les rues de Se
vres et de Vaugïrard , à l'endroit où fut établi plus tard
l'hospice des enfants malades; et ses dépendances s'éten-
daient sur une superticie de dix-sept arpents. M. Languet
sut en tirer un produit important. Il y avait là, en ef-
fet, une grande basse-cour où l'on nourrissait des vaches,
qui fournissaient du lait à plus de deux mille enfants de
la paroisse ; plusieurs bauges de sangliers, dont on ven-
dait les marcassins; des volailles de toute sorte; une bou-
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). 173
langerie qui cuisait, par mois, plus de cent mille livres
de pain, qu'on distribuait aux indigents de la paroisse;
des filages, un jardin d'un grand rapport, une apothicai-
rerie superbe, où Ton faisait toutes sortes de distillations
très lucratives (1).
L'ordre parfait qui régnait dans cette maison et l'ex-
cellente direction qui y était donnée à l'éducation comme
au travail, avaient inspiré au cardinal de Fleury une si
haute idée du mérite de M. Languet, qu'il lui proposa la
charge à1 Intendant général de tous les hôpitaux du
royaume. Mais il déclina l'offre du Prélat et lui répondit
en riant : « Je l'avais toujours dit, Monseigneur, que les
« bontés de Votre Éminence me conduiraient à l'hôpital. »
Pour assurer l'équilibre des budgets de cet établisse-
ment, dont les dépenses étaient considérables, il lui pro-
cura huit à dix mille livres de revenu annuel. Mais cela
ne suffit pas; il dut encore y ajouter, outre ses propres
revenus, et ceux de l'abbaye de Bernay, que le Roi lui
avait donnée en 1745, la part qui lui échut, en 1743, dans
la succession du baron de Montigny, son frère.
Cette maison subsista ainsi, pour le plus grand bien
des pauvres, jusqu'à la Piévolution (2). Mercier le conven-
tionnel, dans ses Tableaux de Paris, en parle avec en-
thousiasme. <( Cet utile établissement, dit-il, est un mo-
« dèle d'humanité et de saine politique. Nous osons offrir
« le bel ordre d'administration qui y règne comme le
« plus propre à servir l'humanité sans la dégrader, à la
« conduire sans la révolter et à la diriger avec douceur
« vers l'honnêteté, la droiture et le travail (3).
Mais de toutes les œuvres de M. Languet, la plus consi-
(1) Mnss., article sur M. Languet, p. 55.
(2) Cène fut qu'après la mort de M. Languet, en 1751, que des Lettres
patentes autorisèrent la maison de l'Enfant- Jésus, ainsi que tous les règle-
ments qu'il lui avait donnés.
(3) Mercier, Tableaux de Paris, t. IV, p. 140.
174 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
dérable assurément et celle qui rend à jamais glorieuse
son administration curiale, a été l'achèvement de la nou-
velle église, dont l'épuisement des ressources avait fait
interrompre les travaux depuis quarante ans, mais que
l'accroissement continu de la population de la paroisse,
évaluée alors à 125.000 âmes, rendait indispensable.
Plein de confiance en la Providence , mais ne pouvant
compter que sur elle et sur sa propre énergie (1), il se
mit résolument à l'œuvre au printemps de 1718, sans
autres fonds cependant qu'une somme de cent écus
(300 francs), que lui avait léguée à cet effet une pauvre
femme de la paroisse. Il l'employa à l'achat de pierres
qu'il fit placer au coin de toutes les rues pour annoncer
son dessein au public. Aussitôt les secours lui arrivèrent
nombreux. Il en tint un registre exact; et, en tête de la
liste des donateurs, il inscrivit son nom, celui du Supé-
rieur général, M. Leschassier, puis ceux des prêtres de sa
Communauté et des membres de la Compagnie des gen-
tilshommes. Une de ses plus généreuses bienfaitrices,
dont nous avons déjà parlé, fut cette marquise de Cavoye,
née Louise Philippe de Coëtlogon, qui, presque tous les
mois, lui remettait de très fortes sommes et ne deman-
dait, pour toute reconnaissance, que d'avoir part, pen-
dant sa vie et après sa mort, aux prières et aux bonnes
œuvres qui se feraient dans la nouvelle église.
Dès qu'il eut réuni ainsi 18.000 livres, il chargea l'ar-
chitecte Oppenort, directeur des bâtiments et des jardins
(1) Sa Fabrique ne lui fut, en effet, d'aucun secours. Elle l'autorisa bien.
par sa délibération du 19 juin 1718, à continuer les travaux; mais elle
refusa de prendre aucun engagement de les payer, interdit même de faire
aucun emprunt pour leur acquit et fit stipuler, dans tous les marchés avec
les entrepreneurs, que si ces derniers faisaient des avances au delà des
sommes portées dans ces marchés, elles demeureraient en pure perte pour
eux, sans qu'ils puissent en réclamer le montant. Nau, Rapport ms. sui-
tes arcitices de Saint-Stdpice, p. 268.
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). 175
de M. le duc d'Orléans, de dresser les plans du reste de
l'édifice (1); et en même temps, il sollicita et obtint de
l'archevêque de Paris, MS1' de Noailles, la permission de
supprimer le cimetière de la rue des Fossoyeurs (2) qui
occupait le terrain sur lequel devait être bâti le portail
(1) Ces plans furent suivis pour la nef, les bas-côtés, les chapelles ad-
jacentes, les deux tambours et le maitre-autel, excepté qu'on a mis sept
marches au lieu de trois. 11 avait aussi donné les plans du grand portail
de la nef; mais ce portail fut exécuté sur ceux de Servandoni qui furent
adoptés à la suite d'un concours ouvert en 1732. Il donna encore ceux de
deux chapelles qui devaient communiquer avec la chapelle de la Sainte
Vierge par les portes qui sont au milieu de chaque coté.
L'une de ces chapelles, située à l'angle de la rue des Aveugles (aujour-
d'hui la rue Saint-Sulpice), était connue sous le nom de Chapelle de la
Communion, parce que les confréries de la paroisse s'y réunissaient pour
y faire leurs dévotions. Entièrement détruite lors de l'incendie de la foire
Saint-Germain, du 17 mars 1762, qui endommagea aussi les combles de la
chapelle de la Sainte Vierge, elle fut reconstruite en 1770. Brûlée une se-
conde fois dans l'incendie du 4 novembre 1798, on ne songea plus à la
rebâtir.
L'autre, située de l'autre côté, sur la rue Garancière, est appelée la Cha-
pelle des Allemands, parce qu'a l'origine elle était le lieu de réunion d'une
colonie d'Allemands, et qu'elle était desservie par des prêtres de leur natio-
nalité. Aujourd'hui, elle est réservée au grand catéchisme de persévérance
des jeunes filles.
De forme polygonale, elle est revêtue de boiseries sculptées dans le style
du xvme siècle, et possède plusieurs objets d'art de prix : deux statues
d'anges en bois, dues au ciseau de Bouchardon, placées de chaque côté de
l'autel, également en bois sculpté et surmonté d'une statue de la Vierge;
un beau plafond, peint par Halle en 1726 et représentant des groupes
d'anges qui précèdent l'étoile du matin ; un tableau du même peintre : le
Christ aux petits enfants, et un autre de Carie Vanloo (1734) : une Ado-
ration des Bergers, à droite et à gauche de la chaire.
Cette jolie chapelle « est éclairée par quatre fenêtres à cintres surbais-
« ses, fermées de vitreries verdàtres à compartiments, appelées dans le
« langage des verriers doubles : Bornes à pièces carrées ». Ch. des
Granges, loc. cit., p. 87.
Ce fut encore sur les dessins d'Oppenort qu'on exécuta, en 1725. un
dôme ou campanille octogone au-dessus du centre de la croisée de l'église.
Mais on fut obligé d'abattre ce dôme, en 1731, parce qu'il surchargeait trop
la voûte.
Nau, ibid., p. 271, et Rem. hist., t. I, p. 13.
(2) Rem. hist., t. I, p. 19 i.
17G HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
méridional, dit de Saint-Jean-Baptiste, à cause de la cha-
pelle de ce nom qui lui est adjacente. Les corps et osse-
ments qu'il renfermait furent déposés provisoirement
dans les caveaux de l'église , en attendant leur transla-
tion dans le nouveau cimetière de la rue de Sèvres; et, le
25 avril 1719, après une messe solennelle du Saint-Esprit,
qu'il célébra au maître-autel, M. Languet bénit et posa
la première pierre des fondations de ce portail et de
cette chapelle de Saint-Jean-Baptiste, qui furent élevés
sur les dessins de Gittard, le fils, auxquels Oppenort ne fit
que de légers changements.
Le k décembre suivant, le duc d'Orléans vint poser la
première pierre apparente du môme portail, au-dessus
des fondements sous la première colonne à droite, en sor-
tant (1). Il fut frappé de la beauté du chœur et promit
son concours pour la continuation des travaux. M. Lan-
guet profita de cette marque de sa bienveillance pour
lui présenter, en 1719, une requête à l'effet d'obtenir la
création dune loterie dont les bénéfices seraient consacrés
à l'achèvement de l'église. Il faisait valoir, à l'appui,
que cette église serait un des plus beaux monuments de
Paris ; que son achèvement procurerait du travail à nom-
bre d'ouvriers, laissés sans ouvrage depuis la banque-
route générale produite par le funeste système de Law;
et que déjà, en 1705, le gouvernement avait permis une
loterie semblable pour pouvoir terminer l'église Saint-
Roch. Sa demande fut bien accueillie; et un arrêt du
Conseil, des premiers jours de janvier 1721, lui conféra
le droit d'organiser une loterie, au bénéfice de 15 p. 100
au profit de cette construction. Autorisée d'abord pour
trois ans (2), elle continua à l'être pendant vingt-cinq
(1) lbid., I. I, p. 277.
(2) Le premier tirage de celte loterie, dite de Saint-Sulpice, eut lieu le
1er février 1721.
M. LANGUE! DE GERGY 1714-1748;. 177
ans, et ce ne fut qu'en 17^6, quand les travaux tou-
chèrent à leur fin, qu'un nouvel arrêt du Conseil ne laissa
à M. Languet que la moitié du profit total de cette lo-
terie et attribua l'autre moitié à l'hôpital royal des
Quinze -Vingts et à la construction de l'église parois-
siale de Saint-Germain en Lave. Ce qui fit dire plaisam-
ment au bon curé : « Les Quinze- Vingts m'ont rendu
« borgne; mais parmi les aveugles, les borgnes sont
« rois. » Un autre arrêt du même Conseil, du 7 septem-
bre 1762, réduisit encore la part de Saint-Sulpice, pour
faciliter la construction des nouvelles églises de Sainte-
Geneviève et de la xMadeleine (1).
Il est difficile d'évaluer les bénéfices que M. Languet a
pu retirer de cette loterie , parce que le nombre de ses
billets n'était pas limité par les arrêts qui l'avaient au-
torisée, et qu'il pouvait être multiplié au gré du curé de
Saint-Sulpice, pourvu qu'il se bornât au bénéfice de 15
p. 100 sur la totalité des billets; parce qu'aussi un grand
nombre de lots lui étaient fournis gratuitement et qu'un
plus grand nombre encore de billets lui étaient généreu-
sement payés par des personnes qui s'intéressaient à son
œuvre. Un auteur, qui écrivait en 17ï2, suppose qu'à cette
époque, et déduction faite des frais, cette loterie avait
rapporté à M. Languet environ cinq millions (2) ; d'au-
tres ont estimé qu'il en avait retiré de dix à douze mil-
lions. Nous inclinons à croire à l'exagération même du
premier de ces chiffres, qui, pour se rapprocher de la vé-
rité, nous semblerait devoir être réduit de moitié.
Les produits de cette loterie ne furent pas, du reste, les
seules ressources qui alimentèrent la caisse de cette
grandiose entreprise. M. Languet en trouva d'autres, fort
(1) L'église de la Madeleine fut commencée, en 1764, sur les plans de
Coûtant d'Ivrv. Mademoiselle (Anne-Marie-Louise d'Orléans) en posa la pre-
mière pierre, le 3 août 1764.
(2) M 6m. mss., article sur M. Languet, p. 23.
ÉGLISE SAINT-SULPICE. 12
178 HISTOIKE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
importantes elles aussi, dans les dons et legs de nom-
breux bienfaiteurs qu'il excellait à y intéresser. Chaque
étape dans la construction donnait lieu à une cérémonie
religieuse. Quand le portail méridional, celui de Saint-
Jean-Baptiste, et les deux'chapelles adjacentes de la nef
furent terminés, le 13 décembre 17*23, M. le curé, après
avoir célébré une messe du Saint-Esprit, vint en chappe,
avec un diacre et un sous-diacre en tuniques, tous trois
une pioche à la main, commencer, au chant des psau-
mes et à la grande édification des assistants, à ouvrir la
terre dans la partie de la nef dont il restait à creuser
les fondations, puis ensuite, ayant quitté leurs chappes
et tuniques, à prendre chacun une hotte et à enlever la
terre qu'ils avaient remuée.
Et au fur et à mesure que les fouilles des quatre piliers
qui restaient à élever, furent terminées, la première
pierre de chacun de ces piliers fut solennellement posée :
la première par le cardinal de Bissy, qui laissa 6.000 livres
pour les travaux; la seconde par le cardinal de Polignac,
qui en donna 3.000; la troisième par M. de laHoussaye,
qui fit aussi un don généreux , et la quatrième par le
comte de Glermont, au nom du duc de Bourbon, qui
remit 29.000 livres pour l'œuvre et 2.690 livres pour les
ouvriers (1).
En 1724, on fit disparaître les derniers vestiges de l'an-
cienne nef, démolie Tannée précédente; et l'on abattit
également le clocher, qui se trouvait au-dessus de la cha-
pelle de Saint-François de Sales, devenue un peu plus
tard la sacristie des messes; le li août 1725, les cloches
qu'on en avait enlevées, furent placées dans le nouveau
dôme; et M. Languet y sonna lui-même, à midi, Y An-
gélus pour la première fois (2 .
(1) Rem. Itlst., t. I, p. 278.
(2) Ibid., t. I, p. 156.
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). 179
En 1727, mû par le louable désir « d'assurer l'exacti-
« tude du comput ecclésiastique et le progrès de l'astro-
« nomie », il chargea le célèbre horloger, Henri Sully,
d'établir, en son église, une méridienne et son gnomon,
pour fixer exactement l'équinoxe du printemps et le jour
de Pâques. Mais Sully mourut le 13 octobre 1728, avant
d'avoir achevé son travail qui fut repris par Lemonnier,
de l'Académie des sciences. Lemonnier fit élever, dans
l'angle du transept du Nord, l'obélisque qui s'y voit en-
core (1); traça la méridienne par une bande de cuivre,
incrustée dans le pavé de l'église; établit dans la fenêtre
du transept sud un nouveau gnomon, muni d'une len-
tille de 80 pieds de foyer ; et marqua sur le sol l'endroit
où arrivait le centre de l'image du soleil au solstice d'été.
Cette partie de la méridienne est recouverte d'une plaque
de cuivre, sur laquelle on grava ces mots et ces chiffres :
Obliquitas eclipticœ maxima 23,J 28' 40" 69.
Par Claude Langlois, ingénieur, aux galeries du Lou-
vre, 174i.
Le travail fut, en effet, exécuté par Langlois, ingénieur
de Messieurs les membres de l'Académie des sciences, qui
le termina en 17ii; et ce fut à cette occasion que l'on
boucha entièrement la grande fenêtre du gnomon par
des plaques de tôle (2).
La tendre dévotion de M. Languet envers la Très Sainte
(1) Sur cet obélisque sont gravées les deux inscriptions suivantes :
Quid en'un mihi est in cœlo, et a te quid volui super terram... Deus
cordis mei et pars mea in feternum. Psaume 52.-53, v. 25 et 26.
Et celle-ci : Ecce mensurabiles posuisti dies meos : et substantia mea
tanquam nihilum ante te. Psaume 58.-59, v. 6.
(2) Les Gnomons étaient employés par les anciens astronomes pour dé-
terminer l'obliquité de l'écliptique et sa variation. Ce fut même l'étude
de ce dernier élément que se proposa spécialement Lemonnier dans l'éta-
blissement de son appareil. Mais il reconnut lui-même que déjà de son
temps, les quarts de cercle muraux, avec des dimensions beaucoup plus
restreintes, permettaient d'obtenir ces données avec bien plus de précision
180
HISTOIRE DE L'EGLISE SAIXÏ-Sl'LPICE.
Vierge, qui le portait souvent à conduire ses paroissiens
à Notre-Dame, pour y renouveler avec eux sa consécra-
tion à cette bonne mère et la protestation de son dévoue-
ment à son service, lui avait depuis longtemps suggéré la
pensée d'embellir sa chapelle. Il réalisa ce projet en juil-
let 1729 et en confia l'exécution à Servandoni, qui pro-
duisit là une œuvre remarquable par la richesse de ses
ornementations.
Des arcades faisaient sur les impostes la jonction de
cette chapelle avec le chœur et formaient une tribune
avec orgue, où l'on venait chanter VO Filii pendant les
fêtes de Pâques, les litanies de la Sainte Vierge pendant
l'octave de l'Assomption, et d'autres prières en différentes
solennités. C'était une invention hardie de l'architecte
Gittard; mais elles obstruaient le jour. M. Languet les fit
abattre et mit ainsi en lumière les quatre grands arceaux
supérieurs sur lesquels repose le dôme élégant qui forme
le couronnement du centre du chevet (1).
Le petit dôme de la chapelle subit le même sort; et il le
fit remplacer par un beaucoup plus grand et mieux
éclairé, qu'il décora de la belle peinture à fresque de Le-
moine, représentant Y Assomption de la Vierge, aux pieds
de laquelle les paroissiens de Saint-Sulpice sont amenés
par saint Pierre, saint Sulpice et M. Olier. L'humilité de
que les gnomons. Aujourd'hui les instruments méridiens ont remplacé
avec avantage tous ces engins de l'ancienne astronomie.
Le gnomon de Sainl-Sulpice et sa méridienne n'offrent donc plus qu'un
intérêt historique. Aussi, quand, en 1886, la Fabrique acheva la restaura-
tion des vitraux de l'église, elle sollicita et obtint de la préfecture de la
Seine l'autorisation d'ouvrir la grande fenêtre du transept sud, fermée
en 1744, pour rendre à cette partie de l'église la lumière réclamée à la
fois par son genre d'architecture et par les belles peintures murales de
Signol, à la condition de refaire le vitrail de cette baie sur le modèle des
autres, et de conserver toutes les pièces qui constituent le gnomon de
Lemonnier et qui sont soutenues par des supports scellés dans le pied
droit de cette fenêtre.
(1) Rem. hist., t. I, p. 157.
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). 181
M. Languet résista au désir de l'artiste de le faire figurer
à côté du fondateur de sa Compagnie ; mais il y fut placé
par Callet, lorsqu'il fut chargé de la restauration de cette
fresque, après l'incendie de la foire Saint-Germain, du
17 mars 1762, qui en avait abîmé une partie (1).
Il fit aussi disparaître l'ancien retable qu'avait com-
mandé M. de Poussé et dont les colonnes étaient en mar-
bre noir; et en même temps il fit enlever le tableau de
l'autel, une Annonciation , très prisée des connaisseurs,
qui fut transportée dans la sacristie des messes.
Au-dessus de l'autel, dans une niche, éclairée par le
haut et ornée sur ses côtés de six grandes colonnes en
marbre , Servandoni avait ménagé le plan d'une statue de
la Sainte Vierge. M. Languet la fit exécuter, en 1731, tout
en argent et haute de six pieds, par le célèbre sculpteur
Bouchardon. Mais la surveillance continuelle qu'exigeait
la richesse de ce magnifique objet d'art fît prendre le
parti, quelques années avant la Révolution, de lui substi-
tuer la statue en marbre blanc de la Vierge tenant l'En-
fant Jésus dans ses bras , qu'on y voit encore , et qui est
l'œuvre de Pigalle, surnommé le Phidias français (2). Et
dès lors la statue d'argent, renfermée dans la sacristie, ne
fut plus exposée, dans la chapelle, que le jour de l'Imma-
culée Conception et le Jeudi Saint. On la portait égale-
ment à la procession de la fête de l'Assomption.
Le 21 août 1732, le première pierre du maitre-autel fut
posée, au nom du pape Clément XIII, par son nonce
Mgr Rainier, comte d'Ilcio et archevêque de Rhodes; et, le
(0 La partie architecturale de la réparation des dommages causés par
cet incendie au dôme de la chapelle fut confiée à Charles de Wailly, qui
l'effectua avec un grand talent : car « c'est à lui qu'est duc la coupole ou-
ïe verte dont le cadre est entouré d'anges, de fleurs et de guirlandes do-
« rées du plus heureux effet ». Des Granges, loc. cit., p. 85.
(2) Les tètes des Chérubins qui émergent des nuages, formés autour de
la statue de la Sainte Vierge, sont de Mouchy, le neveu de Pigalle.
182 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SL'LHCE.
20 mai 173i, cet autel fut consacré à Dieu, en l'honneur
de saint Pierre et de saint Sulpice, par le frère du curé,
Mgr Languet de Gergy, archevêque de Sens.
Le 11 mai 1733, M. Languet donna le premier coup de
pioche pour ouvrir les fondations du grand portail, qui
fut élevé sur les plans de Servandoni mais ne fut achevé
que onze ans après sa mort, en 1777, par Chalgrin, qui
apporta quelques modifications à ses dessins.
Il avait reçu du duc d'Orléans, en 1723, quelque temps
avant la mort de ce prince, tous les marbres destinés à re-
vêtir à hauteur d'appui les piliers de l'église. En 174-5, le
roi Louis XV lui fit cadeau des deux magnifiques co-
quilles qui servent aujourd'hui de bénitiers à l'entrée de
l'église, et qui étaient un présent de la République de
Venise à François Ier.
Ce fut ainsi qu'après vingt-cinq années de travaux
continus et de prodiges d'activité et d'énergie déployées
par M. Languet, il eut la joie de voir sa belle église suf-
fisamment achevée, pour qu'il pût en faire célébrer la
consécration (1).
(1) En effet, l'église elle-même était achevée en 1733, époque à laquelle
il ne restait plus à élever que la façade, c'est-à-dire le portail extérieur
et les tours.
La construction du portail fut confiée à Servandoni, à la suite d'un
concours ouvert en 1732. où il remporta le premier prix. 11 le termina
en 1744, et l'admiration générale accueillit son œuvre. Il commença éga-
lement les tours, en 1749, et les éleva à la hauteur du deuxième ordre
du portail, en plaçant entre elles un fronton triangulaire qu'indique le
plan de Turgot, exécuté de 1734 à 173"). Mais il ne les termina pas, parce
que les petits campanilles qu'il avait imaginés pour les surmonter, furent
jugés trop maigres. Ce ne fut qu'après sa mort, arrivée en 1766, que la
Fabrique provoqua de nouvelles études pour le couronnement du portail et
l'achèvement des tours; et un avis de l'Académie royale d'architecture, du
7 mars 1768 (analysé, page 40 du Rapport de Nau), sur les divers projets
présentés par les deux architectes : Oudot de Maclaurin et Patte, donné à
la pluralité des voix, jugea préférable de couronner le portail par un fron-
ton, suivant le projet de Servandoni et de Patte, plutôt que de le terminer
par une balustrade et des statues, posées sur des piédestaux , comme le
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). 183
Cette dédicace eut lieu le mercredi, 30 juin 17i5, avec
un éclat et une magnificence qui répondaient à la ma-
jesté du monument.
Il choisit cette date, parce que c'était l'époque de l'As-
semblée du clergé, qui se tenait cette année-là et devait
se terminer au mois de juillet. Il se rendit avec le comte
de Maupas, ministre d'État et son premier marguillier,
chez l'archevêque de Paris, Mgr de Vintimille, pour le
prier de faire la cérémonie avec les archevêques et évê-
proposait Oudot de Maclaurin. (A celte date de 1768, Maclaurin était l'ar-
chitecte de l'église Saint-Sulpice; il avait même construit la porte d'entrée
du cimetière de la rue des Aveugles, qui, plus lard, après la fermeture de
ce cimetière, en 1782, fut transportée à celui du Père-Lachaise. Et Patle
s'était fait connaître par la publication d'un ouvrage sur plusieurs monu-
ments de Paris.) Voir à la page 389 la vue cavalière de Saint-Sulpice.
Ce fut toutefois Maclaurin qui réussit à faire adopter son plan des tours,
à deux étages superposés : l'un octogone sur base carrée, l'autre cir-
culaire. Mais à peine en avait-il fini le gros œuvre, qu'on les jugea, elles
aussi, insuffisantes; et ce fut Chalgrin, l'architecte du Roi, qui reçut du Gou-
vernement, en 1777, la mission de les démolir et de les reconstruire sur
un plan plus grandiose. Il réédifia en entier la Tour du Nord, de 1777 à
1780. Mais la Révolution ne lui donna pas le temps de refaire la Tour du
Sud qui est restée, encore aujourd hui, telle que l'avait laissée Maclaurin.
(En 1792, le curé constitutionnel et les marguilliers de Saint-Sulpice solli-
citèrent et obtinrent du Maire de Paris la démolition immédiate, pour
cause de sûreté publique, de la charpente placée à la Tour du Sud depuis
1782, après qu'elle eut servi, de 1777 à 1780, à la reconstruction de la
Tour du Nord.) Quant au fronton de Servandoni presque entièrement dé-
truit par la foudre, qui tomba sur l'église en 1770, il s'agissait pour
Chalgrin ou de le rétablir ou de le remplacer. Il se rangea à l'avis de Ma-
claurin et adopta son plan, qui substituait à ce fronton une balustrade
surmontée de quatre statues. Mais il ne lui fut pas donné non plus d'en
achever l'exécution-, il ne put que faire dresser les quatre grands dés
destinés à servir de supports aux statues. Ces dés restèrent isolés et en
saillie au-dessus de la seconde galerie jusqu'en 1869, où l'on renonça défi-
nitivement à l'érection, trop difficile et trop coûteuse, des statues. Ce fut
alors que l'architecte de la ville, M. Ginain, membre de l'Institut, combla
les vides laissés dans l'intervalle des dés par des balustres qu'un entable-
ment de pierre relie les uns aux autres, et dont l'ensemble rappelle assez
heureusement la balustrade supérieure de la partie du vieux Louvre qui
fait face au quai.
184
HISTOIRE DE L'EGLISE SAlNT-SULPICE.
Élévation du grand portail de l'église de Saint-Sulpice de Paris, bâtie sur les dessins
et sous la conduite de Sr Servandoni, chevalier de l'Orde militaire du Christ, et
membre de l'Académie rovale de Paris.
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748).
185
Élévation du portail de Saint-Sulpice élevé et composé par Servandoni, jusqu'au com-
mencement des tours — et les tours, composées et élevées par le Sr Chalgrin, ar-
chitecte du Roy et de son Académie, premier architecte et intendant de Monsieur.
186 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
ques de l'Assemblée dont il était le premier président.
Mais le prélat déclina son invitation à cause de son grand
âge (il avait quatre-vingt-dix ans) et autorisa M^ de Ras-
tignac. archevêque de Tours et second président de l'As-
semblée, aie remplacer avec tous les autres prélats, qu'il
autorisa à officier ponlificalement à Saint-Sulpice, pen-
dant tous les jours de l'octave de la Dédicace. Il se pré-
senta ensuite chez tous ces prélats, chez les agents géné-
raux du clergé et chez tous les députés du second ordre,
qu'il invita à assister à la cérémonie.
La veille, jour de la fête de saint Pierre et de saint
Paul, après l'office du soir, il transporta solennellement
de l'église dans la chapelle du Séminaire les reliques
des saints martyrs, Maurice et Primitif, destinées à être
déposées dans le tombeau de l'autel qui devait être
consacré le lendemain, avec toutes les autres reliques
de Saiuts dont se composait le trésor de l'église. Puis
on récita les Vigiles selon l'ordre prescrit par le Pon-
tifical.
Le lendemain, 30 juin, les archevêques et évêques de
l'Assemblée, désignés pour les fonctions de consécra-
teurs, se rendirent, à six heures du matin, au grand Sémi-
naire où ils se revêtirent du roche t et du camail, puis
de là à l'église, avec tout le clergé, escortés par un régi-
ment de Gardes suisses, tandis que des officiers du Guet
gardaient toutes les portes de l'église.
Les prélats étaient au nombre de vingt et un : sept
archevêques et quatorze évêques (1). Ils furent reçus à
(1) Les sppt archevêques étaient NN. SS. de Rastignac, arch. de Tours-,
de Crillon, arch. de Narbonne; de Saulx Tavannes, arch. de Rouen; de
la Roche-Aymon, arch. de Toulouse; Fouquet, arch. d'Embrun; de
Bellefonds, arch. d'Arles; d'Audibert deLussan, arch. de Bordeaux.
Les 14 évêques étaient jNN. SS. de la Chapelle, év. de Vabres ; de Vacon,
év. d'Apt; de Montmorin de Saint-Herem, év. de Langres; de Caulet, év.
de Grenoble; Guenet. év. de Saint-Pons; d'Albert de Luynes, év. de Baveux;
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). 187
l'entrée par M. Languet à la tête de son clergé, et con-
duits au milieu de la croisée ou transept de l'église
devant le maitre-autel. Après les prières, l'archevêque
de Tours fit sortir tout le monde de l'église, à l'excep-
tion d'un diacre, en étole, à qui il en commit la garde, et
fit allumer les cierges placés devant chacune des croix
peintes sur les douze piliers désignés pour recevoir les
onctions du saint chrême. Alors tout le clergé, précédant
les prélats, retourna processionnellement à la chapelle
du Séminaire où l'on récita les prières prescrites devant
les saintes reliques; les prélats se revêtirent de leurs
habits pontificaux, ayant tous la mitre en tête, leurs
crosses particulières à la main et des chappes uniformes.
Ils revinrent processionnellement à l'église et s'arrê-
tèrent dans le vestibule du grand portail. Là, on chanta
les Litanies des Saints, à la fin desquelles les prélats
bénirent tous ensemble l'eau et le sel; après quoi, ils se
séparèrent en deux groupes pour asperger, à droite
et à gauche, les murs extérieurs de l'église, à trois re-
prises différentes. L'archevêque de Tours frappa alors,
par trois fois, à la porte principale de l'église, qui fut
ouverte par le diacre resté dedans; puis les prélats con-
sécrateurs firent avec leurs crosses le signe de la Croix
sur le seuil de cette porte et entrèrent dans l'église
avec les seuls officiers nécessaires pour la cérémonie,
pendant que le reste du clergé, demeurant dans le ves-
tibule , continuait le chant des antiennes et des prières
prescrites.
Les prélats, rangés au milieu du transept, entonnèrent
le Veni Creator, pendant lequel deux prêtres répandi-
de la Fruglaye, év. de Tréguiers; de Cossé de Brissac, év. de Condom ;
de Gaujac, év. d'Aire; d'Aulan, év. d'Acqs; du Bellay, év. de Fréjus;
de Beaumont d'Autichamp, év. de Tulle; de Ribeyre, év. de Sainl-
Flour, de la Rivière, év. de Troyes.
188 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
rent de la cendre, en forme de croix de Saint- André,
dans toute la longueur de la nef. On chanta ensuite , à
nouveau, les Litanies des Sai/its et les autres prières
ordinaires, pendant lesquelles seize des prélats consécra-
teurs, placés quatre à quatre devant chacun des bras de
la croix de cendres, y tracèrent avec leurs crosses toutes
les lettres des alphabets, grec et latin, selon l'ordre du
Pontifical, pour marquer l'union de tous les peuples de
la terre dans le sein de l'Église.
Ils se rendirent ensuite à la chapelle de la Sainte Vierge
dont l'autel allait être consacré. Ils trouvèrent, au milieu
de la chapelle, préparés sur une crédence, l'eau, le
sel, la cendre et le vin, qui furent bénits, puis mêlés en-
semble. Après quoi, les prélats se rendirent au bas de
l'église, devant la grande porte et en dedans. L'arche-
vêque de Tours fit avec le bas de sa crosse deux croix
sur cette porte, l'une en haut, Vautre en bas. On revint
ensuite à la chapelle de la Sainte Vierge où l'on procéda
à la consécration de l'autel, avec les cérémonies et les
prières prescrites par le Pontifical.
Après les préliminaires de cette consécration, les pré-
lats sortirent de la chapelle et, partagés en deux corps,
ils aspergèrent, chacun de leur cùté, à trois reprises, les
murs intérieurs de l'église, puis arrosèrent le pavé avec
la même eau, qu'ils répandirent en forme de croix dans
toute la longueur et la largeur de l'église. Ils retournèrent
ensuite à la chapelle de la Sainte Vierge , où l'archevêque
de Tours fit, selon l'ordre du Pontifical, le mortier desliné
à sceller le tombeau de l'autel dans lequel devaient être
renfermées les saintes reliques. Après quoi, on se rendit
processionnellement au Séminaire, pour y reprendre les
reliques qu'on rapporta solennellement clans l'église.
Quand on y fut arrivé , la procession fit le tour extérieur
de l'église; puis l'archevêque de Tours fit l'onction du
saint chrême sur la grande porte, et la procession entra
M. LANGUET DE GERGV (1714-1748). 189
dans l'église dont elle fit encore le tour, en se rendant à
la chapelle de la Sainte Vierge pour y terminer la con-
sécration de l'autel.
Après quoi, six archevêques et six évèques, du nombre
des consécrateurs, allèrent se placer devant les piliers
désignés pour recevoir les onctions. Les six archevêques
se rendirent devant les six piliers du chœur; les six évè-
ques devant ceux de la nef. Au même instant, ils firent
tous sur la croix de chaque pilier l'onction du saint
chrême et encensèrent ensuite cette croix par trois fois.
Pendant ce temps, l'archevêque de Tours achevait la con-
sécration de l'autel de la Sainte Vierge avec les autres
prélats consécrateurs.
Il se disposa alors à célébrer la messe pontificale. A ce
moment, huit autres prélats de l'Assemblée du clergé,
qui n'avaient pas pu assister à la cérémonie de la Dédi-
cace, arrivèrent à l'église avec tous les députés du second
ordre, précédés de douze Suisses de la grande livrée du
Roi, et escortés d'une Compagnie des Gardes suisses (1).
L'archevêque de Sens, qui arrivait tout exprès de son
diocèse, se joignit à eux, à leur entrée* dans le chœur.
Ils y prirent tous les places qui leur avaient été préparées.
Les vingt prélats consécrateurs entourèrent seuls le sanc-
tuaire, mitre en tète, pendant toute la grande messe,
excepté aux endroits où le cérémonial exigeait qu'ils le
quittassent.
Après la messe, tous les prélats, au nombre de trente,
les agents du clergé (-2) et les députés du second ordre (3)
(1) C'étaient NN. SS. les évêques de Màcon , de Blois, de Saint-Papoul,
de Sénez, de Cahors, de Laon. de Boulogne et de Saint-Paul-trois-Chà-
teaux.
(2) Les deux agents généraux du clergé étaient les abbés de Breteuil et
de Nicola'y.
(3) Les députés du second ordre étaient au nombre de trente-un, tous
en manteau long et bonnet carré comme les deux agents du clergé.
190 HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SULPICE.
se rendirent à l'hôtel de l'archevêque de Sens, qui les
avait invités à diner. Après le repas, tous retournèrent à
l'église, et s'arrêtèrent au banc d'oeuvre pour entendre
le sermon sur la Dédicace, qui fut prêché par l'abbé
Clément, aumônier et prédicateur du Roi. Ils reprirent
ensuite leurs places du matin autour du sanctuaire et au
chœur, où les vêpres et le salut furent chantés solennel-
lement (1) au milieu d'une foule de fidèles heureux
d'être les témoins de la gloire dont le lieu saint était en-
vironné.
Selon l'usage de l'Église, une indulgence d'une année
fut accordée par les prélats cousécrateurs à toutes les
personnes qui visitèrent la nouvelle église, avec les dis-
positions requises, le jour de sa dédicace, et une autre
de quarante jours, à perpétuité, à toutes celles qui la
visiteraient à chaque anniversaire de cette auguste céré-
monie.
Pendant l'octave, l'office fut célébré chaque jour, avec
une grande solennité : le premier jour, par le chapitre
de Notre-Dame; le second, par le clergé de l'église des
Invalides; le troisième, par le Séminaire Saint-Louis,
composé alors de plus de 150 ecclésiastiques ; le quatrième,
qui était un dimanche, par le clergé de la paroisse; le
cinquième, par le Séminaire des Missions étrangères; le
sixième, par celui de Saint-Nicolas du Chardonnet; le
septième enfin, par le clergé du Séminaire de Saint-Sul-
pice, dont le supérieur, M. Couturier, célébra tous les
offices de la journée.
En mémoire de cette Dédicace, on plaça dans le bas
de l'église deux inscriptions gravées sur des tables de
(1) La musique du salut avait été composée par M. Clérambault, l'or-
ganiste de Saint-Sulpice. Plus de quatre-vingts musiciens et symphonistes
s'y firent entendre.
Après la bénédiction, il se fit une grande décharge déboîtes.
M. LANGOET DE GLRGY (1714-1748). 191
marbre noir : la première, contenant les noms des pré-
lats consécrateurs et des autres prélats qui avaient honoré
de leur présence l'office du jour; la seconde, qui était un
court exposé de la cérémonie.
M. Languet en composa aussi une relation détaillée (1)
qu'il fit magnifiquement imprimer et qu'il distribua aux
principaux habitants de la paroisse et à d'autres person-
nages distingués, entre autres au Roi de Prusse, Fré-
déric II, avec qui deux de ses frères avaient été en rap-
ports pendant leur long séjour en Allemagne, et qui lui
répondit de Potsdam, le i octobre 1748, par la lettre
suivante :
« Monsieur, j'ai reçu avec plaisir le procès-verbal de
« la consécration de votre église; l'ordre et la magnifî-
« cence de ces cérémonies ne peuvent que donner une
« grande idée du Temple qui en a été l'objet et suffiraient
« pour caractériser votre bon goût. Mais ce qui, je le
« sais, vous distingue bien plus encore, c'est la piété, la
« charité et le zèle que vous faites éclater dans la con-
« duite de votre Église, qualités qui, pour être de néces-
« site dans un homme de votre état, ne lui en méritent
« pas moins l'estime et l'attention de tout le monde.
« C'est à elles que vous devez, Monsieur, le témoignage
« que je veux bien vous donner ici de la mienne. Sur
« ce, je prie Dieu qu'il vous ait dans sa sainte et digne
« garde. »
A cette époque, il avait formé le projet de quitter sa
cure. Mais auparavant il voulut donner un témoignage
éclatant de sa dévotion au Sacré Cœur de Jésus, en lui
consacrant une chapelle de son église et en y faisant célé-
brer, pour la première fois, la fête solennelle du Sacré-
(1) Notre récit de cette consécration n'est que le résumé de la relation
de M. Languet, tel qu'il est consigné dans les Mémoires manuscrits de la
Compagnie de Saint-Sulpice.
192 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAIXT-SULP1CE.
Cœur (1). H choisit la première de la nef, à côté du portail
Saint-Pierre, qui était placée sous l'invocation de saint
Etienne, de saint Laurent et de tous les martyrs, et qui
avait été bénite, le 9 avril 172V, par M. l'abbé Abraham
d'Harcourt, vicaire général du cardinal de Xoailles. Il lui
donna la décoration sévère , toute en chêne foncé , qu'on
y admire encore (2) : ses hautes boiseries sculptées, avec
moulures dorées, ses deux confessionnaux du même style :
son autel, sur le devant duquel est un pélican, et le retable
qui le surmonte , orné de deux colonnes cannelées avec
bandeaux de pampres de vigne , et divisé en deux parties :
supportant dans Tune un superbe Christ en croix, de gran-
deur naturelle, et montrant dans l'autre un cœur enflammé
et ouvert, qui se détache d'une couronne d'épines et d'où
s'échappent des gouttes de sang, recueillies dans un
calice que tiennent dans leurs mains deux anges age-
nouillés et en adoration devant lui (3). Et le dimanche,
1er septembre 17'+8, l'autel de la nouvelle chapelle du
Sacré-Cœur fut consacré par le Nonce du Pape , M81 Durini,
archevêque de Rhodes. L'après-midi, le prélat assista au
sermon Sur la dévotion au Sacré-Cœur, prononcé par le
(1) Ce fut en août 1689, après plusieurs révélations, que la bienheureuse
Marguerite Marie écrivit à la Mère de Saumaise que Noire-Seigneur voulait
se servir de la France pour réparer les amertumes et les outrages qui lui
étaient prodigués, et qu'il y demandait l'érection d'un édifice à la gloire
de son Sacré-Cœur pour y recevoir la consécration de tout le pays.
En 1720, lors de la peste de Marseille, apportée d'Orient, M?r de Bel-
zunce consacra son diocèse au Sacré-Cœur et la peste disparut.
En 1728, Marie Leczinska décida le Roi de Pologne et l'évéque de
Cracovie à appuyer la requête des Monastères de la Visitation de France,
pour obtenir l'extension de la Fête du Sacré-Cœur à toute la France; et elle
avait , à Versailles, une chapelle qui lui était dédiée. Mais ce fut à Saint-
Sulpice que son culte public fut inauguré, pour la première fois, à Paris.
(2) Voir la gravure, p. 313.
(3) Ce Christ avait été sculpté, en 1696, au prix de 656 livres, par Jean
Poulletier, sculpteur du Roi; et il demeura posé sur la grille qui sépa-
rait le chœur de l'ancienne nef, jusqu'à la démolition de cette dernière,
en 172i. Rem. hist., t. I, p. 152.
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). 193
Père Griffet, jésuite, et officia ensuite pontificalement
aux vêpres et au salut (1).
Quelques jours après, M. Languet crut pouvoir ajouter
à l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement une seconde
adoration perpétuelle au Sacré-Cœur de Jésus. Il s'y ins-
crivit le premier; et son exemple fut aussitôt suivi par
un grand nombre de prêtres et de pieux fidèles. Il fixa les
lieux de cette adoration aux trois autels de l'église où
repose le Saint-Sacrement : devant le maitre-autel, dans
la chapelle de la Sainte Vierge et dans celle du Sacré-
Cœur; et il fixa la fête de l'Association au dimanche après
l'octave de la Fête-Dieu, jour de la fête du Sacré-Cœur de
Jésus (2).
Deux mois plus tard, il résignait sa cure à M. Dulau
d'Allemans, son vicaire, et l'en mettait lui-même en pos-
session, le 19 novembre 17V8.
Il n'en continua pas moins de rendre à la paroisse tous
les services qui dépendaient de lui, faisant habituellement
le prône du dimanche, et travaillant toujours à l'affer-
missement de son œuvre de V Enfant-Jésus.
(1) A cette occasion, M. Languet fit placer dans la chapelle l'inscription
suivante, qui relaie à la fois sa consécration, celle du maître-autel et celle
de l'église entière :
* Princeps altare
Consecravit
Joanncs Josephus Languet de Gergy,
Archiepiscopus senoneiisis.
Die -20 a Martii MDCCXXX1V.
L'niversam hanc Basilicam
Cleri Gallicani Anlistites
Numéro xxi consecraverc
30 à junii MDCCXLY.
Hoc altare Excellentissimus
Carolus Franciscus Durini,
Archiepiscopus Khodiensis
Consecravit, dicavit
Sacris cordibus Iesu et Maria-
Die 1° Septembris MDCCXLVUI.
(2) On pouvait s'inscrire comme membre de cette Association ou Con-
ÉCUSE SAIST-SULPICE. 13
194 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
En 1750, avant de partir en vacances, il eut le pressen-
timent de sa mort; il se confessa à M. Dulau et reçut de
sa main la sainte communion dans la chapelle du Sacré-
Cœur. Il y avait à peine un mois qu'il était à son ab-
baye deBernay, quand il y mourut subitement, le 11 oc-
tobre 1750. La Compagnie de Saint-Sulpice perdit en lui
un de ses membres qui lui ont fait le plus d'honneur; la
paroisse , celui de ses curés qui lui a rendu les services
les plus considérables; et les pauvres, le plus libéral et
le plus prodigieux de leurs bienfaiteurs.
La Fabrique s'acquitta noblement de la dette de re-
connaissance qu'elle avait envers lui. Elle lui érigea,
dans la chapelle de Saint-Jean-Baptiste, son patron (1),
au-dessus du caveau qui renfermait ses restes, un fort
beau mausolée, dont elle confia l'exécution à un sculp-
teur de talent, Michel-Ange Slodtz (2); M. Languet y est
représenté au moment où il vient d'être frappé par la
mort, que l'on voit encore derrière lui; il est revêtu de
son surplis et de son étole, à genoux sur un coussin et les
yeux fixés sur le ciel, dont un ange, debout à sa droite,
lui permet déjà de contempler les splendeurs, en rele-
vant au-dessus de sa tète le voile qui les lui avait cachées
frérie, tous les jours, à la sacristie. Il n'y avait aucune somme d'argent à
verser pour cette inscription, ni aucune cotisation annuelle à payer ensuite.
11 n'y avait non plus aucune prière vocale d'obligation pour la Confrérie.
Il suffisait de choisir une heure, dans l'année, pour faire son adoration.
On pouvait même se borner à se faire inscrire sur le registre de l'Asso-
ciation , à offrir son cœur et son amour au cœur de Jésus et à observer ses
commandements. Hem. hist., t. I, p. 99 et 100.
(1) Au-dessus de l'autel en marbre rouge et vert de cette chapelle est
une statue en marbre de Saint Jean-Baptiste, de Boizot.
(2) Cette œuvre remarquable fut payée 28.000 livres à Slodtz par la Fa-
brique. Elle lui avait d'abord alloué 25.000 livres pour ce travail; mais, sur
sa réclamation de 15.000 livres en plus, elle se borna à lui offrir 3.000 li-
vres de supplément, dont il se déclara satisfait.
Les riches marbres de ce mausolée furent donnés par M. Dulau qui
paya, en outre, tous les frais de sa pose. Nau, ibid., p. 276. «
M. LANGUET DE GERGY (1714-1748). 195
jusque-là; et elle fit graver, sur le soubassement de ce
cénotaphe, l'inscription suivante un peu longue peut-être ,
mais qui résume bien la vie si belle de réminent curé :
« Ici repose dans le Seigneur, — Jean-Baptiste-Joseph
Languet de Gergy, né en Bourgogne d'une noble famille,
— docteur de la Faculté de Paris, de la maison de Sor-
bonne, — curé.de la paroisse de Saint-Sulpice pendant
trente-cinq ans, — sur la fin de ses jours abbé de Sainte-
Marie de Bernay, — et toute sa vie, occupé à faire écla-
ter sa ferveur et sa magnificence pour le culte de la Mère
de Dieu. — Il éleva ce temple dans toute la grandeur et
la majesté qu'on y admire, — il en conçut le projet sans
autres fonds qu'une sainte confiance, — il l'exécuta grâce
à la piété généreuse du souverain, — mais la conservation
des temples vivants de Jésus-Christ fut le premier et le
plus cher de ses soins. — Ingénieux à découvrir la mi-
sère, prodigue pour la soutenir, il soulageait les indigents,
indigent lui-même; — il leur donnait des vêtements, et
lui-même s'en refusait; il les nourrissait, et se privait lui-
même d'aliments; — procurant aux pauvres les trésors des
riches, aux riches les prières des pauvres; — heureux
médiateur de ce commerce tout divin qui produit un in-
térêt immortel. — Dans les inondations, dans les incen-
dies, dans les disettes, il fut un port, un refuge, une
ressource. — Actif, vigilant, prompt à exécuter, il n'y
avait sortes de bonnes œuvres qu'il ne secondât par de
puissantes largesses, et qu'il n'entreprît lui-même par
une heureuse prévoyance. — Il ouvrit un asile honorable
à de jeunes vierges d'un sang noble, qu'il consacra à
Jésus Enfant; — il pourvut à leur existence, à leur éduca-
tion. — Les grands ont regretté en lui un homme d'un
excellent conseil ; son troupeau , un guide , un pasteur, un
père; Paris un citoyen bienfaisant; l'Église, un docteur
et un modèle. — Ses vertus le feront vivre éternellement
avec les anges dans le ciel, ses bienfaits avec nous sur la
196 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
terre. — Il mourut le 10 octobre de l'année MDCCL, à
l'âge de soixante-seize ans.
« Jean Dulau, d'Allemans, successeur de ce grand
homme et les marguilliers de cette église lui ont élevé, en
versant des larmes, ce monument de leur amour et de
leur reconnaissance. »
CHAPITRE X
M. DDLAU d'aLLEMAXS (17i8-1777
Sommaire : Noblesse de sa famille. — Il s'attache de bonne heure à la Com-
pagnie; fondions qu'elle lui confère. — Son attention à suivre les errements
de ses prédécesseurs dans la direction de la paroisse. — Il y fait donner
une mission par le P. Bridaiue. — Gratuité des chaises pendant sa durée.
— Note historique sur le produit et les baux successifs des chaises, de 1644
à 1787. — Sa sollicitude envers les pauvres. — Arrêt du Parlement qui rend
obligatoire la présentation du pain bénit. — Générosité de sa conduite
envers la succursale du Gros-Caillou. — Érection de cette succursale en pa-
roisse. — Second démembrement de la paroisse Saint-Sulpice. — M. Dulau
se démet de sa cure en faveur de M. «le Tersae. — Sa mort.
D'une famille noble, originaire de la Biscaye, et qui
vint se fixer en France vers le milieu du xie siècle,
M. Jean Dulau d'Allemans était fils de Jean Arnaud Du-
lau, marquis de la Côte. Il naquit, le 29 octobre 1710,
au château de la Côte, sur la paroisse de Biras, au diocèse
de Périgueux (1). Voué de bonne heure à l'état ecclésias-
tique , il reçut les ordres mineurs au grand séminaire
d'Angers et entra ensuite à celui de Saint-Sulpice , le
19 octobre 1733. Son désir de s'attacher à la Compagnie
lui fit refuser un canonicat de la cathédrale de Périgueux,
(1) Un de ses frères, Jean-Louis Dulau, fut élevé, en 1742, sur le siège
de Digne, qu'il refusa à sa mort; et leur neveu, Jean-Marie Dulau, qui
devint archevêque d'Arles en 1775, fut une des plus illustres victimes
du Massacre des Carmes. Un autre de leurs parents, Charles Dulau, fut
nommé évêque de Grenoble en 1788, et mourut en odeur de sainteté à
Gratz, en Styrie, en 1804.
198 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
que son frère aîné voulait lui résigner. Il y fut admis,
simple diacre encore, en 1737, par le supérieur général,
M. Couturier, qui l'employa dès alors dans la commu-
nauté des philosophes; et lorsqu'il fut prêtre et qu'il eut
reçu le bonnet de docteur, en mai 1742, il fut nommé Di-
recteur au Séminaire d'Orléans. Trois mois plus tard , il
était appelé à la Communauté des prêtres de Saint-Sul-
pice, où M. Languet le choisit pour son vicaire.
Dans sa longue carrière curiale de près de trente années,
il s'appliqua sans relâche à continuer et à étendre le bien
produit par ses prédécesseurs; à observer l'ordre et les
règlements qu'ils avaient introduits pour la surveillance
de leur clergé, pour l'administration des sacrements,
pour la direction des catéchismes et pour la bonne tenue
des écoles; à soutenir et à développer toutes les œuvres
qu'ils avaient créées pour le soulagement des pauvres.
Il veilla surtout à entretenir l'esprit de foi et de piété
parmi les fidèles par la pompe des cérémonies, dont
l'éclat, notamment dans les processions de la Fête-Dieu,
était sans égal (1), et plus encore par des instructions fré-
quentes et par des retraites ou missions qu'il leur ména-
geait de temps en temps, et où les vérités fondamentales
de la Religion leur étaient rappelées.
La première de ces missions, dont le souvenir fut con-
servé longtemps dans la paroisse, y fut donnée, en 1751,
par le Père Bridaine à l'occasion du Jubilé de l'année
sainte. Homme vraiment apostolique, et doué d'une élo-
quence populaire entraînante , le Père Bridaine ne recher-
chait jamais d'autre succès que la conversion des âmes,
ni d'autres applaudissements que les larmes du repentir.
C'était la première fois qu'il se faisait entendre à Paris. Jus-
que-là il n'avait prêché qu'en province et dans les cam-
(t) Les quatre communautés du Séminaire et celle de la paroisse for-
maient un clergé d'environ 400 prêtres.
M. DULAU DALLEMANS (1748-1777). 199
pagnes ; mais on ne parlait que du succès inouï de sa
mission de Grenoble où le Parlement tout entier suivit la
procession de clôture pour l'inauguration d'une nouvelle
croix. Aussi l'assistance était-elle nombreuse, ce jour-là,
autour de la chaire de Saint-Sulpice, et comptait-elle
dans ses rangs les plus grands noms de la cour et de la
ville, du clergé et de la magistrature (1). A la vue de cette
assemblée d'élite, le Père Bridaine, loin de se troubler,
se sentit inspiré et débuta par cette improvisation , tout
évangélique et restée célèbre :
« A la vue d'un auditoire si nouveau pour moi, il me
semble, mes Frères, que je ne devrais ouvrir la bouche
que pour vous demander grâce en faveur d'un pauvre
missionnaire , dépourvu de tous les talents que vous exi-
gez quand on vient vous parler de votre salut.
« J'éprouve cependant aujourd'hui un sentiment bien
différent, et si je suis humilié, gardez-vous de croire que
je m'abaisse aux misérables inquiétudes de la vanité,
comme si j'étais accoutumé à me prêcher moi-même.
« A Dieu ne plaise qu'un ministre du ciel pense jamais
avoir besoin d'excuse auprès de vous ! Car qui que vous
soyez, vous n'êtes tous comme moi que des pécheurs.
C'est devant votre Dieu et le mien que je me sens pressé,
dans ce moment, de frapper ma poitrine. Jusqu'à pré-
sent j'ai publié les justices du Très-Haut dans des temples
couverts de chaume; j'ai prêché les rigueurs de la péni-
tence à des infortunés qui manquaient de pain; j'ai an-
noncé aux bons habitants des campagnes les vérités les
plus effrayantes de ma religion. Qu'ai-je fait, malheu-
(1) Entre autres : le cardinal de Boauniont, archevêque de Paris; l'évéque
de Chàlons, Ms1 de Juigné; le Prince et la Princesse de Conti, le duc et
la Duchesse du Maine, le comte de Toulouse; les ducs de Richelieu, de
Brissac, d'Elbeuf et de Saint-Simon; le comte de Coëtlogon, le président
de Lamoisnon.
200 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
reux! J'ai contristé les pauvres, les meilleurs amis de
mon Dieu; j'ai porté l'épouvante et la douleur clans ces
âmes simples et fidèles que j'aurais dû plaindre et con-
soler.
« C'est ici, où mes regards ne tombent que sur des
grands, sur des riches, sur des oppresseurs de l'huma-
nité souffrante ou sur des pécheurs audacieux et endur-
cis, ah! c'est ici seulement qu'il fallait faire retentir la
parole sainte dans toute la force de son tonnerre, et pla-
cer avec moi, dans cette chaire, d'un côté la mort qui
vous menace, de l'autre mon grand Dieu qui vient vous
juger. Je tiens aujourd'hui votre sentence à la main, hom-
mes superbes et dédaigneux qui m'écoutez. La nécessité
du salut, la certitude de la mort, l'incertitude de cette
heure si effroyable pour vous, l'impénitence tinale, le ju-
gement dernier, le petit nombre des élus, l'enfer et
par -dessus tout l'éternité! L'éternité!... Voilà le sujet
dont je viens vous entretenir, et que j'aurais dû sans
doute réserver pour vous seuls. Ah! qa'ai-je besoin de vos
suffrages qui me damneraient peut-être sans vous sauver.
Dieu va vous émouvoir, tandis que son indigne ministre
vous parlera; car j'ai acquis une longue expérience de
ses miséricordes. Alors, pénétrés d'horreur pour vos ini-
quités passées, vous viendrez vous jeter entre mes bras,
en versant des torrents de larmes de componction et de
repentir; et à force de remords, vous me trouverez assez
éloquent. »
Un maître dans l'art oratoire, le cardinal Maury, a jugé
ce magnifique exorde digne de Bossuet ou de Démos-
thène (1).
Pendant toute la durée de ces pieux exercices. M. Du-
lau , pour permettre à tous ses paroissiens de les suivre,
(1) Essai sur l'Éloquence de la chaire, par le cardinal Maury, t. I,
p. 143.
M. DULAU D'ALLEMANS (1748-1777). 201
exigeait que l'usage des chaises fût gratuit. Aussi, lors
de la mission de 1759, donnée à l'occasion de l'indul-
gence, en forme de jubilé, accordée à tous les fidèles
par le pape Clément XIII, après son exaltation au sou-
verain Pontificat, cette concession de M. Dulau donna
lieu, de la part du fermier des chaises de Saint-Sulpice,
cà la réclamation d'une indemnité de 2.100 francs qui
lui fut payée moitié par M. le curé et moitié par la Fa-
brique (1).
Six ans auparavant, quelques paroissiens s'étaient re-
fusés à rendre le pain bénit. M. Dulau saisit les tribunaux
de la question; et, le 12 avril 1753, le Parlement rendit
(1) Le bail des chaises de l'église Saint-Sulpice était alors de 1G.000
livres, dont 8.000 payables d'avance et imputables sur les six derniers
mois de sa jouissance, en vertu d'une délibération du Conseil de la Fabri-
que, du 10 août 1756.
Le premier acte de la Fabrique, relatif aux chaises, date de 1644, où
elle autorisa la femme L'oret, en considération de ses grandes dépenses
pour l'entretien de l'église en bon état de propreté, à louer des chaises
aux sermons qui auraient lieu dans l'église. La nef était alors presque en-
tièrement garnie de bancs.
Le 15 janvier, la Fabrique fait bail à la femme du Sr Vesnan, clerc de
l'œuvre, à partir du 1er janvier 1652, et moyennant 100 livres par an, du
droit de placer des chaises aux sermons dans l'église.
Le 2 février 1701, ce bail est fait au prix de 1.800 livres par an, paya-
bles par quart et d'avance. Les chaises, livrées en bon état, doivent être
rendues de même.
A ce bail est annexé le premier tarif, qui doit être placé sous l'orgue :
aux messes basses, 1 sol; aux sermons (les jours ordinaires1, 2 sols
6 derniers; aux sermons (les jours de grande fête), 4 sols, excepté les
jours des Rameaux, du Vendredi Saint et de Pâques, où le fermier
pourra en tirer davantage, mais avec discrétion.
En 1703, ce bail est renouvelé pour deux ans, à 1.900 livres.
Le 18 mai 1708, il y est procédé par adjudication publique.
Le 3 mai 1728, il est fait pour six ans et pour 600 chaises de la Fabrique
à 2.200 livres par an; et, en lin de bail, le fermier devra laisser 1.000 chaises
à la Fabrique.
Les bancs avaient disparu alors avec l'ancienne nef.
En 1730, il est renouvelé pour 1.500 chaises; et le fermier devra en
laisser 2.000 en fin de bail.
Le 20 mai 1739, il est porté à 10.500 livres par an, à la charge par le
202 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
un arrêt de principe, conforme, du reste, aux anciens
usages et à sa propre jurisprudence, qui rendait obliga-
toire pour les paroissiens la présentation du pain bénit,
aujourd'hui entièrement facultative (1).
fermier d'entretenir l'église en bon état de propreté, mais avec un tarif
beaucoup plus élevé :
Les dimanches et fêtes ordinaires, aux messes et prônes « 61
Les mêmes jours, aux sermons ls 3d
Aux vêpres et saluts des mêmes jours « 6l1
Aux prières du soir, quand il y a sermon « 6d
Les fêtes annuelles et solennelles, aux sermons 3S «
Aux grand'messes solennelles ls «
Aux vêpres des fêtes solennelles V »
Aux sermons de l'Avent et du Carême en semaine 25 6J
Aux sermons et vêpres des dimanches de l'Avent et du Carême. 3S «
Aux ténèbres 2S «
Aux sermons du dimanche des Rameaux 5S «
Aux sermons et Passions du Vendredi Saint (le plus haut) 12s «
Aux serinons du jour de Pâques 6S «
Aux sermons du dimanche de Quasimodo 4S «
Le 14 janvier 1745, il est renouvelé à 12.000 livres par an, dont 6.000
comptant et d'avance.
Plus tard, en 1768, il fut porté à 18.000 livres; en 1775, à 19.000 livres,
et en 1787, à 22.500 livres. (Xau, loc. cit., p. 221 à 224.)
(1) Voici le texte de cet arrêt :
« La Cour ordonne que les arrêts des 26 mars 1599, 18 juin 1639, 25
mai 1641, 23 décembre 1672, 29 mars 1710 et 12 août 1733 seront exé-
cutés; ce faisant, que les paroissiens de Saint-Sulpice, de quelque rang,
condition et état que ce soit, seront tenus de rendre à leur tour le pain
à bénir, les dimanches et fêtes solennelles, avec la décence convenable à
leurs rangs, conditions et états, et proportionnés au grand nombre des
fidèles qui doivent y participer, aux jours qui leur seront indiqués par
la présentation du chanteau en la manière accoutumée, et de faire faire
les quêtes ordinaires pour les pauvres, par leurs femmes ou filles ou autres
personnes convenables à leurs rangs, conditions et états; et faute par les
dits paroissiens d'y satisfaire, aux jours qui leur seront indiqués par la
présentation du chanteau, soit qu'ils aient retenu le chanteau, soit qu'ils
l'aient refusé, ordonne qu'ils y seront contraints à la requête de Mes-
sieurs les curé et marguilliers de la paroisse Saint-Sulpice, par toutes les
voies dues et raisonnables; ordonne que le présent arrêt sera imprimé,
lu, publié au prône de la paroisse Saint-Sulpice, et affiché où besoin sera,
pour servir de Règlement. »
Nau, loc. cit., p. 176.
M. DULAU D'ALLEMANS (1748-1777). 203
Le souci constant de M. Dulau, pendant toute son admi-
nistration, fut de pourvoir aux besoins des pauvres, parce
que l'accroissement continu des charges qu'ils lui
créaient correspondait avec une diminution graduelle
des ressources qu'il pouvait leur consacrer.
Cette grave difficulté résultait de ce que le nombre des
indigents de la paroisse augmentait d'année en année —
et les libéralités de M. Languet n'avaient pas peu contri-
bué à les y attirer, — tandis que les diverses sources des
aumônes à la disposition du curé baissaient de plus en
plus : les dons, par les progrès de l'indifférence religieuse
et du luxe chez les grands; et le produit des quêtes et
des troncs, par suite de la crise commerciale dont souf-
frait la bourgeoisie de la capitale (1).
Néanmoins, la charité du zélé pasteur réussit toujours
à la surmonter; et il n'y eut pas une seule année où il se
vit obliger de restreindre l'importance des secours, en
nature ou en argent, qu'il distribuait aux malheureux.
D'un entier désintéressement, il se montra plein de
générosité dans sa conduite à l'égard de la succursale du
Gros-Caillou et des pauvres habitants de ce quartier.
La construction de leur église leur avait causé de
grands embarras d'argent. M. Dulau vint à leur secours ;
il les aida à payer leurs dettes et leur fournit la plus
grande partie du linge, des ornements, des livres et des
vases sacrés nécessaires à la célébration des offices di-
vins. Il fit, en outre, élever à ses frais, en 1759, une nou-
velle école de frères dans leur quartier, et, en 1762,
dans le voisinage , une autre école pour les filles qu'il
confia aux sœurs de Saint Vincent de Paul.
(1) La gène était si générale et si grande que, le 26 avril 1760, la Fa-
brique de Saint-Sulpice envoya à la monnaie, à titre de don patriotique,
à raison des embarras du Trésor public, un grand nombre de vases d'ar-
gent, pesant ensemble 255 marcs. Nau, Rapport sur les archives de
Saint-Sulpice, p. 276.
204 HISTOIRE DE L'EGLISE SAIXT-SULPICE.
Bien plus encore; cette église, qui avait à peine vingt-
cinq ans d'existence, se trouvait tout à fait insuffisante
à raison du rapide accroissement de la population ; il ré-
solut d'en bâtir une nouvelle beaucoup plus vaste; et dès
Tannée 17G3, il en fit commencer les travaux. Un violent
incendie les endommagea gravement, alors qu'ils étaient
déjà avancés, et entraîna leur interruption. Mais M. Du-
lau les fit reprendre bientôt après; et ils lui avaient déjà
coûté plus de 50.000 livres, quand, en 1773, il se vit
obligé de les suspendre, à la suite de nouvelles démar-
ches faites par les principaux habitants du quartier, pour
obtenir l'érection de leur succursale en cure. Malgré l'op-
position de M. Dulau, qui ne voyait aucune utilité à ce
changement, leur requête fut agréée par l'archevêque
de Paris et par l'abbé de Saint-Germain; et le 17 août
1777, une ordonnance du cardinal de Beaumont, arche-
vêque de Paris, suivie, l'année suivante, de Lettres pa-
tentes du Boi , érigea l'église succursale du Gros-Caillou
en église paroissiale sous le nom et l'invocation do Notre-
Dame de bonne Délivrance et de Saint-Christophe île
patron du Prélat), et à la condition que la Fabrique ren-
drait, chaque année, le pain bénit à Saint-Sulpice , dont
cette nouvelle paroisse était démembrée, le dimanche
dans l'octave de la fête de Saint-Sulpice, et que de plus
elle paierait, tous les ans, six livres au curé de Saint-
Sulpice et six livres à la paroisse (1).
La création de cette nouvelle paroisse entraîna le se-
cond démembrement de celle de Saint-Sulpice, en lui en-
levant tout le territoire qui s'étendait d'une part depuis la
chaussée des Invalides jusqu'à la Seine et, en la suivant,
(1) L'église fut brûlée à la Révolution; elle ne fut réédifiée que sous le
règne de Louis-Philippe, et sa paroisse fut rétablie alors sous le titre de
Saint-Pierre du Gros-Caillou. Dans l'intervalle, le service paroissial fut
fait par Sainte-Valère, comme nous l'avons dit plus haut.
M. DULAU DALLE.MANS (1748-1777). 205
jusqu'à l'île des Cygnes, et d'autre part, jusqu'au château
de Grenelle, ainsi que l'École militaire (1).
Sous le coup de vives contrariétés qu'il avait éprouvées,
M. Dulau crut devoir, en mai 176i, donner sa démission
de la cure entre les mains de l'abbé de Saint-Germain,
sans consulter l'archevêque, Mgl de Beaumont, alors exilé
au château de Laroque, en Périgord, à la suite de con-
testations avec le Parlement. L'abbé, en sa qualité de
patron de la cure de Saint-Sulpice, y nomma l'abbé
Noguier, autrefois vicaire de cette paroisse. Mais l'ar-
chevêque, qui l'avait interdit en 1760, lui refusa ses pro-
visions, en motivant son refus sur son défaut d'acceptation
de la démission de M. Dulau et sur la nécessité de cette
acceptation pour la valider et pour donner ouverture à
l'exercice du droit du patron. L'abbé Noguier se pourvut
contre cette décision devant l'archevêque de Lyon, Mgr de
Montazet, en sa qualité de Primat des Gaules, pendant
que M. Dulau, instruit du mécontentement que sa démis-
sion avait fait éprouver à Mgr de Beaumont, la révoquait
et signifiait cette révocation à l'archevêque de Lyon, qui,
sans en tenir compte, se prononça en faveur de l'abbé
Noguier. L'affaire fut alors évoquée par les parties con-
tendantes au Parlement de Paris; elle y fut discutée,
pendant sept audiences, par les deux célèbres avocats
Gerbier et Aubry; et au terme des plaidoiries, l'abbé No-
guier prévint sa défaite en signifiant, le 19 mars 1765, à
M. Dulau, le désistement de ses prétentions. Mais la Cour,
sans s'y arrêter et statuant au fond, rendit, le surlen-
demain, 21, un arrêt qui déclarait bonne et valable la
révocation faite par M. Dulau de sa démission, le mainte-
nait, en conséquence, en possession de la cure de Saint-
Sulpice et condamnait l'abbé Noguier aux dépens.
Cette sentence fut accueillie avec joie dans la paroisse
(1) Nau, Rapport vis. sur les archives de Saint-Sulpice, p. 272.
200 HISTOIRE DE LÉGLISE SAINT-Sl'LPICE.
où M. Dulau était généralement aimé; la Cour elle-
même, où il était fort estimé, lui en adressa ses félicita-
tions, par l'organe du Dauphin, qui lui écrivit, à la date
du 23 mars, la lettre suivante :
« J'aurais peine à vous exprimer, Monsieur, la joie
« que j'ai ressentie du succès de votre affaire et plus
« encore de la manière dont la paroisse y a applaudi.
('< Jouissez de votre triomphe; il n'est pas celui de l'or-
« gueil, mais celui de la vertu, qui sait toujours recou-
« vrer ses droits, quand elle est véritable. Elle doit
« aussi vous être un sûr garant de mes sentiments. »
Depuis cette époque, M. Dulau continua de gouverner
paisiblement sa paroisse pendant près de douze ans; mais
alors le poids de l'âge et les infirmités le forcèrent à la
quitter. Il donna sa démission définitive de la cure, le 18
mars 1777, en faveur de l'abbé de Tersac, son vicaire,
qui fut nommé, dès le lendemain, par l'abbé de Saint-
Germain; et il l'installa lui-même le 20, en présence de
sa Communauté, du Séminaire et d'un grand nombre de
paroissiens.
Retiré d'abord à Yaugirard, puis à Issy, auprès de
l'ancien supérieur général de la Compagnie, M. le Gal-
lic, il tint à s'éloigner de Paris aux approches de la Ré-
volution, et alla résider dans le Périgord, auprès de deux
de ses sœurs, à quelques lieues du château de la Côte.
11 mourut à Périgueux, le 14 janvier 1791.
CHAPITRE XI
M. DE TERSAC (1777-1788}
Sommaire : Sa naissance. — Ses études théologiques à Toulouse. — Ses huit
années de vicariat à l'église Saint-Sulpice. — Son agrégation à la Compagnie.
— Sa nomination à la cure de Saint-Sulpice. — Ses rapports avec Voltaire
dans sa dernière maladie. — Il lui refuse la sépulture chrétienne. — Chagrin
que lui cause cette mort affreuse. — Il transforme la communauté des clercs
i\c% Paroisse en petit Séminaire. — Il relève la maison des Orphelins. — Il
augmente le nombre des catéchismes, ajoute des embellissements à la cha-
pelle de la Sainte Vierge, fait achever le grand orgue et remplace les cloches.
— Don de la chaire que lui fait le duc d'Aiguillon. — Ses démêlés avec la
Fabrique. — Il résigne sa cure à M. de Verclos. — Sa mort, survenue avant
la validation par la Cour romaine de cette résignation, la rend nulle et sans
effet.
M. Jean- Joseph Faydit de Tersac naquit en 1739, dans
le diocèse de Conserans (Arièg-e). Après avoir fait son
séminaire et pris ses grades en théologie à Toulouse, il
vint à Paris et entra, le 2 juin 176i, à la Communauté de
la paroisse de Saint-Sulpice. Il était depuis huit ans le
vicaire de M. Dulau, quand il lui succéda en 1777. Cinq
ans après, l'assemblée générale de 1782 ratifiait son agré-
gation à la Compagnie.
Il y avait à peine un an qu'il exerçait ses fonctions cu-
riales, quand il eut à prendre part à l'un des plus tristes
événements de son administration, la mort de Voltaire,
qui eut lieu le 30 mai 1778, chez le marquis de Villette,
dont l'hôtel, situé quai des Théatins, était sur la paroisse
Saint-Sulpice.
Voltaire était revenu à Paris, le 10 février précédent,
208 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
après vingt ans d'absence ; et les transports de joie et les
hommages dont il ne cessait d'être l'objet depuis son
retour, lui causèrent de si vives émotions que, vers la fin
du mois, il lui survint une violente hémorragie qui mit
ses jours en danger. Quelques ecclésiastiques s'offrirent
alors à travailler à sa conversion, entre autres l'abbé
Gauthier, aumônier des Incurables, qu'il fit venir pro-
bablement parce qu'il crut voir en lui un casuiste assez
commode. Toujours est-il que cet abbé concerta avec son
pénitent la profession de foi suivante :
« Je, soussigné, déclare qu'étant attaqué, depuis quatre
« jours, d'un vomissement de sang à l'âge de quatre-
« vingt-quatre ans et n'ayant pu me traîner à l'église;
« M. le curé de Saint-Sulpice ayant bien voulu ajouter à
« ses bonnes œuvres celle de m'envoyer M. l'abbé (7a u-
« thier, prêtre, je me suis confessé à lui, et que, si Dieu
« dispose de moi, je meurs dans la sainte religion catho-
« lique où je suis né, espérant de la miséricorde divine
« qu'elle daignera me pardonner toutes mes fautes; et
« que, si jamais j'avais scandalisé l'Église, j'en demande
« pardon à Dieu et à elle. Signé : Voltaire, 2 mars 1778. »
Cet acte était assurément une bien mince réparation de
tous les scandales donnés par ce contempteur du divin
auteur de notre sainte religion, Notre-Seigneur Jésus-
Christ, et de la plus pure de uos gloires nationales, Jeanne
d'Arc; et M. de Tersac était d'autant plus fondé à en sus-
pecter la sincérité, qu'il y était déclaré faussement que
c'était lui, le curé de Saint-Sulpice, qui avait chargé
l'abbé Gauthier d'aller offrir le secours de son ministère
à Voltaire.
Aussi, en vue de pouvoir apporter à cet acte les recti-
fications et additions qu'il comportait, s'empressa-t-il de
lui faire demander une entrevue; mais Voltaire, qui ne se
souciait pas d'une explication avec son curé, l'éluda en
lui écrivant, dès le k, en termes dont la politesse tra-
M. DE TERSAC (1777-1788). 209
hissait l'ironie, que la seule crainte d'importuner son
pasteur « au milieu de ses grandes occupations, l'avait
« empêché de s'adresser à lui directement; que l'abbé
« Gauthier demeurant sur la paroisse de Saint-Sulpice,
« il avait cru que cet abbé venait de la part même du
« curé de cette paroisse » ; et il lui ajoutait : « Je vous
« supplie de me pardonner de n'avoir pas prévu la con-
« descendance avec laquelle vous seriez descendu jus-
« qu'à moi. Pardonnez-moi aussi l'importunité de cette
« lettre; elle n'exige pas l'embarras d'une réponse; votre
« temps est trop précieux. »
M. de Tersac ne crut pas devoir user de cette liberté
du silence qu'il lui offrait; et revenant à la charge, il lui
renouvela sa demande d'une entrevue dans une lettre
pleine d'égards et de ménagements qu'il terminait ainsi :
« Vous me comblez, Monsieur, de choses obligeantes, et
« que je ne mérite pas. Pour moi, je n'ai à vous offrir
« que le vœu de votre solide bonheur et la sincérité des
« sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc. »
Mais Voltaire se sentait mieux; il ne se prêta pas à
cette visite, et ne profita de sa convalescence que pour
mettre la dernière main à sa tragédie d'Irène et la don-
ner à la scène. On lui persuada qu'elle avait réussi, et il
alla, le 1er avril, assister à sa sixième représentation. Ce
soir-là, son buste, placé sur le théâtre, fut solennellement
couronné, aux applaudissements d'une foule enthousiaste
qui le reconduisit chez lui en triomphe.
Il ne jouit pas longtemps de ces honneurs. Dès le mi-
lieu de mai , de nouveaux accidents se produisirent qui
l'obligèrent à prendre le lit pour ne plus le quitter. Le
30, dernier jour de sa vie, l'abbé Mignot, son neveu, con-
seiller clerc au Parlement , le voyant très mal , alla cher-
cher 31. de Tersac et l'abbé Gauthier, qui essayèrent en
vain de lui inspirer des sentiments conformes à la gravité
de son état; il ne répondit à leurs exhortations que par le
ÉGLISE SAINT-SULPICE. 14
210 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
silence. Alors M. le curé de Saint-Sulpice , s'approchant
de son lit, lui dit avec douceur : « Monsieur de Voltaire,
<( vous ries au dernier terme de votre existence; recon-
<. naissez-vous la divinité de Jésus-Christ? » Le malade
hésita un moment, puis étendant la main, comme pour
repousser M. le curé, il lui répondit : « Monsieur le curé,
« laissez-moi mourir en paix. » Et il se tourna d'un
autre côté. Aussitôt, M. de Tersac et l'abbé Gauthier se
retirèrent. Une heure après, Voltaire n'était plus (1).
M. de Tersac lui refusa la sépulture chrétienne (2). Ses
amis jetèrent les hauts cris; d'Alembert parla même de
recourir au Parlement, comme si le clergé pouvait être
contraint de rendre les honneurs de la Religion à un
(i)Les Mémoires manuscrits sur les curés de Saint-Sulpice oh nous
avons puisé les détails qui précèdent sur la fin de Voltaire, rapportent,
d'après un auteur du temps, le fr. Harel , capucin, qu'après la sortie
des deux ecclésiastiques, M. Tronchin, le médecin de Voltaire, entra dans
sa chambre et le trouva dans des agitations affreuses, criant avec fureur :
« Je suis abandonné de Dieu et des hommes. » Le Docteur, en racontant,
dans tous ses détails, cette mort terrifiante à des personnes respectables,
n'aurait pu s'empêcher de leur dire : « Je voudrais que tous ceux qui
« ont été séduits par les livres de Voltaire, eussent été témoins de sa
« mort; il n'est pas possible de tenir contre un pareil spectacle. »
Ce récit de Tronchin aurait fait grand bruit dans le public; les disciples
de Voltaire l'auraient mis en doute; mais ie docteur l'aurait confirmé à
l'évêque d'Orange, Msr du Tillet, un jour que, dînant avec lui, le Prélat,
le prenant à part, après le repas, lui dit : « J'ai entendu dire que vous
avez été témoin de la mort de Voltaire, et que l'ayant tu expirer dans
la rage et le désespoir, vous avez raconté le fait dans les termes qu'on
vous a attribués. Est-ce vrai? » Et Tronchin lui aurait répondu : « Mon-
« seigneur, il est très vrai que je me suis trouvé présent à la mort de
« Voltaire. Je ne puis me rappeler les termes dont je me suis servi alors;
« mais vous pouvez être assuré que ceux qu'on m'attribue rendent le
« sentiment que j'ai éprouvé à cette épouvantable mort. » Mém. mss.,
article sur M. de Tersac, p. 2 à 9.
(2) Pendant la dernière maladie de Voltaire, il avait été décidé à l'ar-
chevêché de Paris qu'on ne l'admettrait pas à la sépulture chrétienne, s'il
ne signait une rétractation formelle des impiétés contenues dans ses écrits.
On avait même d'avance dressé l'acte de cette rétractation, qui fut remise
à l'abbé Gauthier. Mém. mss., ibid., p. 9.
M. DE TERSAC (1777-1788). 211
homme qui avait passé sa vie à déverser sur elle le mé-
pris et la haine. Mais ils se ravisèrent; et, sur un nouveau
refus des Cordeliers qui cependant étaient dans l'usage
de célébrer un service à la mort de tout académicien , ils
se hâtèrent de transporter son corps à l'abbaye de Scel-
lières, en Champagne , dont son neveu était commenda-
taire, et de l'y faire enterrer avant la défense de l'évèché
de Troyes, qui arriva trop tard (1).
M. de Tersac ressentit un chagrin profond de cette
mort horrible, qu'il avait tout fait cependant pour épar-
gner au malheureux. Mais il eut bientôt un sujet de
grande consolation dans les témoignages de plus en plus
nombreux d'estime et d'affection qu'il reçut depuis lors
de ses paroissiens. Sa bonté, sa douceur, sa touchante
sollicitude pour les pauvres, jointes à son talent d'orateur
et à son habileté en affaires, lui attiraient les sympathies
même des hérétiques. Mme Necker, quoique protestante,
lui avait donné toute sa confiance; et elle le chargea, dès
l'année 1778, de fonder pour elle l'hospice de 120 ma-
lades, qui porte encore son nom.
Aussi pour lui, comme pour M. Languet, toutes les
bourses demeuraient-elles ouvertes ; et il y puisait large-
ment pour le soutien de toutes ses œuvres paroissiales,
pour le développement des plus utiles et pour le relève-
ment de celles qui étaient en souffrance. C'est ainsi que
de concert avec M. Emery, il transforma la communauté
des clercs de la paroisse en un petit Séminaire, pépinière
précieuse pour le recrutement du clergé, où il fit admet-
tre, depuis la classe de quatrième jusqu'à celle de philo-
sophie inclusivement, tous les jeunes aspirants au sa-
cerdoce. C'est ainsi encore qu'il releva la maison des
Orphelins, fondée par M. Olier en 16i8, mais qui, depuis la
(1) Un décret de l'Assemblée nationale, du 8 mai 1791, ordonna la trans-
lation de ses restes au Tanthéon.
212 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
mort de M. Languet, déclinait d'année en année. 11 com-
mença par lui faire octroyer, à la date du 21 novembre
1778, des lettres patentes du Roi, qui l'autorisaient : 1° à
recevoir non plus seulement des enfants de l'un et l'autre
sexe, orphelins de père et de mère, ainsi que l'exigeaient
ses premiers statuts (1), mais même des tilles qui ne se-
raient orphelines que de père ou de mère; 2° et à élever
à 300 livres le prix de la pension des orphelins que les
mêmes statuts ne fixaient qu'à 150 livres. Puis, de ses de-
niers personnels, il acheta pour elle, au prix de 16.000 li-
vres, une maison contignë, qui appartenait à la com-
munauté de l'Instruction chrétienne établie rue du
Pot-de-Fer; il lui procura également l'acquisition d'une
autre petite maison à la suite ; et, après leur démolition, il
fit élever, sur leur emplacement, un nouveau bâtiment,
parfaitement approprié à sa destination, avec une cha-
pelle intérieure, au prix de 120.000 livres, sur lesquelles
il lui donna encore Ci. 000 livres, ne laissant ainsi à sa
charge que les 56.000 livres de surplus, dont elle put
aisément se libérer au moyen d'un emprunt, parce que
ce nouveau bâtiment lui rapporta de suite un revenu de
i.iOO livres, bien supérieur à l'intérêt exigé par le ser-
vice de'cet emprunt (2). Il sut également mettre à profit
la bienveillance de M. Emery qui n'avait rien de plus à
cœur, à l'exemple de ses prédécesseurs, que d'entretenir
de bons rapports avec la paroisse , pour augmenter le
nombre des catéchismes en les portant à vingt-six et pour
obtenir de lui que désormais les séminaristes, employés
(1) Ces premiers statuts avaient été fixés par les Lettres patentes du
mois de mai 1678.
(2) Le Bureau des administrateurs de celte maison lui en témoigna sa
vive reconnaissance dans sa séance du 23 avril 1784. V. le Procès-verbal
de celte séance dans le Registre des délibérations du bureau des Or-
phelins de la paroisse Saint-Sulpice de 1G79 à 1793, conservé dans les
archives de l'église, p. 170 à 176.
M. DE TEKSAC (1777-1788). 213
à leur direction, fussent au nombre de soixante-dix (1).
Les intérêts spirituels de sa paroisse et le soutien de ses
œuvres charitables ne lui faisaient pas négliger la déco-
ration de son église, à laquelle il prit une grande part.
Très apprécié dans la haute société comme dans les
sphères du pouvoir, il avait su profiter de son crédit à
la Cour pour s'affranchir de la charge de l'achèvement
de l'église, dont il restait encore à élever la façade supé-
rieure du portail et les tours; et il avait réussi à la faire
assumer par le gouvernement, en lui cédant l'adminis-
tration de la Loterie dont une partie seulement des béné-
fices restait maintenant affectée à l'acquit de cette dé-
pense (2). Le plan et la direction de ces derniers travaux
furent aussitôt confiés par l'État à Chalgrin, architecte
du Roi , qui mit quatre ans à les finir et les termina en
1780 (3).
Ainsi délivré de ce grave souci dès les premiers temps
de son ministère pastoral, M. de Tersac employa à l'em-
bellissement de l'église toutes les ressources dont il put
disposer.
Ce fut lui qui, en 1780, dans la chapelle de la Sainte
Vierge, substitua à sa statue d'argent, dont la garde était
continuelle et fort dispendieuse , celle en marbre de
Pigalle. Il avait déjà remplacé l'autel que M. Languet avait
(1) L'abbe Gosselin, Vie de M. Emery, neuvième supérieur général de
la Compagnie de Saint-Sulpice, t. I, p. 188.
(2) Un arrêt du Roi en son Conseil, du 7 septembre 17G2, avait ordonné
que la Loterie, dite de Saint-Sulpice, serait supprimée et remplacée par
une autre Loterie, sous le titre de Loterie de piété et d'utilité publique,
dont le produit serait affecté, savoir : pour moitié en faveur du nouveau
bâtiment de l'église de la Madeleine et pour l'autre moitié à diverses œu-
vres de piété et d'utilité publique, même en faveur de l'église Saint-
Sulpice, mais dont S. M. se réservait de faire l'application.
(3) La Fabrique lit illuminer les Tours de Saint-Sulpice, pour la pre-
mière fois, le 4 novembre 1781, à l'occasion de la naissance du Daupbin,
lils de Louis XVI. 500 lampions furent placés sur chacune des deux Tours.
Nau, loc. cit., p. 277.
214 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
fait consacrer en 1745, par un autre, beaucoup plus riche,
en marbre blanc, orné d'un bas-relief en bronze doré,
représentant les Noces de Cana, et d'un tabernacle,
fermé par une porte, aussi en bronze doré, sur laquelle
se détache un Christ en croix et surmonté d'un agneau
couché, en argent.
Le Nonce apostolique consacra cet autel, le 7 décembre
1778; et une bulle du pape Pie VI, du 7 août 1780,
déclara cet autel privilégié sous le titre de l'Immaculée
Conception de la Sainte Vierge.
Ce fut lui encore qui fit achever le grand orgue. Un pre-
mier plan en avait été dressé par Servandoni, dont la
composition originale et religieuse avait plu à M. Lan-
guet; mais il ne ménageait pas la place lu buffet, et cet
oubli essentiel le fit rejeter. Un second fut, après sa mort
arrivée en 1766, présenté par Chalgrin : il était bien conçu
et en harmonie avec le style de l'église; la Fabrique
l'adopta le 10 mai 1776. La facture en fut confiée à
Cliquot, la menuiserie à Jadot, les sculptures à Duret. Il
fut livré le 15 mai 1781 et coûta à la Fabrique 87.000 li-
vres (1).
Vers le même temps, elle vota le remplacement des
anciennes cloches par huit nouvelles, pesant, la première,
11,344 1. ; la seconde, 8.072 1. ; la troisième, 5.810 1. ; la
quatrième, 4.789 1.; la cinquième, 3.412 1.; la sixième»
2.423 1.; la septième 1.706 1.; la huitième, 1.451 1.
M. de Tersac les bénit les 22 août, 7, 14, 21 et 28
octobre 1782 (2).
(1) Nau, loc. cit., p. 277.
(2) Elles curent pour parrains et marraines :
La première, Louis XVI, représente parle duc de Villequier, et la Reine,
représentée par h princesse de Chimay;
La deuxième, Monsieur et Madame, frère et sœur du Roi;
La troisième, le comte et la comtesse d'Artois;
La quatrième, le duc d'Angouléme et Mme Adélaïde, tante du Roi;
M. DE TERSAC (1777-1788). 215
Il obtint plus tard du Gouvernement la construction, à
ses frais, des Fonts baptismaux, qui furent bénits le 7 août
1787; et il les plaça au milieu de celle des deux chapelles
du péristyle, qui désormais porte leur nom et qui, située
dans la tour du Nord, a son entrée dans la chapelle Saint-
François-Xavier.
L'autre chapelle du péristyle , qui n'a pas de nom par-
ticulier, est située dans la tour du Midi, et l'on y accède
par la chapelle des Saints Anges.
Ces deux chapelles, de style identique et construites
toutes deux en forme de rotonde, sont ornées chacune
de huit colonnes corinthiennes qui supportent une cou-
pole centrale, l'une pleine, celle de la chapelle des Fonts,
et au milieu de laquelle on a sculpté un Saint-Esprit dans
une gloire; l'autre à jour et fermée par un simple châssis
vitré.
Chacune d'elles est éclairée par une grande fenêtre en
face de laquelle est une arcade, appelée à encadrer un
tableau ou un bas-relief; et entre ses colonnes ont été
pratiquées quatre niches, destinées au support de sta-
tues.
La cinquième, le duc de Berry et Mmo Victoire, tante du Roi;
La sixième, le prince de Condè et Mllc de Bourbon;
La septième, le duc de Penthièvre et la Princesse de Coati;
La huitième, le duc et la duchesse de Biissac.
Ce sont ces cloches à l'égard desquelles les membres de l'Assemblée de
la section du Luxembourg, qui ne parvenaient sans doute pas à s entendre
entre eux, prirent, le 2 août 1792, le burlesque arrêté suivant :
« L'an IV de la Liberté, 2 aoiit, etc., considérant sur l'horrible car-
rillon des cloches de Saint-Sulpice, qu'il semble qu'on prenne à tâche
de les mettre en branle dans le temps de l'Assemblée de la section, bien
qu'elle ait été plusieurs fois prévenir qu'on eut égard à ne pas troubler ses
délibérations, et enlin l'Assemblée, n'y pouvant tenir, nomme trois com-
missaires, Messieurs Tranche, Lejeune et Vigneuil, à l'effet de signifier
aux sonneurs qu'ils aient à ne pas troubler les séances de l'Assemblée et
qu'ils cessent de sonner, après cinq heures du soir. » A Sorel, le Couvent
des Carmes, p. 46.
216 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULP1CE.
Dans la même année 1787, M. de ïersac procura à ces
deux chapelles les divers ornements qui leur manquaient.
A la chapelle des Fonts, il fit dresser dans les niches qui les
attendaient, les quatre statues de la Sagesse, de la Force,
de la Grâce et de Y Innocence , sculptées par Boizot, et
dans l'arcade qui surmonte la porte d'entrée, un Baptême
du Christ en plâtre, œuvre du même artiste. Dans l'autre
chapelle, il fit placer quatre autres statues : la Religion,
la Résignation, Y Espérance et Y Humilité , œuvres de
Mouchy, qui composa également le groupe de la Mort de
saint Joseph, placé dans l'arcade de cette même chapelle.
Au mois de janvier 1788, il fit poser les trois grandes
portes des entrées principales et lalérales du portail, exé-
cutées par le menuisier Chalbaud, sur les dessins de
Chalgrin et au compte du Gouvernement.
C'est à lui enfin que l'église est redevable de sa nou-
velle chaire, exécutée sur les dessins de de Wailly et
donnée, en 1788, par le duc d'Aiguillon-Du Plessis Riche-
lieu, ancien ministre de Louis XV, et premier marguillicr
de la paroisse, en témoignage, est-il dit dans une des
inscriptions latines (1) placées sur les bases de cette chaire,
de sa respectueuse affection pour son digne pasteur (2).
fl) L'inscription de gauche est ainsi conçue : D. O. M. Et sanctissimœ
Religioni, hanc pro veteri novam, pro lignea marmoream et hujus templi
magnificentiae minus disparem calhedram, est, indè cœlestis eloquii sanc-
tum semen perenniter effusum, germinet pacern et veritatem et mores
christianos, et caritatem non fictani; c'est-à-dire : à la Gloire de Dieu
tout-puissant et de la très sainte Religion est consacrée cette nouvelle
chaire, de marbre, qui remplace l'ancienne chaire de bois, et est plus
en rapport avec la magnificence de cette église, pour que la sainte se-
mence de l'éloquence céleste ne cesse d'y être répandue pour faire germer
la paix, la vérité, les mœurs chrétiennes et la vraie charité.
(2) Les deux statues de la Foi et de X Espérance , placées sur les pié-
destaux qui supportent les deux volées de l'escalier, sont l'œuvre de
Guesdon; les figures des Évangélistes qui recouvrent les faces, en bas-
reliefs de bronze doré de ces piédestaux, sont de Edme Dumont, à qui
la Fabrique commanda ensuite le groupe en bois doré de la Charité, qui
M. DE TERSAC (1777-1788). 217
En même temps qu'il complétait si bien La décoration
intérieure de l'église, il s'occupait de pourvoir à sa déco-
ration extérieure , et multiplia longtemps ses efforts pour
faire aboutir le plan de Servandoni qui voulait créer, en
face de ce bel édifice, une place grandiose dont les trois
côtés seraient formés par les façades uniformes de cons-
tructions monumentales. Il était même parvenu à rallier
à ce plan le supérieur général, 31. Emery, qui consen-
tait à transférer son Séminaire sur cette place, pourvu
qu'il y trouvât l'espace suffisant pour l'installation con-
venable des quatre communautés dont il se composait.
L'impossibilité de satisfaire à cette condition fit renoncer
à la réalisation du plan lui-même, qui ne reçut qu'un
commencement d'exécution par la construction de la
maison qui porte aujourd'hui le n° 6 sur la place actuelle,
et qui fut longtemps habitée par M. Leplay, le célèbre
auteur des Ouvriers européens, et de la Réforme sociale.
Tant de travaux ne pouvaient pas s'effectuer sans susciter
bien des embarras et des difficultés à M. de Tersac. Ils
furent même la cause principale des dissentiments regret-
tables qui surgirent entre lui et M. Dulau, son prédéces-
seur, d'une part, et de l'autre , la Fabrique et l'abbé Simon
de Doncourt que ces deux curés avaient chargé depuis
longtemps de la commande et de la surveillance de la
plupart de ces travaux et qui, à ce titre , leur imposa plus
d'une fois des engagements onéreux, sans se préoccuper
assez des ressources nécessaires pour y faire face.
Toujours est-il que les fatigues et les chagrins que lui
causèrent ces fâcheux démêlés, ne tardèrent pas à épui-
ser sa santé. Réduit à un état de faiblesse alarmant, en
juillet 1788, il alla prendre les eaux dans le Nivernais. Au
cours de son traitement, il sentit son mal empirer et il
surmonte l'abal-voix et qu'elle lui paya 1.200 livres, en 1789. Nau. ibid.,
p. 278.
218 HISTOIRE DE L ÉGLISE SAINT-SULPICE.
résigna sa cure à M. de Verclos, le supérieur de sa Com-
munauté, par acte authentique. Quelques jours après la
signature de cet acte, il reprenait à grand'peine la route
de Paris, pour y rendre le dernier soupir, dans son pres-
bytère, le 14 août, à l'âge de quarante-neuf ans (1).
(1) 11 existe actuellement au presbytère un beau portrait de M. de
Tersac, donné à la Fabrique, en 1842. par M. Dehaussy de Robécourt, Con-
seiller à la Cour de cassation. V. P.-V. de la séance du Conseil, du 19 no-
vembre 1842.
CHAPITRE XII
M. DE PANCEMONT (1788-1802
Sommaire. — Sa naissance. — Premières années de sa vie sacerdotale. —
Comment il obtient la cure de Saint-Sulpice, sans être de la Compagnie.
— II est appelé le Père des pauvres. — Difficultés de tout genre que lui
créent les premiers orages de la Révolution. — Sagesse de sa conduite
qu'il s'applique à calquer sur celle de M. Emery. — Te Deum chanté à
Saint-Sulpice, le soir de la prise de la Bastille. — Bénédiction des drapeaux
de la Garde nationale. — Note sur les modes divers de perception des
chaises de 1789 à I83.'>. — Mariage de Camille Desmoulins. — Refus de bénir
celui de Talma. — Pourvoi de ce dernier devant l'Assemblée nationale,
dont le Comité ecclésiastique donne raison à M. de Pancemont. — Sa pé-
tition pour la conservation de l'abbaye Saint-Germain des Prés. — Sa cor-
vée au champ de Mars à l'occasion de la fête de la Fédération. — Sa presta-
tion de serment à la Constitution à l'occasion de la même fête. — Son refus
de serment à la Constitution civile du clergé. — Scènes de violence qu'il
provoque. — Son entrevue avec Bailly, le maire de Paris. — Lettre qu'il
reçoit de Mme Necker. — Troisième démembrement de la paroisse Saint-
Sulpice, prescrit par la Loi du 4 février 1791, qui crée les deux paroisses de
Saint-Germain des Prés et de Saint-Thomas d'Aquin. — Prise de possession
de l'église Saint-Sulpice par l'intrus Poiret. M. de Pancemont prend à
bail l'église des Théatins. — Scènes de désordre, fouet donné à des femmes
pour empêcher l'ouverture de celte église. — M. de Pancemont se relire à
Bruxelles; sa belle lettre à ses paroissiens. — Au bout de six mois il rentre
à Paris et organise secrètement le culte à l'église des Missions étrangères,
à la chapelle du Petit-Calvaire et à celle des Bénédictines du Saint-Sacrement.
— Ses instructions pastorales écrites. — Il se réfugie à Croissy. — Rentré à
Paris, après le 9 Thermidor, il rassemble ses paroissiens dans divers ora-
toires privés. — Mme de Soyecourt lui cède temporairement l'église des
Carmes. — Persécution dont il est l'objet de la part du Directoire. — Il
se retire en Suisse, revient à Paris après le 18 Brumaire et rouvre aux
fidèles l'église des Carmes. — Il est nommé à l'évêché de Vannes. — Son
Sacre à Noire-Dame. — Difficultés qu'il rencontre dans son diocèse. — At-
tentat contre sa personne. — Sa mort.
Cette mort si prompte de M. de Tersac fit perdre à sa
Compagnie la possession de la cure de Saint-Sulpice, en
220 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
rendant nulle la résignation qu'il venait d'en faire à
31. de Verclos et dont la validité, subordonnée à l'appro-
bation que la cour de Rome en donnerait de son vivant,
ne put être prononcée par cette cour qui ne reçut l'expé-
dition de l'acte autlieutique de cette résignation qu'après
le décès du titulaire.
En outre, elle survenait pendant la vacance du Siège
abbatial, et elle fit naître aussitôt un conflit sur le droit
de collation de cette cure entre les religieux de l'Abbaye
qui prétendaient ne l'avoir jamais abdiqué; l'archevêque
de Paris qui soutenait, au contraire, qu'ils le lui avaient
cédé en même temps que la juridiction sur la paroisse
par leur traité de 1688; et l'évèque d'Autun, M. de Mar-
beuf, qui en revendiquait l'exercice , au nom des privi-
lèges de la Régale, dont il avait la garde en sa qualité
d'administrateur de la feuille des bénéfices. Ce conflit
menaçait de se prolonger lorsqu'une transaction y mit fin.
L'évèque d'Autun proposa, pour cette cure, son grand
vicaire, M. de Pancemont, que ses talents d'orateur et sa
grande charité lui avaient fait prendre en très vive affec-
tion; les religieux de l'Abbaye l'agréèrent et le présen-
tèrent à l'archevêque, qui consentit à le nommer. En
même temps, M. de Marbeuf crut être agréable à M. Emery
en désignant pour l'évêché vacant de Mariana, en Corse,
M. de Verclos, qu'il dédommageait ainsi de l'exclusion
dont cette transaction le frappait.
M. de Pancemont fut installé le 1er septembre 1788 (1).
Par son invincible courage à confesser la foi au péril
de sa vie; par son inébranlable respect des principes et
(1) Antoine-Xavier Maynaud de Pancemont était né à Digoing-sur-Loire,
aii diocèse d'Autun, le 6 août 175G. Après avoir brillamment soutenu sa
Licence en février 1784, il prit le bonnet de docteur, le 3 avril suivant.
Ses succès le firent choisir par M. de Marbeuf pour son vicaire général,
dont il n'accepta les fonctions que sur le conseil de M. Emery, supé-
rieur général de Saint-Sulpice depuis le 10 septembre 1782.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 221
des règles de la discipline canonique, comme par sa con-
descendance dans leur application et par sa fidélité cons-
tante à demeurer à la tète de la paroisse tant que la
position fut tenable, en dépit des violences et des persé-
cutions dont il était l'objet de la part d'une municipalité
impie, acharnée contre lui, M. de Pancemont a été peut-
être, après M. Emery, le prêtre qui a le plus honoré
l'Église de Paris à cette sinistre époque.
M. Emery n'eut pas à regretter, du reste, pour sa Com-
pagnie le choix du nouveau curé de Saint-Sulpice. M. de
Pancemont était un ancien élève de Saint-Sulpice. Il y
avait fait toutes ses études gratuitement, grâce à la gé-
nérosité de ses Directeurs qui l'avaient gardé auprès
d'eux, bien qu'ils sussent que sa famille, opposée à sa
vocation, ne paierait jamais rien de sa pension au Sémi-
naire. Toute sa vie, il leur en conserva une profonde
reconnaissance; et quand il devint curé, il fut heureux
de la leur témoigner, non seulement en les désintéressant
entièrement, mais surtout en ne changeant rien aux erre-
ments de ses prédécesseurs, en exigeant la stricte obser-
vance de tous les règlements et de tous les usages qu'ils
avaient établis, et, clans toutes les conjonctures difficiles
de sa vie, prenant toujours conseil de M. Emery, dont le
cardinal de Bausset a pu dire en toute vérité, « quil a
« été la gloire et la lumière de l'Eglise de France, pen-
« dant vingt ans des plus violentes tempêtes (1) ».
La rigueur de l'hiver de 1788 à 1T89, qui suivit son
installation, révéla son ardente charité, et comme à Autun
il consacra aux pauvres une grande partie de son patri-
moine qui était considérable. Il multiplia pour eux ses
sacrifices personnels, fit une quête générale en leur
faveur, frappa aux portes de tous ses parents et amis et
(1) Lettre de M. de Bausset à M. Duclaux, du 6 mai 1811, citée dans la
Vie de 31. Emery, par l'abbé Gosselin, t. I, p. 34C.
222 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULP1CE.
mérita dès alors , par ses prodigieux efforts pour leur
venir en aide, le beau titre de Père des pauvres.
Afin de mettre de l'ordre dans la distribution de ses
secours et de les mieux proportionner aux besoins des
malheureux, il fit dresser un tableau général des pauvres
de la paroisse, indiquant leur nom, leur âge, leur de-
meure, leur état, le nombre et l'âge de leurs enfants. Ce
tableau accusa 25.000 pauvres à soulager sur la paroisse.
Comme M. Languet, il employa une partie des res-
sources qu'il leur réservait, à ouvrir ou à soutenir des
ateliers de filature, de broderie, de couture et autres,
où il occupait les indigents valides et sans travail et
surtout les femmes. Les malades étaient l'objet de sa plus
tendre sollicitude; et il trouvait, pour les visiter avec lui,
un auxiliaire parfait dans l'abbé Dupré, le vicaire des
pauvres.
L'hiver suivant, il dut multiplier encore ses sacrifices
pour les soulager efficacement : car au milieu des pre-
miers orages de la Révolution, dont le contre-coup se
faisait sentir surtout dans la capitale, l'interruption du
commerce et du travail, la suppression des dépenses de
luxe , l'absence d'un grand nombre d'habitants riches ou
la réduction de leur personnel, amenèrent rapidement
un accroissement notable du nombre des pauvres en même
temps qu'une réduction sensible du chiifre des aumônes
qu'on leur destinait. Son zèle infatigable sut triompher
de cette grave difficulté; et, il faut l'avouer, il était d'au-
tant plus méritoire que les ennemis de l'ordre ne cessaient
de l'entraver : s'il avait des secours plus abondants que
de coutume à distribuer aux malheureux , ils l'accusaient
de chercher à les corrompre, pour les soulever contre le
nouvel ordre de choses; si, au contraire, il était forcé
de les restreindre, c'était, à les entendre, un calcul de sa
part, pour aggraver les souffrances du peuple et lui
faire regretter le régime ancien. En haine de la Religion
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 223
dont il se montrait un si digne ministre, les impies ne
craignirent même pas de l'exposer aux colères populaires
en le représentant comme un distributeur de pain em-
poisonné.
Un jour, il annonce une messe solennelle d'actions de
grâces pour un secours inespéré: et il la fait publier par
des affiches portant cette épigraphe, tirée du Livre des
Proverbes : Pauper et dives obviaverunt sibi; l'abbé de
Boulogne devait y prendre la parole et M. le curé faire
la quête.
La malveillance y voit un projet de coalition dange-
reuse des pauvres et des riches contre les citoyens d'une
fortune médiocre et répand le bruit que l'abbé de Bou-
logne fera une sortie contre les décrets de l'Assemblée
nationale. Aussitôt l'on vient prier M. de Pancemont de
renoncer à cette messe ; mais il résiste en disant que loin
de vouloir fomenter la discorde entre les citoyens, il croit
qu'une pareille cérémonie est de nature à calmer les
haines en rapprochant entre elles toutes les classes de la
société.
Néanmoins, la veille de cette messe, informé que le
club du Palais-Royal venait de soudoyer une bande de
patriotes,' bien nommés sans-culottes, pour en empêcher
la célébration, il accorde à la crainte d'un scandale
dans le Lieu saint ce qu'il avait refusé à des raisons futiles,
et il fait afficher aux portes qu'elle n'aura pas lieu.
Mais la masse des fidèles, dans l'ignorance de ce contre-
ordre, se rend à l'église pour la cérémonie; les émis-
saires du club les y suivent, et, furieux de voir échapper
l'occasion qu'ils venaient y chercher d'une scène de vio-
lence, réclament la messe à grands cris. La peur s'empare
des fidèles; on court chercher la garde nationale, qui
arrive sans tarder. Son commandant, un nommé La
Villette, place ses hommes en sentinelles à chacune des
portes et, entrant seul dans l'église, s'abouche avec le
224 HISTOIRE DE L EGLISE SA1NT-SULPICE.
chef des perturbateurs, puis va trouver M. le curé et le
supplie de faire dire la messe, eu lui répondant de la
tranquillité de l'assistance. M. de Pancemont se laisse
fléchir, monte en chaire pour expliquer les raisons qui
lui avaient fait contremander la messe et déclare que,
d'après le désir qui lui en est exprimé de tous côtés, elle
va être chantée. On l'applaudit, l'office se célèbre dans
le plus grand calme; il passe lui-même dans tous les
rangs où il fait une quête fructueuse, et la foule s'écoule
ensuite en silence.
Les scènes de ce genre furent très fréquentes alors; et
malheureusement on compte celles qui finirent aussi
bien que celle de Saint-Sulpice.
C'est ainsi que dès l'aurore de la Révolution la situation
du clergé paroissial devint, à Paris, des plus délicates et
des plus pénibles; et le mode d'élection des Députés aux
États Généraux ne fut pas sans y contribuer beaucoup.
Par une exception unique (1), Paris, en effet, avait été
appelé à former, intra mur os, un corps électoral séparé
du reste de la Prévôté et Vicomte (2), qui avait droit, clans
son Assemblée générale, de nommer 40 députés, 10 du
clergé, 10 de la noblesse, 20 du Tiers État. Ce corps élec-
toral se composa de 974- électeurs, nommés : 344 par le
clergé, 223 par la noblesse, et 407 par le Tiers État clans
les Assemblées primaires des trois ordres.
L'organisation de ces Assemblées primaires avait été
facile pour le clergé, qui pouvait choisir aisément ses
lieux de réunion dans les nombreux presbytères ou salles
conventuelles des monastères.
Elle l'avait été également pour la noblesse, dont un
(1) Cetle exception résultait de l'article 29 du Règlement général des
élections, du 24 janvier 1789.
(2) Le reste de la Prévôté et Vicomte, extra muros, avait droit de
nommer 12 députés : 3 du clergé, 3 de la noblesse, 6 du Tiers Etat.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 225
petit nombre de ses membres était domicilié à Paris.
Il en avait été tout autrement pour le Tiers État, qui
représentait à Paris une population de 600.000 âmes, et
dont la municipalité avait très peu de locaux à sa dispo-
sition, en dehors de quelques salles à l'Hôtel de Ville, au
Châtelet, à la Bibliothèque du Roi et à la Sorbonne. On
décida alors, avec l'assentiment de l'archevêque, Msr de
Juigné (1), que les Assemblées primaires du Tiers État se
tiendraient dans les églises, où, disait-on, la sainteté du
lieu, le respect et le silence qu'on y doit observer, l'im-
portance du sujet de ces Assemblées, la présence du curé
et du corps de Fabrique, tout devait concourir à y main-
tenir l'ordre, la décence et la tranquillité. Paris fut alors
divisé, pour ces Assemblées du Tiers, en 60 districts, à
chacun desquels fut assignée une église, qui donna son
nom à la nouvelle circonscription électorale, et qui dut
ouvrir ses portes aux électeurs, le 21 avril 1789, en
vertu d'une circulaire de la municipalité du 19 du même
mois. Dans le quartier du Luxembourg, il y eut quatre
églises désignées pour la tenue de ces Assemblées élec-
torales : celles de Saint-André des Arcs, des Cordeliers,
des Carmes et des Prémontrés. Celle de Saint-Sulpice ne
fut pas choisie, parce qu'elle devait servir de lieu de réu-
nion aux membres du clergé qui avaient à nommer les
(1) Une ordonnance archiépiscopale avait seulement prescrit de retirer
le Saint-Sacrement dans les églises, le jour où s'y réuniraient les Assem-
blées primaires. Delarc, Histoire de l'Église de Paris pendant la Révo-
lution française , t. I, p. 69.
M?r de Juigné mit lui-même, deux fois, son palais archiépiscopal à la
disposition des pouvoirs publics : une première fois, le 23 avril 1789,
pour la séance générale des électeurs des 3 ordres de Paris et de la Pré-
vôté et Vicomte de Paris; et une seconde fois, pour recevoir l'Assemblée
nationale, venue à Paris après les tristes journées des 5 et 6 octobre. Mais
il fut bien mal récompensé de sa courtoisie : car ce fut chez lui que, le
2 novembre, l'Assemblée nationale décréta l'aliénation des biens du clergé,
sans excepter même ce palais où elle délibérait. Delarc, ibid., t. I, p. 72.
ÉGLISE SAINT- SLLHCE. 15
22C HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
électeurs ecclésiastiques, au nombre desquels figura M. de
Pancemont lui-même.
Ce furent donc les églises qui servirent de théâtre aux
premières assises de la démocratie parisienne ; et comme
le fait très judicieusement observer le savant auteur de
l'histoire de Y Eglise de Paris pendant la Révolution fran-
çaise , « cette transformation de la maison du Seigneur en
« salle électorale , cette invasion de la politique dans le
« sanctuaire eurent de tristes conséquences ». Elles con-
tribuèrent au succès de la motion de Mirabeau , votée un
peu plus tard par l'Assemblée nationale : « que les biens
« de l'Église sont à la disposition de la nation ». Les ré-
volutionnaires, s'autorisant du précédent du 21 avril
1789, ne se firent pas scrupule d'envahir les églises et les
couvents, pour y installer leurs clubs (1). Et quant à
l'église Saint-Sulpice, elle ne tarda pas elle-même, à rai-
son de sa beauté et de la vaste étendue de sa nef, à de-
venir à la mode pour la célébration des fêtes patrioti-
ques, notamment de celles auxquelles donnèrent lieu la
prise de la Bastille et la bénédiction des drapeaux de la
garde nationale.
Dans toutes ces circonstances, fidèle à la tradition de
l'Eglise et à l'exemple que lui donnait M. Emery, M. de
Pancemont s'imposa, comme ligne de conduite, de ne se
mêler en rien aux passions politiques, de n'avoir en vue,
dans tous ses actes, que le soin des âmes et l'intérêt de
sa paroisse, et, loin de se montrer hostile aux pouvoirs
publics, de déférer à toutes les demandes des autorités ou
des fidèles, même les plus contraires à son opinion per-
sonnelle , tant que les règles canoniques ne les interdi-
saient pas et que dès lors sa conscience n'avait pas à les
écarter.
La prise de la Bastille avait eu lieu le 14 juillet 1789.
(1) Delarc, /oc. cit., t. I, p. 11.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 227
Cet événement, que Louis XVI avait qualifié d'émeute à la
première nouvelle que lui en donna le duc de Liancourt,
mais que le noble duc jugeait mieux que le Roi, quand il
lui répliqua : Non, Sire, c'est une révolution, cet événe-
ment, disons-nous, fut accueilli, dans le quartier du
Luxembourg", avec un enthousiasme voisin du délire; et
le soir même, à 7 heures, le district des Carmes fit chan-
ter, à son occasion, un Te Deum dans l'église Saint-
Sulpice (1).
Le 10 août suivant, le district des Petits-Augustins y fit
célébrer un service pour le repos des âmes « des braves
citoyens décédés, le 14 juillet, lors de la prise de la Bas-
tille ». Le maire de Paris, Bailly, et Mme de La Fayette,
femme du commandant de la garde nationale, y assistè-
rent. Après l'Evangile , un avocat monta en chaire et y
lut un discours, composé, dit-il, par un de ses frères,
prêtre, que la maladie empêchait de venir le prononcer
lui-même. Il oublia les convenances au point de louer
Voltaire comme le principal auteur des bienfaits de la
Révolution, dans cette église de Saint-Sulpice où on
avait dû, douze ans auparavant, lui refuser des obsèques
religieuses. M. de Pancemont s'en plaignit auprès du dis-
trict, qui s'empressa d'adresser un blâme au panégyriste
de Voltaire.
A son tour, le district des Jacobins de la rue Saint-
Dominique y fit célébrer, le 19 août, un service solennel
« pour les victimes du 14 juillet ». La messe fut chantée
par des religieux dominicains, en présence d'une dépu-
tation de la garde nationale; et son aumônier (2) y pro-
nonça un discours dans lequel il exagéra la vaillance des
(1) Ce Te Deum ne fut chanté que le lendemain, à Notre-Dame, en pré-
sence de Bailly, le nouveau maire, et du général La Fayette, le nouveau
commandant des gardes nationales.
(2) L'abbé de Saint-Martin, qui devint le Vicaire général de Gobel et
aposlasia avec lui.
228 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-Sl'LPICE.
patriotes morts au siège de la Bastille, jusqu'à en faire
autant de Tu renne s, morts au champ d'honneur (1).
Dans le cours du même mois, quatre districts firent
bénir solennellement, à Saint-Snlpice, le drapeau du ba-
taillon de leur garde nationale : celui des Jacobins, le
13 août; celui du Gros-Caillou, le 16; celui de Saint-
André des Arcs, le 2 i ; et celui des Carmes, le 28. A la cé-
rémonie du 16, ce fut l'évèque de Rodez qui officia;
l'abbé Gouttes, grand partisan des idées nouvelles, et qui
devint bientôt après l'évèque constitutionnel de Saône-et-
Loire, débita en cbaire les aphorismes de la liberté ; et la
messe fut exécutée en grande symphonie par les musiciens
et les chanteurs de l'Opéra, placés sur une estrade qu'on
avait dressée pour eux dans un des bas-côtés de l'église (2).
Toutes ces fêtes occasionnèrent de grands dégâts clans
le mobilier de l'église Saint-Sulpice. Ils furent tels que le
fermier des chaises, éprouvé en même temps par les per-
tes que lui causait déjà l'émigration d'un grand nombre
des paroissiens riches, demanda la résiliation de son bail,
qui était alors de 22.500 francs par an, et la Fabrique fut-
obligée de la lui accorder (3).
(1) La Bastille était encore, en 1789, une véritable forteresse, qui eût été
imprenable même pour des troupes régulières, si elle se fût sérieusement
défendue. Mais, au 14 juillet, elle était armée de canons qui ne tirèrent
pas, et avait pour toute garnison 114 hommes, dont 82 invalides qui ne
voulurent pas se servir de leurs armes et forcèrent le gouverneur, M. de
Launay, à capituler.
(2) Ment, mss., article sur M. de Pancemont, p. 9.
(3) La Fabrique n'y consentit qu'avec peine, le 25 février 1790; et elle
en passa un autre, par acte devant AI. Hua, notaire, du 8 avril suivant,
aux époux Boisset au prix de 17.200 livres. Alais ils ne purent pas tenir
leurs engagements; la résiliation de leur bail fut prononcée par jugement
du tribunal du deuxième arrondissement du département, du 30 décem-
bre 1791 ; et la perception des chaises fut confiée alors au sieur Revel,
premier bedeau, à la seule condition de tenir compte à la Fabrique des
sommes qu'il aurait reçues. .
Le 20 janvier 1792, la Fabrique revint au mode de location à bail
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 229
Dans les premiers jours du mois de septembre suivant,
le district des Carmes, réuni au clergé de Saint-Sulpice,
alla porter processionnellement la statue en argent de
la Sainte Vierge à l'église Sainte-Geneviève, pour re-
mercier la patronne de Paris du succès de la journée du
li juillet. Après avoir déposé la statue dans cette église,
on se rendit à l'Hôtel de Ville, pour y féliciter le général
La Fayette ; puis on retourna à Sainte-Geneviève pour y
reprendre la statue. Et après un déjeuner qui fut offert
par les génovéfains au clergé, à la garde nationale et
aux jeunes filles vêtues en blanc, on revint à l'église
Saint-Sulpice, en traversant le jardin du Luxembourg (1).
Trois semaines après, par une délibération du 26 du
même mois, la Fabrique décidait l'envoi à la Monnaie, à
titre de don patriotique , de tous les vases d'argent dont
qu'elle consentit aux fermiers de 1787, les époux Bocaliut. Mais dès le
11 mars suivant, la gravité des événements politiques ne leur permit pas
de remplir leurs engagements, et force fut à la Fabrique de confier encore
au sieur Revel la perception directe des chaises.
Enfin, à la date du 31 juillet 1792, elle choisit de nouveau comme fer-
miers les sieurs Boisset et Heroult. Mais le décret de l'Assemblée natio-
nale du 19 août 1792, qui supprima les Fabriques, rendit celte dernière
convention sans objet.
Ce ne fut qu'après le rétablissement des Fabriques en vertu de l'ar-
ticle 76 de la convention du 26 Messidor an IX, que le 6 Nivôse an XII
(26 décembre 1803), la Fabrique de Saint-Sulpice adjugea de nouveau le
bail des chaises de l'église au sieur Gérardot, moyennant un loyer an-
nuel de 20.300 francs et à charge par lui : 1° de balayer l'église; 2° de
l'entretenir de chaises; 3° d'en faire la perception suivant le tarif adopté
par elle; 4° de payer d'avance un douzième de son prix de loyer; 5° de
supporter seul les frais d'impression, de timbre et de collage des affiches,
annonçant le service de l'Avent, du Carême et des grandes fêtes.
Mais, le 15 décembre 1806, la Fabrique, prenant en considération les
pertes qu'il avait subies, lui lit remise de la moitié des sommes qu'il lui
redevait, et réduisit le prix de son bail à 17.000 francs.
En 1821, ce prix fut relevé à 20.000 francs; et en 1835, après une nou-
velle révision du tarif, il fut porté à 25.550, avec obligation pour le fer-
mier d'entretenir 3.900 chaises en bon élat et d'en laisser 5.000 à la lin
de son bail de 9 années.
(1) Nau, loc. cit., p. 279.
230 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
elle pouvait disposer sans nuire aux besoins du culte.
Elle devançait ainsi de trois jours seulement le décret de
l'Assemblée nationale, du -29 du même mois, qui rendait
ces sortes de dons obligatoires. En vertu de ce décret elle
aurait dû se défaire également de sa belle statue en ar-
gent de la Sainte Vierge. Mais M. de Pancemont s'em-
pressa d'en solliciter la conservation de la bienveillance
du contrôleur des Finances, M. Necker, qui lui répondit,
par une lettre datée du 1 1 octobre suivant, « que la Fa-
« brique eût à conserver cette superbe statue, objet
« d'une dévotion spéciale de la part des paroissiens de
« Saint-Sulpice (1) ».
Mais autant M. de Pancemont se montrait facile et
bienveillant dans toutes les déterminations que son de-
voir sacerdotal le laissait libre de prendre, autant il était
inflexible dans celles qu'il lui dictait.
Camille Desmoulins, l'un des coryphées du parti ré-
volutionnaire, en fit l'expérience. Dans le courant de
Tannée 1790, il eut à se présenter devant lui pour le
prier de bénir son mariage; et comme il se doutait bien
que sa requête ne serait pas admise sans difficulté, il se
fit accompagner d'un notaire, qu'il chargea de consi-
gner par écrit les paroles qu'il échangerait avec M. le
curé. Après l'avoir écouté, M. de Pancemont lui de-
manda s'il était catholique. « Pourquoi cette question? re-
partit Camille. — Parce que si vous n'étiez pas catho-
lique, je ne pourrais pas vous conférer un sacrement de
la Religion catholique. — Eh bien, oui, je le suis. —
Non, Monsieur, vous ne l'êtes pas, car vous avez écrit
dans un numéro de votre journal, que la religion de Ma-
homet était aussi évidente pour vous que celle de Jésus-
Christ. — Vous lisez donc mon journal? — Quelquefois.
(1) 11 va sans dire qu'un peu plus tard, pendant la Terreur, cette riche
proie n'échappa pas au vandalisme révolutionnaire.
M. DE PAXCEMOXT (1788-1802). 231
— Vous ne voulez pas absolument me marier? — Xon,
je ne le puis pas, jusqu'à ce que vous fassiez une pro-
fession publique de la Religion catholique. — Alors, je
vais m'adresser au Comité ecclésiastique de l'Assemblée
nationale, pour savoir si ce que j'ai écrit suffit pour que
vous vous opposiez à mon mariage. »
Le notaire avait transcrit ce colloque, que Desmoulins
communiqua effectivement au Comité ecclésiastique ; et
quelques jours après, il recevait de Mirabeau, son ami,
cette décision : « qu'on ne peut juger la croyance que
« sur la profession de foi extérieure; que le sieur Des-
« moulins, se disant catholique, doit être reconnu pour
« tel et que M. le curé de Saint-Sulpice est tenu de le
« marier sans retard ».
Muni de cette consultation, Desmoulins revient trouver
le curé de Saint-Sulpice. « Depuis quand, lui demande
celui-ci, Mirabeau est-il un père de l'Église? — Oh! re-
prend Desmoulins, Mirabeau, père de l'Église! Je ne
manquerai pas de le lui dire; cela le fera bien rire. — Je
ne puis, Monsieur, continue M. le curé, déférer à cette
consultation, qui d'ailleurs vous condamne. Car, moi
aussi, je ne prétends vous juger que sur votre profession
de foi extérieure, sur les articles que vous avez publiés.
Et dès lors, j'exige, avant de vous marier, que vous ré-
tractiez toutes les impiétés que vous avez écrites. — Je
n'écrirai plus rien avant mon mariage. — Ce sera donc
après. — Je vous le promets. — J'exige de plus que vous
remplissiez tous les devoirs prescrits quand on se marie,
et* que vous vous confessiez. — Volontiers, Monsieur le
curé , et ce sera à vous-même. »
A ces conditions, M. de Pancemont consentit à son ma-
riage, qui eut lieu à Saint-Sulpice, le 29 décembre 1790;
mais ce ne fut pas lui qui le célébra; il se borna à assister
à la bénédiction nuptiale, qui fut donnée par l'abbé
Béraudier, l'ancien proviseur de Camille à Louis-le-Grand,
232 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
et alors député à l'Assemblée nationale, qui avait agi
puissamment auprès de M. le curé pour le décider à au-
toriser cette union. Avant de la consacrer, l'abbé fit une
courte et touchante exhortation, pendant laquelle Des-
moulins versa des larmes. « Ne pleure donc pas, hypo-
crite, » ne put s'empêcher de lui dire Robespierre, l'un
de ses témoins (1), en s'approchant de lui. Son émotion
était-elle sincère? Peut-être. En tout cas, elle fut de courte
durée, car il ne rétracta rien de ses blasphèmes contre la
religion, malgré la parole qu'il en avait donnée (2).
A la 1m de juillet de la même année , M. de Pancemont
avait eu une autre règle matrimoniale à appliquer. D'après
la discipline constante de l'Église de France, on refusait
alors la bénédiction nuptiale aux comédiens, comme à
des pécheurs publics, à moins qu'ils ne renonçassent à
leur profession. Talma , le grand tragédien , vint à son
tour lui demander de bénir son mariage. M. le curé le
lui refusa. Talma allégua que dès que l'Assemblée na-
tionale avait accordé aux comédiens tous les droits de la
vie civile, l'Église ne pouvait leur refuser le plus im-
portant de tous. « Le même droit est accordé aux pro-
testants, répliqua M. le curé, et je ne suis pas tenu pour
cela de les marier. » Talma se pourvut à l'Assemblée na-
tionale contre ce refus, et sa requête fut renvoyée au
(1) Les autres témoins de ce mariage avaient été pour Camille Desmou-
lins, Brissot, le girondin, et pour sa femme, Lucile Duplessis, Pétion , le
futur Maire de Paris, et le comte de Sillery, l'intime confident de Phi-
lippe d'Orléans.
Trois ans après, l'amitié de ces sinistres prôneurs de la Fraternité se
changeait en haine homicide des uns contre les autres. Les diatribes
furibondes de Camille contre les Girondins, dans son journal « les Révolu-
tions de France et de Brabant », faisaient périr Brissot sur l'échafaud,
le 29 octobre 1793; et Robespierre, à son tour, y faisait monter les deux
époux : Camille, le 5 avril suivant, et sa jeune et innocente femme, six
jours après, le 11 avril.
V. Éd. Fleury, Camille Desmoutins, t. I, p. 182 et suiv.
(2) Mém. mss., loc. cit., p. 13 à 15.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 233
Comité ecclésiastique ; mais, sur le rapport de ce dernier,
l'Assemblée décida qu'il n'y avait pas lieu pour elle à
délibérer, « attendu que jusqu'ici rien n'était changé à la
« jurisprudence canonique sur le fait en question (1) ».
A quelque temps de là , il obtint la conversion d'un
colonel des Gardes françaises. Cet officier était sur son lit
de mort et refusait obstinément les derniers sacrements.
M. de Pancemont parvint jusqu'à lui et, par l'onction et
la force de ses paroles, le détermina à remplir ses devoirs
et lui procura le bonheur d'une fin des plus édifiantes.
Un peu plus tard, lorsqu'il fut question à l'Assemblée
nationale d'abolir les ordres religieux, M. de Pancemont
lui adressa une pétition pour la solliciter de conserver,
au moins, l'abbaye de Saint-Germain des Prés, en considé-
ration de son utilité pour les lettres et de ses saintes
prodigalités envers les pauvres de la paroisse (2). Sa de-
mande fut écartée ; mais on lui sut gré d'avoir si noble-
ment oublié le conflit de droits qui subsistait depuis si
longtemps entre la cure et l'abbaye. L'abbé Grégoire lui-
même l'appuya chaudement et réclama également la
conservation de l'abbaye de Sainte-Geneviève, remplie,
disait-il, de savants distingués et qui rendent, chaque
jour, aux lettres des services importants. Mais il ne fut pas
plus heureux.
L'année suivante, la fête civique de la Fédération fut
fixée au jour anniversaire de la prise de la Bastille, le
14 juillet 1790. 12.000 ouvriers furent occupés sans re-
lâche à faire du Champ de Mars, au moyen de remblais
considérables, un vaste amphithéâtre qui put contenir
300.000 personnes autour d'un autel qui devait être dressé
au centre; et pour le terminer à temps, la municipalité
[i)Ibid., p. 12.
(2) Celte pélition, datée du i octobre 1790, est reproduite, in extenso,
dans l'ouvrage de l'abbé Delarc, loc. cit., t. I, p. 211.
23 i HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SULP1CE.
de Paris fit appel au zèle patriotique de ses habitants.
Aussitôt une foule de personnes de tout âge, de tout sexe,
de tout état, s'empressèrent de venir en aide aux ouvriers.
M. Emery, sollicité par une députation de la section du
Luxembourg (1) de donner le même exemple, s'y prêta
par prudence; et environ 150 de ses élèves, accompagnés
de M. de Savine, supérieur de la communauté des clercs
de la paroisse (2) et de plusieurs Directeurs du Séminaire,
se rendirent au Champ de Mars, sur plusieurs lignes de
10 à 12 de front, séparées chacune par une ligne de fédé-
rés et marchant tous ensemble au son du tambour et au
bruit des chants révolutionnaires. M. de Pancemont les
suivit en voiture, avec une pelle et une pioche placées
aux portières (3). Mais c'était plutôt un acte de patriotisme
qu'un concours effectif qu'on réclamait d'eux. Aussi furent-
ils quittes de leur corvée par quelques coups de bêche
et de pioche; et on ne les força pas à revenir les jours
suivants.
Bientôt après, on demanda en plusieurs endroits au
clergé le serment de fidélité à la Constitution, déjà prêté
par tous les membres de l'Assemblée nationale, dans sa
séance du i février précédent, et renouvelé par eux à
l'occasion de la fête de la Fédération. On le demanda, en
particulier, à M. de Pancemont (4) qui, malgré sa répu-
gnance pour un régime qui s'annonçait si néfaste , n'hé-
sita pas à le prêter, persuadé qu'il était que ce serment
ne l'engageait qu'au point de vue politique.
(1) Cette section du Luxembourg était l'ancien District des Carmes,
qui allait bientôt prendre le nom de Section de Mucius Scxvola, pour
revenir, en 1795, à celui de Section du Luxembourg, qu'elle garda jus-
qu'à ce qu'elle prit, en 1801, celui de division du Luxembourg et, en
1813, celui de quartier du Luxembourg qu'elle a conservé depuis lors.
(2) M. de Savine fut une des victimes du massacre des Carmes.
(3) L'abbé Gosselin, Vie de M. Emery, t. I, p. 228.
(4) Vie de M. Emery, t. I, p. 229.
M. DE PANCEMONT 1788-1802). 235
Mais quand il s'agît, six; mois après, du serment de
fidélité à la Constitution civile du clergé, il n'hésita pas à
le refuser. Cette Constitution, votée par la Constituante, le
12 août 1790, sous la pression des Jansénistes qui en étaient
membres, fut suivie d'un décret de l'Assemblée nationale,
du 27 novembre, approuvé par Louis XVI le 26 décembre,
qui obligeait les évêques et les prêtres à prêter le ser-
ment de fidélité envers elle , sous peine d'être déclarés
démissionnaires de leurs fonctions. La date fixée était le
i janvier 1791 pour les ecclésiastiques de l'Assemblée, et
le 9 pour tous les autres en France.
Le i janvier, sur 268 évêques et prêtres, membres
présents de l'Assemblée , il n'y en eut que 98 qui prêtè-
rent ce serment, dont 2 évêques seulement, celui d'Autun,
Talleyrand, et l'évêque de Lydda in partîbus, Gobel, suf-
fragant de l'évêque de Bàle pour la partie française de ce
diocèse.
En apprenant ce résultat, M. Emery le salua comme le
triomphe de l'Eglise de France; il n'en exagérait pas
l'importance : car cette noble attitude de la grande ma-
jorité des députés de son clergé la sauva du déshonneur,
en l'empêchant de faire dévier sa doctrine. C'est qu'en
effet, cette Constitution civile du clergé , qui a tant contri-
bué à fausser l'impulsion de la Révolution française et à
la précipiter dans les convulsions les plus violentes et les
plus dangereuses pour le pays, était une loi schismatique,
qui attaquait directement la primauté de juridiction du
Pape et renversait toute la discipline ecclésiastique, en
réglant sans le Pape et sans les évêques, contrairement aux
règles canoniques et au droit divin , tout le gouvernement
de l'Eglise de France, et en faisant élire par le peuple les
évêques qui tenaient de lui, en dernière analyse, leur
juridiction spirituelle, puisque le Pape n'était plus appelé
à leur donner l'institution canonique et qu'ils la rece-
vaient d'un métropolitain, investi parla loi civile de cette
236 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
fonction souveraine. De plus, elle supprimait des sièges
épiscopaux et des cures, en dépossédait les titulaires, leur
en substituait d'autres par la violence; en sorte qu'elle
faisait des prêtres les fonctionnaires de l'État, de l'Église,
un simple département d'un ministère civil, et qu'elle
l'asservissait ainsi à la puissance séculière, sans égard à
la divine origine des pouvoirs qui régissent les âmes.
A Paris, la municipalité s'était empressée de faire af-
ficher ce décret de l'Assemblée, du 27 novembre 1790, en
le faisant précéder d'un préambule où elle dénonçait au
peuple comme perturbateurs du repos public les prêtres
qui refuseraient le serment qu'il réclamait. Mirabeau s'in-
digna de cet acte d'intolérance et le flétrit à la tribune,
dans cette mémorable séance du i janvier; Bailly s'en
excusa avec embarras, en en rejetant la faute sur un
employé subalterne, et fit enlever les affiches; mais elles
avaient produit leur effet dans le peuple.
Les partisans.de cette Constitution sacrilège, honteux
de leur échec à l'Assemblée, espéraient une revanche dans
l'adhésion de la plus grande partie du clergé de la ca-
pitale, et rien ne leur coûta pour l'obtenir : excitations,
menaces des journaux, déclamations furibondes au club
des Jacobins, exhibitions théâtrales, sollicitations pres-
santes aux curés de Paris. Bailly se distingua dans cette
triste campagne. « Il est donc vrai, dit-il au curé de
« Saint-Roch, l'abbé Marduel, que la Constitution est
« contraire à la religion catholique. — Oui, c'est très
« vrai, répondit le vénérable prêtre. — ■ Eh bien! en ce
h cas, reprit Bailly, s'il dépendait de moi, demain la
« religion catholique n'eûsterait plus en France (1). »
La veille, le 8 janvier, une affiche de la municipalité,
collée sur les murs des diverses églises paroissiales, invi-
tait tous les ecclésiastiques qui s'étaient déjà présentés à
(1) L'abbé Delarc, loc. cit., t. I, p. 287.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 237
son secrétariat pour déclarer leur intention de prêter
le serment, à se rendre le lendemain à leur église, où
des commissaires, députés par le Conseil général de la
Commune, se transporteraient pour y être présents au
serment qui sera prêté à l'issue de la messe paroissiale (1 ).
Tous les meneurs de la Révolution attachaient un
grand prix à celui du curé de Saint-Sulpice , placé à la
tête d'une paroisse de 100.000 âmes et d'un clergé nom-
breux et respecté. Cernutti , l'ex-jésuite, assurait qu'au-
cune paroisse ne résisterait si Saint-Sulpice cédait. Aussi
multiplièrent-ils leurs obsessions pour entraîner M. de
Pancemont à leur cause; ils allèrent même jusqu'à lui
promettre l'archevêché de Paris. Mais ils le trouvèrent
inébranlable.
Dès le dimanche, 2 janvier, il avait annoncé que le
dimanche suivant, 9, il ferait son prône sur un sujet in-
téressant. On crut qu'il parlerait contre le serment; le
bruit s'en répandit et la mauvaise presse ne manqua pas
de le signaler comme un mauvais citoyen. Aussi eut-il
soin, le 6, jour des Rois, de faire prévenir les fidèles, par
le prédicateur de l'Aven t, que le sujet intéressant qu'il se
proposait de traiter serait, la charité envers les pauvres.
Néanmoins, dès le lendemain on criait et on répandait à
profusion dans le faubourg un petit imprimé intitulé :
Procès fait à M. le curé de Saint-Sulpice et signé G...,
commissaire de section. La section des Prémontrés de la
Croix-Rouge eut beau démentir de suite ce faclum par un
arrêté qu'elle rendit public, il causa dans le quartier une
effervescence telle que des menaces d'incendie furent
proférées contre les prêtres de la Communauté, en cas de
refus du serment , et qu'ils durent déménager à la hâte
leurs meubles et leurs livres.
Le dimanche solennel arrivé, dès le matin la nef de
(1) L'abbé Delarc, loc. cit., t. I, p. 286.
238 HISTOIRE DE LÉGLISE SAINT-SULPICE.
Saint-Sulpice se remplit, comme aux jours de grandes
fêtes, d'une foule nombreuse, agitée, dans laquelle se
distinguent bien des figures sinistres mais plus encore de
pieux fidèles, prêts à défendre leur bien-aimé pasteur au
péril de leur vie. En quittant son presbytère, il trouve
sous le péristyle de l'église une compagnie de grenadiers
de la garde nationale , venus spontanément pour le pro-
téger. Il les remercie avec effusion, mais les invite à ne
pas entrer avec lui dans l'église, en leur exprimant la
confiance qu'il n'a rien à craindre au milieu de son trou-
peau. A dix heures, il monte dans la chaire, sur les degrés
et autour de laquelle se placent tous les prêtres de sa
Communauté, au nombre de 43. Il développe cette pen-
sée : « Quelle sera la réponse de notre conscience au ju-
k gement de Dieu? » captive l'attention de son immense
auditoire par sa parole éloquente et termine son prune
en lisant le résumé d'une conférence qu'il venait d'avoir
avec les commissaires des sections de la paroisse pour la
réorganisation du service des pauvres, et en annonçant
son offre d'y contribuer pour 18.000 livres (1).
A peine quittait-il la chaire que plusieurs voix lui
crient : le serment! le serment. Il y remonte, fait signe de
la main qu'il veut parler et profitant d'un moment de
silence, se borne à cette simple et courageuse déclaration,
qui pouvait être son arrêt de mort : « Je ne puis pas prêter
ce serment, ma conscience me le défend. » Et spontané-
ment tous ses prêtres la répètent après lui (2). Aussitôt un
(1) Nau, Rapport cité, p. 89.
(2) Les noms de ces 43 prêtres fidèles de Saint-Sulpice méritent d'être
conservés dans les annales de cette église. C'étaient Messieurs :
1° Durand. 6° Dubray. 11° de Pradignac.
2° Gueudeville (de). 1" Roland. 12« Pichot.
3° Reps. 8° de Douay. 13° Deslarmeltes.
4" de France. 9" Boulanger. 14° Bernard.
5° Collin. 10" Mortaux(de). 15° du Coudray.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 239
tumulte effroyable se produit; les cris : le serment ou la
lanterne, retentissent de tous côtés. M. de Pancemont des-
cend alors de la chaire, précédé de ses prêtres, accompagné
de M. le Maréchal de Mouchy, de M. de Golanges, de Mes-
sieurs de Juigné, de M. de Courtomer, le commandant de
la garde nationale, et escorté par des hommes de cette
g'arde , dont on a requis l'assistance et qui s'efforcent de
le ramener à la sacristie. Il en approchait quand un indi-
vidu s'élance sur lui, un pistolet à la main, et le vise au
front. Un assistant voit son mouvement, lui relève le bras
et le désarme; mais, au même instant, un autre forcené,
qui était derrière lui, saisit M. le curé aux cheveux et lui
assène sur le crâne un violent coup de poing' (1). On
arrête de suite ces deux scélérats, et pendant qu'on les
emmène, deux gardes nationaux enlèvent dans leurs
bras M. le curé et le portent dans une chambre haute de
la sacristie, où, brisé d'émotions, il tombe en défaillance.
Au bout d'un quart d'heure, il reprend ses sens et se
sentant mieux, il se fait reconduire au presbytère. Il y
était à peine arrivé , qu'on lui annonce la visite du Maire
de Paris, M. Bailly, qui, à la nouvelle du danger qu'il
avait couru , s'empressait de venir lui en témoigner
tous ses regrets. Mais il ajouta qu'il était fâché qu'il
n'eût pas prêté le serment, parce que c'était son refus
qui était la cause de tout ce scandale. « Ma conscience et
16" Frignel. 26° Malroux. 36° Delaunay.
17° de Vigneras. 27° Massia. 37° Pinguilly (de).
18° de Keravenant. 28° Lahitte (de). 38° Cordier.
19° Sauvage. 29° Dorcel. 39° Lévis.
20° du Monteil. 30° Cessiat (de). 40» Guillon.
21° Jerphaniou. 31° Beaufort (de). 41° de Vareilles.
22° Dupré. 32° Ponthus. 42° Latil (de).
23° Flassan (de). 33° de Pierre. 43" ïessier.
24" Meplain. 34° de Voisins.
25° de Noyelles. 35° du Méage.
(1) Nau, Rapport cite, p. 89 et 90.
240 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
« mon honneur me le défendaient, lui répondit M. le curé.
« — Monsieur, réplique Bailly, quand la Loi parle, la
« conscience doit se taire (1). » Et croyant sans doute
avoir, par cet aphorisme paradoxal, prononcé la con-
damnation sans appel du vénérable curé, il se tourne
alors du côté des prêtres qui se trouvaient dans la cham-
bre, et les presse de suivre l'exemple de ceux des curés
de Paris, notamment de celui de Saint-Eustache, l'abbé
Poupart, qui lui avaient déclaré être disposés à prêter
ce serment, pour éviter les malheurs qu'un refus obstiné
pourrait entraîner. Mais l'un d'eux, parlant au nom de
tous, lui fit observer <« que la Constitution civile du
« clergé blessait ouvertement la doctrine de l'Église
« sur plusieurs points essentiels et que les troubles qui
« naîtraient du refus de serment ne devraient être im-
« pûtes qu'à ceux qui l'avaient inconsidérément dé-
« crété (2) ».
Pendant ce temps, l'église était le théâtre du plus af-
freux désordre. Pour l'apaiser, le clergé fit jouer l'orgue
et chanter la grand'messe. A son issue, les commissaires,
pour dissimuler leur déconvenue et paraître avoir réussi
dans leur mission, invitèrent les prêtres . qui s'étaient
déjà fait inscrire à la municipalité comme jureurs, à
monter dans la chaire pour tenir leur promesse , et l'on
(1) Ces paroles de Bailly, confirmées par le passage de ses Mémoires,
où il dit : « Je ne me souviens plus de ma raison, quand la raison gé-
« nérale s'est expliquée. La première lei a élé la volonté de la nation :
« dès qu'elle a été assemblée , je n'ai plus connu que cette volonté sou-
« veraine, » ces paroles, disons-nous, ont suggéré une judicieuse réflexion à
M. le vicomte de Meaux, dans sa belle étude d'histoire politique sur la
Révolution et l'Empire : « Nul souverain, quel qu'il soit, dit-il, n'a droit
« à obtenir de ses sujets le sacrifice de leur raison, ni surtout celui de leur
« conscience. Un pareil culte devient inévitablement superstitieux; et
a les adorateurs de la nation devaient être conduits à ne pas la distinguer
«de la foule, que cette nation étonnée, inerte, désorganisée, laissait
« agir et parler à sa place. » 2e éd., p. 122.
(2) Gosselin, Vie de M. Emery, t. I, p. 246 et 247.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 241
y vit paraître alors tour à tour et prêter chacun ce
honteux serment, quinze prêtres, la plupart inconnus
et étrangers à la paroisse, à l'exception de trois (1) , et
dont plusieurs étaient ou des moines défroqués ou, qui
pis est, des prêtres interdits, comme cet abbé Roux, de
Saintes, qui, depuis plus de huit ans, avait été chassé de
son pays par l'évêque de son diocèse.
Pour faire croire au public que le clergé de Saint-Sul-
pice avait adhéré à la Constitution civile, ces jureurs
eurent l'impudence d'envoyer le lendemain, en son nom,
l'adresse suivante à l'Assemblée nationale :
« Les ecclésiastiques de la paroisse de Saint-Sulpiçe }
« ou qui résident dans son arrondissement, se font un
« devoir de vous adresser les motifs de leur soumission
a à la loi; ils ont prêté serment, parce qu'ils ont vu dans
« la Constitution civile du clergé le triomphe de la reli-
« gion primitive et le retour à l'esprit de l'Évangile,
(1) C'étaient : l'abbé Henry, prêtre sans pouvoirs, chargé seulement de
conduire les morts du dépôt de l'église au cimetière de Vaugirard ; l'abbé
Boisnay, iaem, ancien garde française et ancien chantre, préposé, depuis
1772, à la garde de la sacristie; et le Père Morel, capucin, chargé de
l'Instruction des Allemands, qui, le lendemain même, rétracta son serment,
par une lettre à l'Ami du Hoi. V. Delarc, loc. cit., t. I, p. 369. IS'au ,
Rapport cité, p. 94 et 95. Il ne l'avait prêté, du reste, qu'avec des res-
trictions qu'il prétendait y joindre et qui ne furent pas admises par l'of-
ficier chargé de les publier en chaire à Saint-Sulpice.
Ce Père Morel, de son nom de famille Morel des Prés, Jean-Jacques,
était né à Fribourg, en Suisse, et avait alors cinquante-quatre ans. Sur-
nommé Apollinaire en son couvent du Marais, il en était sorti lors de sa
suppression, le 27 novembre 1790, pour venir à Saint-Sulpice occuper la
place de Vicaire des Allemands, aux appointements de 600 livres par an.
Il la quitta lors du déplacement de M. de Pancemont, et alla, au faubourg
Saint-Antoine, se charger de l'éducation de deux enfants d'un Allemand,
M. Weullers. Arrêté, rue des Canettes, le 14 août 1792, comme inculpé
d'avoir rétracté son serinent, il fut conduit au couvent des Carmes, où
il fut une des cent quinze victimes du massacre du 2 septembre suivant.
V. dans A. Sorel : le Couvent des Cai'mes, p. 104 et 143, le procès-verbal
de son arrestation et son nom sous le n° 78 de la liste des prêtres mas-
sacrés.
ÉGLISE S\INT-SULI>ICn. 1G
242 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINï-SULPICE.
«« dont le laps de temps et les passions humaines nous
« avaient éloignés. Depuis plus de mille ans les fidèles
« demandaient cette restauration ; et l'histoire de l'Église
u nous démontre que des obstacles insurmontables l'ont
« toujours éludée. C'est donc à la nation française que
« le christianisme doit son retour à sa primitive institu-
« tion, et l'Assemblée nationale a opéré ce que l'Église
« gallicane n'a jamais effectué, ce que les Conciles ont
« vainement tenté, et surtout ce que tous les Pères de
« l'Église n'ont cessé de désirer. Déplorant la décadence
« de notre discipline, nous n'avons donc vu dans vos
« décrets que l'appui des premiers canons; et nos frères
m ecclésiastiques séparés ne tarderont pas de le dire,
« lorsqu'ils auront bien réfléchi que tout un peuple n'est
« pas fait pour son clergé, mais que le clergé est établi
« pour l'instruction, l'édification et l'exemple; lorsqu'ils
« auront reconnu que nous sommes sujets quoique ecclé-
« siastiques et que, si nous étions ecclésiastiques indé-
« pendants, nous ne serions pas sujets.
" Daignez accepter ces motifs de notre soumission
« entière et sans restriction à la loi; l'obéissance des
« Français ne peut être aveugle, une soumission motivée
« et raisonnable est celle d'un peuple libre (1). »
Cette adresse était trop servile vis-à-vis du pouvoir,
pour ne pas obtenir les honneurs d'une lecture publique
à l'Assemblée. La majorité l'applaudit et en vota même
l'impression (2).
Mais ce subterfuge n'égara pas l'opinion : on sut bien-
tôt que pas un des prêtres de la Communauté n'avait
prêté le serment et que même un des quinze jureurs avait
rétracté le sien. De tous côtés, les témoignages d'admi-
ration les plus flatteurs furent adressés à M. de Pance-
(1) L'abbé Delarc, loc. cit., p. 368.
(2) Ibid., p. 369.
M. DE PÀNCEMONT (1788-1802). 243
mont; la famille royale envoya plusieurs fois prendre de
ses nouvelles; et Mm0 Necker lui écrivit de Genève, à la
date du 18 janvier :
« Je viens, Monsieur, d'éprouver un déchirement si
« cruel par le récit de vos peines qu'il m'est impossible
« de ne pas mettre à vos pieds ma douleur et ma vénéra-
« tion. Je n'entre pas dans le fond d'une question au-des-
« sus de ma portée ; je sais seulement que vous obéissez à
« la voix de votre conscience et j'élève des vœux ardents
« vers le ciel pour le conjurer de protéger votre vertu, de
« vous garantir de nouvelles épreuves et de vous conser-
« ver enfin pour servir d'exemple ou plutôt être un mo-
« dèle, je crois inimitable, de bienfaisance, de sacrifice
« de soi-même, de courage et de douceur. J'appelle
« tous les pauvres que j'ai soulagés et que je vous ai con-
te fiés à joindre leurs prières aux miennes. Mes inquiétudes
« pour l'avenir, mes angoisses sur le passé remplissent
« sans cesse mes yeux de larmes, et j'ai été sur le point
« de me trouver mal en apprenant votre évanouisse-
« ment. Que tous les anges du ciel veillent sur vous!
« Mon cœur et celui de M. Necker vous sont attachés
« jusqu'au dernier moment de notre vie (1). »
De cette journée néfaste du 9 janvier 1791 date la fin
des paroisses de Paris , telles qu'elles existaient avant la
Révolution ; et quelques semaines après, la loi du i février,
relative à leur circonscription, achevait de détruire
l'ordre de choses qui les régissait, en supprimant 28 de
ces paroisses sur les 52 qui existaient en 1789, et en en
érigeant 9 nouvelles ; car cette suppression fut l'arrêt de
mort de 25 des églises qui les desservaient (2); la plu-
(1) L'abbé Delarc, loc. cit., p. 366.
(2) Sur les 28 paroisses, ainsi supprimées par cette loi du 4 février 1791,
il n'y eut, en effet, que celles de Bonne-Nouvelle, Saint-Louis en l'Ile et
Saint-Étienne du Mont auxquelles leurs églises ont été rendues par le
Concordat.
i
244 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
part d'entre elles furent démolies par ordre de la munici-
palité et les autres ont disparu après avoir servi à des
usages profanes.
Cette loi opéra un nouveau démembrement de la pa-
roisse de Saint-Sulpice, en créant dans sa circonscription
deux nouvelles paroisses : celle de Saint-Germain des Prés
et celle de Saint-Thomas d'Aquin, auxquelles elle assigna
pour églises paroissiales : à la première l'église abba-
tiale elle-même, et à la seconde l'église des Dominicains,
à laquelle les partisans de la nouvelle Constitution don-
nèrent le nom de saint Thomas d'Aquin, sous prétexte
qu'ils ne voulaient pas lui laisser pour patron saint Do-
minique, le fondateur de l'Inquisition.
Toutefois , rien ne fut changé tout d'abord dans la con-
duite de la paroisse Saint-Sulpice, et M. de Pancemont con-
tinua à la diriger, malgré les insultes de ses adversaires
qui le traitaient à l'envi de réfractaire et de rebelle à la
loi, en s'appuyant sur une déclaration de la municipalité
qui autorisait les prêtres non assermentés à continuer
leurs fonctions jusqu'à ce qu'ils fussent légalement rem-
placés. Aussi, quand, un soir, les membres du district
vinrent chez lui, lui signiiier un arrêté de ce district qui lui
enjoignait d'en cesser l'exercice, il ne vit dans cet arrêté
qu'une mesure arbitraire et se borna à sonner son domes-
tique et à lui dire : «< Eclairez ces Messieurs, » et ils se
retirèrent , déconcertés par son sang-froid (1).
Mais , à partir de ce moment , il apporta dans tous ses
actes une extrême prudence; et le 19 janvier, jour de la
fête de saint Sulpice, il s'abstint de célébrer l'office, pour
éviter toute agitation , et eut soin de faire agréer par la
municipalité celui de ses prêtres, l'abbé Guillon, qu'il
chargea de prononcer le panégyrique du saint (2). Cepen-
(1 Mém. mss., art. de Pancemont, p. 32.
(2) Nau, Rapp. cit., p. 91.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 245
clant il donna encore, à la fin du carême, les exercices
spirituels de la semaine de la Passion qui furent très sui-
vis. Ses ennemis s'en aperçurent et, le dernier jour, ils
organisèrent une émeute pour l'empêcher de monter en
chaire. Il céda devant la violence et se retira. Aussitôt
la tourbe se porta à son presbytère pour l'insulter ; mais
il s'était déjà rendu avec un de ses prêtres dans un hôtel
de la paroisse où il passa la nuit (1). La séance de son
Conseil de Fabrique du 27 mars 1791 fut la dernière dont
irait signé le procès-verbal. Ayant appris que l'installa-
tion du curé constitutionnel de sa paroisse aurait lieu
le 3 avril, dès le 1er, il quitta le presbytère avec tous ses
prêtres (2) ; et de ce jour-là, le Séminaire ne mit plus les
pieds à l'église.
Tout en se retirant du presbytère , M. de Pancemont ne
se sépara pas de son troupeau, et dans l'espoir de réor-
ganiser le culte catholique en dehors de toute attache
gouvernementale, il essaya d'ouvrir, sans délai, une cha-
pelle particulière où les fidèles pussent se réunir et con-
tinuer à suivre les exercices du culte divin.
Justement huit jours après l'installation du curé jureur,
le Directoire du Département de Paris prit, le 11 avril,
un arrêté qui, tout en réservant les églises ou chapelles
de la Nation au clergé constitutionnel, permettait aux
particuliers de destiner tout édifice ou partie d'édifice
qu'ils voudraient , à l'exercice d'un culte religieux quel-
conque, sous la seule condition que, si la réunion était
(1) Délaie, toc. cit., t. I, p. 402.
(2) Il en fit, en même temps, enlever tous les meubles, qui étaient sa
propriété et celle de ses prêtres. Le peuple soupçonneux l'accusa d'empor-
ter les ornements de l'église. Quelques femmes, rassemblées sur la place,
voulurent prendre son parti et furent a l'instant mises à la raison. Des
commissaires du district intervinrent, reconnurent le droit de M. le curé,
mais illégalement, et pour obtempérer au vœu de leurs commettants,
en firent l'inventaire, quoique ces objets ne fussent pas du domaine public.
Delarc, ibid., t. 1, p. 403.
246 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
nombreuse, on placerait sur la porte d'entrée une ins-
cription pour indiquer son objet et la distinguer de celles
des églises publiques.
En conformité de cet arrêté, M. de Pancemont obtint à
bail de la municipalité l'église des Théatins, située quai
Malaquais. L'acte portait la date du 16 avril 1791, veille
du dimanche des Rameaux, et autorisait l'inscription sui-
vante : « Edifice consacré au culte religieux 'par une so-
ciété particulière. Paix et liberté » , que M. de Pance-
mont s'empressa de faire poser immédiatement. Mais "le
soir même, le nouveau curé jureur de Saint-Thomas
d'Aquin, l'ex-oratorien Latyl, député à l'Assemblée na-
tionale, alla s'en plaindre au club des Jacobins, qui décida
de mettre tout en œuvre pour empêcher l'entrée en jouis-
sance de ce bail et n'eut pas honte, pour y réussir, de
recourir au plus odieux moyen. Le lendemain matin, jour
où l'église devait être ouverte au public, d'ignobles
femmes furent apostées par lui à ses abords, et, au mo-
ment où les fidèles commençaient à y arriver, plusieurs
d'entre elles se saisirent d'une jeune fille qui s'y rendait
avec sa mère, et la fouettèrent publiquement sur les
marches du temple, pendant qu'une bande de vauriens,
dignes acolytes de ces mégères, enlevaient l'inscription
placée au-dessus de la porte principale, et la rempla-
çaient par un placard sur lequel était écrit : Avis aux
dévotes aristocrates ; médecine purgative distribuée gra-
tis, et de chaque côté duquel ils attachèrent une poignée
de verges.
Un inspecteur des boues de Paris, nommé Dauphin,
voulut l'arracher ; la populace se rua sur lui et l'en em-
pêcha. A son tour, intervint le Maire de Paris, M. Bailly.
C'était l'heure de la descente de la garde chez le Roi; il
en requit un détachement pour faire enlever ce placard ,
et un musicien de la troupe se chargea de l'exécution;
mais après son départ, on le réintégra avec ces mots
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 247
qu'on y ajouta : « Oté par ordre de M. Bailly, replacé par
« celui des citoyens ». De son côté, le Directoire du Dé-
partement revint à la charge et fit afficher que le bail
de l'église des Théatins était une convention régulière,
qu'il en exigeait l'exécution et qu'il punirait ceux qui
en troubleraient le locataire dans sa jouissance. Mais on la-
céra ses affiches; les imprécations contre le Département,
les prêtres, les dévotes, n'en devinrent que plus violentes;
et aucun de leurs auteurs ne fut poursuivi. En réalité, les
factieux triomphaient. Enhardis par ce premier succès,
ils déférèrent l'arrêté directorial du 11 avril à l'Assemblée
nationale dans l'espoir qu'elle l'abrogerait. Mais, au con-
traire, elle vota le 7 mai suivant, après une discussion
orageuse , le décret suivant :
« I. L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rap-
« port de son comité de Constitution sur l'arrêté du 1 1 avril
« du Directoire du Département de Paris, déclare que les
« principes de liberté religieuse qui l'ont dicté, sont les
>< mêmes que ceux qu'elle a reconnus et proclamés dans
« sa déclaration des droits: et, en conséquence, décrète
« que le défaut de prestation du serment prescrit par
« le décret du 28 novembre, ne pourra être opposé à
« aucun prêtre, se présentant dans une église parois-
« siale, succursale et oratoire national, seulement pour
« y dire la messe.
« II. Les édifices consacrés à un culte religieux par des
« sociétés particulières et portant l'inscription qui leur
«< sera donnée, seront fermés aussitôt qu'il y aura été fait
« quelque discours contenant des provocations directes
« contre la Constitution, et en particulier, contre la Cons-
« titution civile du clergé. L'auteur du discours sera, à la
« requête de l'accusateur public, poursuivi criminelle^
« ment devant le Tribunal, comme perturbateur du repos
« public. »
Forts de cette décision de l'Assemblée nationale, les ca-
248 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
iholiques crurent que la liberté de leur culte leur était
rendue et ils résolurent de célébrer la fête de l'Ascension,
qui tombait le 2 juin , dans leur église des Théatins dont
ils étaient toujours locataires. Mais la même intolérance
du club des Jacobins et de leurs émissaires viola en leurs
personnes la plus sainte des libertés. Ils étaient réunis en
grand nombre, ce jour-là, dans cette église, pour y en-
tendre une simple messe basse, qui était déjà commencée,
quand une troupe de mauvais drôles l'envahit, brisa la
balustrade et renversa l'autel. Aussitôt M. de La Fayette
accourut lui-même, à la tête d'un bataillon de la garde
nationale , expulsa les perturbateurs , sans cependant en
arrêter un seul, et fit relever l'autel. Le soir, l'office des
vêpres fut célébré en sa présence et en celle du Maire. Mais
après leur départ, les attroupements se reformèrent; les
mêmes scènes de violences se répétèrent ; et désormais les
catholiques durent renoncer à l'exercice public de leur
culte aux Théatins comme ailleurs (1).
Quant à M. de Pancemont , visé tout particulièrement
par les sectaires qui ne lui pardonnaient pas son cou-
rage , il avait déjà cédé à de sages conseils devant les
menaces de mort dont il avait été l'objet (2) , et s'était re-
tiré à Bruxelles dans les premiers jours de mai. Il y resta
six mois, entouré du respect universel et consacrant tout
son temps à son saint ministère auprès des Français émi-
grés et surtout des sœurs de la Maison des orphelins de sa
paroisse, qu'il y avait attirées, lorsqu'elles furent obli-
gées de quitter Paris. Il n'oublia pas non plus ses parois-
siens abandonnés; et, à peine arrivé à Bruxelles, il leur
(1) Tout ce récit des. efforts de M. de Pancemont pour maintenir le culte
catholique à 1 église des Théatins est extrait de l'ouvrage, déjà cité, de
M. l'abbé Delarc, t. I, p. 475 à 479.
(2) Le domestique de M. de Pancemont avait reçu une lettre très cir-
constanciée dans laquelle on lui offrait une récompense considérable, s'il
consentait à assassiner son maître. Mém. mss., M. de Pancemont, p. 41.
M. DE PAXCEMONT (1788-1802). 249
adressa , à la date du Ifr mai, une lettre touchante pour
les fortifier dans la foi et les prémunir contre les dangers
du schisme auquel ils étaient exposés.
« On vous répète tous les jours, leur dit-il, qu'en vous
« nommant de nouveaux pasteurs, on ne blesse en rien
« les droits de l'Église , on ne porte aucune atteinte à sa
« véritable autorité. Quoi! ôter à ceux qui en jouissent,
« le droit de vous donner les secours de la Religion;
« restreindre, étendre sans l'Église les pouvoirs de ses
t< différents ministres, les conférer à ceux qui ne les
« avaient pas; lui tracer, malgré elle, des règles pour son
« gouvernement, abolir celles qu'elle suivait, ce n'est
« pas attenter à sa puissance? »
Et plus loin : « Pouvez-vous ignorer que les puissan-
« ces de la terre ne peuvent rien statuer sur la religion
« de Jésus-Christ; et qu'étant au nombre des brebis de
« l'Église, elles doivent elles-mêmes l'exemple de l'obéis-
« sance? Prenez donc garde, M. T. G. F., que personne ne
« vous trompe par une fausse philosophie et par de vains
« sophismes, en s'appuyant sur la tradition des hommes.
« C'est au nom de l'Église et comme répondant du salut
« de vos âmes, que nous vous disons que nous sommes
« votre seul et légitime pasteur; que ceux que l'autorité
« temporelle a constitués pour me remplacer, sont entrés
« dans le bercail autrement que parla porte; qu'ils ne
« sont pas attachés au chef, duquel tout le corps des fidèles
« reçoit la vie et l'accroissement en Dieu; qu'ils ne sont
« pas attachés à votre évêque et par votre évèque à l'É-
*< glise et par l'Église à Jésus-Christ. »
Cette belle lettre, imprimée à Bruxelles, formait 16 pa-
ges in-8°. Elle fut envoyée aux prêtres de la Communauté,
restés à Paris , qui la distribuèrent parmi les fidèles et la
leur commentèrent dans plusieurs conférences qu ils leur
firent dans les lieux habituels de leurs réunions secrètes :
l'église des Missions étrangères, où Ton n'entrait qu'avec
250 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
des billets, la chapelle du Petit-Calvaire, rue de Vau-
girard, près la place Saint-Michel, et celle des Bénédic-
tines du Saint-Sacrement, rue Cassette.
Par une exception unique peut-être dans les fastes de
cette période d'impiétés révolutionnaires, les prêtres du
Séminaire des Missions étrangères ne furent pas inquié-
tés par les autorités municipales de Paris; ils purent
même continuer leurs offices pendant la- Terreur, après la
suppression de leur Séminaire en 1792; et il y a lieu de
le reconnaître à leur louange : ils ne profitèrent de la li-
berté qui leur était laissée, que pour se vouer avec le
plus grand zèle au ministère pastoral. M. de Pancemont
le sut ; et sans souci des dangers auxquels il s'exposait, il
rentra à Paris à la fin d'octobre, pour se joindre à eux.
Mais le 19 janvier 1792, jour de la fête de saint Sulpice,
il eut l'imprudence de donner solennellement le salut à
la chapelle du Petit-Calvaire ; on le reconnut, un attrou-
pement se forma et il ne dut de pouvoir rentrer chez lui
qu'à l'énergie d'amis dévoués, notamment de M. de la
Vieuville, officier de marine, qui mit l'épée à la main pour
le protéger (1).
Instruit par cette leçon, il se tint dès lors caché dans
Paris; mais l'ardeur de son zèle n'en fut pas ralentie.
Lors du Carême de cette même année, il suppléa aux
instructions pastorales qu'il ne pouvait plus donner de
vive voix à ses paroissiens , en faisant imprimer chaque
semaine le prône du dimanche, qu'il leur fit distribuer
sous le titre (^exhortation aux vrais catholiques pour
passer saintement le Carême et se disposer à la Pâque.
Il en fit paraître ainsi huit, vrais modèles de ces sortes
d'instructions, dans lesquelles, sous une forme simple,
aifeetueuse, paternelle, à la portée de tous, mais toujours
précise et substantielle, il traita successivement tous les
(1) Métn. mss., art. de Pancemont, p. 52.
M. DE PANCEMOXT (1788-1802). 251
points de dogme et de morale les plus utiles aux fidèles
dans les circonstances présentes.
« Nous ne pourrons, leur dit-il dans la première, nous
« réunir comme auparavant, pour la sainte cérémonie
« des Cendres. Hélas! nous n'avons plus de temples; les
« uns sont renversés; les autres sont envahis par le
« schisme; et la violence nous ferme, contre la disposi-
« tion même de la nouvelle Constitution, ceux dont nous
« pourrions faire usage. Gémissons, mais ne nous lais-
« sons pas abattre par la douleur. Rassemblons-nous en
« esprit; unissons-nous de cœur; et que chacun de nous,
« à l'exemple de Daniel pendant la captivité, fasse dans le
« secret de son oratoire ce que nous aurions fait solen-
« nellement dans nos églises, dans le temps de la liberté.
« Mettons-nous nous-mêmes la cendre sur le front; et
« disons-nous, avec un grand sentiment de pénitence et
« de componction : Homme! Souviens-toi bien que tu as
« été tiré de la poussière et que tu redeviendras pous-
« sière. Méditons ensuite cette terrible sentence, et grâ-
ce vons-la si profondément dans nos esprits que nous ne
« la perdions jamais de vue.
« Nous ne pouvons également vous rassembler autour
« de nous pour vous distribuer le pain de la parole de
« Dieu. Hélas! il ne nous est plus libre d'ouvrir la bou-
« che pour vous parler de Jésus-Christ et pour annoncer
« son Évangile dans la chaire de la vérité. On nous ferait
« un crime de vous le prêcher même en secret ; et nous
« serions infailliblement les victimes de notre zèle... Mais
« nous vous exhortons de faire, chaque jour, à une heure
« réglée, s'il est possible, la lecture de l'Épitre et de l'E-
<( vangile du jour et de quelque bon livre. Nous vous
« conseillons surtout la lecture des Œuvres spirituelles de
« Grenade, le Guide des pécheurs, son Catéchisme, son
« Mémorial et plus particulièrement encore La journée
« chrétienne, Le combat spirituel et l 'Imitation de Jésus-
•252 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
Christ. Vous aurez soin de commencer cette lecture par
une courte mais fervente prière pour demander à Dieu
« l'intelligence de sa parole et la grâce d'en profiter.
• Vous la terminerez par une autre prière pour le re-
« mercier de l'instruction qu'il vous a donnée, et le con-
« jurer de vous rendre fidèles aux résolutions que son
« Saint-Esprit vous a inspirées. »
Il entre ensuite dans le détail des œuvres de piété con-
venables à la sainte quarantaine, et dont les principales
sont le jeûne, la prière et l'aumône, et ajoute à ces re-
commandations celles que les circonstances rendent sur-
tout nécessaires : la patience dans les maux qu'il plait à
Dieu de nous envoyer; la pratique de la charité même
envers ceux qui nous persécutent; le respect et l'obéis-
sance dus à l'autorité civile, fût-elle entre des mains
cruelles et impitoyables, en tout ce qui n'est pas contraire
à la loi de Dieu,
Dans une autre, il montre comment l'immutabilité de
la vérité catholique se concilie avec les définitions de foi
que donne l'Église, et réfute très clairement le sophisme
de ceux qui nient cette immutabilité, sous prétexte que
l'Église crée de nouveaux dogmes.
" Vous me demanderez peut-être, mes très chers Frè-
« res, pourquoi l'Église assemblée ou dispersée prononce
« des définitions de foi et semble même en étendre les li-
« mites, si la foi ne souffre jamais aucune altération?
« Il est très vrai que l'Église règle la croyance des fî-
« dèles, par les décrets qu'elle porte; mais elle ne fait
« pas de nouveaux dogmes; elle les confirme; elle leur
u donne un plus grand jour; elle expose d'une manière
■ plus claire et plus distincte des vérités qui paraissaient
" obscures; elle exprime dans des termes nouveaux une
« doctrine qui n'est pas nouvelle... Concevons bien la
" différence essentielle qui existe entre ces deux proposi-
« tions : Eclaire)' les vérités de la Foi et faire de nouveaux
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 253
« articles de Foi. La foi de l'Église catholique , quoique
o marquée du sceau de l'immutabilité, peut recevoir.
« avec le temps, la lumière, l'évidence, la distinction;
« mais elle conserve toujours sa plénitude, son intégrité,
« sa propriété. Faire de nouveaux articles de Foi, ce
(( serait présenter à votre croyance des vérités nouvelles,
« que les Apôtres n'ont point enseignées, que les Pères,
« dans tous les siècles, ne nous ont pas transmises. Il n'y
« a que les sectes, séparées de l'Eglise catholique, qui
« varient dans leurs dogmes : car les variations et les
« innovations sont les principaux caractères de l'hérésie.
« Elle a commencé par innover, et elle innovera tou-
« jours; et l'expérience de tous les siècles prouve qu'une
« nouveauté en produit une autre, et qu'en matière de
« foi on s'égare sans fin, quand on a commencé à s'é-
« garer. »
Mais il ne se bornait pas à adresser à ses paroissiens
ces belles et solides exhortations ; il se dédommageait de la
privation, dont il souffrait beaucoup, de leur parler en pu-
blic, en les recevant chez lui ou en allant les voir, surtout
lorsqu'ils étaient malades, pour les guider, les encourager
ou les consoler. Et quant aux pauvres, objet de sa cons-
tante sollicitude, il savait toujours, malgré les malheurs
du temps, leur procurer d'abondantes aumônes. Aussi
sa charité, non moins que son courage , faisait-elle l'ad-
miration de ses ennemis eux-mêmes. Un jour, deux com-
missaires de section , chargés de faire une quête dans
l'arrondissement, se présentent chez lui et sollicitent sa
générosité en faveur des pauvres de la paroisse qui souf-
frent beaucoup , observent-ils, depuis qu'il n'en est plus
chargé. — « Fort bien, Messieurs, leur dit-il, voici mon
portefeuille, preuez-y ce que vous jugerez à propos. —
Nous ne le pouvons pas, répondent-ils; mais nous accep-
terons avec reconnaissance ce que vous voudrez bien
nous donner. — Eh bien, Messieurs, voici 600 livres. »
25i HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT- SULPI CE.
Ils lui en expriment tous leurs remerciements et lui re-
mettent un reçu signé du nouveau curé. — « Dispensez-
moi, Messieurs, leur dit-il, de prendre ce reçu; je ne
saurais reconnaître la signature qu'il porte. Ce prêtre
peut m'avoir remplacé aux yeux de la loi, mais non pas
aux yeux de l'Église. Du reste, je n'ai contre lui ni haine,
ni aigreur; et si quelque jour je rentre dans ma place
et que je puisse lui être utile, je le ferai volontiers.
Voilà ce que je pense, Messieurs, et je vous prie de le lui
exprimer. » Ils le saluèrent et, en se retirant, l'un d'eux
dit à l'autre : « Il faudrait baiser les traces de cet
homme-là (1). »
Mais les faibles restes de liberté dont jouissait encore
M. de Pancemont, firent place, vers le milieu de cette
même année 1792, à une persécution ouverte, menaçante
même pour ses jours (2), qui l'obligea à quitter une
seconde fois Paris et à aller se réfugier à Croissy, près
Saint-Germain, où il resta deux ans, jusqu'après le 9 Ther-
midor (27 juillet 179i).
Ce fut là, dans les derniers temps de son séjour, que
chez le Père des Essarts, de l'Oratoire de Juilly, il fit la
connaissance d'un des anciens et des plus illustres élè-
ves du bon Père, le chancelier Pasquier. Le chancelier,
alors âgé de vingt-cinq ans seulement, et déjà conseiller
au Parlement de Paris, n'avait échappé à l'échafaud que
grâce à la Révolution de Thermidor. Rendu alors à la li-
berté, mais toujours privé de ses biens qu'on avait con-
(1) Me'm. mss., ibid., p. 63.
(2) La veille du 10 août, insulté grossièrement par un émissaire de la
section du Luxembourg, qui était venu lui faire, chez lui, une scène des
plus violentes, il se décida à suivre le conseil qu'on ne cessait de lui en
donner, et à se dérober, par la fuite, à la rage des membres de cette
section.
L'abbé Jager. Histoire de l'Église de France pendant la Révolution
t. III, p. 388.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 255
fisqués, il alla avec sa jeune femme habiter, près de
son vieux maître, une petite maison de Croissy, où, pen-
dant deux ans, il vécut dans la retraite, réduit au strict
nécessaire, et cultivant de ses mains son jardin dont les
produits l'aidaient à vivre. Toute sa vie, il conserva un
religieux souvenir de ses trop courtes relations avec
M. de Pancemont; et, dans ses Mémoires, il lui consacre
une page charmante.
« Le village de Croissy, y écrit-il, était resté en de-
hors des troubles révolutionnaires, grâce à un prêtre
marié, son ancien curé, devenu maire, dans la réalité un
excellent homme, mais de mœurs légères. Actif, coura-
geux, il ne craignait pas de se compromettre pour ren-
dre service. Sa commune était un asile assuré pour qui-
conque s'y réfugiait; et il n'avait pas hésité à recueillir
un des ecclésiastiques les plus connus et par conséquent
les plus menacés.
<( Pendant les années 1793 et 179i, vivait caché dans
une maison du village l'ancien curé de haint-Sulpice,
M. de Pancemont, mort depuis évêque de Vannes. Il y
était encore quand j'arrivai. J'ai connu peu d'hommes
plus évangéliques. La simplicité de son caractère me le
faisait quelquefois comparer à ce personnage si connu de
l'abbé Prévost, au doyen de Killerine, dont il avait la
laideur. Quant à sa conduite à l'égard du curé marié au-
quel il avait tant d'obligations, elle était d'une conve-
nance et d'une délicatesse admirables : ne négligeant rien
pour le ramener au bien, mais l'excusant autant qu'il
dépendait de lui, instruisant ses enfants qu'il avait bap-
tisés et leur cherchant des parrains et des marraines
qui pussent un jour les protéger et les mettre dans une
bonne route (1). »
Après la chute de Robespierre , au 9 Thermidor, la
(1) Mémoires du Chancelier Pasquier, t. 1, p. 117.
250 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-Sl LPICE.
Convention sembla revenir à des principes de modéra-
tion, qui amenèrent le décret du 21 février 1795 (3 Ven-
tôse an III) et celui du 30 mars suivant (11 Prairial
an III en faveur de la liberté des cultes.
M. de Pancemont en profita pour rassembler ses parois-
siens dans quelques oratoires particuliers. Le premier
qu'il choisit, fut la chapelle des Sœurs de l'Instruction
chrétienne, rue du Pot-de-Fer. Il l'ouvrit aux fidèles en
mars 1795, et la fît desservir, en son nom, par d'anciens
prêtres de la Communauté : M. Devoisins, qui devint curé
de Saint-Étienne du Mont, M. de Pierre, son successeur
immédiat à Saint-Sulpice, M. Jerphanion, plus tard curé
de la Madeleine, avec la collaboration de M. de France,
ancien supérieur de la Communauté, et de MM. Kerave-
naut, de Sambucy, Gerardin, Potel et Verkaven. Elle de-
vint bientôt insuffisante à raison de la foule qui s'y pres-
sait; et il fut obligé de créer d'autres centres de réunion :
dans la chapelle des Orphelines de la rue du Vieux-Co-
lombier, où le nombre des fidèles était si grand, qu'on
fut obligé de dire des messes basses dans les anciens dor-
toirs, au 3e étage; dans la petite église de l'abbaye Saint-
Germain, l'ancienne chapelle des Religieux démolie plus
tard; et dans la Bibliothèque du Séminaire des Missions
étrangères. Ces divers oratoires étaient également des-
servis par ces Messieurs sous sa direction; mais il se
tenait habituellement à l'écart, pour se dérober à la
haine de ses ennemis, furieux de voir en lui un des plus
fermes soutiens de la religion qu'ils voulaient détruire.
Tous ces lieux du culte servaient en même temps de salles
des catéchismes, dont la direction était confiée à l'abbé de
Sambucy, un ancien élève de Saint-Sulpice.
Partout l'affluence était énorme. « Elle est si grande.
« écrivait M. Emery à l'abbé Courtade, en avril 1795,
« qu'il a fallu, dans les fêtes de Pâques, tendre des toiles
« dans la cour de V Instruction et dire des Messes dans
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 257
« cette cour, outre celles qu'où disait à la chapelle; et
« que de plus les vêpres sont doubles dans chacune de
« toutes les chapelles. » Aussi l'abbé de Boulogne était-il
en droit de terminer un article qu'il publia dans les An-
nales catholiques, à la date de 1er décembre 1796, sur
l'état actuel de la religion à Paris, par cette conclusion,
bien faite pour lasser les persécuteurs de leurs vaines
méchancetés : « Ainsi la religion triomphe seule d'une
Révolution qui a tout englouti ; ainsi sa conservation, dans
ce naufrage universel, devient pour tous les hommes de
bonne foi un miracle perpétuel; ainsi tous les efforts que
l'on a faits pour détourner le peuple des institutions catho-
liques ne font que tourner à la honte de l'impiété. Ainsi,
tandis que les philosophes n'ont pu encore donner à leurs
fêtes décadaires ni le moindre intérêt, ni la moindre
consistance, les fêtes religieuses conservent invincible-
ment et ce charme qui attire et cet ascendant qui en-
traîne... Admirons donc le pouvoir de la religion; recon-
naissons ce sublime besoin que nous avons tous d'elle,
besoin d'autant plus fort qu'il est fondé sur nos misères,
et sur la nécessité où est la faible créature d'aimer, d'es-
pérer et de croire. »
Lorsqu'en juin 1797, M. de Pancemont eut obtenu sa
radiation de la liste des émigrés, sur laquelle ses ennemis
l'avaient fait inscrire, il parut publiquement à la chapelle
de l'Instruction, et, l'un des premiers dimanches de juil-
let, il y chanta la Messe et y lit le prône.
Sa joie de se voir réuni à son troupeau s'accrut encore
de celle de lui procurer un lieu de réunion plus vaste et
plus commode.
Par acte du 15 août 1797, jour de la fête de l'Assomp-
tion de la Très Sainte Vierge, M"lc Camille de Soyecourt,
religieuse carmélite du couvent de la rue de Grenelle,
s'était rendue acquéreur de la partie principale de l'an-
cien couvent des Carmes et de leur église, sanctifiée par
ÉCLISE SAINT- SU LPICE. 17
258 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SI LPICE.
le glorieux martyre des 114 prêtres qui y avaient été
massacrés le 2 septembre 1792, et où elle avait aperçu,
pour la dernière fois, son vertueux père, le comte de
Soyecourt, qui y était resté enfermé pendant quatre mois
et qui n'en était sorti que pour monter à l'échafaud, le 23
juillet 1794 (1). Quelques jours après, elles'y installait avec
ses fdles; et, le 2't août, en présence de douze religieuses,
réunies sous la conduite de la Mère Nathalie, prieure de
l'ancien monastère de la rue de Grenelle, M. de Pance-
mont y célébrait la messe dans une petite chapelle dédiée
à saint Joseph, attenante à l'église, mais qui, murée
avant les massacres, avait ainsi échappé à la profanation.
A ce moment-là, il cherchait à louer quelque ancienne
église, pour la desservir avec son clergé. Il fit part de
son dessein à la Mère de Soyecourt qui, pouvant se con-
tenter pour elle et sa communauté d'une chapelle inté-
rieure, consentit de suite à lui céder Y église des Carmes,
à la seule condition qu'il y ferait, à ses frais, toutes les
dispositions nécessaires pour l'exercice public du culte
divin. Il accepta avec reconnaissance cette offre si géné-
reuse, s'empressa d'y faire disparaître les traces du négoce
qu'y avait exercé un marchand de vin, y fit dresser
provisoirement des autels en bois; et, le 29 août, Mgr de
Maillé (2), ancien évèque de Saint-Papoul, vint bénir
(1) Mmc de Soyecourt fit celle acquisition d'un marchand de planches,
nommé Forison, qui s'en était rendu adjudicataire, au moment où, forcé
de contracter un emprunt pour payer lui-même son pris, il allait dé-
molir le couvent et l'église pour trafiquer des matériaux. Elle racheta le
reste du couvent, en 1801 et en 1807.
(2) M^r de Maillé était resté à Paris même aux jours les plus sombres
de la Terreur, pendant lesquels il eut le bonheur de conférer souvent
les sacrements et même de faire plusieurs ordinations. Aussi son zèle
apostolique lui altira-t-il la colère du Directoire. « C'est le plus grand co-
quin que je connaisse, écrivait Rewbell ; n'esl-il pas temps de l'envoyer faire
des prêtres ailleurs? » Et, en effet, en plein hiver de 1799, le Directoire
l'envoya rejoindre à l'île de Rhé les 900 prêtres qu'il y avait déjà déportés.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 259
solennellement l'église, qui désormais fut consacrée au
service paroissial. Toutefois les catéchismes continuèrent
à se faire clans la chapelle des sœurs de Y Instruction.
Mais la liberté de ces pieux exercices ne fut pas de
longue durée. Elle fut suspendue encore une fois par les
nouveaux orages que la journée du 18 Fructidor an V
(i septembre 1797) fit éclater sur l'Église de France.
Sous la pression de l'opinion qui se manifestait, tous
les jours, de plus en plus favorable aux idées de modéra-
tion et de justice, le Conseil des Cinq Cents avait voté,
le 13 juillet 1797, sur le rapport de Camille Jordan, et le
Conseil des Anciens avait approuvé, le 2i août suivant,
une loi qui rouvrait les portes de la France aux prêtres
insermentés. Mais cette loi disparut presque aussitôt dans
la tourmente que souleva le coup d'État du 18 Fructidor,
résolu et accompli en haine de ce retour à l'équité. Dé-
sormais, affranchi des entraves que les deux Conseils
apportaient à son hostilité contre l'Église, le Directoire ne
visa plus qu'à continuer contre elle l'œuvre de la Con-
vention et les pires traditions révolutionnaires. Il se fit
donner le pouvoir de déporter, par arrêtés individuels
motivés, les prêtres qui troubleraient la tranquillité pu-
blique; replaça sur la liste des émigrés beaucoup de ceux
qui en avaient été rayés, les força ainsi à s'expatrier pour
éviter la peine de mort, prononcée à nouveau contre les
émigrés qui rentreraient sans autorisation; exigea de
ceux qui voulaient rester le serment de haine à la Royauté,
et prit en même temps les mesures les plus vexatoires
pour obliger les fidèles non seulement à chômer le Décadi,
mais même à ne pas fêter le dimanche.
Cet odieux système de persécutions à outrance créait à
M. de Pancemont une situation intolérable. Pour la sau-
ver et pour ne pas laisser ses ouailles privées de secours
spirituels, il n'hésita pas, malgré l'indignation que sou-
levait en lui une contrainte imposée par de sinistres jon-
260 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
gleurs qui, eux, se faisaient un jeu de s'affranchir par le
parjure de plusieurs serments qu'ils avaient déjà prêtés.
11 prêta donc ce serment de haine à la Royauté, qui lui
était prescrit, mais dans le sens de la simple soumission
due au gouvernement établi, auquel l'avait réduit le rap-
porteur même de la Loi qui l'avait édicté, le député
Chollet, qui déclara officiellement à la tribune du Con-
seil des Cinq Cents « qu'il ne s'agissait pas de haïr la
« personne des rois ou les institutions des peuples voi-
« sins avec lesquels la République voulait rester en bons
« rapports ; mais seulement le rétablissement de la Royauté
« en France, et par conséquent, toute idée qui tendrait
« à renverser la République ».
Et il s'y crut autorisé par le Conseil archiépiscopal de
Paris, qui laissa ses prêtres libres d'agir, en ces conjonc-
tures difficiles, selon leur conscience; par M. Emery, qui,
s'il ne prêta pas ce serment et ne le conseilla à personne.
ne condamna jamais ceux qui l'avaient prêté comme l'en-
tendait Chollet; à ce point qu'un jour où la question lui
avait été nettement posée, s'il l'approuvait oui ou non, il
s'était borné à répondre : « Je ne puis pas me faire à l'idée
d'un peuple sans culte » ; et aussi par le vénérable évêque
de Marseille, Mgr de Relloy, qui allait bientôt monter sur
le siège archiépiscopal de Paris et être revêtu de la pour-
pre romaine, et qui, dans une lettre qu'il adressait à son
clergé en octobre 17i)7, émettait l'avis que ses prêtres
pouvaient, sans prévariquer à leurs devoirs, prêter ce
serment, dans le sens, le seul raisonnable, que lui donnait
le député Chollet, « et ajoutait même qu'un puissant mo-
tif devait les g engager, attendu que dans les circonstan-
ces malheureuses où l'on se trou/ait, le refus qu'ils en fe-
raient, produirait les plus grands maux à la religion (1) ».
(1) Cette lettre est reproduite en entier par l'abbé Délaie, toc. cit.
t. III, p. 401 et 402.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 2(31
Néanmoins, ce sacrifice auquel il s'était soumis dans
l'intérêt de ses paroissiens, leur fut peu profitable. Impli-
qué bientôt après, quoique à tort, dans une conspiration
royaliste , il ne put se soustraire aux poursuites de ses
ennemis qu'en prenant, une troisième fois, la route de
l'exil. « Tout ici est déconcerté pour la paroisse, écrivait
« M. Emery à l'abbé Courtade, le 10 octobre 1797. M. de
« Pancemont a été obligé de se retirer en Suisse, comme
« n'étant pas rayé de la liste des émigrés. Il a fait le
« serment de haine avec la plupart des prêtres de son
« église. Voisins et Sambucy ne l'ont point fait; et en
« conséquence, ils ont cessé leurs fonctions dans la pa-
« roisse (1). » Mais les autres n'eurent pas longtemps à les
exercer eux-mêmes. Au commencement de l'année 1798,
la tyrannie du Directoire les obligea à se disperser. Il
prétendit même à la propriété des Carmes et y fit mettre
les scellés. Mais Mmo de Soyecourt revendiqua ses droits
et finit par obtenir la levée des scellés. Quant au clergé,
il se vit interdire l'accès de cette église jusqu'à la révo-
lution du 18 Brumaire an VIII 1 9 novembre 1799) qui déli-
vra la France du joug honteux du Directoire.
M. de Pancemont rentra alors en France et reprit ses
fonctions pastorales, après avoir donné la promesse de
fidélité à la nouvelle Constitution, exigée par le Gouver-
nement consulaire et autorisée par le Conseil archiépisco-
pal. Il fît revivre l'ancienne organisation de la paroisse
et, dès que le Séminaire fut rétabli en 1800, rue Saint-
Jacques, dans la maison de la Vache noire (2); il obtint de
M. Emery qu'il se rendit à l'église des Carmes, comme
(1) Mém. mss., art. de Pancemont, p. 77.
(2) C'était là, à celte enseigne, qu'après le 9 Thermidor, Mme de Soye-
court avait ouvert une modeste auberge et que, sous le déguisement d'une
cabaretière, elle donnait asile à des piètres et à des religieux, qui pou-
vaient y célébrer la messe dans une petite chapelle, installée dans un ré-
duit obscur de la maison.
262 HISTOIRE DE L'EGLISE SALNT-SULPIOE.
autrefois à Saint-Sulpice, pour la célébration des offices
des dimanches et des fêtes, et qu'il partageât avec l'abbé
de Sambucy le soin des catéchismes, qui se faisaient dans
une chapelle, séparée de l'église. Ce fut dans cette cha-
pelle qu'en 1801 commencèrent les célèbres conférences
de l'abbé de Frayssinous.
Sur ces entrefaites, le Premier Consul, qui, « avec le
« bon sens de son génie et le sentiment de sa vieille foi
« catholique, comprenait qu'on ne peut rien édifier ni
;< consolider sans la religion, et qui avait hâte de relever
« l'édifice social pour y asseoir celui de sa puissance (1) »,
traita avec le Saint-Siège du rétablissement de la Religion
catholique en France et signa avec lui, le 15 juillet 1801,
le Concordat, encore en vigueur aujourd'hui, dont une
des conditions principales était la destitution de l'ancien
épiscopat français, la nouvelle circonscription des dio-
cèses, et le droit conféré au Premier Consul de nommer
aux archevêchés et aux évêchés de cette nouvelle circons-
cription. Un de ces évêchés, celui de Vannes, fut donné
par le général Bonaparte à M. de Pancemont, qui avait
attiré son attention par le succès de sa mission à Augs-
bourg, auprès de l'archevêque de Paris, Mgr de Juigné,
dont il avait obtenu la démission, et qui lui avait été très
recommandé d'ailleurs par l'abbé Bernier (2), qui le
tenait en très haute estime.
M. de Pancemont fut sacré à Notre-Dame, le 11 avril
1802 (3), par le Cardinal Légat Caprara, avec les abbés
(1) L'alibé Bautain, De l'Éducation en France au xixe siècle, p. 29.
(2) L'abbé Bernier avait contribué à la pacification de la Vendée et avait
été l'un des plénipotentiaires du Premier Consul dans les négociations du
Concordat.
(3) Huit jours avant le Te Deum qui y l'ut chanté le jour de Pâques,
18 avril, par le même cardinal en présence du Premier Consul, en action
de grâces de la ratification du Concordat et de sa proclamation comme loi
de l'État.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 263
Cambacérès et Bernier, qui venaient d'être nommés : le
premier à l'archevêché de Rouen, le second à l'évèché
d'Orléans.
En arrivant dans son diocèse, il le trouva déchiré par
le schisme (1) et par les passions politiques. En peu de
temps, sa douceur et sa modération apaisèrent les dissen-
sions religieuses et ramenèrent la concorde entre les fi-
dèles; mais son attachement trop marqué à Napoléon (2),
l'excès de son zèle à le servir (3), ne firent qu'aggraver les
divisions politiques, surexciter les esprits et envenimer
leurs haines, dont la violence alla jusqu'à s'attaquer à
sa personne par un criminel attentat qui le mena au
tombeau.
Au matin du -23 août 1806, il se rendait, avec son secré-
taire et l'un de ses vicaires généraux, à l'église de Mon-
terblanc , distante de quatre lieues de sa ville épiscopale ,
pour y donner la confirmation, quand, en route, sa voi-
ture est arrêtée tout à coup et conduite dans l'intérieur
des terres par un groupe de cavaliers armés, qui décla-
rent au prélat qu'ils le retiendront jusqu'à ce que le pré-
fet ait remis en liberté deux personnes arrêtées depuis
peu comme complices d'une conspiration royaliste. Aus-
sitôt ils enjoignent au vicaire général de retourner à Van-
nes porter au préfet un billet qu'ils lui remettent et où il
est dit que si, sous huit heures, les deux prisonniers ne
sont pas rendus au village de Lange, l'évêque et son se-
(1) Ms' Amelot, l'ancien évêque de Vannes, n'avait pas donné sa démis-
sion, et beaucoup de prêtres fidèles persistaient à le regarder comme leur
évêque.
Les prêtres constitutionnels étaient nombreux ; ils dominaient même
dans quelques villes; et leur évêque, Cbarles Lemasle, était soutenu par
le préfet.
(2) Il avait accepté le titre d'aumônier de la princesse de Piombino,
l'une des sœurs de l'Empereur.
(3) Voir sa lettre circulaire à son clergé, du 26 octobre 1805, au sujet
de la conscription.
264 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICG.
crétaire seront fusillés, et que le même sort les attend, si
la gendarmerie est mise en mouvement.
Pour sauver les jours du vénérable prélat , le préfet
s'empresse de faire élargir les deux prisonniers, qui ar-
rivent à Lange à l'heure indiquée. Le chef de la troupe
dit alors à Mgr de Pancemont : « Je vais vous faire recon-
duire sur la grande route. Mais avant de partir, vous allez
me donner votre parole que, rendu à Vannes, vous me
ferez tenir, demain , avant midi, au lieu qu'il vous plaira
de m 'indiquer : 1° le billet remis, ce matin, à votre grand
vicaire pour le préfet; 2° votre anneau pastoral; 3° votre
croix de la légion d'honneur, que j'ai vue sur votre sou-
tane; 1° et la somme de 2 ï. 000 francs en or bien comptés. »
L'évêque lui en fait la promesse et désigne comme lieu
de dépôt le presbytère du curé d'une des paroisses voi-
sines de Vannes. — « Fort bien! réplique le chef; mais je
retiens votre secrétaire en otage; et si, demain, à midi,
tous ces objets ne sont pas dans ce presbytère, à ma dis-
position , il sera passé par les armes. »
Le prélat regagne alors sa voilure. Rentré à Vannes,
vers les sept heures du soir, les témoignages de respec-
tueuse sympathie qu'il recueille de toutes parts, succé-
dant à ses cruelles émotions de la journée, le font s'é-
vanouir à la porte de l'évèché. A peine revenu à lui, il se
rend chez le préfet auquel il témoigne sa reconnaissance,
puis revient bien vite à l'évèché pour s'occuper de la réa-
lisation des fonds. En moins d'une heure, le supérieur
du Séminaire, chargé de les recueillir, a entre les mains
10.000 francs de plus que la somme exigée. Le lendemain
matin . de bonne heure, les 24.000 francs en or, le billet,
l'anneau et la croix étaient déposés à l'endroit convenu;
et le secrétaire, rendu sur-le-champ à la liberté, reve-
nait le soir, à Vannes (1).
(1) Mém. mss., art. de Pancemont, p. 90 à 92.
M. DE PANCEMONT (1788-1802). 265
Mais à dater de cet horrible guet-apêns, la santé de
Mgp de Pancemont déclina de jour en jour. Le 5 mars 1807,
il eut une attaque de paralysie et perdit à l'instant la
parole et la connaissance qu'il ne recouvra plus. Il mou-
rut, neuf jours après, le 19 mars, âgé de cinquante-
deux ans. Les larmes du grand nombre des pauvres qu'il
secourait, donnèrent à ses obsèques un caractère touchant.
L'Empereur fit son éloge, dans une lettre, datée du camp
de Trimkestem, du 5 mai suivant, qui fut rendue publi-
que, et enjoignit au ministre des cultes de lui faire éri-
ger un mausolée dans sa cathédrale. Mais un hommage
plus digne encore de ses vertus lui fut rendu par
M. Emery, qui le pleura comme un des prélats les plus
distingués par son zèle et son dévouement au service de
l'Église.
CHAPITRE XII!
l'église saint-sulpice pendant la révolution.
ses deux curés constitutionnels.
3 avril 1791 — 1G mai 1802.
1° Le Père Poiret. 1791 1792.
Sommaire : Ses antécédents. — Il prête serment de fidélité à la Constitution
< ivile du clergé et livre l'église de l'Oratoire à Talleyrand, évêque d'Autun.
pour le Sacre des deux premiers évèques constitutionnels. — Il est proclamé
Curé de Saint-Sulpice à Notre-Dame. — Sa réponse au Président franc-ma-
çon. Pastorct. — U préside la procession de la Fêle-Dieu en l~'M. — Le Su-
périeur du Séminaire des Missions étrangères lui refuse l'entrée de son
église. — Sa mort.
2 L'abbé Mahieu. 1792-1802.
Sa \ie antérieure; son caractère. — Sa lettre à Pétion , Maire de Paris, pour
sauver les prêtres ré.fractaires après le 10 août. — Sa protestation contre la
nomination d'Auhert. prêtre marié, à la cure de Saint-Augustin (aujourd'hui
Notre-Dame des Victoires). — 11 est incarcéré à Sainte-Pélagie. — Son rôle effacé
comme curé de Saint-Sulpice jusqu'à la dissolution de sa Fabrique, le ."> fé-
vrier 17!i3.
L'église Saint-Sulpice devient le lieu des réunions publiques de la section du
Luxembourg. — Bureau d'enrôlement des volontaires ouvert daus la chapelle
du Sacré-Cœur. — Le -2 septembre l~'*-2. l'Assemblée générale de la section
y vole la mise à mort des prisonniers des Carmes. — Préméditation de ce
forfait. — Rôle infâme du juge de paix, Ceyrat. président de cette Assem-
blée.
Culte de la Raison tenté par Chaumette. — L'église Saint-Sulpice en devient
le Temple. — La fête de cette déesse y est célébrée le 13 Frimaire an IL —
Discours et blasphème de Ceyrat.
Culte de l'Être suprême, substitué par Robespierre à celui de la Raison. —
Organisation de ce culte et de ses fêtes par le décret du 7 mai 1791. — L'église
Saint-Sulpice prend alors le nom de Temple de l'Etre suprême.
Culte de la Théophilanthropie, qui remplace celui de l'Être suprême à la mort
de Robespierre. — Analyse de cette doctrine. — Ses apôtres; leurs réunions
dans diverses églises, notamment à Saint-Sulpice qu'ils appellent le Temple
de la Victoire. — Suppression de ce culte par le Gouvernement consu-
laire.
Banquet donné au général Bonaparte dans l'église Saint-Sulpice. trois jours
L'EGLISE SALNT-Sl'LPICE PENDANT LA RÉVOLUTION. 267
avant le coup d'État du 18 brumaire. — Arrêté des Consuls, du -2tj juillet 1800,
qui supprime le caractère obligatoire des fêtes décadaires.
L'intrus Mahieu rentre eu possession de l'église Saint-Sulpice. — Le second
concile national des évêques constitutionnels y tient ses séances particulières
— Après le Concordat, l'intrus Mahieu cède la place à M. de Pierre. — Sa ré-
tractation et sa mort.
Dans l'espace des onze années écoulées entre le 3 avril
1791, jour où le clergé constitutionnel lui fut imposé, et
le 16 mai 1802, jour où elle en fut délivrée, l'église de
Saint-Sulpice n'a vu à la tète de ce clergé que deux cu-
rés : le Père Poiret et l'abbé Mahieu.
1° LE PÈRE POIRET. 1791-1792.
Le Père Poiret ou Poirée (Jean) était prêtre de l'Ora-
toire, assistant du Supérieur général de sa congréga-
tion (1) et supérieur lui-même de la maison de Saint-Ho-
noré. Toute sa vie, il avait combattu le jansénisme; et ce
fut à l'âge de soixante-neuf ans que, séduit parles sophis-
mes des partisans de la Constitution civile du clergé, il se
laissa entraîner par eux à prêter le serment qu'elle pres-
crivait, le 9 janvier 1791, à Notre-Dame, en qualité d'au-
mônier du bataillon de la garde nationale de la section de
l'Oratoire (2).
La veille de ce jour néfaste, le Père Marcel Pruneau, de
l'Oratoire de Juilly, vint le voir et lui dit : « Qu'il est
« douloureux pour moi, mon Révérend Père, d'avoir à
« me séparer de vous pour la conduite à tenir dans une
« circonstance aussi grave, après avoir recueilli de votre
« bouche et de votre cœur des leçons si solides sur la né-
(1) Le Père Moisset, supérieur général de l'Oratoire, étant mort le 18 dé-
cembre 1790, le Régime de la congrégation se composait des trois as-
sistants, dont le P. Poiret était l'un, et du Procureur général.
(2) On donnait à ces aumôniers le litre pompeux d'Aumôniers de la
Nation.
208 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
« cessité de l'obéissance aux décisions de l'Eglise (1). »
Ce langage, ses confrères le lui tinrent plus pressant
encore. Rien n'y fit; et il eut le triste courage de se sé-
parer d'eux pour aller, seul de sa maison, ternir ses che-
veuv blancs par cet indigne serment.
Quinze jours après, il commit une action bien plus
coupable encore, en souscrivant, contre le gré de tous
ses confrères, à la demande que lui fit Talleyrand, révo-
que d'Autun, de lui prêter son église de l'Oratoire, pour
sacrer lui-môme les deux premiers évêques constitution-
nels : Expilly, évèque du Finistère, et Marolles, évèque
de l'Aisne (2), et consommer ainsi le schisme.
11 n'eut pas à attendre longtemps la récompense de sa
criminelle faiblesse. A la fin du mois, le 30 janvier, il fut
nommé curé de Saint-Sulpice par l'Assemblée électorale
du district de Paris, à la presque unanimité des voix (3).
La proclamation solennelle du vote eut lieu à Notre-Dame ,
le 6 février. Elle fut faite par le président de l'assemblée,
le franc-maçon Pastoret, qui, dans le discours qu'il adressa
au nouveau curé, osa présenter ce système d'élections
comme un moyen sur de pu ri fier le christianisme : « Mes-
« sieurs, dit-il, cinq siècles se sont bientôt écoulés depuis
« que les Français, convoqués pour la première fois en
« États Généraux, se rassemblèrent dans ce temple môme
« pour arrêter les entreprises des Pontifes romains. On
« dirait que le séjour auguste où nous venons demander
(1) V. notre Histoire de Juilly , p. 165.
r>) Ce fut, en effet, à l'église de l'Oratoire du Louvre que Talleyrand
sacra ces deux premiers évêques constitutionnels, le 25 février 1791 , avec
l'assistance de Gobel, qui sept mois auparavant, le 1er juin 1790, avait
protesté à l'Assemblée nationale contre les principes de la Constitution
civile, d de Miroudot, évèque de Babylone. Voir de curieux détails sur
cet ardent prôneur de la simplicité de l'Église primitive dans l'ouvrage
de l'abbé Delarc, loc. cit., t. I, p. 413. Voir le discours de Gobel à l'Ass.
nat. du l" juin 1790. Ibid., t. I, p. 409.
(3 Par 436 voix sur 488. Delarc, ibid., p. 419.
L'ÉGLISE SAINT-SULPICE PENDANT LA RÉVOLUTION. 260
« et recevoir les inspirations de la divinité, fut marqué
« dans tous les temps par l'Éternel comme le lieu où doit
« se purifier et s'affermir le christianisme. »
La réponse du Père Poiret ne fut rien moins qu'évan-
gélique : « Si je calculais mes forces, dit-il à son tour,
mon âge, l'insuffisance de mes talents, les menaces, la
rage de la superstition, de l'hypocrisie, les fureurs
d'une cause criminelle et détestable (celle, bien en-
tendu, des prêtres qui n'avaient pas prêté le serment),
je serais tenté de suspendre les effets de ma bonne vo-
lonté; mais ce serait un scandale pour la nation, pour
l'Église, et pour les amis éclairés de la Constitution.
J'obéis. » Et il ajoute un peu plus loin : « Nous ferons
entendre la raison souveraine , comme la directrice des
mœurs; si vous l'écoutez attentivement, il n'y aura
plus que de la sincérité dans le commerce de la parole,
de la fidélité dans les promesses, de la bonne foi dans
les conventions, de la modestie dans les sentiments, de
la modéralion dans les procédés, une amitié cordiale
et universelle pour tous les hommes avec qui nous
avons à vivre, en nous considérant tous comme les ci-
toyens d'une même ville, comme les enfants d'un
même Père, comme les membres d'un même corps
dont la fin essentielle est de concourir tous ensemble à
leur conservation réciproque (1). »
Qu'attendre pour le bien spirituel de sa paroisse d'un
curé qui oubliait à ce point son caractère sacerdotal! et
que fût devenue la France si un pareil schisme avait duré
longtemps!
Cependant, le Père Poiret ne prit possession de la cure
de Saint-Sulpice que le 3 avril suivant. Ce retard dans
son installation fut motivé par celui qu'occasionna la no-
(1) L'abbé Délaie, loc. cit., t. I, p. 420.
270 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
mi nation de Gobel comme archevêque de Paris, qui n'eut
lieu que le 13 mars, sur le refus de Sieyès (1).
Aucun fait saillant ne signala son administration cu-
riale, si ce n'est que, lors de la Fête-Dieu de 1792, il fit
avertir le Supérieur du séminaire des Missions étran-
gères que la procession de Saint-Sulpice s'arrêterait dans
sa chapelle. Au jour de la fête, la procession sortit sous
une pluie battante; mais arrivée rue du Bac, en face du
Séminaire, elle trouva les portes de sa chapelle fermées.
Le Père Poiret ne chercha pas à y pénétrer et donna l'or-
dre à la procession de continuer sa marche. Mais la po-
pulace, irritée de la résistance du Supérieur, se rua dans
l'intérieur du Séminaire qu'elle saccagea, et il fallut l'in-
tervention de la force armée pour l'en chasser ("2).
(1) Ce ne fut même que le 27 mars que l'installation de l'intrus Gobel
eut lieu à Notre-Dame. L'abbé Delarc, loc. cit., t. I, p. 431 et 43L
(2) L'abbé Delarc , loc. cit., t. II, p. 104.
Cet épisode est ainsi raconté par M. Launay, au t. II, p. 273 et sui-
vantes, de sa très intéressante Histoire de la Société des Missions étran-
gères, couronnée récemment par l'Académie française :
« Le 14 juin, un des piètres intrus, nouvellement établis dans la paroisse
Saint-Sulpice, vint, accompagné de deux commissaires de la section de la
Croix-Rouge, avertir M. Hody que la procession entrerait dans l'église des
Missions étrangères etil l'invita à la recevoir. M. Hody refusa. « Nous nous
« opposons autant qu'il est en nous, répondit-il , à ce que la procession entre
« dans notre église; puisque la Constitution a décrété la liberté des cultes,
" nous voulons en profiter; nous ne sommes pas de la même religion que
« ces messieurs de la paroisse de Saint-Sulpice; nous ne voulons pas
« avoir de communications avec eux; nous n'allons pas les troubler dans
« leur église, qu'ils nous laissent tranquilles chez nous. »
« Et le vieux Supérieur exhiba un arrêté du département et de la muni-
cipalité qui déclarait que personne ne pouvait être contraint de tendre les
rues pour la procession du Saint-Sacrement; que les voilures rouleraient li-
brement sans être obligées de s'arrêter... « A plus forte raison, concluait-il,
ci nous ne pouvons être forcés de recevoir la procession dans notre église. »
« En 1792, la liberté religieuse était encore assez mal comprise, en
France, de même qu'elle l'a été plusieurs- fois depuis; elle n'était guère
accordée qu'aux amis du Gouvernement, fidèles à la Constitution civile
et rebelles à l'Église. Le supérieur du Séminaire, moins expérimenté que
ne peuvent l'être ses successeurs, avait sans doute cru son argument
L'ÉGLISE SAINT-SULPICE PENDANT LA RÉVOLUTION. 271
Il mourut peu de temps après, le 16 juillet 1792, sans
s'être rétracté, entre les bras de prêtres j tireurs comme
lui, qui fermèrent sa porte à tous ses anciens confrères.
2° l'abbé mahieu. 1792-1802.
L'abbé Mahieu (Jacques-Antoine), qui lui succéda,
était né, en 1734, au diocèse de Goutances. Il était vi-
caire à Saint-Germain l'Auxerrois, quand il prêta le ser-
ment, le 9 janvier 1791, et suivit le Père Poiret à Saint-
Sulpice, en qualité de son premier vicaire. 11 en fut
nommé curé, à sa place, le 5 août 1792. à l'âge de cin-
quante-huit ans.
C'était, lui aussi, une tète faible, qui s'était laissé en-
traîner à l'erreur par des fanatiques jureurs, mais au
fond une âme honnête. Un de ses premiers actes, comme
curé constitutionnel de Saint-Sulpice,, l'honore et mérite
excellent. Les commissaires le détrompèrent et lui donnèrent l'ordre de
tenir l'église ouverte et oinée. « Elle sera ouverte et ornée, répondit
« M. Hody, non à cause de la procession, mais à cause de la fête. » Les
officiers municipaux s'inquiétaient peu du motif, pourvu que l'effet de-
mandé fût obtenu; ils se retirèrent en se déclarant salisfaits.
« M. Hody l'était moins; il ne pouvait, sans une peine profonde, songer
que son église serait profanée par une cérémonie religieuse célébrée par
des prêtres schismatiques. Il agit auprès du Département et de la munici-
palité qui l'autorisèrent expressément à refuser l'entrée à la procession.
« Celte autorisation, notifiée au curé, suffit pour sauvegarder l'église,
où entrèrent seuls quelques énergumènes, qui, d'ailleurs, n'y restèrent pas
longtemps. Préservé d'un malheur, le Séminaire retombait dans un autre;
le soir de ce môme jour, il fut envahi par plusieurs bandes d'ouvriers
qui parcoururent la maison, frappant le vénérable M. Bramany, âgé de
plus de quatre-vingts ans. Un détachement de soldats de la caserne de
Babylone fut appelé et les chassa. Enfin, pour apaiser les esprits, les
commissaires du quartier, à la tête de quinze à vingt gardes nationaux,
firent une visite domiciliaire et, en sortant, affirmèrent sous serment que
l'établissement ne recelait aucune arme. Les ouvriers se dispersèrent alors,
quoiqu'en maugréant. »
272 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
d'être cité. Le joui' même de la chute de la Royauté, le
10 août, la Commune avait envoyé aux diverses sections
de Paris la liste des évèques et des prêtres non assermen-
tés, avec l'ordre de les arrêter et de les conduire soit aux
Carmes, soit au Séminaire de Saint-Firmin, rue Saint-
Victor; et pour justifier ces arrestations, elle avait in-
venté le prétexte que des prêtres avaient été vus au châ-
teau faisant feu sur le peuple avec les Suisses.
La section du Luxembourg, qui se distinguait par son
fanatisme et dans la circonscription de laquelle les mai-
sons religieuses étaient le plus nombreuses, applaudit à
cet ordre et s'empressa de le faire exécuter. L'abbé Ma-
hicu, redoutant les violences dont les prêtres incarcérés
ne manqueraient pas d'être victimes, ■ — la commune
ne dissimulait pas son intention de les faire monter à
Féchafaud (1), — écrivit à Pétion, Maire de Paris de-
puis la démission de Bailly (2), la lettre suivante : « Mon-
« sieur, je crois qu'il est essentiel de vous prévenir que
« l'on se propose de fondre, demain dimanche, sur tous
« les prêtres réfractaires qui ont coutume de dire la
« messe dans les différentes communautés religieuses qui
" se trouvent dans l'étendue de la paroisse que l'Assem-
« blée électorale vient, à votre recommandation, de con-
« fier à mes soins. Pour éviter tout malheur, tout scan-
« dale, toute effusion de sang humain, ne serait-il pas
« à propos que vous donnassiez des ordres pour fermer
« les portes de ces sortes d'églises? Quoique rien n'é-
« chappe à la vigilance de celui que nous pouvons re-
« garder comme le libérateur de la France, je me ha-
« sarde à lui faire part de mes vues charitables. Kecevez
« les nouvelles assurances de ma reconnaissance et de
« mon respectueux dévouement. Mahieu, curé désigné
(1) Procès-verbaux de la commune de Paris, séance du 11 aonl 1792.
[2) Bailly avait donné sa démission en novembre 1791.
L'ÉGLISE SAINT-SULPICE PENDANT LA RÉVOLUTION. 273
« de la paroisse Saint-Sulpice. Ce 11 août, l'an IV de la
« liberté (1). »
Il fut encore l'un des quatre curés constitutionnels (2j
qui protestèrent contre la promotion d'un prêtre marié à
l'une des principales cures de Paris (3) et contre la scan-
daleuse faiblesse de Gobel qui, par peur des Jacobins,
manqua à tous ses devoirs d'évèque et de pasteur en don-
nant à Notre-Dame, le jour de l'Ascension 1793, à ce prêtre
concubinaire public l'institution canonique et l'accolade
en signe d'adoption.
Cet acte de courage de l'abbé Mahieu , en face de la
Commune, favorable au mariage des prêtres, faillit lui
coûter cher. Il fut incarcéré à Sainte-Pélagie, cité devant
le tribunal révolutionnaire, et ne dut sa mise en liberté
qu'au décret du 12 août 1793 qui annulait les poursuites
antérieures, dirigées contre ceux qui avaient cherché à
mettre obstacle au mariage des prêtres.
Comme curé constitutionnel de Saint-Sulpice, son rôle
fut des plus effacés. Il avait été installé le 19 août 1792,
jour où un décret de l'Assemblée législative, en pronon-
çant la suppression des Fabriques, avait frappé à mort la
nouvelle église des jureurs. Ce jour-là même, sans doute
pour perpétuer le joyeux souvenir de son avènement,
son Conseil de Fabrique avait jugé à propos de changer le
(1) Pétion, de connivence avec Robespierre, encore son ami, — ils ne
se brouillèrent que trois mois plus tard, — et avec la Commune, qui le con-
servait à la Mairie, où il touebait un traitement annuel de 75.000 livres,
ne donna aucune suite à cette lettre.
(2) Les trois autres étaient Lemaire, curé de Sainte-Marguerite, Leblanc
de Beaulieu, curé de Saint-Séverin, et Brugière, curé de Saint-Paul.
(3) Ce prêtre était Aubert, qui, quoique marié depuis plus d'un an, rem-
plissait toujours les fonctions de vicaire à l'église de Sainte-Marguerite,
et qui, à la mort de M. Morel, curé de la paroisse de Saint-Augustin, — •
l'ancienne église des Petits-Pères maintenant l'église de Notre-Dame des
Victoires, — venait d'être élu, par le corps électoral, curé de cette impor-
tante paroisse.
ÉCMSE SAINT-SULPICE. 18
274 HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SULPICE.
costume des suisses et des enfants de chœur, et décidé
qu'à raison de la nature des circonstances les suisses se-
raient habillés dorénavant en gardes nationaux et que les
enfants de chœur porteraient chacun une redingote de
drap pluché, de la couleur la plus solide, et un chapeau
rond (1 ) .
Ce fut là le dernier vote de ce Conseil. Il se réunit en-
core le 11 octobre suivant, pour décider qu'il continuerait
ses fonctions jusqu'à la promulgation du décret du
19 août. Mais déjà, le 28 septembre, le Conseil général de
la Commune avait pris un arrêté qui faisait cesser les
traitements et salaires de tous les serviteurs de l'Église à
partir du lei janvier 1793. Et, le 5 février suivant, il tint
sa dernière séance pour constater la promulgation du
décret et se dissoudre ensuite.
De ce jour-là, on n'entendit plus parler du clergé
constitutionnel de la paroisse, qui ne reprit ses fonc-
tions qu'après le 18 Brumaire.
En réalité, l'église de Saint-Sulpice cessa désormais
d'être un sanctuaire pour devenir un lieu de réunions
publiques, dont le comité de la section du Luxem-
bourg (2) disposait en maître, pour la tenue de ses as-
semblées comme pour celle de certains de ses bureaux.
Déjà, après la proclamation de la patrie en danger par
l'Assemblée législative, le 11 juillet 1792, la section
avait installé dans la chapelle du Sacré-Cœur un bureau
d'enrôlement des engagés volontaires.
Ce fut à Saint-Sulpice que, le 2 septembre suivant, elle
tint son Assemblée générale qui vota la mise à mort des
(1) Nau, Rapport sur les archives de Saint-Sulpice , p. 95.
(2) La Section du Luxembourg était l'ancien District des Carmes, qui,
en 1793, prit le nom de Section de Mucius Scxvola, pour reprendre,
en 1795, celui de Section du Luxembourg, devenir, en 1801, la division
du Luxembourg, et s'appeler, en 1813, le quartier du Luxembourg, nom
qui lui est resté.
L'ÉGLISE SA1JNT-SULPICE PENDANT LA RÉVOLUTION. 275
prisonniers des Carmes et qui trouva parmi ses membres
les exécuteurs de cet horrible forfait.
Dès le 11 août, au matin, elle avait fait appel aux pa-
triotes les plus hostiles au clergé , leur avait donné ses
instructions et leur avait fait faire des perquisitions dans
tous les quartiers de la paroisse; le soir, elle comptait
cinquante prêtres arrêtés, réunis dans la cour du grand
Séminaire, où elle tenait ses séances, et les envoyait à
l'église des Carmes convertie en prison. Parmi eux, se
trouvaient le vénérable archevêque d'Aix, Mgr du Lau, et
Messieurs de La Rochefoucauld , les deux frères, l'un évê-
que de Beauvais, l'autre évèque de Saintes. Les jours
suivants, elle fit continuer ces visites domiciliaires, spé-
cialement dans les trois établissements dépendant du
grand Séminaire : la communauté des Robertins (1),
celle des Philosophes, et le petit Séminaire; dans leurs
maisons de campagne d'Issy et de Vaugïrard, et à la
Solitude (2) ; et bientôt cent trente nouvelles arrestations
portaient à cent quatre-vingts le nombre des ecclésiasti-
ques détenus aux Carmes. Les mêmes procédés avaient été
employés dans les diverses autres sections, en sorte que
vers le 22 août, les neuf prisons de Paris regorgeaient de
prêtres incarcérés (3).
C'était le prélude de l'œuvre exécrable de leur mas-
sacre, « guet-apens prémédité par la Commune, Danton,
et quelques autres scélérats, comme Marat, Robespierre,
Manuel, Hébert, Billaud-Varennes, Denis, Sergent, Fabre
(1) C'était une communauté de jeunes gens se destinant à l'état ecclé-
siastique, ainsi appelée du nom de M. Robert, un de ses supérieurs et
principaux bienfaiteurs.
(2) Nom donné au noviciat et à la maison de retraite du grand Sémi-
naire. Elle est toujours située à Issy.
(3) Ces neuf prisons étaient celles de l'Abbaye, de la Force, du Châtelet,
de la Conciergerie, des Bernardins, des Carmes, de Saint-Firmin, de Bicètre
et de la Salpêtriére.
2/6 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
d'Églantine et Camille Desmoulins, qui voulaient s'im-
poser et se maintenir an pouvoir par la Terreur (1). Et
« personne n'en doutait », dit Michelet dans son Histoire
de la Révolution (2); si bien que les ehefs du mouve-
ment se hâtèrent de sauver ceux de ces prêtres auxquels
ils s'intéressaient : Tallien, en faisant évader Lhomond
de la Force ; Robespierre , en faisant reléguer dans une
cellule de l'étage supérieur du couvent des Carmes son
vieux maître, l'abbé Béraudier, ancien principal du col-
lège Louis-le-Grand , qui lui avait obtenu une gratifica-
tion de 600 livres à la fin de ses études dans ce collège,
comme boursier de celui d'Arras, « pour sa bonne con-
duite et ses succès dans ses classes (3) ».
L'Assemblée nationale elle-même essaya de les sauver
tous, en votant, le 26. la déportation à la Guyane de tous
les prêtres qui n'auraient pas prêté le serment dans les
quinze jours de la date de son décret.
Mais la Commune, dans la crainte de voir ainsi sa proie
lui échapper, prit les devants et fixa le massacre au 2 sep-
tembre, à trois heures de l'après-midi, après le troisième
coup de canon qui serait tiré.
Ce jour-là. à une heure. l'Assemblée générale de la
section du Luxembourg se réunit dans l'église Saint-
Sulpice , sous la présidence de Joachim Ceyrat , nouvelle-
ment élu juge de paix (i), « pour délibérer, avait crié le
(1) Wallon, la Terreur, t. I, p. 32.
(2) T. IV, p. 121.
(3) A Sorel, le Couvent des Cannes, p. 76, en note.
(4) Ce Ceyrat était un ancien clerc tonsuré de Clermont-Ferraml, un
ancien Roberlin de Saint-Sulpice , et qui donnait des leçons de mathé-
matiques avant d'être juge de paix.
C'était lui qui, le soir du 11 août, en sa qualité de commissaire de la
Section, avait conduit aux Carmes les 50 premiers prêtres arrêtés sur la
paroisse. « Il marchait à notre tête, dit l'un d'eux, et avait eu soin de
nous placer deux par deux entre deux gardes bien armés et nous enjoi-
gnant de leur donner le bras. Ce qui ne l'empêchait pas de se retourner
L'ÉGLISE SAINT-SULPICE PENDANT LA REVOLUTION. 277
tambour (1), sur les mesures à prendre dans l'intérêt gé-
néral ». Un détachement de gardes nationaux, com-
mandé par le citoyen Tanche, stationnait dans la rue
Palatine. Le matin, Ceyrat était allé aux Carmes faire
lui-même l'appel des prisonniers, pour s'assurer de leur
présence , et il n'avait pas manqué d'inviter à la réunion
de Saint-Sulpice les braves fédérés marseillais, auxquels
la section avait offert l'asile de la Fraternité , en les lo-
geant, à leur arrivée à Paris, au couvent des Corde-
lie rs (2).
Quand on fut en nombre pour délibérer et que la
séance fut ouverte, un marchand de vins de la cour des
Fontaines, nommé Prière, monta dans la chaire, changée
en tribune , et déclara qu'il fallait marcher au plus vite
contre les Prussiens , dont on venait d'annoncer l'arrivée
devant Verdun, mais que quant à lui il ne bougerait pas,
tant qu'on ne se serait pas débarrassé des individus ren-
fermés dans les prisons mais surtout des prêtres détenus
aux Carmes.
Accueillie avec répugnance par beaucoup d'assis-
tants, cette déclaration causa dans l'assemblée une
vive agitation, dont un sieur Carcel, horloger rue des
Aveugles, profita pour faire observer que s'il pouvait y
avoir des coupables dans les prisons , il y avait aussi des
gens qui ne l'étaient pas et qu'assurément les citoyens
honnêtes ne voudraient pas tremper leurs mains dans le
sang des innocents; et il proposa, en conséquence, de
souvent, soit pour admirer l'ordre de la marche, soit pour veiller à ce
qu'aucun des prisonniers n'échappât à la vigilance des gardes. » A Sorcl,
ibid., p. 58.
(1) Les convocations à ces assemblées se faisaient à son de caisse, et le
tambour en annonçait l'objet.
(2) « Ces Marseillais, dit Michelet, quoique tous jeunes, étaient déjà
« de vieux batailleurs de guerre civile, très endurcis et faits au sang. »
Histoire de la Révolution française, t. III, p. 530.
278 HISTOIRE DE L'EGLISE SALNT-SULPICE.
nommer une Commission de six membres, choisis dans
l'Assemblée , qui se rendraient de suite aux Carmes pour
interroger les prisonniers et déférer aux tribunaux
ceux-là seuls qu'ils reconnaîtraient coupables.
Cette motion, suivie d'un murmure approbateur, allait
peut-être être votée, quand le président s'écria : « Tous
« ceux qui sont détenus aux Carmes sont coupables,
« et il est temps que le peuple en fasse justice. » Et don-
nant la priorité à la motion de Prière , il la mit aux
voix, et elle fut approuvée par la majorité. En même
temps, trois commissaires, les sieurs Lohier, Lemoine et
Richard, furent nommés pour se rendre à la Commune
et lui communiquer ce vœu, afin de pouvoir agir d'une
manière uniforme.
Au moment de partir, un de ces commissaires, le sieur
Lohier, demanda à l'Assemblée comment on entendait
se débarrasser des prisonniers d'une manière uniforme.
« Par la mort, » s'écrièrent plusieurs voix et le président
lui-même.
A ces mots, ses sicaires sortent comme des furieux de
l'église, suivis des fédérés marseillais (1). De son côté Car-
cel. qui ne connaît que trop bien leur dessein, court à
la porte Saint-Jean avertir le commandant Tanche et le
supplier de marcher au plus vite avec ses hommes au se-
cours des prisonniers. Mais le lâche ne bouge pas et laisse
le champ libre aux assassins. Au coin de la rue du Vieux-
Colombier, ces forcenés rencontrent la bande de Maillard,
qui, ne trouvant plus de victimes à l'Abbaye, venait en
chercher de nouvelles; et tous ensemble, ils pénètrent
(1) « Ces braves, dit de son côté M. Mortimer-Ternaux, après être
restés deux mois à Paris, et s'y être gorgés de vols et de sang, en
jouant un rôle aclif dans le pillage des Tuileries et les massacres de sep-
tembre, ne songèrent pas du tout à rejoindre l'armée à Valmy. Loin de là,
ils tournèrent le dos au danger et demandèrent à retourner à Marseille. »
Histoire de la Terreur, t. III, p. 126.
L'ÉGLISE SAINT- SULPICE PENDANT LA REVOLUTION. 279
aux Carmes aux crix de : Vive la Nation , mort aux Ré-
frac t aires (1).
En moins de deux heures, sur 180 prêtres qui y étaient
détenus, 11 k tombèrent sous les coups de ces scélérats,
martyrs glorieux qui préférèrent cette mort sanglante à
l'apostasie. Parmi ces saintes victimes, l'église de Saint-
Sulpice a l'insigne honneur de compter six de ses prêtres,
savoir : quatre des vicaires de M. de Pancemont, qui
l'entouraient lors de son refus de prêter le serment :
Messieurs Dubray (Thomas-Nicolas) ; Texier, Joseph Mar-
tial ; Massin (Jean) ; et Ponthus (Jean-Michel (2) ; un
autre prêtre, Tessier Jean-Baptiste, désigné sur la liste of-
ficielle des victimes comme Prédicateur de Saint-Sulpice;
et le Père Morel des Prés (Jean-Jacques) capucin, le vi-
caire des Allemands, dont nous avons parlé plus haut,
page 241, en note 3).
A dater de cette journée lugubre du 2 septembre (4),
les assemblées à l'église Saint-Sulpice devinrent de plus
en plus fréquentes , quotidiennes même , à mesure que
l'état d'anarchie et de désorganisation sociale produit
par la chute de la Royauté , au 10 août, donnait aux
diverses sections de Paris, et surtout à celle du Luxem-
bourg, l'une des plus violentes, un rôle plus considé-
rable dans les affaires publiques. Elles se tenaient ordi-
(1) A Sorel, le Couvent des Carmes, p. 118 à 137.
(2) Trois autres vicaires de M. de Pancemont, MM. de Douay, Grayot
de Keravenant et Pradignac, incarcérés également aux Carmes, purent
échapper au massacre.
(3) Il y a lieu d'espérer maintenant que la procéJure préparatoire à
l'introduction de la cause de la béatification des prêtres martyrisés dans
la journée de septembre 1792, ne tardera pas à être entamée.
(4) Nau, Rapport sur les archives de Saint-Sulpice, p. 99. Après le
9 Thermidor, par un décret de Fructidor an II, la Convention décida que
les assemblées de section ne se tiendraient plus qu'une fois par décadi,
le jour du décadi , et que l'indemnité de 40 sous , payée jusque-là aux
citoyens présents , cesserait de leur être accordée.
280 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULP1CE.
nairement le soir et étaient toujours très nombreuses à
cause des quarante sols que chacun des citoyens pré-
sents recevait par séance (1). Elles furent interrompues,
un jour, en juillet 1793, par une séance musicale qu'un
organiste du roi de Suède y donna et dans laquelle la
fille d'un sculpteur, dont le nom se rattache à la décora-
tion du monument, chanta la Marseillaise (2).
Trois mois après, quand vint en discussion devant la
Convention le projet de décret qu'elle rendit le 3 novem-
bre 1793 (13 Brumaire an II), et qui déclara propriétés
nationales les églises et les biens des Fabriques, le Philo-
sophisme révolutionnaire fît sa première tentative de
remplacer le Christianisme, en essayant de lui substituer
le culte de la Raison. Chaumette, le successeur de Ma-
nuel comme procureur de la Commune, était le Pontife
de ce nouveau culte. Peut-être aurait-il été fort embar-
rassé de dire en quoi il consistait; car il se bornait à ré-
péter sans cesse : « Plus de prêtres ; plus d'autres Dieux
« que ceux que la nature nous offre. » Mais il le croyait
capable de supplanter le catholicisme qu'il abhorrait; et
cette persuasion animait son ardeur à le rendre public ;
il réussit à la faire partager par les meneurs de la Con-
(1) Nau, ibid., p. 99.
(2) Il convient de rappelçr à la honte éternelle de la Commune de Paris
que non seulement elle a ordonné et payé les massacres de septembre,
mais encore qu'elle les a proposés en exemple à toutes les communes de
France : Une circulaire, signée par Marat, Jourdheuil, Dufort, Panis ,
Duplain, Sergent et L'enfant, disait : « La Commune de Paris se hâte
d informer les Frères de tous les Départements qu'une partie des conspi-
rateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple,
actes de justice qui lui ont paru indispensables pour retenir par la terreur
les légions de traîtres renfermés dans ses murs au moment où il allait
marcher à l'ennemi; et sans doute la nation, après une longue suite de
trahisons qui l'a conduite sur les bords de l'abîme, s'empressera d'adop-
ter ce moyen si utile et si nécessaire. » Cette circulaire est citée par
S. Mony, ancien député, dans son étude remarquable sur la Décentra-
lisation, p. 98. P. Dupont éd., Paris, 1871.
L'ÉGLISE SÀINT-SULPICE PENDANT LA REVOLUTION. 281
vention qui décida, à la suite de son décret, que l'église
de Notre-Dame de Paris serait convertie en Temple à la
Raison et à la Vérité, et qu'elle irait elle-même y célébrer
la première fête de la Raison (1).
Elle s'y rendit, en effet, huit jours après 2), le soir, en
corps, précédée d'uue comédienne en jupon court et coif-
fée du bonnet rouge, qui figurait la Raison, et qui, arri-
vée à la cathédrale, fut conduite solennellement au trône
qui lui avait été préparé au-dessus du grand autel dont
le tabernacle lui servit de marchepied. A ses pieds, sur
un fut de colonne, brûlait une lampe, qui s'appelait le
Flambeau de la Vérité. La fête commença par le chant de
l'hymne à la liberté, de Ghénier. Mais comment finit-elle?
Taine nous l'apprend. « Ensuite, on danse, dit-il : par
malheur les textes manquent pour décider si la Conven-
tion a dansé. A tout le moins, elle assiste à la danse et
consacre par sa présence une orgie d'espèce unique, non
pas la Kermesse de IUibens, étalée eu plein air, plantu-
reuse et saine, mais une descente nocturne de la Courtille,
un mardi-gras de voyous maigres et détraqués. Dans la
grande nef, les danseurs, le col et la poitrine nus, les
bas ravalés, se déhanchent et trépignent, en hurlant la
Carmagnole ; et dans les chapelles latérales, masquées de
hautes tapisseries, se passent des scènes de lupanars (3). »
A Saint-Sulpice, dont la porte principale avait été
surmontée de l'inscription : Temple à la Raison, cette fête
de la Raison fut inaugurée le 15 Frimaire an II (5 dé-
(1) Pour ne pas choquer les yeux des Députés par la vue des objets de
la superstition, Chaumette fit briser les statues de pierre des Saints et
des Rois qui décoraient le portail de Notre-Dame.
Ce fut lui encore qui, par une extravagance qui tenait de la folie, or-
donna la démolition des clochers, parce que, s 'élevant au-dessus des autres
édifices, ils violaient le principe de l'égalité. Granier de Cassagnac, His-
toire du Directoire, t. I, p. 180.
(2) Le 20 Brumaire an 11, 10 novembre 1793.
(3) Taine, la Révolution, 9° éd., t. III, p. 227 et suiv.
'282 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
cembre 1793), et, quoique moins ignoble, fut aussi scan-
daleuse. La femme du Président de la section de la Co-
médie Française y remplit le rôle de la Déesse Raison.
Plusieurs discours furent prononcés dans la chaire; et
Ceyrat, l'instigateur des massacres des Carmes, y proféra
ce blasphème : « Me voilà, dit-il, dans cette chaire où l'on
« a si longtemps menti au peuple souverain, en lui fai-
« sant accroire qu'il existait un Dieu présent à toutes ses
« actions. S'il existe, ce Dieu, qu'il tonne et qu'un éclat
« de son tonnerre m'écrase! » Puis, regardant le ciel en
silence pendant quelques instants avec un air de défi, ce
scélérat ajouta : « Il ne tonne pas, donc son existence est
« une chimère (1). »
Après quoi, on porta en triomphe la Déesse dans les
divers quartiers environnant le Temple. Parvenue au
coin de la rue Saint-Placide et de la rue de Sèvres, la
Déesse fut placée sur un reposoir, élevé pour la recevoir.
On se rendit ensuite à la Convention ; et ce fut en reve-
nant, qu'on brûla sur la place de la Croix-Rouge les deux
statues en bois de saint Pierre et de saint Sulpice, qui
étaient placées anciennement dans les niches existantes
au-dessus des deux sacristies de l'église.
Cette cérémonie sacrilège se termina d'une manière
fâcheuse. En montant les marches de l'église au retour,
un des porteurs du brancard de la Déesse étant tombé
par suite d'ivresse, elle fit une chute et se cassa un bras.
Quelque temps après, elle fut guillotinée avec son
mari (2).
Dix jours après, le 25 Frimaire an II (15 décembre
1793 1, la section de Mucius Scsevola (3) se rendit à la
Commune, y abjura le culte catholique et promit publi-
(1) Sorel, loc. cit., p. 205, en note.
(2) Nau, Rapport, p. 99.
(3) Nouveau nom de la section du Luxembourg.
L'ÉGLISE SAINT-SULPICE PENDANT LA RÉVOLUTION. 283
quement de faire, le décadi suivant, sur le maitre-autel
de Saint-Sulpice, l'inauguration des bustes de Marat, de
Lepeletier et de Mucius Scaevola (1).
Ce premier essai du culte de la Raison échoua par la
mort de son promoteur. Robespierre, dans ses visées sour-
noises à la dictature, comprenait qu'il ne pourrait se
faire accepter par la France ni s'imposer à l'Europe , en
outrageant plus longtemps les croyances séculaires du
pays et en s'associant à un prétendu culte dont les au-
teurs ne rougissaient pas de placer des prostituées sur
ses autels. Aussi, rompant en visière à Chaumette, il s'é-
leva, au club des Jacobins, contre « ces ambitieux de fausse
« popularité qui venaient troubler la liberté des cultes
« en attachant les grelots de la folie au sceptre même de
« la philosophie », et, le 5 décembre 1793, il fit décré-
ter par la Convention une sorte de manifeste apologé-
tique de la liberté religieuse.
Chaumette ne se le fit pas dire deux fois; il s'empressa
d'apaiser son dangereux contradicteur, en requérant lui-
même, à la Commune, la liberté des cultes. Mais, en
même temps, il crut pouvoir profiter le premier de cette
liberté pour donner une nouvelle impulsion à son culte
et l'étendre partout.
Robespierre s'offusqua de son zèle et, pour l'en punir,
l'envoya à l'échafaud (2).
A son tour, il rêva de fonder une autre religion et
s'arrêta à l'idée de rappeler les hommes au culte pur de
l'Être suprême, parce que cette idée d'un grand Etre qui
veille sur l'innocence opprimée et qui punisse le crime
triomphant, lui parut devoir être populaire et bien ac-
cueillie des masses. A cette fin, il fit rendre, le 7 mai
179V (18 Floréal an II i, par la Convention un décret por-
(1) Nau, ibid., p. 100.
(2) Chaumette fut guillotiné le 13 avril 1794.
284 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
tant que le peuple français reconnaît l'Etre suprême et
l'Immortalité de l'âme; que la République célébrerait
tous les ans les fêtes du li juillet 1789, du 10 août 1792
et du 21 janvier 1793, et que de plus, aux jours de dé-
cadi, on aurait partout à fêter tour à tour : 1° l'Être su-
prême et la nature; 2° le genre humain; 3° le peuple
français; 4° les bienfaiteurs de l'humanité; 5° les mar-
tyrs de la liberté ; 6° la liberté et l'égalité ; 7° la républi-
que; 8° la liberté du monde; 9° l'amour de la patrie;
10° la haine des tyrans; 11° la vérité; 12° la justice;
13° la pudeur; li° la gloire et l'immortalité; 15° l'amitié ;
16° la frugalité ; 17° le courage ; 18° la bonne foi ; 19° l'hé-
roïsme; 20° le désintéressement; 21° le stoïcisme; 22° l'a-
mour; 23° l'amour conjugal; 2i° l'amour paternel ; 25° la
tendresse maternelle; 26° la piété liliale; 27° l'enfance;
28° la jeunesse; 29° l'âge viril; 30° la vieillesse; 31° le
malheur; 32° l'agriculture; 33° l'industrie; 34° nos
aïeux; 35° la postérité; 36° le bonheur.
Les Comités de Salut public et de l'Instruction furent
chargés d'arrêter le plan d'organisation de ces tètes qui
furent célébrées partout et notamment dans l'église
Saint-Sulpice, dont le frontispice cessa désormais de por-
ter l'inscription de Temple à la Raison pour prendre
celle de Temple à l'Etre suprême.
Mais ce nouveau culte eut une durée aussi éphémère
que celle du premier; il tomba avec la tète de son au-
teur, le 9 Thermidor, et ne lui survécut pas (1 ).
Un troisième essai, tenté par les révolutionnaires pour
supplanter le Christianisme, fut le culte de la Théophilan-
thropie, éclos dans la cervelle de Chemin-Dupontès,
« un de ces savants toujours si communs, dit Granier de
« Cassagnac, dans son Histoire du Directoire, dont la
« tête s'emplit de lectures, comme une grange s'emplit
(1) Robespierre monta à l'échafaïul le 9 Thermidor, 27 juillet 1794.
L'EGLISE SAINT SULPICE PENDANT LA REVOLUTION. 285
« de foin, et, qui pis est, philosophe à la façon de ce
« temps-là, c'est-à-dire pénétré d'horreur pour la reli-
« gion et pour les prêtres ».
Il formula sa doctrine dans un livre qu'il publia en
1796 sous le litre de Manuel des Théophilanthrophilés.
C'était en somme le pur Déisme, mélangé d'une assez
forte dose de Panthéisme. Toutefois, il y avait ajouté,
comme dogme, la prétention de résumer tous les cultes
et, par suite, de les remplacer. Aussi dans l'espèce de Pa-
roissien à l'usage de ses adeptes, qu'il composa sous le
nom d'Année religieuse, fit-il entrer des extraits des ou-
vrages de Confucius, de Vyasa, de Zoroastre, de Théognis,
de Phocylide, de Cléanthe, de Socrate, d'Aristote, de
Sénèque, de Mahomet, de Voltaire, de Rousseau, d'Yung
et de Franklin. Il n'y eut que la Bible et l'Évangile,
cela va sans dire, dont il ne cita pas une seule ligne. La
passion antichrétienne était l'unique lien qui unît ces
étranges philosophes.
Ce nouveau culte s'appliquait à donner un certain
caractère religieux aux trois grandes époques de la vie
humaine : la naissance, le mariage et la mort. Il cons-
tituait chaque père de famille le prêtre de sa maison;
et dans ses cérémonies et ses fêtes publiques, le père de
famille officiait alors, près de l'autel, avec le titre de
Lecteur et un costume spécial, qui consistait dans une
tunique bleu céleste, prenant depuis le col jusqu'aux
pieds, avec une ceinture rose et une robe blanche par-
dessus, ouverte par devant (1).
Il trouva bientôt des apôtres ardents dans Dupont de
Nemours, Bernardin de Saint-Pierre, Haûy et surtout La
Révellière-Lépeaux, affligé de l'infirmité d'Esope , mania-
que, fanatique, et que la haine des prêtres avait rendu
méchant et cruel.
(l) Rituel des Adorateurs de Dieu et amis des hommes , p. 4.
280 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
Leur première réunion publique se tint le 15 janvier
1797 (26 Nivôse an V), au petit hôpital Sainte-Catherine
situé rue Saint-Denis, au coin de la rue des Lombards; et
comme elle devait servir de modèle, Chemin la prépara
avec soin. La salle où elle eut lieu était très simplement
ornée : un autel, sur lequel était placée une corbeille de
tleurs et de fruits, symboles de la création et du dévelop-
pement général, fixait seul, avec quelques sentences appo-
sées sur les murs, les regards des assistants. Chemin, re-
vêtu du costume qu'il avait assigné à ses lecteurs, lit un
discours où il exposa les bases du nouveau culte, à savoir :
l'immortalité de l'àme et l'idée d'un Dieu rémunérateur
de la vertu et vengeur du crime. Puis il entonna une
prière à Dieu (1), que l'assistance chanta avec accompa-
gnement de musique, et qui se terminait par cette der-
nière strophe :
« O toi! qui du néant, ainsi qu'une étincelle,
Fis jaillir, dans les airs, l'astre brillant du jour,
Fais plus... verse en nos cœurs ta sagesse immortelle,
Embrase-nous de ton amour. •>
Cet hymne, qu'on avait déjà entendu à la fête de Y Etre
suprême, ne manquait pas d'une certaine grandeur.
Enhardis par ce début, dans lequel ils voyaient un
succès, les Théophilanthropes se donnèrent une organi-
sation et une hiérarchie et sollicitèrent la permission de
tenir leurs assemblées dans quelques églises. Le Direc-
toire s'empressa d'accueillir leur demande que La Rével-
lière, l'un de ses membres, appuyait chaudement, et les
autorisa à faire leurs offices, de onze heures du matin à
deux heures de l'après-midi, d'abord à Saint-Jacques du
Haut-Pas, à Saint-Sulpice , à Saint-Thomas d'Aquin et à
(1) Granier de Cassagnac, Histoire du Directoire , t. I, p. 246 et suiv.
L ÉGLISE SAINT-SULPICE PENDANT LA RÉVOLUTION. 287
Saint-Étienne du Mont, puis successivement à Saint-Mé-
clarcl, à Saint-Roch , à Saint-Eustache, à Saint-Germain
l'Auxerrois, à Saint-Gervais, à Saint-Nicolas des Champs
et, en Vendémiaire an VI, à Saint-Merry. Ils réclamèrent
aussi, en mars 1798, l'église Notre-Dame où on leur accorda
l'usage exclusif du chœur et l'usase commun de l'orgue.
Mais l'engouement de curiosité, qui tout d'abord attirait
la foule à leurs exercices religieux, fit bientôt place à une
telle indifférence qu'à partir du mois de novembre 1799,
ils durent les limiter aux quatre églises de Saint-Germain
l'Auxerrois , de Saint-Nicolas des Champs, de Saint-Ger-
vais et de Saint-Sulpice , qu'ils appelèrent les temples :
la première, de la reconnaissance; la seconde, de l'hy-
men; la troisième, de la jeunesse; et la dernière, de la
Victoire.
À Saint-Sulpice , ces exercices étaient dirigés par l'an-
cien juge de paix de la section du Luxembourg , le sep-
tembriseur Ceyrat. On avait remplacé l'ancien banc
d'œuvres, dont les débris avaient été transportés dans le
chœur, par une pyramide de bois, peint en marbre, sur
laquelle on lisait l'inscription : A Dieu toujours bon. Un
grand drapeau tricolore couvrait la statue de la Charité
qui surmonte la chaire.
Le 22 janvier 1798 (3 Pluviôse an VI), les Théophilan-
thropes célébrèrent à Saint-Sulpice V anniversaire du
rétablissement de la Religion naturelle; et, au commen-
cement de 1801, ils y organisèrent une fête en l'honneur
de Vincent de Paul, philosophe français, disaient-ils. du
xviic siècle. Ce fut l'une des dernières. Par un arrêté
du k octobre 1801 (12 Vendémiaire an X), le Gouverne-
ment consulaire mit fin à l'existence des Théophilan-
thropes en leur défendant de se réunir dans les édifices
nationaux et en leur retirant les faibles secours qu'ils
recevaient du Directoire.
Tels furent les trois cultes que seuls, au cours de la
288 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
Révolution, l'impiété philosophique du xvme siècle par-
vint à opposer au catholicisme, et qu'il eut la folle pré-
somption de croire capables de déraciner une croyance
douze fois séculaire, qui avait fait la force, la grandeur
et la gloire du pays. Aussi ces tentatives sacrilèges
eurent-elles le sort qu'elles méritaient. Elles échouèrent
misérablement devant les élans magnifiques de foi avec
lesquels, depuis Thermidor, la France revint à son Dieu,
et qui lui obtinrent de sa miséricorde le génie répara-
teur qui la sauva de la ruine vers laquelle elle penchait.
L'église de Saint-Sulpice ne demeura pas étrangère au
grand événement qui permit à ce génie d'accomplir sa
mission providentielle; car c'est sous ses voûtes qu'eut
lieu le banquet fameux donné par les pouvoirs publics au
général Bonaparte, à son retour d'Egypte, trois jours
avant le coup d'État du 18 Brumaire qui lui conféra le
pouvoir souverain.
Les ovations enthousiastes dont il avait été l'objet
sur tout le parcours de sa route de Fréjus à Paris conti-
nuaient à lui être prodiguées, plus chaleureuses encore,
dans la capitale (1). Il absorbait la pensée publique et
l'immense majorité des citoyens l'acclamaient comme le
libérateur de la France, qui pouvait seul la délivrer de
l'anarchie et lui rendre , avec l'ordre et la paix, son rang
dans les conseils de l'Europe.
Ce rôle allait trop bien à son ambition, et il se sentait
trop à sa hauteur, pour ne pas l'accepter. Sans perdre
un jour, il se mit en rapport avec Sieyès , le chef du parti
des modérés, qui représentait l'opinion publique ; et, en
deux ou trois conférences, ils tombèrent d'accord sur les
bases d'un changement de gouvernement et sur les me-
sures à prendre pour l'opérer.
(I) Débarqué à Fréjus le 10 octobre 1899, Bonaparte arriva à Paris le 16.
L'ÉGLISE SAINT-SULPICE PENDANT LA REVOLUTION 289
Vue intérieure île la sacristie et de la galerie placée au-dessus de la porte d'entrée.
ECLISE SUNT-SULPICE,
19
290 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
Mais, au préalable, « les chefs du mouvement imaginù-
« rent, pour l'accélérer, un moyen qui réunissait à l'a-
ce vantage de frapper les esprits celui de connaître le
« nombre et les noms de leurs adhérents : c'était de
a faire donner par les Conseils, et par voie de souscrip-
« /ion, un banquet à Bonaparte , à qui l'on associa le gé-
« néral Moreau (1) ».
Cet immense banquet, qui réunit environ 750 convi-
ves, eut lieu le 15 Brumaire, dans l'église Saint-Sulpicc,
qui s'appelait alors le temple de la Victoire. Kosciusko y
assista ainsi que le Directoire et les ministres. Seul , le
parti du Manège, qui était celui des anciens Jaco-
bins (2), s'abstint en masse d'y prendre part, et fit cons-
tater ainsi sa faiblesse numérique.
« Le temple, dit Lucien Bonaparte, dans son récit de
<c la Révolution de Brumaire, était décoré à profusion de
« tapisseries magnifiques et de drapeaux, fruit de nos
« mille victoires », et une superbe statue de la Victoire
s'élevait au fond de l'abside. « Le président des Anciens
« était au haut delà table; le président du Directoire oc-
« cupait le milieu, à droite; j'étais (comme président des
« Cinq Cents) placé entre Bonaparte et Moreau . Dans la
« situation critique où l'on se trouvait, cette fête était
« devenue une affaire d'État. On s'observait réciproque-
ce ment et fort sérieusement, et il y avait certes plus d'in-
« quiétude que de gaieté parmi les convives (3). »
Pendant le repas, on joua d'une excellente musique, et
les orgues, qui étaient restées dans le temple (4), furent
touchées par Couperin.
(1) G. de Cassagnac, loc. cit., t. III, p. 394.
(2) Ce parti voulait une Convention avec des comités tout-puissants, ap-
puyant la dictature sur les supplices. 11 avait aux Cinq Cents le général
Jourdan pour chef, et dans l'armée Augereau pour patron.
(3) La liévolution de Brumaire, par Lucien Bonaparte.
(4) Les soufflets de ces Orgues avaient été enlevés pour servir à un
L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE PENDANT LA RÉVOLUTION. 291
« Au dessert, continue la relation de Lucien Bonaparte,
« voici les toasts qui furent portés :
« Lemercier, président des Anciens : A la République
« française!
« Lucien Bonaparte , président des Cinq Cents : Aux
« armées de terre et de mer de la République !
« Gohier, président du Directoire : A la paix!
« Bonaparte : A l'union de tous les Français !
« Moreau : A tous les fidèles alliés de la République !
« L'amiral espagnol Massaredo : A la liberté des mers!
« Le célèbre Kosciusko assistait au banquet. La seule
« présence de ce grand homme équivalait au toast de la
« liberté de la Pologne, dont les égards diplomatiques
« retenaient l'expression.
« Dans le fond du temple, au milieu des trophées, une
« large inscription placée sur le socle de la statue de la
« Victoire, portait : Soyez amis, vous serez vainqueurs. »
Le repas ne dura qu'une heure. Bonaparte se leva le
premier vers huit heures (1), et, accompagné deBerthier
et d'une brillante escorte de généraux, il fit le tour de la
table, saluant ou entretenant les convives ; puis il se retira,
emmenant avec lui le général Moreau. Il lui tardait d'a-
chever la soirée chez son frère Lucien et d'y retrouver
Sieyès, pour arrêter ensemble les dernières dispositions
relatives aux deux grandes journées des 18 et 19 Bru-
maire, qui allaient inaugurer le gouvernement consu-
laire et mettre fin au Jacobinisme.
Un des premiers actes et des premiers bienfaits de ce
nouveau gouvernement fut de supprimer implicitement
atelier de fabrication d'armes, établi dans le jardin du Luxembourg, lors-
que, le 12 août 1793, la Convention avait déclaré la patrie en danger. Mais
ils fuient rendus à l'église en 1795. Nau, loc. cil., p. 93.
(1) Moniteur du 18 Brumaire.
292 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
les fêtes décadaires qui, de 1795 à 1798, surtout depuis la
loi du 17 Thermidor an VI (1), avaient donné lieu à une
persécution violente contre ceux qui tenaient à l'observa-
tion du dimanche (2), en déclarant par l'arrêté des Consuls
du 7 Thermidor an VIII (20 juillet 1800) que, bien que
les décadis fussent les seuls jours fériés reconnus par l'au-
torité nationale, néanmoins leur observation n'était obli-
gatoire que pour les autorités constituées, les fonction-
naires publics et les salariés du gouvernement, mais que
les simples citoyens avaient le droit de vaquer à leurs
affaires et de choisir leurs jours de repos.
A partir de ce moment, le curé constitutionnel de
Saint-Sulpice, l'abbé Mahieu, rentra en jouissance de
l'église. Sur l'emplacement occupé par la statue de la
Victoire, au fond du chœur, il fit élever un autel, que
l'on disait être l'ancien maitre-autel de Saint-Philippe du
Roule, et fit placer derrière lui les marbres qui se trou-
vaient primitivement au-dessus des stalles du rond-point
du chœur. Il compléta l'ornementation de cet autel en
faisant mettre de chaque côté deux anges, en bois peint
en bronze, qui provenaient de l'église de Saint-Denis de
la Châtre (3). Un peu plus tard, il fit poser dans le chœur
un rang de stalles provenant de l'ancienne abbaye de
(1) Cotte loi, dont le but apparent était de donner plus de solennité aux
fêtes décadaires, visait surtout à en faire les seuls jours de repos de la
République, afin d'arriver à l'abolition du Dimanche chrétien.
(2) L'exécution rigoureuse de cette loi suscita une véritable persécution
clans toute la France. Dans la seule circonscription de la paroisse Sainl-
Sulpice, un grand nombre de commerçants, coupables d'avoir fermé
leurs boutiques le dimanche, furent traduits devant le Tribunal de Police
municipale de l'arrondissement et condamnés à diverses amendes. Nau>
loc. cit., p. 101.
(3) Cette église était celle du prieuré de ce nom, dépendant de l'Ordre
de Cluny. Elle s'élevait, ainsi que celle de Saint-Symphorien , sur le quai
aux Fleurs actuel , dans la Cité.
L'ÉGLISE SAINT-SULPICE PENDANT LA RÉVOLUTION. 293
Panthémont (1). Ces stalles étaient coupées par six pié-
destaux qui supportaient six des dix statues de Bouchar-
don (2).
En 1801, il mit l'église de Saint-Sulpice à la disposition
des évoques du clergé constitutionnel pour la tenue de
leur second Concile national qui fut ouvert solennelle-
ment à Notre-Dame, le 29 juin 1801, jour de la fête des
saints Apôtres Pierre et Paul (3). Leurs réunions publi-
ques et solennelles eurent lieu à Notre-Dame; mais ils tin-
rent leurs séances particulières (4) à Saint-Sulpice, dans la
chapelle de la Sainte Vierge, dont deux grandes grilles
en bois, placées à l'entrée des deux bas-côtés du chœur,
près des sacristies, empêchaient le peuple d'approcher.
Leur séance de clôture eut lieu à Notre-Dame, le 16 août
1801(5).
L'abbé Mahieu détint encore l'église de Saint-Sulpice
jusqu'au 16 mai de l'année suivante, jour où M. de
Pierre, qui en avait été nommé curé en vertu du Concor-
dat, en prit possession. Il n'exerça plus depuis lors au-
cune fonction curiale, mais il se rétracta et mourut,
aumônier du collège Henri IV, le li juin 1821, âgé de
quatre-vingt-sept ans.
(1) Cette abbaye de Bernardines ou Cisterciennes était située rue de Gre-
nelle. La rue de Bellechasse fut percée sur son emplacement, lorsqu'elle
fut vendue comme bien national, en 1803.
(2) Nau, Rapport, p. 96.
(3) 104 membres le composèrent, dont 42 évêques.
(4) Ces séances, au nombre de quatre, eurent lieu les 30 juin, 16 et
19 juillet et 13 août. Nau, ibid., p. 97.
(5) Ils avaient assemblé leur premier Concile, en 1797, à Paris, dans
le but, disaient-ils, de remédier aux maux de l'Église et de faire l'union
avec les dissidents; en réalité, pour tacher d'arrêter les défections parmi
leurs adhérents dont le nombre diminuait de jour en jour. Le même motif,
auquel s'ajoutait le besoin de faire cesser les graves conflits d'opinions
religieuses qui divisaient leur clergé, détermina la réunion du second.
CHAPITRE XIV
m. de pierre (1802-18301
Sommaire : Son origine. — Les premières années de son sacerdoce. — Sa
nomination à la cure de Saint-Sulpice en vertu du décret du i) Floréal an X,
(|ui opère le quatrième démembrement de la paroisse par la création des
trois églises succursales de l'Abbaye-aux-Bois , des Missions étrangères et de
Sainte-Valère. — incidents de sa prise de possession. — Il reconstitue tout
le mobilier de l'église. — Habileté de sa gestion financière. — Il reçoit le
Pape Pie VII à Saint-Sulpice. — Reliques dont il enrichit le trésor de l'église.
— Sacre de deux évéques à Saint-Sulpice par Sa Sainteté. — Jalousie qu'ins-
pire à Napoléon la popularité du Pape. — Acquit des dettes de M. de Pierre
par l'Empereur. — Érection du maître-autel. — Établissement de la nouvelle
sonnerie. — Refus de l'évêché de Saint-Claude. — Sollicitude de M. de Pierre
pour le bien des âmes. — Écoles, catéchismes. — Direction de ces derniers
confiée à M. Teysseyrre. — Premières prédications de l'abbé Frayssinous aux
Carmes. — Ses conférences à Saint-Sulpice. — Leur succès et leur influence.
— Mission des Pères Mac Carlliy. de Place, Gayon et Petit, jésuites. — Prédi-
cations de Met de Cheverus et de l'abbé Combalot. — M. de Pierre établit la
confrérie de l'Immaculée-Conception. — Il encourage la fondation des gran-
des OEuvres de Saint-Nicolas, des Amis de l'enfance, des Enfants délaissés
des Enfants de la Providence, de la Propagation de la Foi, de Saint-François
Régis, de Saint-Vincent de Paul. — Sa mort. — Son petit mausolée.
D'une des premières familles de la noblesse d'Auvergne,
Charles-Louis-François-Marie de Pierre était né, en 1701,
au diocèse de Clermont. Après avoir fait ses études théo-
logiques à Saint-Sulpice, il était entré à la Communauté
des prêtres de la paroisse en 1780. Il était au nombre des
vicaires de M. de Pancemont, qui l'entouraient lors de
son refus de prestation de serment à la Constitution civile
du clergé, le 9 janvier 1791.
Incarcéré comme noble au couvent des Oiseaux, rue de
M. DE PIEKRE (1802-1836). 295
Sèvres, et rendu à la liberté, le 9 Thermidor, par la mort
de Robespierre, il fut avec Messieurs Ue voisins et Jerpha-
nion, comme lui prêtres de l'ancienne Communauté de
la paroisse Saint-Sulpice, désigné par M. de Pancemont,
en mars 1795, pour desservir en son nom d'abord la cha-
pelle des Sœurs de X Instruction chrétienne, puis celle des
Orphelines de la rue du Vieux-Colombier, où il présida à
la reprise des catéchismes.
Dès le 3 avril de la même année, M. Emery écrivait ;ï
l'abbé de Romeuf, un de ses anciens élèves : « Devoisins
« et de Pierre font des merveilles; ils sont à la tête des
<( deux chapelles de Y Instruction et des Orphelines, louées
« par les catholiques de la paroisse Saint-Sulpice, et où
« se fait un grand concours (1). »
Il était, en dernier lieu, desservant de la petite église
de l'abbaye Saint-Germain, démolie depuis, lorsque, aux
termes de son décret de réorganisation des paroisses de
Paris, du 9 Floréal an X, approuvé par les Consuls (2),
W de Belloy, archevêque de Paris, le nomma à la cure
de Saint-Sulpice (3). Sa prise de possession de cette cure
eut. lieu le 16 mai 1802, quatrième dimanche après
Pâques, et jour où l'on célèbre, dans cette église, la fête
de saint Joseph, protecteur de la paroisse.
Ce ne fut pas toutefois sans difficulté.
L'intrus Mahieu ne voulait pas céder la place; il intri-
guait même pour la conserver et avait fait signer par
plusieurs marchands du quartier une pétition qui récla-
mait son maintien et que l'abbé Grégoire s'était chargé
de présenter au Premier Consul. Instruit de ces menées,
dont les suites l'inquiétaient, mais n'osant pas prendre sur
(1) Mém. mss., article de Pancemont, p. 07.
(2) Moniteur du 6 Prairial an X.
(3) L'une des douze cures de Paris dont chacune avait pour limites
celles de la Justice de Paix dans l'étendue de laquelle elle était située.
296 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
lui un acte de vigueur, M. de Pierre réunit dans son cabi-
net, le matin de ce dimanche, un des vicaires généraux
de l'archevêque, M. de Malaret, et M. Emery. M. de Mala-
ret se montra hésitant. Mais M. Emery, qui savait le
mouvement que se donnaient les constitutionnels pour
faire maintenir l'abbé Mahieu dans la cure, et la faveur
dont ils jouissaient auprès du Premier Consul (1), jugea
qu'il n'y avait pas un moment à perdre pour déjouer leur
cabale : « Vous êtes nommé curé, dit-il à M. de Pierre; le
« Gouvernement a agréé votre nomination; prenez avec
« vous un grand vicaire et faites-vous mettre en possession
« de l'église, ce soir même, après vêpres. Allez, allez, lui
« ajouta-t-il; car si vous n'êtes pas installé aujourd'hui,
« vous ne le serez jamais (2). » Ce ferme langage triom-
pha de sa timidité. Il fit prévenir de suite M. Mahieu qu'il
eût à lui remettre les clefs de l'église à l'heure de sa prise
de possession, après les vêpres. Sans réponse de sa part,
à midi, et craignant un scandale, il le fit sommer de nou-
veau de lui livrer l'église à l'heure dite, et le menaça, en
cas de refus, de faire ouvrir les portes par un serrurier.
M. Mahieu se décida alors à lui en envoyer les clefs. A
quatre heures et demie, M. de Pierre se rendit à l'église,
accompagné d'un des membres du Conseil de l'arche-
vêché, M. Béchet (3). Il n'y rencontra que quatre à cinq
personnes dont aucune ne mit obstacle à son installa-
tion. A cinq heures, la bonne nouvelle en était -ipportée
aux Carmes par un de ses vicaires; et aussitôt après le
(1) Il venait, en effet, de faire parvenir an Légat la nouvelle, encore
très secrète, de la nomination d'évêques constitutionnels à douze des nou-
veaux sièges, malgré les engagements formels de Bonaparte de les en
exclure tous. V. la Vie de M. Emery, par l'abbé Gosselin, t. II, p. 66
et la note.
(2) Vie de M. Emery, ibid., p. 5.
(3) M. Béchet, ancien supérieur du Séminaire d'Avignon, était alors
retiré à Sainl-Sulpice.
M. DE PIERRE (1802-1836). 297
salut, les fidèles qui s'y trouvaient, accouraient tous à
Saint-Sulpice, heureux d'y saluer leur nouveau Pasteur
et de l'entendre leur annoncer que désormais les offices
s'y célébreraient régulièrement, tous les jours.
Le lendemain, M. Mahieu effectuait son déménagement
du presbytère et ne reparut plus à l'église. Mais il con-
tinua de témoigner son mauvais vouloir en refusant de
livrer les clefs de la chapelle des Fonts dont il était dé-
positaire, et dont on avait besoin pour la tenue des ca-
téchismes; et il fallut un acte de poursuite judiciaire
pour les lui faire rendre (1).
Le jeudi suivant, 26 mai, M. de Pierre célébra, à
dix heures du matin, la messe du Saint-Sacrement, et le
soir, pour la première fois depuis la Révolution, il y eut
salut solennel et procession du Saint-Sacrement.
Huit jours après, en la fête de l'Ascension, eut lieu la
première communion, à laquelle un grand nombre d'en-
fants furent admis.
Dès le début de son ministère pastoral, M. de Pierre se
trouva aux prises avec les plus graves soucis. Entouré de
ruines de toute sorte, ruines matérielles dans son église,
ruines morales bien autrement désastreuses dans sa
paroisse, la Providence lui assigna la mission de réparer
les unes et les autres; et il se montra constamment à la
hauteur de cette lourde charge.
I
Dans son église, moins maltraitée cependant que beau-
coup d'autres, il ne trouva intacts que la chaire, l'orgue
et la balustrade du chœur : la chaire, que l'on conserva
pour servir de tribune aux harangues; l'orgue, qui fut
(l) Notes manuscrites sur la paroisse de Saint-Sulpice, 1793-1826.
communiquées par M. le curé Méritan.
298 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
sauvé par l'adroit stratagème d'un des souffleurs, un aveu-
gle, qui simula sur sa porte d'entrée une apposition de
scellés qu'on n'osa pas rompre ; et la balustrade du chœur,
que deux pharmaciens du quartier, MM. Charas et Du-
chatel, réussirent à faire passer pour nécessaire à la con-
servation du méridien dont la ligne la traverse (1). Mais
à part ces trois meubles importants, le vandalisme révo-
lutionnaire ne lui laissa que les quatre murs de son église,
encore assez endommagés dans plusieurs de leurs parties.
Tous les ornements sacerdotaux, le linge d'autel et les
vases sacrés avaient été pillés, lors de la dévastation des
églises de Paris en 1793, et avaient figuré dans le défilé
sacrilège qui eut lieu, le 22 novembre de cette même
année, devant la Convention et que le Moniteur de ce
jour relate en ces termes :
« La section de l'Unité défile dans la salle : à sa tête
« marche un peloton de la force armée; ensuite, vien-
« nent des tambours, suivis de sapeurs et de canonniers
« revêtus d'habits sacerdotaux et d'un groupe de femmes
« habillées en bianc, avec une ceinture aux trois cou-
« leurs; après elles, vient une file immense d'hommes,
« rangés sur deux lignes et couverts de dalmatiques,
« chasubles, chapes. Ces habits sont tous des ci-devant
« églises de Saint-Sulpice et de Saint-Germain des Prés;
« remarquables par leurs richesses, ils sont de velours et
« d'autres étoffes précieuses, rehaussées de magnifiques
« broderies d'or et d'argent. On apporte ensuite sur des
« brancards des calices, des ciboires, des soleils (des os-
« tensoirs), des chandeliers, des plats d'or et d'argent,
« une chasse superbe, une croix de pierreries et mille
« autres ustensiles de pratiques superstitieuses. Ce cor-
« tège entre dans la salle aux cris de : Vive la Liberté!
« Vive la Montagne! Un drap noir, porté au bruit de
(1) Ibidem.
M. DE PIERRE (1802-1836;-. 299
« l'air : Malborough est mort, figure la destraction du
« fanatisme. La musique exécute ensuite l'hymne révo-
« lutionnaire. On voit tous les citoyens revêtus d'habits
« sacerdotaux, dansant au son des airs : Ça ira, la Car-
« magnole, Veillons au salut de l'Empire. L'enthou-
« siasme universel se manifeste par des acclamations
« prolongées. »
Tous les objets d'art : les tableaux, les sculptures, les
mausolées de M. Languet de Gergy et de la duchesse de
Lauraguais, le tombeau du marquis et de la marquise de
(lavoye, les candélabres, les tabernacles, les bas-reliefs
en bronze doré, les stalles du chœur, les boiseries de la
chapelle du Sacré-Cœur, les marbres précieux avaient été
enlevés; tous les autels avaient été renversés; toutes les
sépultures souterraines profanées. Il n'y avait pas jus-
qu'aux cloches qui avaient disparu et dont on ne retrouva
que la plus petite qui servait à l'horloge des Tuileries.
M. de Pierre avait donc à reconstituer tout le mobilier et
à rétablir à neuf tout le matériel de l'église; et il n'avait
aucune ressource fixe pour faire face à cette énorme dé-
pense. La fortune entière de l'église, en effet, formée de
siècle en siècle par la piété des fidèles, lui avait été enle-
vée par la loi spoliatrice du 13 Brumaire an H (3 no-
vembre 1793), qui avait déclaré propriétés nationales
tous les biens des anciennes Fabriques, même ceux qui
étaient affectés à des fondations. Et l'abbé Mahieu, en se
retirant, ne laissait que des dettes à son successeur, pour
le paiement des divers travaux qu'il avait commandés.
De plus, le décret qui l'appelait à la cure de Saint-
Sulpice créait, dans les limites du XIe arrondissement
qui formait la circonscription légale de sa paroisse,
trois églises succursales : celle de l'Abbaye-aux-Bois 1 ,
(1) L'église de l'Abbaye-aux-Bois était, avant la Révolution, la chapelle
d'une communauté de religieuses dont le premier monastère avait été
300 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
celle des Missions étrangères (1), et celle de Sainte-
Valère (2), qui restreignaient de plus de moitié son ter-
ritoire particulier (3), et, en diminuant ainsi sa popu-
lation, lui enlevaient par là même une notable partie de
ses ressources.
Une enquête de commodo et incommodo fut bien ou-
verte de suite pour savoir s'il ne serait pas préférable de
laisser la nouvelle paroisse de l'Abbaye-aux-Bois réunie à
celle de Saint-Sulpice ; mais son résultat ne fut pas favo-
rable à cette dernière, qui dut se contenter de sa circons-
cription réduite.
C'était là pour M. de Pierre un ensemble de graves
obstacles à une réorganisation du culte aussi prompte
que la désirait l'impatience des fidèles. Cependant douze
à quinze mois lui suffirent pour assurer la régularité des
offices et la dignité des cérémonies, composer le nom-
breux personnel de ses vicaires et de ses employés, pour-
voir à leur traitement, régler leurs attributions, restau-
fondé, vers 1202, en Picardie, par Jean, seigneur de Nesles , dans un
lieu nommé Batiz (au milieu des bois). Chassées parles gens de guerre,
sous la régence d'Anne d'Autriche, elles se réfugièrent d'abord à Com-
piègne, en 1650, puis achetèrent, en 1654, moyennant 50.000 écus, le mo-
nastère des Annonciades des Dix Vertus de Notre-Dame, situé rue de Sè-
vres (au ir 16 actuel). Ces religieuses suivaient la règle de l'ordre de
Citeaux.
Cette communauté fut supprimée en 1790; et son couvent, devenu pro-
priété nationale, fut vendu le 5 Frimaire an VI. Depuis 1802, son église est
restée une succursale de celle de Saint-Sulpice, jusqu'en 1857 où elle fut
supprimée.
(1) La chapelle des Missions étrangères fut louée alors par la Ville de
Paris pour l'exercice du culte paroissial, jusqu'à son remplacement par
l'église de Saint-François-Xavier, dont la construction commença en 1861,
et qui fut livrée au culte le 15 juillet 1874.
(2) L'église provisoire de Sainte-Valère fut remplacée par celle de Sainte-
Clotilde, dont les travaux de construction, commencés en J846, furent
terminés en 1856, et s'élevèrent au prix total de 5. 600. C00 francs. L'église
de Sainte-Clotilde fut livrée au culte en 1857.
(3) Elles réduisirent son territoire de 488 hectares à 222 seulement.
M. DE PIERRE (1802-1836). 301
rer et compléter les ornements, apportés de sa chapelle
de Saint-Germain des Prés et de celle des Carmes et qui,
pendant longtemps , restèrent seuls en usage , relever les
autels des chapelles du Sacré-Cœur, de Saint-Jean-Bap-
tiste et de Saint-Denis, rétablir le banc d'œuvre, acheter
des vases sacrés, un grand ostensoir en argent, six grands
chandeliers et la croix en couleur d'or pour le maitre-
autel, et reprendre pour 800 francs la boiserie de la
chapelle du Sacré-Cœur, vendue en 1793. Et quand, le
25 novembre 1803, eut lieu la première séance de son
nouveau Conseil de fabrique, institué en vertu du règle-
ment de l'archevêque de Paris, du 26 juillet précédent, et
qu'il lui présenta les comptes des dix-huit mois écoulés
de son administration provisoire, ces comptes accusèrent
une balance exacte entre l'ensemble de ses dépenses et
celui de ses recettes clans lesquelles ne figuraient pour-
tant ni emprunts ni dons extraordinaires, mais seule-
ment le produit des quêtes et des chaises et celui de la
portion ducasuel des mariages et des convois, attribuée,
selon l'usage, aux Fabriques. Il soumit en même temps
à son approbation le budget de 1804, qui, d'après ses
prévisions, devait se solder par un excédent de recettes de
plus de 10.000 francs sur le total des dépenses, dans les-
quelles était compris cependant le chapitre entier des trai-
tements de quatorze vicaires (1), d'un organiste, de six
chantres et de quatorze employés divers. Il n'est pas
d'exemple d'une plus habile et plus féconde administra-
tion fabricienne , surtout dans des circonstances aussi
difficiles.
Cette bonne situation financière permit au Conseil de
prescrire la restauration immédiate du dallage et des vi-
tres de l'église , et un peu plus tard de faire réparer les
(1) Dès le mois de juillet 1805, il fut obligé de leur en adjoindre un
quinzième.
302 HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SI LPICE.
dommages considérables causés à la toiture par le ter-
rible ouragan de nivôse an XII (janvier 180V), et de ra-
cheter au prix de 1.200 francs et de faire remettre en
place le beau bas-relief en bronze doré des frères Slodtz,
qui formait le devant d'autel de la chapelle de la Sainte
Vierge (1). En sorte que, à l'automne suivant, quand le
bruit se répandit de la prochaine arrivée en France du
Pape Pie VII pour le sacre de l'Empereur (2), l'église Saint-
Sulpice avait déjà effacé les traces apparentes de la dé-
vastation dont elle avait été victime pendant la Terreur,
et qu'elle put se préparer à recevoir dignement la pre-
mière visite de l'auguste Pontife.
Cette visite eut lieu le dimanche, 23 décembre 1804.
Neuf jours auparavant, le i\ décembre, le Saint-Père
avait daigné recevoir au pavillon de Flore, aux Tuileries,
qu'il habitait, le clergé de Paris. 31. Emery, au nom du
Séminaire, lui avait déjà rendu ses devoirs, quand vint le
tour de M. le curé de Saint-Sulpice daller au baisement
des pieds. Mgl le cardinal de Belloy le nomma; et sur ce
nom de Saint-Sulpice, il fut accueilli très gracieusement.
Les marguilliers de la paroisse qui raccompagnaient et
au nombre desquels se trouvaient deux sénateurs : le
comte Lemercier et le comte Herwin, et M. le premier
président Séguier, prièrent le Pape d'honorer leur église
de sa présence. Sa Sainteté leur promit d'y venir dire sa
messe, le dernier dimanche del'Avent, en ajoutant, par
(1) Pour achever la décoration de celte chapelle, on fit faire en carton
un agneau posé sur le livre des sceaux et pareil à celui qui existait autre-
fois en bronze doré; puis on lit repeindre et dorer économiquement les
quatre grands candélabres (chandeliers) qui étaient autrefois entièrement
dorés, et on fit enlever la balustrade en bois qui entourait l'autel depuis
quelques années, pour la remplacer par une autre en fer. Notes mss.,p. 19.
(2) Pie VII était arrivé de Fontainebleau à Paris le 28 novembre 1804,
nuitamment, à 6 heures et demie du soir, « pour cacher aux yeux de tous
l'Empereur à la gauche du Pape » (Mémoire du Cardinal Consalvi,
t. II, p. 403); et le Sacre avait eu lieu à Notre-Dame, le 2 décembre.
M. DE PIERRE (1802-1836;. 303
une distinction bien flatteuse pour cette paroisse , qu'Elle
voulait commencer par elle sa visite des églises de la ca-
pitale.
Au jour dit, le Saint-Père arriva à Saint-Sulpice, à
dix heures. M. de Pierre entouré des membres de son
clergé, la plupart confesseurs de la Foi comme lui, et de
ses marguilliers , le reçut à la grande porte du péristyle,
lui adressa un discours dont le Pape se montra très tou-
ché, et le conduisit processionnellement, au chant du
verset : Tu es Petrus, jusqu'au maître-autel, aux pieds du-
quel il lui offrit à baiser une insigne relique qu'un de
ses paroissiens, le général marquis d'Estourmel. lui avait
confiée pour fa présenter à la vénération du Saint-Père.
C'était un morceau de la vraie croix , enchâssé dans une
croix d'argent crénelée , que Godefroy de Bouillon donna
à son ancêtre Raimbaud Creton d'Estourmel, pour être
entré, le premier, dans la ville sainte, à l'assaut de Jé-
rusalem en 1099 (1).
Le Pape y colla ses lèvres et déclara qu'il n'en pos-
sédait pas un morceau aussi considérable (2). Il se revê-
(1) Raimboldus Creton, dit Orderic Vital, qui primus in expugnationc
Jérusalem ingressus est.
Voir Michaud, Histoire des Croisades, t. I, p. 412, Paris, 1813, et
Xau, Rapport sur les archives de Saint-Sulpice, p. 16.
(2) Et cependant ce morceau n'était plus entier. Le général avait bien
voulu en faire détacher une parcelle et la donner, le 14 janvier 1803, à
l'église Saint-Sulpice, dont elle orne aujourd'hui le Trésor. Nau, ibid.,
p. 16. Certificat du cardinal Légat.
Ce n'est, du reste, pas la seule relique dont ce Trésor s'est enrichi
pendant L'administration curiale de M. de Pierre.
En décembre 1805, le même Légat 'Caprara) donna à l'église Saint-
Sulpice une relique de saint Sulpice, son patron; et, dans sa séance du
16 du même mois, le Conseil de fabrique commanda un riche reliquaire
en bois doré, représentant la tête du Saint, pour la renfermer. Mais la
perte de son authentique la fit retirer de l'église, pour la laisser au pres-
bytère. Nau, iôid., p. 17.
En 1815, l'abbé Abeil, alors un des vicaires de la paroisse, lui offiit
une portion de la sainte couronne d'épines, qui provenait de l'ancien
304 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
tit alors de ses ornements pontificaux et , assisté de ses
prélats, célébra une messe basse, distribua la commu-
nion aux élèves du Séminaire seuls, à raison du trop
grand nombre de fidèles qui s'approchèrent de la sainte
Table, et donna la bénédiction papale, après laquelle deux
ecclésiastiques proclamèrent, l'un en latin, l'autre en
français, les indulgences attachées à cette bénédiction.
Puis, revenu au bas de l'autel, il se mit à genoux sur un
prie-Dieu, et assista à une autre messe dite par son au-
mônier, pendant son action de grâces, ayant àses côtés le
sénateur comte de Viry, chambellan de l'Empereur, rem-
plissant les mêmes fonctions auprès de Sa Sainteté, et
le prince Braschi, neveu de Pie Vf, commandant de sa
garde noble.
A onze heures un quart, le Saint-Père fut conduit à la
chapelle des Allemands où un trône lui avait été pré-
paré et où il admit à lui baiser les pieds le clergé, les
administrateurs de la paroisse et des membres des diver-
ses autorités civiles et militaires. Au premier rang du
clergé se trouvait M. Emery; le Pape le reconnut et lui
donna un nouveau témoignage de son affection pater-
nelle, en lui mettant ses deux mains sur la tète (1).
Le même hommage de respect filial lui fut aussi rendu
par la présidente , les dignitaires et les simples membres
couvent des Malhurins, à Paris (l'abbé Delarc, loc. cit., t. I, p. 229), et
qui fut reconnue de nature identique à celle de Notre-Dame.
Et en 1825, l'abbé duc de Rohan, qui mourut, en 1833, cardinal et ar-
chevêque de Besançon, offrit à l'église de Sainl-Sulpice le corps de saint
Savinien. martyr, qu'il avait obtenu à Rome, en témoignage de sa re-
connaissance pour toutes les grâces qu'il avait reçues sur celle paroisse
et dans cette église, où il célébra sa première messe, le 22 juin 1822.
L'authentique de cette relique insigne lui avait été délivrée, à Rome,
par le Cardinal Vicaire, le 11 mai 1825. Une décision du Conseil de fa-
brique, du 18 novembre 1826, prescrivit le dépôt de ce corps saint dans
l'intérieur du maitre-autel. Nau, ibid., p. 18.
(1) L'abbé Gosselin, Vie de M. Emery, t. If, p. 147.
M. DE PIERRE (1802-1836). 305
de l'Association du catéchisme de persévérance des
jeunes filles, qui lui furent présentées par leurs supé-
rieurs, MM. de Sambucy et de Quelen (1), puis, après elles,
par un grand nombre de jeunes gens, dont l'un, M. Maxi-
milien Séguier, lui adressa, au nom de tous, à genoux, la
parole en latin. Sa Sainteté, visiblement satisfaite de son
allocution, daigna lui répondre dans la même langue, à
peu près en ces termes : « Rien ne m'est plus agréable
« que ces sentiments de religion exprimés par des jeunes
« gens. Je prie Dieu qu'il les conserve dans vos cœurs,
« qu'il vous y fasse trouver votre félicité dès cette vie , et
« qu'il vous en récompense par la couronne d'immorta-
« lité. »
A midi trois quarts, le Saint-Père sortit de l'église; la
foule immense qui la remplissait, reçut de nouveau sa
bénédiction , tout heureuse de voir au milieu d'elle le
Père commun des fidèles; et quand il parut sous le péri-
style, le peuple qui remplissait aussi la grande place fit
retentir les airs des cris répétés de : Vive le Saint-Père (2).
Le lendemain, M. de Pierre recevait une lettre du secré-
taire intime de Sa Sainteté , qui lui exprimait , en son
nom , toute la satisfaction qu'elle avait éprouvée de la ré-
ception qui lui avait été faite la veille.
Le Conseil de fabrique aurait désiré un peu plus tard
perpétuer le souvenir de cette visite de Pie VII par une
inscription commémorative. Mais M. de Pierre s'y opposa
en arguant des tristes circonstances de son voyage à
Paris (3). Il faisait allusion, par ces paroles, aux amertu-
mes que le doux et saint Pontife avait éprouvées pendant
toute la durée de son séjour dans la capitale, en voyant
(1) M. Faillon : Histoire des catéchismes de Saint-Sulpice, p. 151 et
152. Paris, Gaume, éd. 1831.
(2) La Gazette de France : Numéro du 24 décembre 1804.
(3) îyotes mss. sur la paroisse de Saint-Sulpice 1793-1826, p. 20 et 21.
ÉGLISE SAIXT-SULPICE. 20
106 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT SULl'ICE.
sa complaisance généreuse à venir lui-même sacrer l'Em-
pereur à Notre-Dame, payée uniquement par l'ingrati-
tude de Napoléon et par l'inflexibilité de ses refus à toutes
les demandes qu'il lui adressait, soit pour la modification
des articles organiques du Concordat, soit pour la resti-
tution des Légations, l'ancien patrimoine de l'Église.
Deux faits seuls, en effet, selon la juste remarque de l'é-
loquent historien de l'Eglise romaine et le premier Em-
pire , « firent descendre d'en haut un peu de consolation
« dans son àme désolée » : la réception, pleine de respect
et d'affection, que lui firent les habitants de Paris, et la
rétractation complète des évêques constitutionnels « qui
« fut son œuvre personnelle et le triomphe de son irré-
el sistible charité (1) ».
L'église de Saint-Sulpice eut, une seconde fois, le bon-
heur de jouir de la présence de Pie VII. Ce fut le 2 fé-
vrier 1805, en la fête de la Purification de la Sainte Vierge,
jour où Sa Sainteté vint y sacrer elle-même M. de Pradt,
évêque de Poitiers (2), et M. Paillon, évêque de la Ro-
chelle (3). Elle avait choisi pour ses assistants quatre évê-
ques romains : Mgr Fenaja, archevêque de Philippes ,
Vice-gérant de Rome; Mgr Bestazzoli, archevêque d'E-
desse. distributeur des aumônes du Saint-Père, tous deux
(1) Le comte d'IIaussonville : V Église romaine et le premier Empire ,
t. I, p. 375.
(2) L'abbé de Pradt, né à Allanehes, en Auvergne, en 1759, avait été
député aux États généraux. Émigré en 1791, il était rentré en France
en 1801 et, grâce à l'appui de Duroc, son parent, était devenu aumônier de
l'Empereur, au sacre duquel il remplit la fonction de Maître des cérémo-
nies du clergé. Nommé plus lard archevêque de Malines, il fut chargé par
Napoléon, en 1812, d'une ambassade extraordinaire à Varsovie, dont il a
écrit la relation. Il mourut en 1837.
(3) La veille, dans un consistoire public qu'il avait tenu dans la grande
salle de l'archevêché, le Pape, après avoir placé le chapeau sur la tête
des cardinaux de Belloy et de Cambacérès, avait imposé le rochet aux
deux nouveaux élus des églises de Poitiers et de la Rochelle. La Gazette
de France du 3 février 1805.
M. DE P1ERHE (1802-1836). 307
co-consécrateurs; Mgr Devoti, archevêque de Carthage,
secrétaire des brefs aux princes, et Mgr Menochio, évèque
de Porphire, sacriste du Pape, qui se tirent tous remar-
quer par leur profond recueillement, leur figure véné-
rable et leur noble simplicité (1). Cette imposante céré-
monie eut lieu en présence de tous les évêques français
qui se trouvaient alors à Paris , et d'un concours immense
de fidèles. Commencée à dix heures un quart, elle ne fut
terminée qu'à midi et demi.
Comment et par quel motif l'honneur en fut-il réservé
à l'église de Saint-Sulpice , plutôt qu'à la cathédrale?
Cette préférence ne s'explique que par la même cause
qui fit obstacle à ce que le Pape officiât solennellement,
avec tout l'éclat des grandes cérémonies pontificales , le
jour de Noël, à Notre-Dame de Paris (2), et le jour de
Pâques , à Saint-.lean de Lyon. « Qu'il faille 1 attribuer,
« dit encore le comte d'Haussonville , soit à son carac-
« tère sacré, soit à l'impression produite par son âge,
« par le doux éclat de son visage presque toujours animé
« du plus gracieux sourire, il est certain que l'accueil
« empressé de la multitude ne lui fit jamais défaut pen-
« dant tout le temps que dura sa résidence dans la ca-
« pitale. Chose singulière! qu'on aura peine à croire,
« si l'on ne savait ce que peuvent être sur ce point clé-
« licat les susceptibilités des pouvoirs absolus, même les
« mieux établis, même les plus illustres. Bonaparte fut
« un moment jaloux de la popularité de Pie VII. Par un
« misérable ombrage, le glorieux vainqueur de tant de
« batailles, qui passait au Champ de Mars des revues où
« courait avec ardeur la foule enthousiaste de ses admi-
(1) Ibid., p. 532.
(2) Le jour de Noël, en effet, le Pape, après avoir dit deux messes dans
sa chapelle, ne dit qu'une messe basse, à Notre-Dame, à 10 heures et
demie du matin. La Gazette de France du 26 décembre 1804 .
308 HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SULPICE.
« rateurs . ne put pas prendre sur lui de permettre que
« le Pape officiât pontificalement à Notre-Dame (1). »
Et le cardinal Consalvi confirme cette petitesse jalouse
de Napoléon, quand il ajoute dans ses Mémoires (2) que
le départ de Paris du Saint-Père, qui eut lieu le 6 avril
et qui coïncida avec les solennités de la semaine sainte,
fut calculé de manière à ce qu'il célébrât la fête de Pâques
à Chàlon et non pas à Lyon, ville très catholique, où il
aurait éclipsé l'Empereur.
Aujourd'hui, à près d'un siècle de distance de tous ces
événements, les raisons qui ont dicté la conduite de M. de
Pierre ont perdu leur valeur et ne se comprennent plus.
Mais ces deux visites de Pie VII à Saint-Sulpice demeurent
comme deux des faits les plus considérables à consigner
dans les annales de cette église et qui méritent, à ce titre,
que le marbre ou le bronze les rappelle, d'âge en âge,
au pieux souvenir des fidèles.
Vers la mi-avril de la même année 1805, M. de Pierre
reçut des créanciers de l'abbé Mahieu une sommation
judiciaire d'avoir ou à les désintéresser ou à leur laisser
enlever les objets par eux fournis, savoir : le maitre-autel
et ses six marches, les stalles du chœur et le pavé du
sanctuaire. Le Conseil de fabrique, auquel il la transmit,
jugea leur demande bien fondée, et, n'étant pas en me-
sure d'y faire droit, sollicita un secours de la munificence
impériale par une supplique, adressée en son nom, le 19
avril, par le président Séguier, l'un de ses membres, au
ministre des cultes. La réponse ne se fit pas attendre. Le
19 mai suivant, le ministre annonçait à M. de Pierre
que l'Empereur mettait à sa disposition une somme de
12.000 francs pour l'acquit des dettes contractées pour les
(1) Le comte d'Haussonville : l'Église romaine et le premier Empire,
t. I, p. 375 et 376, 3e éd.
(2) Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 411 et 412.
M. DE PIERRE (1802-1836). 309
réparations du chœur; et, le 3 juillet, Sa Majesté ajoutait
une autre somme de 1.680 francs à ce premier don pour
l'achat des ohjets essentiels dont la sacristie pouvait man-
quer.
Ainsi libéré de ses dettes, M. de Pierre s'occupa sans
relâche de l'ameublement et de la décoration de sa belle
église. Il obtint de sa Fabrique un premier crédit de
V.000 francs qui lui permit d'augmenter le nombre des
stalles du chœur (1) que l'assistance presque journalière
des ecclésiastiques de la paroisse aux cérémonies de la
paroisse rendait insuffisant, de rétablir les lambris en
menuiserie de tout son pourtour, et d'en clore les issues
par deux grilles placées en face des deux sacristies. En
1816, il fit agrandir la petite sacristie, restaurer toutes les
chapelles latérales, et réparer celles du sous-sol, pour
pouvoir y réinstaller les catéchismes comme autrefois.
En 1808, la Fabrique lui alloua, sur l'excédent des recet-
tes du précédent exercice, un premier crédit de 12.000
francs pour la confection de deux grands ornements, l'un
en velours rouge, et l'autre en soie blanche brodée; et,
trois mois après, un second de 8.000 francs pour l'achat
d'une grande croix, de chandeliers et d'une lampe pour
le sanctuaire. En 1809, tous les fonds disponibles furent
employés à réparer les dégâts occasionnés à la toiture par
un nouvel ouragan, survenu le 8 janvier.
L'année suivante, eut lieu, le 7 octobre, la première
séance du nouveau Conseil de fabrique, institué en vertu
du décret organique du 30 décembre 1809 (2).
(1) La rangée supérieure de ces nouvelles stalles fut formée de celles de
l'abbaye royale de Saint-Denis, que M. de Keravenant, son premier vi-
caire, avait pu acheter au prix de Soo francs.
(2) Il se composait de MM. le comte de Cossé-Brissac, sénateur; le che-
valier Cauchy, secrétaire archiviste du Sénat, le chevalier Borel, con-
seiller à la Cour de cassation; le chevalier Vasse de Saint-Ouen, doyen
de la même Cour; Audinot, rentier, tous cinq nommés par Ordonnance du
310 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
En mars 1811, ce Conseil autorisa la commande d'un
ornement noir, au prix de V.OOO francs. En mai 1812, il
obtint la restitution des quatre tableaux de Vanloo qui
décoraient anciennement la chapelle de la Sainte Vierge,
et celui de saint Michel, de Mignard, qui fut replacé dans
la chapelle de cet archange; et le Gouvernement lui
accorda, en outre, cinq autres tableaux. En octobre 1813.
il vota enfin un crédit de 3.200 francs pour l'achat d'une
exposition du Saint-Sacrement et d'un tapis du maitre-
autel et pour la réparation des lustres.
On le voit, pendant toute la durée de l'Empire, il n'y a
guères que les ornements qui aient été l'objet d'une dé-
pense un peu élevée. Il en va tout autrement sous la Res-
tauration, où M. de Pierre obtient de son Conseil de fa-
brique des sommes considérables . dont le chiffre total
dépasse 200.000 francs, pour faire les achats et prescrire
les travaux qu'il jugea les plus propres à contribuer à
l'embellissement intérieur de l'église et à rehausser l'éclat
de ses cérémonies.
Dès 1817. il consacre 3.000 francs à la confection d'un
dais, en drap d'or brodé. En 1819, il rentre en possession
du mausolée de M. Languet, qui était déposé au Musée
des monuments français, et que l'Empire s'était refusé à
lui rendre; mais sa réparation et sa remise en place lui
coûtent plus de 10.000 francs.
Bientôt après, grâce à l'appui de son Conseil de fabri-
que, dont il sait rendre les finances de plus en plus pros-
pères, à de généreux dons particuliers et à ses propres
23 septembre 1810, des vicaires généraux capitulaires de l'archevêché de
Paris, et de MM. les comtes de Viry, Lemercier et Herwyn, sénateurs;
le baron Sé«uier, premier Président de la Cour d'appel, tous quatre nom-
més par arrêté du Préfet de la Seine, du 2 octobre 1810, et de M. de la
Bonardière, maire du XI" arrondissement, membre de droit.
M. le comte de Viry (ut élu président, M. Cauchy, secrétaire, et M. Au-
dinot , trésorier.
M. DE PIERRE (1802-1836). 311
libéralités, il lui est donné de réaliser deux de ses vœux
les plus chers : celui de doter son église d'un autel en
rapport avec la beauté de l'édifice, et celui de la gratifier
d'une sonnerie, aussi puissante et aussi harmonieuse que
l'ancienne.
Le 22 mai 1820, sur sa proposition, son Conseil charge
M. Godde, architecte en chef du département de la Seine,
de dresser le plan d'un nouveau maître-autel. Le 8 mars
1821, ce plan lui est soumis; il l'approuve et en décide
l'exécution immédiate.
Le 27 décembre 1823, il vote une somme de 22.000
francs pour la fonte du tabernacle, en bronze doré, prévu
par ce plan, et d'après le dessin de son
auteur 22.000 fr.
Terminé tout entier en septembre 182'+,
l'autel est consacré par l'archevêque de
Paris, M5' de Quelen, le 27 octobre suivant.
Le Conseil n'eut à en payer que la main-
d'œuvre, qui lui revint à 17.000 fr.
parce que la majeure partie des marbres lui
fut gracieusement octroyée par le ministère
des cultes (1).
Le 15 janvier 1825, le vicomte d'Ars lui
fait cadeau de l'Exposition, dite des Pal-
miers, elle aussi en bronze doré, et destinée
à orner le tabernacle aux jours d'exposition
du Très Saint-Sacrement. Elle est évaluée. . 19.000 fr.
Le Conseil vote ensuite successivement :
le 11 avril suivant 20.000 fr.
A reporter 78.000 fr.
(1) Les marbres blanc et bleu turquin servirent à la confection des
marches de l'autel qui lurent réduites à six au lieu des sept qui exis-
taient avant la Révolution.
312 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULP1CE.
Report 78.000 fr.
pour la fabrication de deux grands candé-
labres, de même métal, à placer de chaque
côté de l'autel; le 18 du môme mois .... 18.000 fr.
pour celle de 6 chandeliers et d'une grande
croix, également en bronze doré, destinés
à le surmonter;
Et le k décembre 1827, une dernière
somme de 10.000 fr,
pour celle en métal semblable, du bas-relief,
dessiné par Debay, qui représente « Notre-
Seigneur enfant au milieu des docteurs »,
et qui en orne aujourd'hui le devant.
En sorte que le prix de revient de ce
maitre-autel, avec tous ses accessoires, re-
présente une somme totale de 106.000 fr.
non compris la valeur des marbres employés dans sa
construction.
Quelques semaines après sa consécration, on procédait
au montage des trois premières cloches de la nouvelle
sonnerie. C'était un don personnel de M. de Pierre. Mer de
Quelen daigna revenir à Saint-Sulpice, le 26 novembre
182'*, pour les bénir.
La première, du poids de 12.012 livres, et nommée
Thérèse, eut pour parrain M. de Damas, au nom du feu
roi Louis XVIII, et pour marraine Madame la Dauphine;
La seconde, pesant 8.060 livres et nommée Caroline,
eut pour parrain le roi Charles X et pour marraine la
duchesse de Berry ;
La troisième, de 1.950 livres seulement, et nommée
Henriette-Louise, eut pour parrain le duc de Bordeaux
et pour marraine, iMademoiselle.
A l'occasion de cette cérémonie, la famille royale fit à
la Fabrique un don de 19.000 francs, qu'elle employa,
sur la proposition de M. le curé, à l'achat d'ornements.
M. DE PIERRE (1802-1836,.
313
Vue de la chapelle du Sacré-Cœur.
314 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
Deux autres cloches furent payées par la Fabrique
pour compléter la sonnerie, et bénites par M. de Pierre,
le 26 mai 1829 : l'une, du poids de 6.000 livres, qui fut
appelée Louise; et l'autre, du poids de 5.000 livres, qui
fut nommée Marie.
En 1825, M. de Pierre fut promu à l'Évêché de Saint-
Claude. Son attachement à ses paroissiens le lui fit refu-
ser. Ils lui en témoignèrent leur reconnaissance, en lui of-
frant une magnifique chasuble en brocart d'or (1).
L'année suivante (2), son Conseil de fabrique vota une
somme de 30.000 francs pour la confection de tout un
ornement, en cette belle étoile, qui pût servir aux gran-
des fêtes; et, en 1829, il consacra une autre somme de
3V. 000 francs à l'achat de deux autres grands ornements,
l'un en velours rouge et l'autre en velours vert.
En 1831, enfin, M. de Pierre lui présentait, pour la ré-
paration de l'orgue, un devis de 15.000 francs, sur les-
quels il offrait de contribuer personnellement pour 8.000.
11
Mais la sollicitude qu'il ne cessa de témoigner, à toutes
les époques de son ministère pastoral, pour la restaura-
tion et l'embellissement de son église, ne ralentit jamais
l'ardeur de son zèle au service des âmes dont il avait
la charge.
Instruit par les cruelles épreuves que la Révolution
lui avait fait subir, il comprenait mieux que personne
que la société, sapée dans sa base par la philosophie
menteuse du xvme siècle, ne pouvait être relevée que par
une forte et chrétienne éducation des générations nou-
1 A sa mort, le vicomte de Pierre, son frère et son légataire universel,
laissa à la Fabrique cette chasuble, estimée 6.000 francs.
(2) Procès-verbal de la séance du Conseil de fabrique, du 10 avril 182G.
M. DE PIERRE (1802-1836) 315
velles (1). Aussi, s'appliqua-t-il de tout son pouvoir à la
procurer à sa paroisse.
Dès son entrée en fonctions, en 1803, il s'aboucha avec
l'administration générale des hospices, et se fit mettre
par elle en possession de deux maisons de la rue Férou,
qui avaient appartenu autrefois aux pauvres de la pa-
roisse. Dans la première, où il réserva une salle pour le
bureau de bienfaisance, il en appropria deux autres à la
tenue de deux écoles de garçons, qu'il confia à deux frères
des écoles chrétiennes et qui réunirent de suite 150 en-
fants. L'année suivante, il installa les sœurs de Charité
dans la seconde, qu'elles avaient occupée déjà avant la
Révolution; et elles y ouvrirent immédiatement trois
écoles et un ouvroir, qui ne tardèrent pas à compter en-
semble plus de 200 élèves (2).
Plus tard, en 1826, quand ces deux immeubles furent
englobés dans la construction et les dépendances du
nouveau Grand Séminaire, il procura une autre installa-
tion aux sœurs au n° 9 de la rue Mézières, et aux frères
au n° 6 de la rue de Fleurus, dans une vaste maison bâtie
aux frais de la ville, où il put en loger dix-huit et leur
faire élever plus de V00 enfants de la paroisse.
Enfin, en 1834, il ouvrit, à ses frais, deux salles d'asile,
l'une rue Neuve de Madame, et l'autre au n° 2 de la rue
du Pont de Lodi, aux enfants des deux sexes, âgés de
deux à sept ans, qui y étaient reçus de 7 heures du matin
(1) Rendre chrétienne la génération qui commence, disait déjà Gcrson ,
c'est assurer le salut des peuples. « Non fallebatur qui allirmavit repara-
lionem morum inchoendain esse a parvulis. » Et il ajoutait : Quod si a
parvulis, ubi precor efficacius quam in celeberrima civitate Parisiensi.
De parvulis ad Cfiristum trahendis.
(2) Lettre de M. de Pierre, de janvier 1812, en réponse à celle qu'il avait
reçue, le 23 décembre 1811, du ministre des cultes, dans laquelle il exprime
le regret de ne pouvoir pas encore, faute de ressources, ouvrir une troi-
sième école de garçons. V. Nau, loc. cit., p. 76.
316 HISTOIRE DE L'EGLISE SAlNT-SULPICE.
à 6 heures du soir (1), et qui, à partir de cinq ans, y
apprenaient, avec les premiers éléments de la religion,
à lire et à écrire.
Tous ses efforts tendirent également à assurer une so-
lide instruction religieuse aux enfants et aux adultes.
A peine installé, il s'occupa de la réorganisation des
catéchismes; et il eut le bonheur de rencontrer dans
leurs directeurs sulpiciens des hommes du plus haut
mérite, surtout M. Teysseyrre, dont Mgr Dupanloup, qui
excella lui-même dans cet enseignement essentiel, a dit
« qui/ fut un homme d'un vrai génie pour les enfants ».
« Le connaître, ajoutait-il, fut pour moi un bienfait im-
« mense et toute une révolution dans mes habitudes
« desprit. Je pris du moins, en l'étudiant de mon mieux,
« l'horreur de mes défauts et de ma rhétorique, et un
« certain goût de vérité simple et d'onction pour parler
« aux enfants, qui ont fait qu'à une distance infinie de
« ce modèle j'ai trouvé quelquefois le chemin de leur
« esprit et de leur cœur (2). »
Au mois d'octobre 1802, il rouvrit six catéchismes,
trois pour les filles et trois pour les garçons : les deux
premiers, dits petits catéchismes, , pour les enfants au-
dessous de dix ans; les deux seconds, dits de première
communion, pour les enfants de dix à douze ans, et les
deux troisièmes, dits grands catéchismes ou de persévé-
rance, pour les enfants qui avaient fait leur première
communion.
En même temps, il affecta à la tenue du catéchisme de
persévérance des jeunes filles la chapelle des Allemands,
où il n'a plus cessé de se faire, au lieu et place de la
(1) Nau, Rapport sur les archives de Saint-Sulpice , p. 79. La pre-
mière salle d'asile date, en France, de 1828; elle avait été fondée, à Paris,
par M. Cochin.
(2) L'abbé Lagrange, Vie de M«r Dupanloup , t. I, p. 71.
M. DE PIERRE (1802-1836). 317
chapelle de la Communion, qui lui était réservée avant la
Révolution, mais qui, détruite par l'incendie du k novem-
bre 1798, n'a plus été rebâtie.
L'année suivante, les deux chefs de ce catéchisme,
M. de Sambucy et M. de Quelen, le futur archevêque de
Paris, crurent le moment venu de rétablir parmi les jeu-
nes filles qui le suivaient l'ancienne association dont
M. de Sambucy avait été le supérieur. Ils en obtinrent
l'autorisation du Directeur, alors M. Frayssinous ; et ils
fixèrent sa première réunion au 18 novembre 180i, jour
de la fête de la Présentation de la Sainte Vierge (1). A la
mort de M. de Pierre, cette Association comptait plus de
500 membres.
En 1809, M. Teysseyrre et M. Fayet (2), qui étaient les
chefs du grand catéchisme des garçons, gémissaient de
voir la plupart de ces enfants s'éloigner de ce catéchisme
presque aussitôt après leur première communion et ou-
blier tout ce qu'ils y avaient appris. Ils fondèrent alors,
sous le titre d' Académie de Saint-Sulpice , une associa-
tion spéciale des garçons qui avaient fait leur première
communion, analogue à celle des jeunes filles, et à la-
quelle ils surent les retenir par des entretiens pleins de
charme et d'intérêt et par d'agréables récréations, tout en
lui laissant son caractère principal de catéchisme. Res-
treinte d'abord à 13 membres, elle en porta le nombre,
dès 1810, à 90, dont i0 titulaires, 30 candidats et *20 as-
pirants. Ses réunions étaient appelées séances; son pré-
sident, modérateur. A chaque réception, le Directeur
adressait la parole au nouvel élu, qui devait lui répon-
dre. Le président prononçait à son tour une courte al-
locution. Mgl Dupanloup, après sa première communion.
(1) Sa première présidente, nommée ce jour-là, fut Mllc Eulalie de
Gibon.
(2) Mort évèque d'Orléans.
318 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT SILPICE.
en 1815, assista à quelques-unes de ces séances, lors-
qu'il entra à la petite communauté (1). C'était un de ses
meilleurs souvenirs. « M. Teysseyrre, dit-il , y inspirait
« tout. MM. de Salinis (2) et de Scorbiac (3) y par-
te laient. Il y avait là de belles instructions, de beaux
« points de vue, un bon goût, un bon ton, Un bon lan-
ce gage; c'était excellent. En allant à Saint-Nicolas, je
« regrettai beaucoup cette académie, qui marchait mer-
« veilleusement (1). »
En 1817, M. Teysseyrre changea son nom en celui plus
modeste d'Association de saint Louis de Gonzague.
Deux ans plus tard, placée sous la direction de M. de Sa-
linis, elle devint très nombreuse et compta plus de 300 en-
fants, placés pour la plupart dans des pensions situées
sur la paroisse. L'abbé de Salinis sollicita alors pour
elle des indulgences du Saint-Siège, qui daigna les lui
accorder par un rescrit du 7 mars 1819. Le 6 juin sui-
vant, M. l'abbé de Rolian fut reçu au nombre des Asso-
ciés honoraires.
En 18*21, d'après l'avis de son nouveau Directeur,
M. (iignoux, M. de Pierre consentit à ce que cette asso-
ciation fût réunie au catéchisme de première commu-
nion des garçons; mais il la rétablit séparément, en
183i, sous le titre de Catéchisme de persévérance des
(/arçons, et lui assigna pour lieu de réunion la chapelle
souterraine du péristyle où elle ne tarda pas à compter
150 jeunes gens.
En 18*23, MM. Dupuch (5) et Faillon, alors catéchistes,
fondèrent entre les enfants des divers catéchismes de la
(1) Elle avait été restaurée par M. Teysseyrre, au rr 20 de la rue du Regard.
(2) Mort archevêque d'Auch.
(3) L'abbé de Scorbiac devint ensuite Directeur du collège de Juilly, de
1828 à 1840, avec M. de Salinis.
(4) L'abbé Lagrange, Vie de Msr Dupanloup , t. I, p. 32 et 33.
(5) L'abbé Dupuch est mort archevêque d'Alger.
M. DE PIERRE (1802-1836). 31«J
paroisse, sous le nom de Petite Œuvre, une association de
Charité, consacrée à la Sainte Enfance de Marie, dont le
but était de procurer l'éducation d'un certain nombre
de jeunes filles pauvres de la paroisse, moyennant la
légère rétribution de trente centimes par mois, versés
par chaque associé. Fort goûtée des enfants, cette col-
lecte atteignit, en peu d'années, un chiffre assez important
pour permettre d'élever, au n° 18 de la rue du Regard,
seize jeunes filles, de sept à vingt et un ans, qui, sous la
direction de M1Ie Rouyr, y étaient instruites sur la reli-
gion, la lecture, l'écriture, le calcul, et formées au tra-
vail du linge et de la couture.
Cette organisation des catéchismes de Saint-Sulpice,
qui en fait non seulement une parole et un enseignement,
mais encore une action et un apostolat, n'a pas cessé
d'être fort appréciée ; car elle a un double mérite : celui
d'initier les enfants à la fois à la connaissance de la reli-
gion et à la pratique de la vie et des vertus chrétiennes,
et celui de constituer pour les séminaristes qui en sont
chargés une école normale spéciale où ils se forment au
ministère de l'éducation religieuse de l'enfance, l'œuvre
par excellence. Et cette école normale ne profite pas
seulement au diocèse de Paris, mais à tous les diocèses
de France et même à beaucoup de diocèses étrangers :
car parmi les élèves du Séminaire de Saint-Sulpice, un
petit nombre appartient au diocèse de Paris; la plupart
y sont envoyés par les évèques des diverses provinces et
même de l'étranger, qui choisissent pour recevoir ce
haut enseignement l'élite de leurs sujets et les rappellent
ensuite pour profiter de leur expérience, notamment
dans ces catéchismes qui servent ensuite de modèle pour
en fonder de semblables dans les villes les plus impor-
tantes de leur juridiction. Aussi, a-t-elle été maintenue
sans changement pendant toute la durée de ce siècle. Il y
a deux ans néanmoins, il y a été apporté une modifica-
320 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
tion. réclamée depuis longtemps : le clergé de la pa-
roisse a été admis à participer à cet enseignement caté-
chistique; et il trouve clans cette coopération le précieux
avantage d'entrer en relations avec les familles des nom-
breux enfants qu'il instruit.
Quant à l'instruction religieuse des adultes, M. de
Pierre confia leur prédication à l'abbé Frayssinous ; il ne
pouvait pas faire un choix plus heureux. Noble et pure
ligure sacerdotale, M. Frayssinous rappelait, en sa per^
sonne, les grandeurs passées du clergé de France, sa di-
gnité grave, sa science profonde, sa simplicité aimable,
sa piété fervente. « C'est le prêtre que je vénère le plus,
disait de lui M. Bofderies, mort évèque de Versailles,
et lui aussi un modèle des vertus du prêtre; je baiserais
ses pieds (1). »
Né, le 9 mai 1765, à la Yayssière, commune de Curiè-
res au diocèse de Rodez, il avait été ordonné prêtre en
1789 et avait passé les huit plus violentes années de la
Révolution à évangéliser, au péril de sa vie, les popula-
tions de ses montagnes du Rouergue. Après la tour-
mente , il vint à Paris, entra dans la Compagnie de Saint-
Sulpice et prit de suite une part active au travail de
rénovation religieuse, qui était alors le premier besoin
du pays. Il débuta dans la chaire, en 1801, aux Carmes,
où son talent oratoire, l'étendue de son savoir et la soli-
dité de son argumentation lui conquirent aussitôt la fa-
veur du public.
Il y acquit très vite la conviction que la parole de Dieu
ne pouvait plus être annoncée comme autrefois, « alors
« que, les écarts des passions n'otant rien à la fermeté des
« principes et au respect de la religion, on pouvait se
« borner à exposer les mystères de la foi , les préceptes de
(1) L'abbé Lagrange, Vie de M Dupanloup , t. I, p. 48.
M. DE PIERRE (1802-1836). 321
« l'Évangile, les devoirs et les pratiques de la piété (1) ».
Mais depuis qu'un siècle tout entier de philosophisme
impie et de dérèglement des mœurs avait ébranlé les
croyances et corrompu les esprits comme les cœurs, et
que sur les ruines accumulées par ses sophismes ne sur-
gissaient plus partout qu'un matérialisme grossier ou un
scepticisme frondeur, la vérité ne pouvait plus s'im-
poser aux âmes que par la preuve de son excellence et
de sa divinité. Dès lors , la prédication devait cesser d'être
exclusivement dogmatique pour devenir apologétique,
« en -considérant la religion, comme il le dit lui-même,
« uniquement dans ses principes fondamentaux, dans les
« preuves qui en établissent la vérité , dans les reproches
« généraux que lui font ses ennemis et, sous tous ces rap-
« ports, en cherchant à la venger des attaques de l'incré-
« clulité (2) ».
Ce fut sa gloire de comprendre, le premier, la nécessité
de cette révolution et de l'opérer lui-même au moment
le plus propice, lorsque venait de paraître le Génie du
Christianisme qui donnait un puissant essor aux idées re-
ligieuses et morales dont la jeunesse sentait vivement la
privation.
Il l'accomplit dans ses célèbres Conférences sur la Re-
ligion , données toutes par lui à Saint-Sulpice , commen-
cées, en 1803, dans la chapelle des Allemands, continuées
en janvier 1807, dans la grande chaire de l'église, inter-
rompues de 1809 à la chute de l'Empire, par suite de
l'admiration enthousiaste qu'elles provoquaient et dont
l'Empereur était offusqué, reprises en 1814 et terminées
en 1822 lors de son sacre comme évêque d'Hermopolis (3).
(1) L'abbé Frayssinous : Discours d'ouverture, t. 1, p. 17 de ses Confé-
rences sur lu Religion, 3e éd., 1825.
(2) L'abbé Frayssinous, loc. cit., t. I, p. 17.
(3) Sacré évéque d'Hermopolis en 1822, reçu membre de l'Académie
française le 28 novembre de la même année, l'abbé Frayssinous fut com-
ÉGLISE SAIiST-SULPICE. 21
322 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
Un p'ubliciste éminent, M. Mignet, en a éloquemment ré-
sumé le but et la portée dans sa réponse au discours de
réception du successeur de l'évéque à l'Académie fran-
çaise, M. le baron Pasquier (1).
« Dans ces belles et savantes conférences, dit-il,
« M. Frayssiuous s'applique à soumettre la raison révoltée,
« en lui exposant la profondeur des dogmes chrétiens, en
ce lui montrant qu'aucune philosophie n'avait si merveil-
« leusement résolu les grands problèmes de l'existence et
« dévoilé les mystères de la destinée; mieux expliqué la
« confusion momentanée de l'esprit et de la matière dans
« un corps périssable animé par une âme immortelle;
(( donné de plus sûr appui à la faiblesse de l'homme; coin-
ce muniqué plus de touchantes directions à ses sentiments
« par le généreux mobile du dévouement et l'aimable
« ardeur de la charité ; enfin apporté plus de consolations
« à la douleur et mis plus d'espérances dans la mort. »
Le succès de ces conférences fut très grand et leur in-
fluence plus considérable encore. Elles répondaient, en
effet, si bien aux exigences religieuses des temps nou-
veaux qu'en 183i, après quatorze ans d'interruption, l'ar-
chevêque de Paris, Mer de Quelen, reconnut la nécessité de
les reprendre à Notre-Dame (2); et lorsque, sous la pres-
sion de l'opinion publique . dont l'abbé Liautard se fit le
blé des faveurs royales. Nommé successivement grand maître de l'Univer-
sité, comte, Pair de France et ministre des affaires ecclésiastiques, il fut
chargé par Charles X, après la Révolution de 1830. de l'éducation du duc
de Bordeaux qu'il ne quitta qu'en 1838, pour rentrer en France, où il
mourut le 12 décembre 1841.
1 Le 8 décembre 1842.
(2) M?r de Quelen avait, tout d'abord, formé le dessein d'inaugurer lui-
même cette prédication nouvelle, et d'en partager les instructions, dont il
avait arrêté le plan, entre sept jeunes prêtres distingués : l'abbé Dupan-
loup, le premier, et MM. Petétot, Ftaysse, Dassance, Thibault, James,
Annat. Mais ils ne firent chacun qu'une conférence. L'abbé Lagrange. Vie
de Mzr Dupanloup , t. I, p. 139 et la note.
La grande nef était restée presque vide et nul écho n'avait répondu à
SI. DE PIERRE (1802-1836 . 323
chaleureux et spirituel interprète (1 1, il les eut confiées,
l'année suivante, à l'abbé Lacordaire, ce fut cette forme
d'enseignement apologétique, « le rêve de sa vie (2) », que
l'illustre prédicateur adopta de préférence; et depuis lui.
il n'est pas un des grands orateurs sacrés qui l'ont rem-
placé dans la chaire de Notre-Dame, qui n'ait tenu à
honneur d'y continuer ce même enseignement.
Deux ans après la cessation des conférences de M. de
Frayssinous, en 182V, W de Cheverus, évèque de Boston,
qui se trouvait à Paris où il avait été appelé pour sa trans-
lation au siège de Montauban, fut invité par M. de Pierre,
son ami, à venir prêcher dans son église, le second di-
manche après Pâques. « Le désir d'entendre un prélat si
renommé, dit son pieux historien (3), attira un audi-
toire illustre et nombreux; on y voyait le grand aumô-
nier, plusieurs évêques et pairs de France. Tout le monde
s'attendait à un sermon éloquent et soigné. Mgr de Che-
verus, qui n'envisageait en toutes choses que le plus utile,
se borna aune instruction simple et familière, mais tou-
chante et pratique , sur le bon exemple dont parlait l'é-
pitre du jour; et quand on lui fit observer, après le
sermon, combien de grands personnages étaient venus
l'entendre : « Je n'en savais rien, reprit-il avec simplicité ;
mais quand je l'aurais su, je n'aurais pas mis plus grand
leurs voix, éloquentes cependant, mais jugées peu sympathiques aux as-
pirations de leur temps et de leur pays.
(1) Foisset, Vie du P. Lacordaire, t. I, p. 325 et la note. L'abbé Liau-
tard, alors curé de Fontainebleau, avait été le premier supérieur du col-
lège Stanislas, fondé par M. Duclaux, le collaborateur et plus tard le
successeur de M. Emery dans la direction du Séminaire de Saint-Sulpice.
et ouvert, sous le nom de Pension Liautard, en octobre 1804, nu-
Notre-Dame des Champs, dans une maison récemment abandonnée par le
Séminaire.
(2) Le P. Chocarne : Le P. Lacordaire, t. I, p. 212.
(3) Vie du cardinal de Cheverus, par M. Hamon, curé de Saint-Sulpice,
5e éd., p. 179.
324 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
pot au feu, » montrant par là combien il était étranger à
tout sentiment d'amour-propre et de vanité, à toute idée
de se faire un nom. Faire le bien était sa seule ambition...
« Le jour de la Pentecôte, il revint prêcher à Saint-
Sulpice le sermon des Vêpres. Ce sermon, quoique impro-
visé, fut très remarquable : il y fit voir comment, dès ce
jour, le Saint-Esprit avait fondé l'Église avec ses quatre
grands caractères, la faisant une par l'union des esprits et
des cœurs; sainte par les hautes vertus des premiers chré-
tiens; catholique par la conversion des hommes de toute
nation qui se trouvaient à Jérusalem , comme autant de
députés des différents peuples de la terre; ajjostoliqiw
par la soumission de tous les fidèles à l'enseignement et
à l'autorité des Apôtres. »
En 1826, M. de Pierre profita du Jubilé accordé par
Léon XII. pour faire donner dans son église, par les Pères
Mac Carthy, de Place, Gayon et Petit, jésuites, une
mission qui fut un triomphe pour leur parole éloquente,
par l'affluence de leurs auditeurs et le grand nombre de
retours à Dieu qu'ils obtinrent.
Deux ans plus tard , il faisait monter dans la chaire de
Saint-Sulpice un jeune prédicateur, l'abbé Combalot,
déjà renommé comme un grand apôtre de Jésus-Christ,
qui, pendant pins de trente ans qu'il s'y fit entendre, ne
cessa pas d'y attirer et d'y enthousiasmer les foules par
sa voix puissante, ses vaillantes ardeurs et son dévouement
héroïque à la sainte Église et à son Chef vénéré (1).
M. de Pierre rétablit aussi les deux confréries les plus
anciennes et les plus importantes de Saint-Sulpice , celle
du Saint-Sacrement et celle de la Sainte Vierge.
(1) Mer Ricard : l'Abbé Combalot, éd. in-12 de 1892, p. 018 et 619. Né
à Chatenay (Isère) le 21 août 1797, il mourut au presbytère de Saint-
Roch, le 18 mars 1873. Il avait prêché, pour la dernière fois, la retraite
pascale et le mois de Marie, à Saint-Sulpice, en 1872.
M. DE PIERRE (1802-1836). 325
Il réorganisa d'abord celle du Saint-Sacrement, en
1808, en confia la direction à l'abbé Abeil, son second
vicaire, et élabora avec lui un règlement de cette con-
frérie, qu'elle approuva plus tard, avec quelques chan-
gements, dans son Assemblée générale du 19 mars 1838.
En 1820, il établit le pieux usage de la récitation pu-
blique du chapelet, chaque dimanche, après l'office du
soir, et chargea de la présider un de ses prêtres, l'abbé
Le houx. Cette dévotion s'étendit rapidement; et, sur la
demande de l'abbé, les fidèles les plus fervents à la pra-
tiquer se réunirent en association sous le titre de Confré-
rie de l'Immaculée- Conception, que deux brefs de Pie VII,
du 8 août 1823, approuvèrent et enrichirent de nom-
breuses indulgences (1). En peu d'années cette confrérie
compta une centaine de membres.
Ce fut également sous son administration curiale et
avec son assentiment, qu'indépendamment de l'ouvroir
du n° 9 de la rue Mézières et de la maison de la Petite
OEuvre, du n° 18 de la rue du Regard, furent fondés sur
la paroisse plusieurs établissements charitables pour l'é-
ducation des enfants pauvres :
1° Celui de Saint-Nicolas, créé en 1827 par l'abbé de
Bervanger en faveur des jeunes garçons de huit à douze
ans, destinés à vivre de leur travail. Dirigé depuis 1859
par les frères des Écoles chrétiennes , il est la première
des Écoles professionnelles qui ait été ouverte, à Paris
aux garçons, et « où ils trouvent la facilité de joindre
« à l'apprentissage d'un métier des études élémen-
« taires de grammaire, de géographie, d'histoire sainte,
« de dessin linéaire et de géométrie pratique, princi-
« paiement celle de la religion sans laquelle un ouvrier
« ne trouve dans la vie ni règle pour ses devoirs, ni
(1) Le pape Pie VII mourut le 20 du même mois, âgé de 81 ans.
326 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
« consolation dans ses peines ni espérance pour son ave-
« nir (1) ».
Situé rue de Vaugirard, n° 92, il renferme actuellement
260 élèves répartis dans ik ateliers, dont 8 : ceux de re-
lieurs, tourneurs en optique, compositeurs-typographes,
imprimeurs-typographes, monteurs en bronze, ciseleurs
sur métaux, menuisiers et malletiers, n'exigent qu'un ap-
prentissage de trois ans; et 6 : ceux de sculpteurs sur bois,
facteurs d'instruments de précision, graveurs-géogra-
phes, mécaniciens, lithographes et électriciens, en exigent
un de quatre ans (2).
2° L'œuvre des Amis de l'enfance, fondée en mai 1828
par M. Boblet, dans le but de placer en pension ou en
apprentissage des garçons de la classe ouvrière, pauvres
ou abandonnés.
3° L'œuvre des Enfants délaissés, fondée au n° 15 de la
rue Notre-Dame des Champs par la comtesse de Carcado
pour les jeunes filles de quatre à vingt et un ans, dans le
but de leur donner, avec une éducation religieuse, l'ins-
truction primaire et celle professionnelle de lingères ou
de couturières.
ï° L'établissement des Enfants de la Providence, fondé
en 1807 par M'le Buchère d'abord sur la paroisse Saint-
Germain l'Auxerrois, puis au n° 13 de la rue du Regard,
et qui sous la direction des Sœurs de Bon-Secours poursuit
le même but que l'œuvre des Enfants délaissés.
5° et l'œuvre des Jeunes économes, fondée vers 1823
par Mllc Lauras dans un but identique à celui de la Petite
Œuvre, c'est-à-dire en vue de pouvoir, à l'aide des col-
lectes de ses membres, élever chrétiennement de jeunes
(1) Extrait d'un Prospectus de l'établissement.
(2) Et en plus 770 élèves dans ses classes, ensemble 1.030 élèves dans la
seule maison du n° 92 de la rue de Vaugirard. L'œuvre compte, en outre,
maintenant deux autres établissements : l'un à Issy avec 1.050 élèves, L'autre
à Igny avec 810 élèves; soit au total, dans les 3 maisons, 2.890 élèves.
M. DE PIERRE (1802-1836). 327
filles pauvres, en leur apprenant l'état de lingères. A la
moit de M. de Pierre l'œuvre entretenait une trentaine
de ces jeunes filles dans la maison de MUe de Capron, au
n° 24 de la rue Notre-Dame des Champs.
Il fut enfin l'heureux témoin de la fondation sur sa
paroisse de la grande œuvre de la Propagation de la Foi,
en 1823; de celle de Saint-François Régis pour le mariage
des indigents en 1826, rue Cassette, au coin de la rue de
Yaugïrard ; et de la Conférence de Saint-Vincent de Paul de
Saint-Sulpicc en 1835 (1) pour la visite et le soulagement
des familles pauvres de la paroisse.
Les événements de 1830 (2) ne surprirent pas M. de
Pierre. Il savait par W Frayssinous, resté son ami, que
depuis plusieurs années la monarchie des Bourbons était
menacée par une conspiration fomentée dans les sphères
politiques et particulièrement dans l'Université 3 , que
(1) L'origine de la conférence de Saint-Sulpice se confond avec celle de
la Société de Saint- Vincent de Paul elle-même. Mais elle a eu une exis-
tence séparée, dès que le nombre des sociétaires a été assez considérable
pour exiger leur séparation entre plusieurs sections différentes.
Les Séances régulières de la section de Saint-Sulpice , qui a pris dès lors
le nom de Conférence île Saint-Sulpice, ont commencé le 15 décembre
1835, avec M. Chaurand pour Président, M. Le Taillandier (Auguste) pour
secrétaire, et M. Delalice pour trésorier. Son premier budget, celui de
1836, se solda par 1.569 fr. 50e de recettes et 1.495 fr. 55e de dépenses. Dès
1839, il montait à un total de receltes de 4.302 fr. 80e et à un total de
dépenses de 4.234 fr. Elle se réunit aujourd'hui, le vendredi soir, dans la
chapelle des fonts baptismaux de l'église; et son budget est, en moyenne,
de 8 à 10.000 fr. par an.
(2) Le malin du dimanche, 1er août 1830, l'église Saint-Sulpice avait été
fermée sur l'injonction de la municipalité provisoire du XIe arrondisse-
ment; mais une heure après, elle fut rouverte par un ordre formel du
Gouvernement provisoire, et le service religieux y fut célébré comme à
l'ordinaire.
Le 27 juillet 1831, un service funèbre y fut célébré, comme partout
d'ailleurs, à l'occasion de l'anniversaire de la mort de toutes les personnes
qui avaient succombé dans les journées de Juillet.
(3) « Je sais de science certaine qu'il s'est formé, plusieurs années avant
1830, une conspiration contre la branche ainée ou plutôt contre le parti
!
328 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SL'LPICE.
la Restauration avait eu la sagesse de supprimer tout d'a-
bord (1 , mais qu'ensuite, après les Cent Jours, elle eut le
tort de conserver : Car, comme l'a écrit l'abbé Hautain,
l'un de ses maîtres les plus admirés, avant qu'il l'eût quittée
avec éclat pour entrer dans les Ordres, « c'est surtout
« l'Université qui a renversé la Restauration, et la Révolu-
« tion de Juillet a été faite par elle et à son profit (2) ».
Mais si cette Révolution ne l'étonna pas, elle l'affecta
tellement que sa santé en éprouva une altération dont
elle ne se remit plus. Le choléra de 1832, qui sévit avec
une extrême violence dans le XIe arrondissement, acheva
de la miner, par les fatigues excessives qu'il lui occa-
sionna. Depuis lors, il ne fit plus que languir et il suc-
comba, le 20 janvier t83G, à une longue maladie de 5 à
6 mois. Il fut inhumé, par une autorisation spéciale du
Gouvernement, dans la sacristie de la chapelle souterraine
de la Sainte Vierge: et la piété des fidèles lui fit ériger
par la fabrique (3) un petit monument, placé derrière le
chœur, dans son arcade du fond, en face de la chapelle
de la Sainte Vierge, et formé de son buste de profil (4),
qui se détache d'un médaillon, soutenu par deux anges
ultra-royaliste, qu'on l'accusait de favoriser dans l'intérêt du pouvoir
absolu, et pour détruire le gouvernement constitutionnel. Je sais que cette
conspiration avait sinon son foyer, au inoins ses principaux ressorts dans
l'Université; je le sais et je l'affirme, parce qu'à deux reprises des hom-
mes haut placés dans la hiérarchie de l'instruction publique sont venus
me faire des ouvertures et me presser d'y prendre part. » L'abbé Bau-
tain, de l Éducation publique en France au xixe siècle, p. 49.
(1) Par lOrdonnance royale du 17 février 1815, qui démembrait l'Uni-
versité et la divisait en 17 Universités régionales indépendantes.
(2) L'abbé Bautain, loc. cit., p. 50.
(3) Ce pelit mausolée, œuvre de M. Leharivel-Durocher, fut inauguré
le 20 juin 1839, jour de la célébration de la fête de saint Sulpice. Il
coûta 8.000 fr.
(4) Il existe, en outre, au Réfectoire du Presbytère un portrait de M. de
Pierre, peint par sa nièce, M11" de Vivens , qui lui avait été commandé
par la Fabrique. P.-V. de la séance du Conseil, du G mars 1846.
M. DE PIERRE (1802-1836). 329
et surmonté d'une croix. Au bas de ce médaillon est gra-
vée, sur une plaque de bronze, l'inscription suivante qui
témoigne, en termes touchants, de la gratitude des parois-
siens envers sa mémoire :
« Ici repose, dans le Seigneur, Messire Charles-Louis-
« François Marie de Pierre, curé de Saint-Sulpice, vicaire
« général du Diocèse. Il gouverna cette paroisse pendant
« trente-quatre ans et lui rendit son antique splendeur.
« Il mourut
« Le 20 janvier 1836
« Agé de soixante-quatorze ans.
« Pour ne pas se séparer de ses paroissiens pendant sa
« vie, il avait refusé les honneurs de l'épiscopat. Ils ont
« voulu le conserver au milieu d'eux même après sa mort. »
Et au-dessous est son blason, composé d'une couronne
de comte, de deux lions, de trois étoiles et de trois épis,
avec cette devise : Nescit occasion etiam in avitlso vita.
CHAPITRE XV
m. collin (1836-1851
Sommaire : Son extraction. — Ses études. — Les débuts de son apostolat à
saint-Denis et à la Madeleine. — Mtr de Quelen le nomme successivement
curé de Saint-Philippe du Roule, de Saint-Eustache et de Saint-Sulpice. —
Intérêt spécial qu'il porte à l'œuvre des catéchismes et à la dispeusatiou de
la parole sainte. — Prédications de l'abbé Dupanloup et de l'abbé Combalot.
— il donue les 10 lampes de la nef et l'orgue d'accompagnement. — Il con-
tribue pour 10.000 francs à la restauration de la chapelle de la Sainte Vierge,
faite par M. Baltard, architecte de la Ville. — Cinquième démembrement de
la paroisse Saint-Sulpice, par l'attribution d'une partie de son territoire à la
paroisse de Saint-Jacques du Haut-Pas. — Mort de M. Collin. — Son éloge
funèbre par l'archevêque de Paris, MBr Sibour, son ancien professeur. —
Hommage qui lui est rendu par M. Carrière, supérieur de la Compagnie de
Saint-Sulpice.
M. l'abbé Charles Collin naquit à Paris, le 5 janvier
1796. Il était l'aine d'une nombreuse famille, riche de foi
et de vertus plus que des biens de ce monde, et avait perdu,
jeune encore, ses deux frères : l'un, déjà engagé dans la
sainte cléricature; l'autre, élève distingué de l'école des
Arts et Métiers de Chàlons, qui trouva une mort préma-
turée dans les eaux de la Marne.
Dès ses plus tendres années, il aspira à la gloire du
sacerdoce et révéla sa vocation. Après avoir fait avec
succès ses premières études de grammaire et de littérature
au petit Séminaire, il entra, en 1815, au Séminaire de
Saint-Sulpice dont M. Duclaux était le supérieur. Il y sui-
vit, pendant cinq ans, tous les cours de philosophie et de
théologie sous la direction de MM. Carrière et Carbon, ses
M. COLLIN 1836-1851% 331
professeurs, qui prisaient très haut son mérite (1), et
auxquels il voua de son côté une si vive reconnaissance
que jusqu'à sa mort il ne laissa jamais passer un long-
temps sans venir les revoir et se retremper auprès de ces
maîtres vénérés, comme à la source des plus pures vertus
sacerdotales. Il fut ordonné prêtre par Mgï de Quelen, le
26 mai 1820.
A partir de ce moment, et pendant les trente-une an-
nées qu'il exerça le ministère des âmes, quelle est l'abon-
dance des moissons qu'il a recueillies dans les diverses
parties du champ de l'Église qu'il lui fut donné de cul-
tiver, Dieu seul le sait; car sa profonde humilité l'em-
pêcha d'en jamais rien révéler ni à ses proches ni même
à ses plus intimes amis.
Envoyé d'abord à Saint-Denis, il s'y voua à l'instruction
religieuse de ses ouailles. Il a laissé de cette époque, dans
ses cahiers, un cours complet de conférences sur le dogme
et sur la morale, où tous les points les plus épineux et les
plus controversés de la doctrine catholique sont traités
avec une précision et une clarté de nature à les rendre
accessibles aux intelligences les moins cultivées. Il était
depuis cinq ans à ce poste laborieux, lorsqu'il fut signalé
à l'attention de son archevêque. Le prélat fut frappé de
la modestie de ce prêtre, jeune, plein de zèle pour la
gloire de Dieu et le bien des pauvres et qui ne cherchait
qu'à tenir sa vie ignorée du public. Il conçut dès lors
pour lui une très grande estime et lui en donna des
preuves multipliées. A la fin de l'année 1826; il le nomma
vicaire à la Madeleine et l'y laissa jusqu'en 1832 où il l'ap-
pela à la cure de Saint-Philippe du Roule, puis bientôt
après à celle de Saint-Eustache, et enfin à celle de Saint-
Sulpice, dont il prit possession, le 19 juillet 18:56, en la
(1) A peine avait-il reçu le Diaconat, qu'il fut chargé, pendant quelque
temps, de la classe de seconde au petit Séminaire.
332 HISTOIRE- DE L'EGLISE SAINT-SULP1CE.
fête de saint Vincent de Paul. Il y a lieu d'observer toute-
fois qu'avant de le nommer à cette dernière cure, M81 de
Queleu avait exprimé à M. le supérieur de Saint-Sulpice
l'intention et le désir de la rendre à la direction de sa
Compagnie, comme avant la Révolution, et que c'était
M. Garnier qui avait cru devoir décliner l'offre de l'ar-
chevêque, en se fondant sur l'insuffisance de son person-
nel, qui ne lui permettait pas de l'accepter.
Du jour de son installation, M. Collin s'appliqua à
donner un nouvel essor à toutes les œuvres de piété et de
charité de la paroisse, aux confréries du Saint-Sacrement
et de la Sainte Vierge, dont il contribua à accroître nota-
blement le nombre des membres, aux sociétés de Saint-
François Xavier et de Saint-Régis, qu'il aida de ses sub-
sides; à la conférence de Saint- Vincent de Paul dont il
patronna activement les débuts, à toutes les autres œu-
vres d'assistance des pauvres dont il se montra jusqu'à
l'avant-veille de sa mort le plus généreux et le plus assidu
visiteur.
Mais ce fut surtout la première de toutes ces œuvres,
celle des catéchismes, qui fut l'objet constant de sa plus
tendre sollicitude. Il les honorait fréquemment de sa pré-
sence, applaudissant au talent d'exposition des catéchis-
tes, interrogeant les enfants, leur expliquant les points
qu'il voyait restés obscurs dans leur esprit et distribuant de
belles récompenses aux plus appliqués. « Mes catéchismes,
se plaisait-il à redire, sont le Séminaire de ma paroisse, »
et c'était vrai : car la règle, qui y est fidèlement suivie,
de travailler à l'éducation chrétienne non moins qu'à
l'instruction religieuse des enfants, de les pénétrer de
l'esprit de la religion en même temps que de ses vérités
et de les former à sa pratique, est une méthode excel-
lente pour préparer à la paroisse une pépinière, inces-
samment renouvelée, déjeunes et pieux fidèles.
Il veillait également à ce que la parole de Dieu fût
M. COLLIN (1836-1851), 333
toujours annoncée à l'église par ses vicaires dans une forme
simple et substantielle; et il s'attachait à faire monter
clans la chaire les orateurs les plus évangéliques, ceux
qui ne visaient qu'à remuer les âmes et à les porter à-
Dieu, tels que l'abbé Dupanloup, qui y prêcha tout l'Avent
de 1846 sur la prière (1), et l'abbé Combalot, son prédi-
cateur préféré, dont l'âme de feu et la parole vibrante
électrisaient les masses (2).
Il n'avait pas un moindre souci de tout ce qui pouvait
ajouter à la splendeur du culte et à l'embellissement de
l'église, et il y contribuait lui-même très libéralement, per-
suadé qu'il était que les cérémonies les plus majestueu-
ses, les chants les plus beaux, l'ornementation la plus
riche et la plus artistique du temple ne peuvent qu'élever
les âmes et leur inspirer des sentiments de respect et
d'adoration envers la souveraine Majesté de Dieu.
Quelques semaines après sa prise de possession, il ob-
tient de son Conseil de fabrique un vote de 10.000 francs
pour la séparation des dépendances de la sacristie et
l'aménagement de l'oratoire et du vestiaire des ecclésias-
tiques, de la chambre des prédicateurs et de son propre
cabinet, et en même temps l'augmentation du personnel
du chœur par l'adjonction d'un ténor et d'un contrebas-
sier (3).
En 1837, il fait faire le ravalement et le grattage de
toute l'église, aux frais communs de la ville et de laFa-
(1) L'abbé Lagrange, Vie de i»/sr Dupanloiq) , t. 1, p. 398.
(2) « J'ai occupé, à des intervalles rapprochés, la seule chaire de Saint-
Sulpice pendant 30 années. » Lettre de l'abbé Combalot à Me? Guibert,
archevêque de Paris, du 28 avril 1871, citée dans sa vie par M^r Ricard,
p. 611 et 612.
(3) Ce fut le 27 juillet 1836 que M. Van Cleemputte, agent voyer, fut
nommé architecte de la Fabrique et de l'église de Saint-Sulpice, en rem-
placement de M. Godde, son beau-père, qui venait d'être nommé lui-même
architecte en chef de la ville de Paris.
334 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
brique (1). En 1838, il fait terminer les boiseries de la
sacristie et établir des deux côtés de la chaire deux bancs
d'oeuvre destinés : l'un à la confrérie du Saint-Sacrement,
l'autre à celle de l'Adoration perpétuelle (2).
En 1839, il remplace les deux petits lustres de la cha-
pelle de la Sainte Vierge par deux plus grands, dont une
loterie l'aide à payer le prix, et achève, à ses frais et à
ceux de M. l'abbé Goujon, son prêtre sacristain, la déco-
ration de la chapelle du Sacré-Cœur, qui lui coûta plus
de -20.000 francs, non compris les 3.000 francs qu'il
obtint du ministre de l'Intérieur pour l'exécution' par le
sculpteur Lebrun de la statue en bois du grand Christ
de l'autel de cette chapelle, destiné à remplacer l'an-
cien (3), au commencement de la même année.
La Fabrique l'avait autorisé à l'achat d'un riche reli-
quaire, pour y placer la relique du patron de l'église
Saint-Sulpice, que l'archevêque de Bourges, Mgr de Vil-
lèle, lui avait donnée le 28 novembre précédent, et qu'il
exposa, pour la première fois, à la vénération des fidèles,
le 20 janvier 1839, en la fête du Saint, à laquelle il
donna une grande solennité.
L'année suivante, il fait rétablir, au-dessus du grand
portail, l'inscription, commémorative de la dédicace de
l'église en ces termes :
D. 0. M.
Ad perpetuam rei memoriam
Anno MDCCXXXXV Die XXX mensis Junii
Hoc templum
Solemni ritu juxta priscum Ecclesiae morem
(1) La Fabrique, pour la moitié à sa charge des frais de ce travail, pava
10.431 fr. 50e.
(2) Ces deux bancs d'oeuvre furent ouverts aux deux Confréries le
27 octobre 1839. jour de la Réparation et de la fête de la confrérie du Saint-
Sacrement.
(3) Œuvre de Jean Pelletier, qui l'avait exécutée en 1696.
M. C0LL1N (1836-1851). 335
Consecravit et B. Sulpitio nuncupavit
Generalis Cleri gallicani conventus
XXI episcopis religiosum cultum exequentibus
Ut domus Domini
Concordi prœsulum Ministerio Sanctificata
Esset in Sempiternum
Tabernaculum Dei cum hominibus
Pietatis tabernaculum et Urbis decus.
Il fait don à la Fabrique d'un superbe ornement
blanc complet pour les grandes fêtes, qu'il avait payé
8.000 francs. Il négocie en même temps avec l'adminis-
tration municipale la restauration de la chapelle de la
Sainte Vierge dont le devis dressé par M. Baltard, l'ar-
chitecte de la ville, montait à 30.800 francs; et il décide
sa Fabrique à y coopérer pour 10.000 francs en s'enga-
geantà y contribuer lui-même pour 5.000 francs (1). Les
travaux d<* cette restauration, dont le montant total dé-
passa 50.000 francs, furent terminés et reçus le li août
181p3, en présence du comte de Rambuteau, préfet de la
Seine. Et le lendemain soir, fête de l'Assomption, la cha-
pelle, décorée de huit lustres et candélabres, contenant
plus de 300 bougies, fut illuminée magnifiquement, ainsi
que la coupole supérieure et la trompe , au fond de la-
quelle s'élève la belle statue de l'auguste Vierge (2).
Il fut moins heureux dans les démarches qu'il lit à la
même époque, auprès de la direction des Beaux-Arts,
pour obtenir la restitution du monument funéraire de la
duchesse de Lauragais. Ce mausolée, en pierre, haut de
lm,72, représentant une femme en pleurs, appuyée sur
(1) Procès-verbal de la Séance du Conseil de fabrique, du 17 décembre
1841.
(2) Nau, Rapport sur les archives de l'église de Saint-Sulpice, p, 128.
— Voir à la page 337 la reproduction que nous donnons de la chapelle
actuelle de la Sainte Vierge.
336 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
une colonne brisée qui portait cette inscription : Ut flos
ante diem flebilis occidit, était l'œuvre de Bouchardon et
était placé dans l'église sur le pilier de gauche en sortant
de la chapelle Saint-Michel (1). Enlevé à la Révolution, il
était déposé, en 18V0, au milieu des herbes, dans une
des cours de l'école des Beaux-Arts. Mais ce fut en vain
que M. Collin le réclama. L'administration de cette école
refusa de s'en dessaisir.
Le jour de la Toussaint de J8i2, il livra au culte la
chapelle des âmes du Purgatoire, dont la décoration avait
été confiée au peintre Heim, membre de l'Institut, qui
mit trois ans à l'exécuter. M. Collin en paya seul les frais,
de compte à demi avec la ville (2).
En 1843, il fit à sa Fabrique, pour la décoration de la
nef, le don considérable des dix riches lampes à suspen-
sion qui l'éclairent encore aujourd'hui (3).
Ce fut lui également qui, en 1844, dota le chœur de
l'orgue d'accompagnement, qui orne son chevet (4).
(1) P.-V. de la Séance du Conseil de fabrique, du 24 novembre 18i3,
p. 54.
(2) Ce ne lut qu'en 184G que fut posée la balustrade en pierres de liais
de celte chapelle ainsi que celle de la chapelle du Sacré-Cœur. La Fabrique
avait alors le projet, auquel il est regrettable qu'elle n'ait pas donné
suite, de clôturer, de la même manière, les huit autres chapelles de la nef.
M. Collin prit à sa charge le paiement de cette balustrade de la chapelle
des âmes du Purgatoire, ainsi que celui de son dallage en marbre et de
son autel, également en marbre, qui fut exécuté sur les dessins de
M. Ginain, l'architecte de la ville, membre de l'Institut. V. P.-V. de la
Séance du Conseil de fabrique, du 7 août 1846.
(3) Ces dix belles lampes sont en cuivre doré : 2 sont formées chacune
de 6 becs dits Carcel; les 8 autres chacune de 6 becs simples. Elles furent
inaugurées le lô août 1843, jour de l'Assomption de la Très Sainte Vierge.
Trois des becs de chacune de ces lampes sont maintenant remplacés par de
gracieux bouquets de lumière électrique.
(4) Il en paya, de ses deniers, toute la facture dont le prix s'éleva à
9.000 fr. ; et ce fut M. l'abbé Goujon qui se chargea des frais de menuise-
rie et de sculpture du buffet et du clavier de cet orgue, qui montèrent à
2.700 fr.
M. COLLIN (1836-1851;.
337
vue de la Chapelle fie la Sainte Vierge.
ÉCLISIÎ SUNT-SULPICE.
22
338 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICB.
Le 22 novembre de la même année, il dut réunir son
Conseil de fabrique pour lui communiquer, de la part
de l'archevêque, Mgr Affre (1), une pétition adressée, le
17 juillet précédent, au préfet de la SeiDe par le Maire
du XIIe arrondissement au nom de la Fabrique de l'église
de Saint-Jacques du Haut-Pas et d'un certain nombre
d'habitants de la paroisse Saint-Sulpice, qui, se fondant
sur l'éloignement de la plupart d'entre eux de l'église
Saint-Sulpice, demandaient la réunion du territoire oc-
cupé par eux à la circonscription de l'église Saint-Jac-
ques, à savoir : du côté droit de la rue d'Enfer depuis la
grille de la rue Saint-Dominique d'Enfer jusqu'au Carre-
four de l'Observatoire (nos 30 à 80 inclusivement) ; de la
rue du Yal-de-Grâce, depuis la rue d'Enfer jusqu'à la rue
de l'Est (nos pairs 4 à 8 et impairs 9 à 15) ; et de la rue de
l'Est en totalité.
Le Conseil formula une protestation immédiate contre
ce nouveau démembrement de son territoire (2).
11 la motivait sur ce que si, en général, c'est une me-
sure fâcheuse qu'un changement de circonscription qui,
sans une nécessité absolue, vient rompre inopinément des
habitudes anciennes, cette mesure, lorsqu'elle s'applique
à une circonscription de paroisse, a, de plus, l'inconvé-
nient d'exposer la paroisse démembrée à se voir privée,
par une diminution de ses ressources, du moyen de pour-
voir à des engagements pris pour plusieurs années. C'est
précisément, disait-il, ce qui arriverait pour Saint-Sul-
pice, dont la restauration nécessaire du grand orgue
impose à sa Fabrique, pendant huit ans, de lourdes char-
ges, calculées en prévision des ressources que peuvent
(1) Mer de Quelen était mort le 31 décembre 1839.
(2) Ce démembrement, qui eut lieu le 19 mars 1846, était le cinquième
depuis celui de 1212, et le quatrième depuis celui de 1776 qui constitua le
territoire delà paroisse du Gros-Caillou.
M. COLLIN (1836-1851). 339
lui procurer le bail des chaises et la moyenne de son ca-
suel, mais auxquelles elle ne pourra plus faire face si une
partie notable de ces ressources lui est enlevée avec la po-
pulation du quartier nouveau dont on demande la dis-
traction.
Et s'élevant à des considérations d'un ordre plus élevé,
il montrait qu'il est de l'intérêt de la foi que dans une
grande capitale comme Paris, il y ait quelques églises,
plus en vue que d'autres par leurs traditions de piété et
leur beauté architecturale, qui conservent au culte toute
sa solennité; mais que cette solennité appelle une po-
pulation nombreuse parce qu'elle entraine à des frais in-
compatibles avec une circonscription restreinte ;
Que parmi ces grands centres de dévotion et de ferveur
la paroisse de Saint-Sulpice s'est toujours distinguée :
autrefois, lorsqu'elle était seule dans toute l'étendue des
Xe et XIe arrondissements, et aujourd'hui encore où, toute
réduite qu'elle soit par l'érection de six autres paroisses
sur son territoire ancien (1), elle n'en reste pas moins la
plus belle paroisse de la chrétienté par la composition
de son clergé, la piété exemplaire de ses fidèles et le
voisinage du grand Séminaire dont l'assistance ajoute tant
d'éclat à ses cérémonies et fait produire tant de fruits à
ses catéchismes ;
Que songer à diminuer la pompe du culte à Saint-
Sulpice, serait donc faire un grand tort à la religion et
causer une grande douleur à ceux qui, de toutes les par-
ties du monde, viennent s'édifier à ses solennités;
Et que c'est au surplus ce que pensent beaucoup de
ceux dans l'intérêt desquels on croit pouvoir provoquer
cette mesure, comme l'a constaté l'enquête, prescrite à
ce sujet par l'archevêque de Paris, et à la suite de la-
(1) Saint-Pierre du Gros-Caillou, Saint-Germain des Prés, Saint-Thomas
d'Aquin, Sainte- Valère , les Missions étrangères et l'Abbaye-aux-Bois.
3iO HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
quelle le commissaire chargé de la diriger a, dans un
avis fortement motivé, conclu formellement au rejet de
la demande ou tout au moins à son ajournement jusqu'à
une refonte générale des circonscriptions.
Il ajoutait que si la considération des distances était
une règle à laquelle tout dût céder, il aurait droit de
réclamer l'attrihution des territoires compris entre les
rues de Bussy , des Boucheries et de l'Ancienne-Comédie
qui, quoique appartenant à Saint-Germain des Prés, sont
plus près de Saint-Sulpice; et que d'ailleurs pour plu-
sieurs des maisons réclamées par Saint-Jacques la com-
munication avec Saint-Sulpice était presque aussi courte
et même plus facile, et que pour quelques-unes, celles qui
sont situées dans l'enclave du Luxembourg , le change-
ment proposé serait contraire aux principes d'une bonne
circonscription non moins qu'aux convenances des habi-
tants.
Il faisait observer enfin que si l'on invoquait la néces-
sité d'augmenter les ressources de la paroisse Saint-Jac-
ques, il convenait de ne pas oublier qu'un important
avantage avait été accordé, en 18i3, aux paroisses d'une
moindre étendue, au préjudice de celles d'une plus
grande, par l'augmentation du fonds commun sur le pro-
duit des pompes funèbres.
Malgré leur légitimité et l'insistance de la Fabrique à les
faire valoir (1), ces raisons ne prévalurent ni dans les
conseils du préfet de la Seine ni dans ceux de l'arche-
vêque de Paris dont une ordonnance, datée du 19 mars
18i6, prescrivit la translation de cette partie du terri-
toire de Saint-Snlpice et son attribution à Saint-Jacques
du Haut-Pas.
La restauration du grand orgue, dont il était fait men-
tion dans cette protestation du Conseil de fabrique, lui
(1) Délibérations du Conseil de fabrique des 3 juillet et 22 août 1845.
M. C0LL1N ; 1836-1851). 341
créa, en effet, une charge fort onéreuse, qu'aggravèrent
encore les lenteurs apportées à son exécution : car il
l'avait ordonnée dès le 14 mars 1834 et ce ne fut que
douze ans après, le 7 août 1846, qu'il put en voter la récep-
tion. Ce long retard avait eu plusieurs causes : d'abord
le ravalement général de l'église et l'énorme poussière
qu'il y soulevait; puis le projet, caressé pendant bien
des mois, de transformer la chambre de la soufflerie de
l'orgue en une salle des catéchismes pour remplacer celle
de la chapelle souterraine de la Sainte Vierge, dont la
préfecture de police exigeait la fermeture à cause de son
insalubrité (1); ensuite la dévastation de l'orgue par le
facteur lui-même qui était venu l'accorder pour les
fêtes de Pâques (2) ; enfin les études d'améliorations or-
données par le Conseil, notamment au sujet de l'applica-
tion du système Barker et de son levier mécanique au
clavier (3).
Mais l'augmentation de la dépense n'était pas le moin-
dre inconvénient de ce retard. Dans le devis primitif de
1834, elle n'était évaluée qu'à 15.500 francs; en 1843, le
Conseil, sur sa demande, recevait du facteur, chargé du
travail, deux mémoires : l'un .relatif à la restauration
proprement dite de l'orgue, qui montait à 23.125 francs;
l'autre, concernant les améliorations qu'il avait intro-
duites dans plusieurs des jeux, qui s'élevait à 17.740, soit
au total de40.8G5 francs; et, sur le rapport d'une commis-
sion spéciale qu'il avait chargée de l'examen de ces deux
mémoires, il arrêtait, dans sa séance du 15 novembre
1844, à 32.000 francs, c'est-à-dire à plus du double du
(1) Délibération du Conseil de fabrique du 13 juin 1843.
(2) V. Procès-verbaux de la Séance du Conseil de fabrique du 12 avril
1843 et de celle du 12 juillet de la même année, où son opposition à une
ordonnance de référé du 22 mai précédent fut validée par arrêt de la
première cbambre delà Cour d'appel de Paris, du 19 août suivant.
(3) Décision du Conseil de fabrique du 17 mars 1843.
3i2 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
devis primitif, le prix total des travaux faits et restant à
faire au grand orgue.
Leur réception eut lieu les 19 et 22 janvier 18iG, et il
ne la vota, le 7 avril suivant, que sur l'avis d'une com-
mission de gens de l'art auxquels il en avait confié l'exa-
men, et qui, en concluant avec éloges à leur admission,
déclaraient que « les améliorations apportées à ce bel
« instrument, le rendaient le plus important et le plus
« complet de France il) ».
Moins de onze ans après, une autre commission spéciale
constatait « que la plupart des éléments qui le compo-
« saient et qu'on se proposait simplement d'améliorer,
« étaient réduits à un tel état de délabrement, q\\ avant
« un an, il serait impossible de se servi?' de cet orgue (2) » ;
et, en conséquence, le Conseil fut obligé d'en voter, à
nouveau , la restauration (3).
Le paiement des annuités qu'impliquait pour la Fabri-
que son acceptation de cette malencontreuse réparation,
coïncidant avec la baisse de ses revenus, produite parla
distraction de la partie de son territoire cédée à Saint-
Jacques, avait détruit l'équilibre de ses budgets; et la
Révolution de 18i8, qui éclata sur ces entrefaites, ne fit
qu'accroître ses embarras financiers. Mais le désintéresse-
ment de M. l'abbé Collin et la sage prévoyance de son
Conseil réussirent, en deux ans, à les faire cesser et à
préparer même toute une série d'années prospères, que
(1) Rapport de la commission scientifique et artistique, du 4 avril 18i6,
lu au Conseil de fabrique, dans sa séance du 7 de même mois. Dans celte
même séance, le Conseil vota l'assurance de l'orgue à la Compagnie « la
Providence » pour une valeur de 200.000 fr. à raison de 0,80^ par
1.000 fr.
(2) L'abbé Lamazou , Étude sur l'orgue monumental de Saint-Sulpice
et la facture d'orgue moderne, p. 20, Paris. E. Repos, éditeur. Brochure
in-8° de 122 pages.
(3) Par traité avec M. Cavaillé-Coll du 26 mars 1857. V. P.-V. de la
séance du Conseil du 15 mai suivant.
M. COLLIX (1836-1851). 343
malheureusement M. le curé ne put pas mettre à profit.
Un mal subit, dont on ne soupçonnait pas la gravité,
mais qui provenait d'une altération, déjà ancienne, de
sa santé, l'enleva, en trois jours, le 16 janvier 1851, à
l'affection de sa paroisse. Il n'était âgé que de cinquante-
cinq ans.
Sa dernière pensée fut pour les pauvres qui , toute sa
vie, lui avaient inspiré la plus tendre charité. 11 légua,
par son testament, 3.400 francs de rente annuelle 5 p. 100
sur l'État à la Fabrique, à la charge par elle d'employer
sur son montant 200 francs par an à faire dire deux
messes pour le repos de son àme , l'une le jour de sa fête,
le 4 novembre, et J'autre le jour de sa mort, le 16 jan-
vier, et de verser les 3.200 francs de surplus, chaque
année, entre les mains de ses successeurs, pour être em-
ployés par eux en œuvres pies , à leur choix.
Dès le lendemain de sa mort, à la demande du Conseil
de fabrique, au nom de tous les fidèles, le préfet de police
permit le dépôt provisoire de son corps dans un des ca-
veaux de l'église; et, seize ans après, une décision im-
périale du 28 avril 1866, sur l'avis favorable du garde
des sceaux, M. Baroche (1), autorisa son inhumation
définitive dans ce même caveau, par une exception à la
règle tracée par ]e décret du 23 Prairial an XII.
M. l'abbé Collin avait été honoré de la considération
et de la bienveillance les plus affectueuses de la part des
trois archevêques de Paris, sous l'autorité desquels il avait
exercé le saint Ministère. WT de Quelen lui avait fait fran-
chir, en dix ans, tous les degrés de la hiérarchie sacer-
dotale, depuis l'humble place de vicaire à Saint-Denis
(1) Msr Darboy, consulté, au préalable, par le ministre des cultes, avait
répondu, le 26 avril, « qu'il ne voulait pas combattre la demande de la
« famille et de la Fabrique, inspirée par un sentiment très louable, mais
« qu'il désirait qu'il lui fût permis de ne pas l'appuyer ».
344 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
jusqu'à l'importante fonction de curé de Saint- Sulpice.
Après lui, Mg' Afï're, de glorieuse mémoire, lui avait té-
moigné la même confiance. U le consultait souvent, sur-
tout, disait-il, quand il voulait savoir la vérité, et il
l'avait nommé, en 18i5, chanoine honoraire de sa cathé-
drale. Et son successeur, Mgr Sibour, se fit un devoir
d'exprimer, du haut de la chaire même de Saint-Sul-
pice, les regrets qu'il éprouvait de la perte de ce bon
pasteur, qui avait été son élève au petit Séminaire. Mais
ce fut le supérieur général de Saint-Sulpice, M. Carrière,
qui lui rendit le plus bel hommage, en proclamant hau-
tement qu'il avait été un digne successeur de M. Olier.
CHAPITRE XVI
M. HAMON (1851-1874
Sommaire : Sa naissance. — Sa famille. — Ses études. — Il est appelé à monter
clans la chaire de littérature grecque à la pension Liautard. — Il entre au
Séminaire de Saint-Sulpiee. — Son ordination et son admission dans la
Compagnie. — Il professe la théologie, pendant six ans, au grand séminaire de
Paris, et est nommé ensuite supérieur de celui de Bordeaux. — Longue mala-
die du larynx; voyage en Italie. — Mort du cardinal de Cheverus, son ami.
— Il écrit sa Vie, puis celle de Mme Marie Rivier, fondatrice de la congré-
gation des Sœurs de la Présentation de Marie. — Il reprend la direction du
séminaire de Bordeaux et est nommé, en 1843, supérieur de celui de Cler-
inont. — Son refus de l'Évêché de Montauban. — Son Traite de la Prédica-
tion. — ses retraites pastorales. — Sa troisième supériorité au séminaire de
Bordeaux. — Il prépare les travaux du Concile provincial de Bordeaux en
Is.'iO, et écrit le premier volume de sa Vie de saint François de Sales. — Sa
nomination à la Cure de Saint-Sulpice. — Sa tendre charité pour les pauvres.
— Catéchismes. — Prédications. — Oraison funèbre du Père de Ravignan par
M8* Dupanloup. — Fondation de la maison d'école de garçons de la rue
d'Assas. — Refus de l'Évêché du Mans. — Sixième démembrement de la
paroisse Saint-Sulpice. par la création de celle de Notre-Dame des Champs.
— Circonscription actuelle de la paroisse Saint-Sulpice. — Fondation de la
maison des Petites Sœurs des Pauvres de la rue Notre-Dame des champs. —
M^ Sibour nomme M. Hamon modérateur des cas de conscience et chanoine
honoraire de sa cathédrale: et l'Empereur lui fait donner la croix de la Lé-
gion d'honneur. — Œuvre de Notre-Dame des Étudiants. — Établissement du
calorifère de l'église. — Restauration du grand orgue. — Participation à
l'achat du presbytère. — Attachement de M. Hamon au Saint-Siège. — ses
noces d'or sacerdotales. — Siège de Paris. — L'église Saint-Sulpice pendant
la Commune. — Ouvrages de M. Hamon. — Son second volume de la Vie de
saint François de Sales; ses Méditations pour tous les jours de l'année;
son Histoire du culte de la Sainte Vierge. — Son pèlerinage à Paray-le-Mo-
nial. — Sa maladie et sa mort. — Son éloge par le cardinal Guibert.
Avec M. Hamon réapparaissent ces grandes figures sa-
cerdotales que les premiers curés de Saint-Sulpice, disci-
ples de M. Olier, offraient à l'admiration des fidèles, en-
346 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAIXT-SULPICE.
tourées de l'auréole de la sainteté de leur vie et rayon-
nantes de l'éclat de leur doctrine, de leur parole et de
leur talent d'écrivains. M. Hamon a réuni en lui tous ces
rares mérites.
André-Jeari-Marie Hamon naquit au Pas, petit bourg à
quelques lieues de la ville de Mayenne, sur les confins du
Bas-Maine et de la Normandie, le 18 mai 1795, de parents
qui jouissaient dans le pays d'une grande considération.
Il était l'aine de sept enfants dont deux moururent en
bas âge, et reçut le baptême des mains d'un des prêtres
fidèles et proscrits qui trouvèrent, dans la maison de ses
père et mère, un généreux asile pendant tout le temps de
la Terreur et de la persécution de Fructidor.
Un de ses oncles maternels, l'abbé Jacques Lehuen-
Dubourg, devenu curé du Pas après le Concordat, lui fit
faire sa première communion, le -21 mai 1805. 11 com-
mença alors ses études, sous la férule d'un autre de ses
oncles, ancien Eudiste. l'abbé Jean Lehuen-Dubourg, prê-
tre d'ailleurs fort respectable, mais maître peu endurant
qui, à la moindre faute, ne ménageait pas à son élève les
épithètes d'âne, de bûche, de piètre sujet dont on ne ferait
jamais rien; et il les termina brillamment, en dépit des
pronostics avunculaires, au petit Séminaire de La Ferté
Macé, où, à la fin de sa rhétorique, il composa sur la divi-
nité de la Religion un discours si remarquable que le su-
périeur le lut publiquement à la distribution des prix, aux
applaudissements de toute l'assistance (1). Il n'avait que
quinze ans.
Son père prit alors le sage parti, dont il lui fut toujours
reconnaissant, de lui faire redoubler cette classe impor-
tante à la célèbre pension Liautard à Paris (2). Il y suivit,
(1) L'abbé Branchereau, Vie de M. Hamon, p. 18 et 25.
(2) La pension Liautard, fondée en 1804, par M. Duclaux, supérieur
général de Saint-Sulpice, en vue de procurer une éducation chrétienne à
M. HAMOX (1851-1874). 347
d'après le règlement universitaire de l'époque, les cours
du Lycée Louis-le-Grand et ensuite ceux du Lycée Napo-
léon (Henri IV), où deux professeurs d'un grand talent,
MM. Naudet et Laya, développèrent en lui, à un si haut
degré, le sentiment du beau littéraire, que dans son ad-
miration pour les chefs-d'œuvre de l'antiquité, surtout
pour ceux de l'antiquité grecque, il se livra, pour
mieux les goûter, à une étude approfondie de cette lan-
gue. En moins de cinq ans, il parvint à la posséder si
bien, qu'en 1816, on ne lui permit de commencer sa
théologie au Séminaire de Saint-Sulpice que comme ex-
terne (1), pour lui permettre de faire, le soir, à la pen-
sion Liautard, le cours de littérature grecque aux élèves
des classes supérieures; et pendant les deux ans qu'il en
fut chargé, il ne cessa pas d'entretenir en eux son propre
enthousiasme pour les beautés de la poésie grecque, sur-
tout pour celles des drames de Sophocle, son auteur pré-
féré | î .
Au mois d'octobre 1818, il quitta définitivement le
collège de la rue Notre-Dame des Champs pour entrer en
qualité d'interne au Séminaire de Saint-Sulpice et se pré-
parer aux saints ordres. Il y reçut le sous-diaconat le
18 septembre 1819. Le jour même, dans une note écrite
la jeunesse et de préparer des sujets pour le Séminaire, comptait déjà,
en 1811, quand M. Hamon y entra, 600 élèves, parmi lesquels figuraient
les noms des plus illustres familles de France. Érigée en institution de
plein exercice par décret du Conseil royal de l'instruction publique, du
28 août 1821, elle changea son nom en celui de Collège de IVotre-Dame
des Champs, du nom de la rue où elle était établie, et bientôt après en
celui de Collège Stanislas, pour répondre au désir de Louis XVIIf, qui
favorisait celle maison et qui voulut qu'elle portât l'un de ses prénoms ,
qu'elle a conservé désormais.
(1) Il avait revêtu le saint habit des clercs, et reçu la tonsure, le 18 sep-
tembre 1813. De 1814 à 1816, il avait été chargé de la classe de sixième à
la succursale de la pension Liautard, à Gentilly, pendant qu'il y faisait
lui-même sa philosophie. Branchereau, Vie de M. Hamon, p. 38 et 40.
(2) Branchereau, ibid., p. 41.
348 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SALNT-SULPICE.
de sa main, il disait : « Le sous-diaconat est une consé-
« cration solennelle et irrévocable de tout moi-même à
« la divine Majesté ; la vertu propre de cet ordre doit
« donc être l'abnégation, la mort à moi-même, pour ne
« plus vivre qu'à Dieu. » Et cette abnégation fut, en
eifet, désormais la règle de toute sa vie, la plus humble,
la plus exempte d'amour-propre et la plus détachée de
soi-même qui se soit rencontrée.
Quelques semaines après, sur les conseils de M. Boyer,
le directeur de sa conscience, et d'après les avis de
M. Auge lui-même, son ancien maître à la pension Liau-
tard et enrôlé alors dans la milice des Missionnaires de
France, récemment créée par l'abbé de Rauzan (1), il de-
mandait à entrer dans la Compagnie de Saint-Sulpice, et
était admis à suivre les exercices de la Solitude sous la
forte direction de M. Mollevaut qui, dès qu'il en prit le gou-
vernement, y fit revivre l'esprit de ferveur, de régularité,
d'abnégation et d'obéissance des anciens jours. Le 18 dé-
cembre suivant, il était élevé au diaconat; et le 27 mai
1820, il recevait l'onction sacerdotale (2).
A la rentrée d'octobre de la même année, il fut atta-
ché au Séminaire de Saint-Sulpice à Paris, pour y ensei-
gner la théologie. Il y fut distingué très vite par les élè-
ves : comme professeur, par la rectitude de son jugement,
son ferme bon sens et la clarté de son exposition ; comme
directeur, par sa sollicitude affectueuse pour ceux qui le
prenaient pour guide de leur conscience et par le don
qu'il avait de faire passer en eux le zèle qui l'animait.
Bientôt même, son influence s'étendit en dehors du Sémi-
naire, et beaucoup de prêtres du clergé de Paris, attirés
1 M. Ilanion avait songé, pendant quelque temps, à faire partie de
cette milice.
(2) A dater de ce jour, il se fit un devoir, auquel il ne manqua plus
jamais, de se lever à 4 heures du matin.
M. HAMON (1851-1874). 349
vers lui par sa piété, sa science et sa modestie, le choisi-
rent comme leur confesseur.
Il était depuis six ans à Saint-Sulpice, où il avait oc-
cupé successivement la chaire de dogme et celle de mo-
rale, et déjà la Compagnie le mettait au rang de ses
membres les plus distingués, lorsque son nouveau supé-
rieur, M. Garnier, crut devoir lui confier, malgré sa
jeunesse, la direction du grand Séminaire de Bordeaux.
En en prenant possession dans les premiers jours d'oc-
tobre 1820, il trouvait à la tète du diocèse un Prélat émi-
nent, W1 de Cheverus, son compatriote, qui devait s'unir
à lui par une douce et sainte amitié, cimentée, malgré
l'inégalité de leur rang et de leur âge, par une même
élévation de leur âme et de leur esprit, et, au Séminaire,
des directeurs âgés ou infirmes qui avaient laissé fléchir
la discipline parmi leurs nombreux élèves (1), et qui ne
voyaient pas sans quelque peine le gouvernement de la
maison passer en des mains plus jeunes. Mais M. Hamon,
par la supériorité de son talent, sa bonté, sa droiture et
sa simplicité, ne tarda pas à prendre un tel ascendant
sur les esprits qu'en quelques mois il ne comptait plus
que des admirateurs et des amis dans son Séminaire.
Son premier soin fut d'y plier les élèves à la stricte
observation de la règle. Il y réussit promptement, grâce
à la collaboration intelligente et ferme de son ami, M. Ga-
vai, qui devint plus tard supérieur général de la Com-
pagnie. Les études étaient également en soufïrance ; il
les releva et leur donna même une forte impulsion en
ajoutant aux examens semestriels des répétitions publi-
ques qu'il faisait faire, en sa présence , deux fois par se-
maine. Il institua aussi un cours de physique pour les
philosophes, et les réunit en communauté distincte de
[1) Ils étaient au nombre de 170, tant théologiens que philosophes, à
l'arrivée de M. Hamon.
350 HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SULPICE.
celle des théologiens. Il ne négligea pas non plus d'ap-
porter à l'aménagement matériel de la maison les amé-
liorations dont elle était susceptible; et, en 1828, il put
l'agrandir à l'aide d'un subside important que l'État lui
accorda sur sa demande et qui lui permit de compléter la
construction d'une des ailes restée jusque-là inachevée.
Cette transformation du Séminaire, qu'il avait opérée
en moins de trois ans, lui valut l'estime du clergé borde-
lais, et il en devint l'oracle après la retraite ecclésiastique
qu'il lui prêcha en juillet 1830, et dont le succès fut tel
que l'Archevêque tint à l'en récompenser en lui accor-
dant des lettres de Grand Vicaire et en le prenant désor-
mais pour son conseil dans toutes les affaires épineuses
qu'il avait à traiter, comme sur les questions les plus dé-
licates du droit canonique qu'il lui fallait résoudre.
Il pouvait dès lors se croire autorisé à jouir en paix de
la considération générale dont il était l'objet et de la sa-
tisfaction que lui causait l'excellent esprit de ses sémina-
ristes, quand il fut atteint, en 1832, d'une affection de
larynx qui l'obligea à résigner ses fonctions et qui le
condamna, pendant cinq longues années, au repos et au
silence. Mgr de Cheverus en fut si vivement affecté qu'un
jour, en l'annonçant dans une grande réunion où il avait
pris la parole, il dut s'arrêter suifoqué par ses larmes.
En vain l'envoya-t-on prendre les bains de mer à Gran-
ville en 183i, faire une saison à Cauterets en 1835. Ce ne
fut que son séjour en Italie, pendant l'hiver de 1835 à
1836, qui apporta quelque adoucissement à son mal. Il y
reçut de Grégoire XVI l'accueil le plus paternel et éprouva
une grande joie, quand le Saint-Père daigna lui annon-
cer la prochaine élévation de M"r de Cheverus au cardi-
nalat (1). Il s'empressa d'en informer le Prélat qui, dans
(1) Cette promotion eut lieu, en effet, dans le Consistoire du 1" fé-
vrier 1836.
M. HAMON (1351-1874). 351
sa réponse, lui disait : « Cher Grand Vicaire et tendre
« ami, j'espère que vous songez à revenir à Bordeaux où
« le printemps est aussi doux qu'à Rome; vous savez
« combien vous m'êtes cher et utile. Votre appartement
« vous est réservé; personne ne s'en emparera, pas plus
« que de la place que vous occuperez toujours dans le
« cœur du Cardinal. Puissiez-vous nous revenir bien
« portant. Il me tarde de vous embrasser, de jouir de
« votre douce société, de profiter de votre aide et de vos
« conseils. »
Hélas! il ne rentra en France que pour fermer les yeux
de l'excellent Cardinal, son meilleur ami, qui succomba,
le 19 juillet 1836, à une attaque d'apoplexie. Sollicité
d'écrire sa vie par le neveu du prélat, l'abbé George, qui
lui en fournit tous les éléments, il vint la composer à
Issy et la fit paraître à la fin d'août 1837.
Le public s'éprit de la beauté du caractère de ce jeune
prêtre, pieux et modeste, spirituel et distingué, qui jeté,
en 1793, loin de son pays sur les côtes des États-Unis,
s'attache à la pauvre et peu nombreuse église de Boston,
la développe par l'ardeur de son zèle et par sa parole per-
suasive, l'abandonne, quand il Fa rendue prospère, pour
aller au delà du Connecticut, dans la profondeur des bois,
évangéliser les sauvages et les humaniser; et n'y revient,
lorsqu'elle est décimée par la fièvre jaune, que pour se
faire l'assistant des abandonnés et le consolateur des
mourants; qui ensuite nommé par Rome, en 1798, évè-
que du diocèse, sait user, pendant près de trente ans,
de ce titre sans crédit temporel, comme d'un instrument
de charité universelle et de conciliation entre les sectes
et les partis divisés, conquérir par son inépuisable cha-
rité l'affection reconnaissante des pauvres, par sa dou-
ceur et l'ascendant de sa vertu le respect des protes-
tants dont beaucoup s'honorent de son amitié, élever de
tous côtés des églises et des écoles, et étendre ainsi de
352 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SALNT-SULPICE.
Boston à Baltimore l'influence du catholicisme; et oui
enfin, lorsqu'il est rappelé en France, en 1826, pour oc-
cuper tour à tour les sièges de Montauban et de Bor-
deaux, sait s'y faire aimer et y gagner tous les cœurs aussi
bien qu'à Boston, par la même indulgence d'un esprit
aimable et supérieur, la même piété fervente et la même
bonté.
Cette belle vie, tout apostolique, écrite par M. Hamon
simplement, mais avec une chaleur de sentiment com-
municative, fut accueillie avec une grande faveur. Cou-
ronnée par l'Académie française en 1841, elle a été réé-
ditée cinq fois et traduite en plusieurs langues.
La prolongation de son séjour à Issy et le calme dont
il y jouit, amenèrent dans son état une amélioration assez
sensible pour permettre à ses supérieurs de lui rendre ses
anciennes fonctions ; et, à la rentrée des vacances de 1837,
il fut replacé à la tête du Séminaire de Bordeaux. Son
retour y fut salué par des témoignages unanimes de sa-
tisfaction et de joie, dont son cœur aimant fut très touché
et qui l'aidèrent à reprendre avec une nouvelle ardeur
son ministère interrompu depuis cinq ans.
Ce fut au cours de cette seconde mission et malgré
toutes les occupations qu'elle lui imposait, qu'il trouva le
temps d'écrire, à la demande de son confrère, M. Vernet,
supérieur du grand Séminaire de Viviers, la Vie de
Mme Marie Bivier, fondatrice et 'première supérieure de la
congrégation des Sœurs de la Présentation de Marie,
qu'elle avait fondée, en 1796, à Thueyts, petite ville de
ce diocèse, pour l'éducation de la jeunesse. Elle parut, à
Avignon, dans le courant de l'année 1842. Quoique infé-
rieure au point de vue littéraire à celle du cardinal
de Cher crus, elle a beaucoup contribué néanmoins à
étendre la réputation de sainteté de cette pieuse fonda-
trice, à accroître la confiance des populations dans son
intercession et à hâter la détermination de l'autorité ec-
M. HAMON (1851-1874}. 353
clésiastique à entreprendre le procès de sa canonisa-
tion (1).
Six années s'étaient déjà écoulées depuis son retour à
Bordeaux, et la piété et l'affection de tous ses élèves,
comme le bien considérable qu'il faisait en dehors du
Séminaire, lui permettaient d'écrire, le 10 avril, « qu'il était
l'homme le plus heureux du monde », lorsque, vers la fin
des vacances, M. Carbon, qui remplissait alors les fonctions
de vice-supérieur de Saint-Sulpice, lui écrivit pour lui
demander s'il accepterait la supériorité du Séminaire de
Clermont. Le soir même du jour où il recevait sa lettre,
tout à fait inattendue pour lui, il lui répondait : « Depuis
« que je suis dans la Compagnie, je n'ai pas eu d'autre
« volonté que celle de mon supérieur; je suis prêt à
« tout. » Et le 5 octobre, il arrivait à Montferrand (2),
ayant fait son sacrifice avec son abnégation habituelle,
mais néanmoins dominant avec effort le chagrin que lui
causaient et la séparation de tant d'amis du Bordelais qui
pleuraient sa perte, et l'altération de sa santé, causée par
la rigueur du climat d'Auvergne, et son isolement dans
un poste où les lieux, les personnes, les choses lui étaient
inconnus, et aussi la solitude à laquelle le condamnait
son éloignement de la ville épiscopale.
Sur ces entrefaites, il fut avisé par l'abbé George, son
ami, qu'il était très sérieusement question de lui pour le
siège épiscopal de Montauban, que sa candidature était
chaudement appuyée par Mgr Donnet, l'archevêque de
Bordeaux, et par plusieurs autres prélats, et que le minis-
tre lui-même, M. Martin du Nord, en désirait le succès. Il
s'empressa d'en référer à Saint-Sulpice, et dès qu'il sut
(1) L'abbé Branchereau, Vie de M. Hamon, p. 147 et 148.
(2) Depuis la Révolution, le Séminaire de Clermont est installé à Mont-
ferrand, petite ville qui n'en est distante que de deux kilomètres, et où
il occupe un ancien couvent d'Ursulines.
ÉGLISE SAINT-SDLVICE. 23
354 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SÀ1NT-SULPICE.
(jue le ministre renonçait à le proposer, il écrivait à l'éco-
nome, M. Houssard, qui l'y avait déterminé : « Je vous
« remercie d'avoir brisé ma crosse... Si les desseins du
« ministre eussent réussi, j'aurais cru que Dieu voulait
« remplacer, peut-être, par un autre martyre le martyre
« journalier que trouve tout mon être dans une vie sé-
« dentaire, surtout depuis ma translation à Clermont, où
<( il me faut cent fois le jour regarder mon crucifix et le
« ciel pour me résigner à tout ce que j'ai à souffrir au
« physique et au moral. Dieu veut que je reste sur cette
« croix; que son saint nom soit béni. »
Mais si l'épreuve fut dure, elle cessa bientôt; et les
nuages de tristesse qui avaient accablé son Ame au début,
se dissipèrent avec le retour du printemps, raffermisse-
ment de sa santé et les témoignages d'affection et de con-
fiance qu'il recevait de tous cotés.
Tout d'abord, il avait institué un cours de prédication
et de catéchisme et s'en était chargé lui-même. Il en obtint
des résultats si excellents et si prompts qu'il crut devoir
résumer ses leçons dans un Traite de la Prédication,
« l'un des livres les plus instructifs qui soient sortis de
sa plume » et dont les nombreuses éditions indiquent
l'importance. 11 le publia en 18ii.
L'année suivante, il fut nommé assistant du supérieur
de la Compagnie il) par l'Assemblée générale, après
qu'elle eut appelé à cette haute fonction M. de Courson, son
intime ami, en remplacement de M. Garnier décédé (2).
Presque en même temps il recouvrait la voix et, se croyant
en état de reprendre la prédication des retraites pasto-
rales, pour lesquelles il s'était toujours senti un très vif
(1) Les assistants sont au nombre de douze; ils forment la partie diri-
geante de la Compagnie; et c'est à eux qu'il appartient, réunis en Assem-
blée, de nommer le supérieur général.
(2) M. Garnier mourut le 16 mars 1845.
M. HAMON (1851-1874). ' 355
attrait, il accepta, pour les vacances de 18i6, celles de la
Rochelle et de Bourges. Il s'y prépara pendant près d'une
année et en écrivit en entier tous les sermons, dont la
réunion, résumé éloquent des devoirs de la vie sacer-
dotale, « forme la plus achevée de ses œuvres ora-
toires (1) ».
Sa voix résista à la fatigue de parler quatre fois par
jour pendant les deux retraites; et la réussite de cet essai
le décida à continuer cette grande œuvre. En 1817, il en
prêcha cinq autres, avec un plein succès, à Nantes, au Mans,
à Metz, à Orléans et à Paris. Dès qu'il les eut terminées,
M. de Courson le chargea de reprendre, pour la troisième
fois, la direction du Séminaire de Bordeaux, où l'arche-
vêque ne cessait de le redemander. Comme toujours, il se
soumit sans mot dire. Néanmoins, malgré la joyeuse im-
patience avec laquelle il s'y savait attendu, il eut pres-
que autant de peine à quitter l'Auvergne qu'il en avait
éprouvé à s'y rendre, tant il avait su s'y faire de véri-
tables amis.
La Révolution de février, qui survint quelque temps
après, ne suscita aucune entrave à M. Hamon dans la con-
duite de son Séminaire; il put même préparer à loisir les
six retraites ecclésiastiques qu'il donna l'été suivant, à
Autun, à Beauvais, à Noyon, au Puy, à Viviers et à Rodez.
Le 30 juillet 18i9, il prononça l'oraison funèbre du car-
dinal de Cheverus à l'inauguration du monument que son
successeur lui fit ériger dans sa métropole. Il prépara
ensuite les travaux du Concile provincial que M81 Bonnet
présida en juillet 1850, et, pendant la tenue de ce Concile,
il vint à Paris prendre part à l'élection du successeur de
M. de Courson enlevé prématurément à l'affection des
>ùens, le 10 avril précédent. L'Assemblée dont il faisait
partie, nomma M. Carrière.
(1) Branchereau, Vie de M. Hamon, p. 180.
356 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
De retour à Bordeaux, les pères du Concile le chargè-
rent de rédiger le mandement destiné à publier leurs dé-
cisions. Mais ce travail, long et difficile, lui causa une
extrême fatigue, et, sous le coup d'une congestion, il dut
renoncer à donner les retraites qu'il avait promises à
Bordeaux, à Carcassonne, à Luçon, à Tours et à Angers.
Les vacances qu'il passa en voyage et dans un repos d'es-
prit complet, lui rendirent ses forces, et il put, à la
rentrée, mettre la dernière main au premier volume de
sa Vie de saint François de Sales que des sollicitations,
aussi flatteuses que pressantes, l'avaient déterminé à
écrire. Il espérait même avoir terminé le second avant
l'hiver, quand sa nomination à la cure de Saint-Sulpice
l'obligea à en différer l'achèvement.
Cette nomination, qui renouait, heureusement pour les
fidèles, la chaîne des traditions sulpiciennes, en rendant
à un membre de la Compagnie la direction de la paroisse
de son Séminaire, était l'œuvre de l'archevêque de Paris,
Mgr Sibour, qui était parvenu à triompher des hésitations
de M. Carrière. Aussi tint-il à venir présider lui-même
la cérémonie d'installation du nouveau curé (1), et, du
haut de la chaire, il fit de lui un magnifique éloge. La
réponse de M. Hamon fut simple et modeste; et il se
concilia toutes les sympathies, quand, parlant des pau-
vres et de la tendresse de père dont il sentait son cœur
pénétré pour eux, il s'écria : « Je prends l'engagement
« solennel de tout donner aux pauvres; je veux vivre
« pauvre, mourir pauvre, en sorte que je n'aie pas de
« testament à faire, quand il plaira à Dieu de m'appeler
« à lui. » A ces paroles touchantes les fidèles compri-
rent de suite quel saint prêtre leur était donné pour curé.
(1) Le décret de nomination de M. Hamon à la cure de Saint-Sulpice
fut rendu le 8 juillet 1851, et l'installation, présidée par Msr Sibour, ar-
chevêque de Paris, assisté de M. l'abbé Surat, son vicaire général, eut
lieu le samedi suivant, 12 juillet.
M. HAMON (1851-1874 . 357
Son premier soin fut de rétablir, selon qu'il était con-
venu avec M^Sibour, et en apportant à son Wjglfjment\es
modifications que les circonstances actuelles exigeaient,
la Communauté des prêtres fondée par M. Olier et qui
avait concouru si efficacement à la rénovation de la pa-
roisse. Il réunit autour de lui plusieurs de ses confrères,
leur adjoignit quelques-uns des prêtres de l'église Sainl-
Sulpice et s'installa avec eux, en attendant un presbytère
définitif, dans une maison de la rue (Tarancière qu'il prit
à bail. En entrant pour la première fois dans la chambre
qu'il allait occuper, il y trouva deux glaces et, les ju-
geant un luxe inutile, il les fit couvrir de papier vert et
donna un grand crucifix à placer sur celle qui garnissait
la cheminée : « Ce sera pour moi, dit-il, un plus beau
« miroir qu'une glace. »
Le soulagement de ses pauvres fut, dès sa prise de pos-
session, l'objet de sa plus vive sollicitude, et l'on peut dire
même sa principale et sa plus douloureuse préoccupation
jusqu'à sa mort.
« Mon âme, écrivait-il plus tard, a pris des habitudes
« de tristesse qui ne supportent plus la joie... Je suis au
« milieu de toutes les misères humaines. 11 ne se passe pas
« de jour que je ne voie couler des larmes en abondance.
« Tous les pauvres affligés viennent me dire leurs peines;
« j'ai sur les bras des gens sans asile et sans pain, des
« jeunes filles dans la rue , des enfants de dix , sept et cinq
« ans abandonnés, des femmes, même de haut parage,
« chassées par leur mari et dans la détresse; et il me
« faut pourvoir à leur existence. Je ne sais que devenir...
« Deux mille francs par mois, c'est une goutte d'eau dans
« la mer. Oh! que c'est triste! Comment ferai-je vivre,
« cet hiver, mes pauvres dont le nombre, surtout celui
« des pauvres honteux, s'accroît d'une manière effrayante !
« Cette idée me poursuit le jour et la nuit. »
Néanmoins, il ne se découragea jamais. Il fit d'inces-
358 HISTOIRE DE L'EGLISE SALNT-SULPICE.
sauts appels à la charité de sa paroisse; et chaque fois ils
furent entendus et lui permirent de distribuer d'abon-
dantes aumônes. C'était la supérieure de la maison de
secours de la rue de Vaugirard, la sœur Louise, des Filles
de la Charité, qu'il en avait faite la dispensatrice et qui
tenait sa bourse, c'est-à-dire, selon la pieuse pratique de
M. Olier, un sac de toile auquel était attachée une image
de la Très Sainte Vierge. Quand il s'inquiétait de le voir
vide, la bonne sœur le rassurait, en lui rappelant que
jamais la Providence ne lui avait manqué. Un jour de
fin de mois, où cet épuisement du sac le mettait dans
un grand embarras, un ami vient lui remettre un billet
de 1.000 francs de la part d'un inconnu. « Oh! la bonne
(( Providence, » s'écrie-t-il, en embrassant le billet qui
lui arrive si à propos. Le donateur, avisé de ce trait
touchant, lui envoya, le soir même, un autre billet de
1.000 francs. M. Hamon l'en remercia quelques jours
après, parla lettre suivante qui reflète toute la beauté de
son âme :
« Je serais inconsolable, Monsieur, d'avoir tant tardé à
« vous remercier de votre double et généreuse offrande,
« si je ne m'étais dit que ce n'était pas à moi-même que
« le don avait été fait, mais à Jésus-Christ dans la per-
ce sonne de ses pauvres. Avec un tel donataire jamais la
« reconnaissance n'est en retard. Le don est écrit dans le
« cœur de Notre-Seigneur en caractères ineffaçables. Vous
« l'y lirez avec délices toute l'éternité , enchâssé dans
« l'or pur de la charité. Là, vous verrez que les pauvres
« qui reçoivent nos aumônes sont nos bienfaiteurs, puis-
ce qu'ils nous valent, en échange d'un peu d'or corrup-
« tible, des biens si grands. C'est nous qui sommes leurs
« obligés et qui, en conséquence , devons les traiter avec
« respect et affection.
« Recevez, Monsieur, ma reconnaissance de m'avoir
« admis en participation de votre bonne œuvre. »
M. HAMON (1851-1874 . 3Ô9
Mais indépendamment de ces aumônes qu'il faisait
directement et qui lui étaient, en quelque sorte, per-
sonnelles, il alimentait encore la caisse des trois princi-
pales œuvres paroissiales établies en faveur des malheu-
reux :
De l'œuvre des Dames de Charité , qui se réunissent ,
une fois par mois, sous la présidence de M. le curé, avec
le concours d'une Sœur de Charité qui assigne à chacune
de ces dames cinq à six familles pauvres à visiter dans le
mois et lui délivre les bons de pain et de viande à leur
distribuer. La dame, en allant les porter, doit s'informer
si on est marié à l'église, si les enfants vont à l'école et
au catéchisme, s'il y a des besoins spéciaux dans le mé-
nage, si on va à la messe et si l'on fait ses Pâques. A la
réunion suivante , elle rend compte de ses visites, et l'on
prend les mesures et l'on vote les secours que comporte
son rapport;
De l'œuvre des Pauvres malades, à laquelle passent
ceux des membres des familles visitées par les Dames de
Charité qui tombent malades. Ils sont visités par d'autres
dames qui leur portent des secours, leur parlent de Dieu
et les préparent à recevoir la visite du prêtre;
Et de l'œuvre du Vestiaire de la Providence, ouvroir
charitable où, tous les vendredis, de une heure à quatre
heures, une soixantaine de dames de la paroisse se réunis-
sent dans une grande salle, au-dessus de la sacristie des
mariages, et viennent y travailler à confectionner des
gilets de flanelle, des chemises, des caracos, des jupons
et des bas pour les pauvres.
Ces trois œuvres réunies imposaient à M. Hamon une
charge totale de plus de Vu. 000 francs par an.
Mais sa charité ne se bornait pas à donner abondam-
ment de l'argent et des secours en nature. Se donner lui-
même à quiconque avait besoin de ses conseils, de ses
consolations, de son appui, était son œuvre quotidienne
360 HISTOIRE DE LÉGLISE SAINT-SULPICE.
« Je suis le débiteur de tous mes paroissiens, disait -il, je
« me dois à eux sans réserve. »
Il ne prit pas un moindre souci de la sanctification des
âmes dont il était devenu le pasteur; et il s'efforça cons-
tamment de la procurer par ses relations personnelles
avec les familles, par les catéchismes, les prédications et
les œuvres.
Il savait combien de personnes n'étaient éloignées de la
Religion que parce qu'elles ne connaissaient pas le prêtre
ou qu'elles ne pouvaient pas lui parler. Il n'hésita pas
tout d'abord à faire la visite générale de sa paroisse, qui
lui permit de se rendre un compte exact de l'état d'esprit
et de la position sociale de ses habitants; et ensuite il ne
manqua jamais de la renouveler chaque fois que la mort
ou un grand malheur venait à frapper une famille.
M. l'abbé Collin lui avait laissé l'œuvre des catéchismes
très prospère; il n'eut qu'à l'encourager. Il y ajouta ce-
pendant une retraite pour préparer les petits enfants à
leur première absolution. « Nous en avons eu dix-huit
« cents, de sept à douze ans, écrivait-il avec bonheur en
« 1863, qui ont suivi cette retraite; ils se tenaient comme
« de petits anges et nous avons fait la fête de la première
« absolution, comme on fait celle de la première commu-
« nion. Il y a eu une consécration ravissante à la Sainte
« Vierge (1). » L'année suivante, ils étaient deux mille.
Dès son arrivée, il régla qu'il y aurait, chaque diman-
che, quatre sermons à l'église : deux, le matin, à six et à dix
heures; deux, le soir, l'un après Vêpres à trois heures et
demie et l'autre à huit heures. Il se réservait celui de dix
heures du matin, chaque premier dimanche du mois; et
lorsqu'un prédicateur était empêché, c'était lui qui mon-
tait en chaire à sa place; et jamais il ne fut surpris infé-
rieur à sa tâche.
(i L'abbé Branchereau, Vie de M. Ha mon, p. 229.
M. HAMON (1851-1874). 301
Indépendamment de ces prédications ordinaires . il se
plaisait à confier les stations de l'Avent et du Carême et
les sermons des grandes solennités à des orateurs tels que
le P. Minjard, le P. Gaussette, le P. Félix, l'abbé Comba-
lot (1), Mgr Plantier, M r Lavigerie, dont les voix éloquen-
tes ravivaient la ferveur des fidèles. Mais on n'a pas le
souvenir, à l'église de Saint-Sulpice , d'une parole plus
grande ni plus pathétique que celle qu'y fit entendre,
pour la dernière fois, M-1' Dupanloup, lorsque, le \ mars
1858, au convoi du Père de Ravignan, il monta en
chaire, après la messe, pour célébrer les vertus de son
saint ami.
Dès les premiers mots de son exorde . il saisit son im-
mense auditoire. « Il est là! s'écrie-t-il, il est mort! et
« il nous parle encore. Defunctiis adhuc loquitur. » Puis,
en traits pleins de flamme et de vérité, il dépeint Immi-
nent religieux, son zèle pour la sanctification des âmes,
sa soif de la justice, « de cette justice divine, souveraine
et infiniment miséricordieuse, vraie passion de sa vie »,
son ardent amour de Dieu , de l'Église et de la France :
« de la France, ajoutait-il, qui n'a jamais eu une âme
« plus française que la sienne ». Et il termine par ces
touchants adieux : « 0 mon saint ami, il faut vous quit-
« ter. Adieu donc, au nom de tout ce qui vous aime!...
« Adieu, au nom de la sainte Église, dont vous fûtes le
« courageux défenseur, dont vous avez combattu si vail-
« lamment le bon combat. Adieu , au nom de cette Église
« militante, qui vous introduit à l'heure où je parle dans
« le sein de l'Église triomphante... Adieu, au nom de l'E-
« glise de France, dont vous fûtes le serviteur si fort et si
" humble, pour qui vous avez remporté tant de victoires,
(1; L'abbé Combalot prêcha à Saint-Sulpice, en 1872, sa dernière re-
traite d'hommes et son dernier mois de Marie. Me' Ricard, l'abbé Com-
balot, p. 618 à 620.
362 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
« brisant, par la magnanimité de votre caractère et la
« loyauté de vos paroles, l'indigne étendard du respect hu-
« main en tant de mains où vous avez planté l'étendard de
« la croix! Adieu, au nom de tous les évêques de France,
« dont vous fûtes l'ami si sûr, si fidèle et si modeste! Ils
« m'estimeront heureux, j'en suis sûr, d'avoir pu. en leur
« nom, vous rendre ce dernier et solennel hommage!
« Adieu, au nom de cette sainte Compagnie, qu'elle
« me permette de parler pour elle, dont vous fûtes le
« bouclier et dont vous demeurerez la gloire! Adieu, au
« nom de tous ces vaillants chrétiens qui, rangés autour
« de vous, ont combattu avec vous, et ont mérité jusqu'à
« la fin votre estime et votre religieuse amitié! Adieu, au
« nom de cette jeunesse française, si généreuse, si ardente
« au bien, quand elle rencontre des guides dignes d'elle!
(( Protégez-la, dirigez-la toujours, du divin séjour où vos
« vertus ont, par la grâce de Dieu, porté votre âme!...
« Et s'il m'est permis de parler de moi, adieu aussi au nom
« d'une de ces vieilles amitiés, commencées aux jours de
« la jeunesse, fortifiées dans les périls, jamais troublées,
« et qui ne peuvent se briser dans les cœurs qui survivent
« sans briser l'âme tout entière, leur laissant seulement
« la force de redire la dernière parole, inspirée de Dieu,
« qui mettra lin à ce discours : Bienheureux les morts qui
« meurent dans le Seigneur. »
Quand le grand évèque fut descendu de la chaire,
Berryer, qui l'avait entendu, courut tout en larmes l'em-
brasser à la sacristie. De l'aveu des meilleurs juges, ce
discours est son chef-d'œuvre (J).
La vigilance de M. Hamon à dispenser amplement la
parole sainte à tous les âges et à toutes les conditions,
s'appliquait également au soutien et au développement
des nombreuses œuvres de la paroisse, et plus spéciale-
(l) L'abbé Lagrange : Vie de M%v Dupanloiip, t. II, p. 247.
M. HA.MO.N 1851-1874). 363
ment de celles dont le but était d'assurer la bonne éduca-
tion de l'enfance et la préservation de la jeunesse. A son
arrivée, il trouva en pleine activité toutes les associations
pieuses, les confréries et les établissements charitables,
qu'encourageait déjà son prédécesseur. Une put que leur
continuer son appui par ses offrandes et ses exhortations.
Mais il est deux de ces œuvres, toutes deux considéra-
bles, qui manquaient à la paroisse et dont il l'a dotée : la
maison d'école de garçons du n° 68 de la rue d'Assas avec
la chapelle des œuvres, et la maison des Petites Soeurs des
Pauvres du n° 45 de la rue Notre-Dame des Champs.
A peine installé, il avait constaté avec un grand déplai-
sir l'insuffisance des écoles catholiques de sa paroisse, qui
ne pouvaient pas contenir plus du cinquième de sa popu-
lation scolaire, et l'absence d'un local pour la réunion des
membres des différentes œuvres, absence des plus nuisi-
bles à leur fonctionnement. Aussitôt il conçut le dessein
d'acheter un grand terrain sur lequel il élèverait à la fois
de vastes bâtiments d'écoles qu'il confierait aux Frères
des Écoles chrétiennes, et une chapelle spacieuse qui
pourrait servir de lieu de réunion aux œuvres paroissiales
de Saint-François-Xavier, de la Sainte-Famille et autres.
11 avait déjà recueilli quelques fonds et formé une com-
mission de laïques, pieux et compétents, qui devaient né-
gocier l'achat du terrain et élaborer les plans des cons-
tructions, quand deux circonstances imprévues vinrent
entraver la marche de cette importante affaire : sa pro-
position pour l'évêcbé du Mans, et un dernier dé-
membrement de la paroisse.
M"1' Sibour, dans sa haute estime du mérite de M. Ha-
mon, après lui avoir confié, à la fin de 1851, les fonctions
délicates de modérateur du cas de conscience (!), et la-
(1) C'était MBr Afïïe qui avait institué, à Paris, la conférence du cas
de conscience , dans laquelle le Clergé de la capitale se réunit à des épo-
364 HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SULPICE.
voir nommé, en 1853, chanoine honoraire de sa cathé-
drale, lui donna une marque plus particulière encore de
sa considération, en le désignant au ministre des cultes ,
M. Fortoul, pour la succession de l'évèque du Mans,
M Bouvier, qui venait de mourir à Rome dans les der-
niers jours de 1851. Cette mort ramenait la question de la
création à Laval d'un évêché distinct de celui du Mans. Le
gouvernement, qui n'en était pas partisan , crut trouver le
moyen de maintenir le statu quo, en nommant M. Hamon,
dont le choix ne pourrait que flatter ses compatriotes de
la Mayenne et leur faire accepter le refus de la faveur
qu'ils sollicitaient. Et il dépêcha le ministre au presby-
tère de Saint-Sulpice. pour annoncer à M. Hamon qu'il
avait ordre de l'Empereur de présenter, le lendemain, à
sa signature, le décret qui le nommait à l'évêché du Mans.
M. Hamon déclina l'offre et, sur les instances réitérées du
ministre, finit par lui dire : « Après tout, Monsieur le Mi-
« nistre, j'ai un supérieur; je ferai ce qu'il me dira. »
Mais M. Carrière ne se montra pas plus facile, et, devant
son inflexibilité; force fut au gouvernement de faire un
autre choix.
Ce ne fut pas, du reste, la seule fois que l'Empereur
voulut élever M. Hamon à la dignité épiscopale. Il avait
déjà pensé à lui à la vacance de l'évêché de Chartres; il
y songea encore lors de l'assassinat de Mgl Sibour, « parce
« qu'il tenait à avoir à Paris un archevêque qui fût aimé
« du peuple »; il revint à la charge à la mort de
M"' Darcimoles, archevêque d'Aix; et voyant qu'il ne
pouvait pas le décider à accepter une mitre, il tint à
lui témoigner du moins toute son estime en le nommant,
(jues déterminées pour discuter, chaque fois, un nouveau point de théolo-
gie pratique, sous la présidence d'un modérateur, qui est chargé de di-
riger le discussion, d'empêcher qu'elle ne s'égare, el de présenter, à la fin
de la séance, dans un résumé substantiel des débats , la solution de la
question proposée.
M. HAjMON 1851-1874). 365
par décret du 13 août 1858, chevalier de la Légion d'hon-
neur (1).
Ainsi délivré du souci de sa candidature à l'évêché du
Mans, M. Haraon avait repris ses occupations ordinaires,
quand un nouvel et grave événement vint jeter le trouble
dans la paroisse et dans Féconomie de ses intérêts finan-
ciers. Un décret impérial, du 22 janvier 1856, supprima
l'église succursale de l'Abbaye-aux-Rois et la remplaça
parcelle de Notre-Dame des Champs; et une ordonnance
du cardinal Morlot , archevêque de Paris, du 6 mars
1858, en érigeant cette nouvelle paroisse, détermina
ses limites ainsi que celles de la paroisse Saint-Sulpice,
dont la circonscription, qui n'a plus changé depuis lors, a
été restreinte à la rue du Regard, — côté impair entier,
à partir de la rue de Rennes; — la rue du Cherche-Midi,
— côté pair, de l'axe de la rue du Regarda la rue Saint-
Placide; — la rue Saint-Placide, — côté impair, de la
rue du Cherche-Midi à la rue de Sèvres; — la rue de
Sèvres, — côté impair, de la rue Saint-Placide à la rue
du Cherche-Midi ; — le carrefour de la Croix-Rouge, — côté
impair; — la rue du Four, — côté impair entier; — la
rue de Ruci, — côté impair entier ; — la rue Saint-André
des Arts, — côté impair, de la rue de l'Ancienue-Corné-
die à la rue de l'Éperon ; — la rue de l'Éperon, — côté
pair, de la rue Saint-André des Arts jusqu'en face de
la rue Serpente ; — la rue Serpente , — côté impair, de
la rue de l'Éperon à la rue Hautefeuille; — la rue Haute-
feuille, — côté pair, de la rue Sarpente à la rue de l'École-
de-Médecine ; — la rue de l'École-de-Médecine , — côté
impair, de l'axe de la rue Hautefeuille au boulevard
Saint-Michel; — le boulevard Saint-Michel, — côté pair,
de la rue de l'École-de-Médecine à l'avenue de l'Obser-
vatoire; — la rue d'Assas, — côté impair, de l'avenue
(1) L'abbé Branchereau : Vie de M. H a mon , p. 299 et 301.
366 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT- SL'LPICE.
de l'Observatoire à la rue de Vaugirard ; — la rue de
Vaugirard, — côté pair, de la rue d'Assas à la rue du
Regard, point de départ (1).
Ce remaniement de la circonscription de la paroisse
de Saint-Sulpice lui enlevait plus delà moitié de son ter-
ritoire superficiel, — 112 hectares sur 209 qu'elle pos-
sédait antérieurement, — les deux tiers de son territoire
habitable, — car sur les 97 hectares qui lui restaient, 40
(1) Dans ce nouveau périmètre de la paroisse sont comprises les rues : de
l'Ancienne-Comédie, entière-, Antoine-Dubois, entière; d'Assas, nos impairs
en entier et pairs de 2 à 30; Auguste-Comte, entière; Bonaparte, de 51 à
(in et de 60 à fin; Buci (carrefour de), entier; Buci, nos impairs; du Cani-
vet, entière; des Canettes, entière; Casimir-Delavigne, entière; Cassette,
entière; des Chartreux, entière; du Cherche-Midi, de 1 à 37 et de 2 à 54;
Clément, entière; Coetlogon, entière; Commerce-Saint-André [cour et pas-
sage du), entiers; de Condé, entière; Corneille, entière; Cour de Rouan,
entière; de Crébillon, entière; Croix-Rouge (carrefour de la), n° 1; Danton,
entière; Dupin, entière; Dupuytren, entière; École-de-Médecine (place de 1'),
entière; Ecole-de-Médecine (de 1'), n°s impairs entiers, et pairs de 10 à fin;
Éperon (de 1'), impairs de 11 à fin et pairs entiers; Félibien, entière; Férou
(impasse), entière; Férou, entière; de Fleurus, de 1 à 17 et de 2 à 18; du
Four, les nos impairs; Garancière, entière; Grégoire-de-Tours, entière; Gui-
sarde, entière; Hautefeuille, du n° 12 à fin; Herschell, entière; Honoré-Che-
valier, entière; Clinique d'accouchement (hôpital), entier; du Jardinet, en-
tière; Jean-Bart, entière; Lohineau, entière; Luxembourg (Jardin et Palais),
entiers: du Luxembourg, entière; Mabillon, entière; Madame, entière; de
Médicis, entière; Mézières, entière; Michelet, entière; Mignon, entière;
Monsieur-le- Prince, entière; Monttaucon, entière; Observatoire (avenue
de 1'), de 1 à 27 et de 2 à 26; Odéon (carrefour de 1), entier; Odéon (place
de 1'), entière; de l'Odéon, entière; Palatine, entière; Pape-Carpentier,
entière; Princesse, entière; Quatre- Vents (impasse des), entière; des Qua-
tre- Vents, entière; Racine, entière; Raspail (boulevard), des n°s 92 à 94 et
105,jis; du Regard, n°s impairs-, Régnard, entière; de Rennes, des n°s 55 à
123 et 6G à 116; de Rohan (cour), entière; Rotrou; entière; Saint-André
des Arts, des nos 43 afin, impairs; Saint-Germain (boulevard), des nos 83 à
131, et 108 à 162; Saint-Michel (boulevard), des n05 pair» 28 à fin; Saini-
Placide, des n05 impairs 1 à ,27, Saint-Sulpice (place), entière; Saint-Sulpice,
entière; de Seine, des n0s impairs 77 à fin et des nos pairs 60 à fin; Ser-
pente, n" 39 impair, et des nos pairs 30 à 38; Servandoni; entière; de Sè-
vres, des n°s impairs 1 à 57; de Tournon, entière; Toustain, entière; de
Vaugirard, des n°s impairs 1 à 43 et des nos pairs 2 à 26; et du Vieux-Colom-
bier, entière. Voir le plan de la paroisse, page 368.
M. HAMON (185M874 . 3G7
étaient occupés par le jardin du Luxembourg . — et plus
du quart de sa population actuelle, — 12.892 habitants
sur ii.323 (1). — Quelque énorme que fût ce sacrifice,
il était demandé au nom d'un grand intérêt public et
religieux ± : aussi le Conseil de fabrique n'hésita pas à
s'y soumettre. Mais il était à craindre que le contre-coup
ne s'en fit sentir dans le produit de ses recettes et plus
encore dans le chiffre du budget de M. le curé.
Néanmoins, le besoin de plus grandes écoles était si
pressant, pour soustraire les pauvres enfants de la pa-
roisse au danger de l'ignorance des choses de Dieu et à
celui plus grand encore de leur enrôlement dans les
écoles protestantes, qui venaient de s'ouvrir dans le
quartier, que M. Hamon n'hésita pas à reprendre le pro-
jet de sa vaste entreprise. Dès le mois de juin 1857, il
publia, sous le titre à! Appel du curé de Saint-Sulpice
à ses paroissiens , une brochure apostillée par l'arche-
vêque de Paris, dans laquelle il sollicitait vivement la
charité en faveur des écoles catholiques, « au nom des
intérêts sacrés de la Religion, attaquée de toutes parts
par un prosélytisme ennemi de l'Église , au nom de tant
de jeunes âmes, menacées de se perdre dans ce Paris,
où rien d'important ne se passe qui n'ait son retentis-
sement par toute la France et quelquefois par tout Je
monde (3) ». Au mois de septembre suivant, en posses-
sion d'une centaine de mille francs, il se hâta d'acheter,
au prix de 285.000 francs, une grande propriété, située
rue de l'Ouest, n° 36, — aujourd'hui, rue d'Assas,
(1) En 1899, époque à laquelle ces lignes sont écrites, la population
de la paioisse de Notre-Dame des Champs est de 40.150 habitants et celle
de la paroisse Saint-Sulnjce de 38.459 habitants seulement.
(2) Voir la lettre de l'archevêque de Paris, du 22 mai 1854, annonçant
le projet de ce retranchement d'uni' partie du territoire de la paroisse de
Saint-Sulpice.
[3] Branchereau, Vie de M. Hamon, p. 2G1.
368
HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SILP1CE.
68 (1), — et y fit commencer sans retard les constructions
arrêtées. Le 31 mars 1859, le cardinal Morlot. accom-
ervatoire
Plan de la circonscription actuelle de la paroisse.
pagne de l'évêque de Marseille, Msr de Mazenod, et de celui
de Saint-Flour, M8' de Pompignac, venait bénir ce bel
établissement, composé de bâtiments scolaires pouvant
l, Par acte, devant M. Desprez, notaire à Paris, du 28 septembre 1857.
M. HAMON (1351-18/ i). 369
s'ouvrir à 1.200 enfants et d'une superbe chapelle assez
vaste pour contenir 2.000 personnes. La dépense totale,
y compris l'achat du terrain, en était montée à 530.000
francs; et quelques mois plus tard, elle était entière-
ment soldée. C'est dire les sommes considérables que la
charité des fidèles avait mises à la disposition de leur
zélé pasteur. Un dimanche , où il venait de recommander
l'œuvre du haut de la chaire , il est accosté à la porte de
la sacristie où il rentrait, par un monsieur qui lui remet
un pli fermé, contenant, lui dit-il, son offrande pour
ses écoles, et qui s'éloigne aussitôt. Il ouvre ce pli dans
son cabinet; c'était un don de 70.000 francs, dont il ne
connut jamais l'auteur.
Ce premier succès l'enhardit à réaliser un autre de ses
désirs, celui d'avoir pour sa paroisse un asile de vieil-
lards, dirigé par les Petites Sœurs des Pauvres. Leur
première installation dans Paris datait de 18i9, où elle
s'était effectuée, rue Saint-Jacques. Deux ans après, elles
ouvraient une seconde maison , située , il est vrai, sur la
paroisse, rue du Regard, mais dont M. le curé n'avait
pas la libre disposition. Il tint à en avoir une autre. Un
jour, une dame lui remit 20.000 francs, fruit des épargnes
de vingt années de son veuvage, en lui disant que c'était
pour l'aider à fonder une maison des Petites Sœurs des
Pauvres. Le lendemain, une autre sommede lO.OOOfrancs
lui était donnée dans le même but. M. Hamon y voit la
volonté de Dieu et se met immédiatement à l'œuvre.
Il achète une grande maison, impasse Royer-Collard,
y installe d'abord douze pauvres, puis, grâce à l'indus-
trie de la charité des Petites Sœurs, il parvient successi-
vement à y caser 114 pensionnaires. Mais alors la maison
est comble et il a la douleur de ne pouvoir plus répondre
que par des refus aux demandes d'admission dont il est
assailli, quand il apprend que cette maison, englobée
dans le périmètre d'une voie nouvelle, va être démolie.
ÉGLISE SAINT-SULPICE, 24
370 HISTOIRE DE L'EGLISE SA1NT-SULPICE.
Il l'échange alors contre un jardin dont la ville est pro-
priétaire et qui est situé derrière l'établissement de ses
écoles de la rue d'Assas, et y fait élever un vaste bâti-
ment qu'il a la joie d'ouvrir, en 1862, à 250 vieillards.
Cinq ans plus tard, en 1867, il le complétait par l'adjonc-
tion de deux ailes; et, le 14 janvier 1869, M?r Darboy
venait bénir solennellement la maison qui avait coûté
au bon curé au moins autant que celle de ses écoles.
C'était, du reste, son œuvre de prédilection. Il se plai-
sait à venir y visiter les vieillards, quelquefois même à
ceindre un tablier et à les servir lui-même au réfectoire.
De pieuses mères de famille, à leur tour, se cotisèrent
plus d'une fois pour leur payer un bon dîner et venir le
leur servir de leurs propres mains avec leurs enfants
qu'elles formaient ainsi à l'amour des pauvres. Un jour
même, il fut tout surpris d'y voir de jeunes mariés,
dont il avait, le matin , béni l'union , avec les personnes
de leur noce, tous ceints, par-dessus leurs habits de cé-
rémonie, du tablier des Sœurs, servant, eux aussi, aux
pauvres un beau diner qu'ils leur avaient commandé la
veille. « Ils ne peuvent manquer d'être bénis de Dieu,
« disait-il tout ému , ceux qui ont ainsi sanctifié le pre-
« mier jour de leur alliance (1). »
Une autre œuvre, à la fondation de laquelle il fut heu-
reux de participer, fut celle de Notre-Dame des Etu-
diants. Les jeunes gens qui, déjà alors, venaient en grand
nombre à Paris, suivre les cours de médecine ou de droit,
étaient fort exposés au milieu de toutes les séductions
de la grande ville, à ne pas savoir se défendre contre
eux-mêmes et se préserver de funestes égarements. Un
jeune et ardent apôtre de la jeunesse, prêtre de la Com-
munauté, l'abbé de la Foulhouse, conçut le projet d'une
(1) L'abbé Branchereau, Vie de M. Hamoa, p. 275 et 276.
M. HAMON (1851-1874). 371
œuvre spéciale qui, sous le titre de Notre-Dame des Etu-
diants , les entretiendrait dans leurs habitudes de piété
en leur facilitant la pratique des devoirs de la vie chré-
tienne. 11 le soumit à M. Hamon, qui l'approuva et lui
en facilita la réalisation en lui donnant la grande salle
couverte, au-dessus du péristyle, pour lui servir de cha-
pelle. Il vint la bénir lui-même, le 6 décembre 1863.
Depuis lors, l'œuvre n'a fait que grandir. Sans avoir à
se faire inscrire, sans être astreint à aucune obligation,
pas même à celle de payer leurs chaises, les étudiants
y trouvent, tous les dimanches et fêtes, du 1er novembre
au Ie' juillet, un lieu de réunion de 9 heures à 10 heures
du matin. Une messe basse y est célébrée avec chants
de l'assistance et avec accompagnement du joli petit
orgue dit de Marie-Antoinette (1), que M. Hamon enleva
à la chapelle de la Sainte Vierge pour le leur donner;
et elle est suivie d'une courte et substantielle instruc-
tion sur les points les plus essentiels du dogme et de la
morale. L'affluence qu'attire chacune de ces réunions
prouve combien elles sont goûtées par ceux qui les
fréquentent.
Au cours de son ministère pastoral, M. Hamon prit
encore l'initiative de plusieurs mesures importantes qu'il
fît voter par son Conseil de fabrique et qu'il eut la sa-
tisfaction de voir toutes réussir.
La première fut l'établissement d'un calorifère dans
l'église. M. Hamon en fit la demande à la Fabrique dès
le 22 décembre 1852 et s'offrit à y contribuer pour
12.000 francs; il la motivait sur le froid dont un grand
nombre de fidèles s'étaient plaints à lui d'avoir souffert,
l'hiver précédent, pendant les offices, et sur la crainte
de les voir déserter l'église, si on négligeait de faire droit
(1) V. à la page 477 l'historique de ce précieux bijou.
372 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SA1NT-SULPICE.
à leurs sollicitations. Le Conseil agréa ces raisons, et, le
7 mars 1853, il traitait du travail avec la maison Léon
Duvoir moyennant un prix à forfait de 43.8i0 francs.
Mais sur les observations de l'architecte de la ville, d'im-
portantes modifications furent apportées au plan des
conduits de la chaleur, qui élevèrent la dépense à
0*2.855 francs, dans laquelle M. le curé consentit à entrer
pour 20.000 francs. Le travail fut reçu le 6 février 1855.
Mais, trois ans plus tard, il était l'occasion d'un déplo-
rable accident. L'un des appareils de ce calorifère, un des
deux poêles à eau chaude, placés de chaque côté de l'en-
trée de la chapelle de la Sainte Vierge, fit explosion, le
8 janvier 1858, pendant qu'on y célébrait la messe de
9 heures. Cinq personnes furent tuées sur le coup et
plusieurs autres blessées, dont quatre grièvement, aux-
quelles la Fabrique servit des pensions viagères. Pour
éviter toute crainte de renouvellement d'un pareil mal-
heur, on supprima les deux poêles et, pour les rempla-
cer, on ouvrit dans le sol de l'église de nouvelles tran-
chées et on y plaça des tubes cylindriques de transmission
d'air chaud par des grilles posées dans le pavé de la
chapelle, à droite et à gauche de son entrée.
Le concours du Séminaire aux offices de Saint-Sulpice
donne aux cérémonies comme aux chants une solennité
et une majesté incomparables. Pour ajouter à la perfection
de la partie artistique et d'après l'avis de spécialistes,
M. Hamon proposa au Conseil une réorganisation du
chœur, qu'il agréa, dans sa séance du 13 juillet 1855,
malgré le surcroit de dépense qu'elle entraînait. D'après
ce nouveau règlement, le chœur fut définitivement com-
posé d'un maitre de chapelle, d'un premier serpent ou
contrebassier sous-maitre de chapelle, d'un second ser-
pent ou contrebassier, de six choristes, d'un baryton
solo, de deux ténors de chœur et d'un ténor solo. M. Ha-
mon organisa en même temps la maîtrise de la paroisse,
M. HAMON (1851-1874). 373
et la composa de 2i enfants de chœur, dont il confia
l'instruction primaire et la surveillance habituelle à un
frère de la maison de la rue de Fleurus et l'éducation
musicale au maître de chapelle.
La dépense totale du chœur et de la maîtrise, ainsi or-
ganisés, s'éleva à 13.228 francs par an.
Sur ces entrefaites, une lettre de l'organiste, M. Schmitt,
en date du li décembre 1853, signalait au Conseil de
fabrique la détérioration de l'orgue, causée par l'épousse-
tage de l'église en 1851, et par les premiers travaux d'ins-
tallation du calorifère en 1853, qui avaient rempli ses
tuyaux d'une poussière épaisse, très nuisible à leur sono-
rité et au mouvement des jeux. Il demandait le nettoyage
complet de l'instrument et proposait en même temps
quelques modifications à la disposition de certains jeux.
D'après le rapport de la commission spéciale qu'il avait
chargée d'étudier la question, le Conseil avait cru pou-
voir ajourner ce travail quand, en avril 1856, il reçut
une autre lettre de M. Cavaillé-Coll, chargé depuis un an
de l'accordage et de l'entretien de l'orgue, qui affirmait
l'urgente nécessité d'y faire des réparations nouvelles.
Le 17 février 1857, il en vota l'exécution, sur l'avis con-
forme de la même commission; et, le 26 mars suivant,
un traité était signé en son nom avec MM. Cavaillé-Coll
et Cic, « qui s'engagèrent à faire au grand orgue de
« Saint-Sulpice tous les travaux de restauration, d'addi-
« tion et de perfectionnement détaillés au devis signé
« par eux le 26 avril 1856, ensemble les accessoires,
« même non prévus, qui seraient jugés une conséquence
« naturelle des dits travaux , ou qui seraient nécessaires
« pour réaliser dans la restauration du grand orgue les
« divers perfectionnements de la science et de l'art, et ce
« moyennant une somme ronde de V7.000 francs, stipu-
« lée à titre de forfait et au delà de laquelle ils s'inter-
« disent formellement de réclamer aucun supplément
374 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SALNT-SILPICE.
« de prix pour dépenses non prévues ou à tout autre
« titre (1) ».
Cette restauration du grand orgue demanda cinq an-
nées de travaux et ne fut terminée que le 15 avril 1862.
Le jour de Pâques, 20 du même mois, M. Schmitt le fit
retentir pour la première fois; et, le mardi 29, eut lieu
son inauguration et sa bénédiction solennelle par le car-
dinal Morlot, archevêque de Paris, en présence du préfet
de la Seine, M. Haussmann, et du premier président de
la Cour des comptes, M. Barthe.
Toutefois, avant la réception définitive de son beau
travail par le Conseil de fabrique , M. Cavaillé-Coll lui
écrivit, le 9 mai suivant, pour lui faire connaître qu'il
lui revenait à une somme totale de 146.632 francs 40, sa-
voir :
1° Pour dépenses de main-d'œuvre ou réparations sur
place à l'église, à 45.873f,40
2° Pour prix d'achat de marchandises bru-
tes et fournitures, entrées daus la reconstruc-
tion de l'orgue, à 65.069 »
3° Pour valeur estimative des jeux neufs
et des réparations faites à d'anciens jeux, à 35.690 »
Total de la dépense. 146.632,40
C'est-à-dire, à trois fois plus que le forfait
qu'il avait accepté, de 47.000 »
et qui le laissait, par conséquent, en re-
tour de 99.632f,40
non compris les frais généraux de maison , ni les béné-
fices auxquels cinq années d'un travail assidu et l'appli-
(1) Ce sont les termes mêmes du traité. Le 25 septembre suivant, la Fa-
brique en passait un autre avec eux, pour la réparation et le perfection-
nement de l'orgue d'accompagnement du chœur, au prix de 10.000 francs
à forfait.
M. HAMON 1851-1874). 375
cation de découvertes brevetées lui donneraient le droit
de prétendre. Et il ajoutait : « Nous savons, Messieurs,
« que nous ne sommes pas en droit de réclamer à la Fa-
« brique le montant intégral de nos dépenses supplé-
« mentaires; mais nous osons attendre de son équité
« qu'elle prendra à sa charge la majeure partie de ces
« dépenses qui ont servi à accroître l'étendue et la valeur
« d'une œuvre qui reste sa propriété, et qu'elle voudra
« bien ensuite nous aider de son puissant appui pour
« solliciter le paiement du surplus, soit auprès de M. le
« préfet de la Seine, soit auprès de MM. les ministres
« d'État et du Commerce. »
Il appuyait sa demande sur ce que 1° le démontage
de l'orgue avait fait reconnaître, dans différentes parties
des sommiers du mécanisme et de la soufflerie, des dété-
riorations ou malfaçons dont il n'avait pas été possible
auparavant de se rendre un compte exact; 2° qu'en outre
des jeux anciens ou nouveaux, indiqués au devis et s'éle-
vant au nombre de 72, il avait été ajouté 28 jeux nou-
veaux, savoir : 20 jeux correspondant à un cinquième
clavier qui constitue une partie nouvelle et importante de
l'orgue et 8 autres jeux distribués sur les autres claviers;
3° et que l'accord de l'instrument au nouveau diapason
normal, fixé par l'arrêté du ministre d'État du 16 février
1859, avait donné lieu à un supplément de dépense con-
sidérable qui n'avait pas été prévu au devis et qui était
la suite de la décision prise par le Conseil de fabrique le
21 décembre 1859; qu'en effet, pour réaliser cette mise
au ton, MM. Cavaillé-Coll et Cie avaient ajouté à chaque
tuyau un prolongement métallique contribuant à donner
au son une qualité meilleure et à faciliter, par une rainure
latérale, l'accord de l'instrument sans déformer l'orifice
du tuyau.
Le Conseil lui répondit, par sa délibération du 21 juin
1862, qu'il avait toujours entendu se renfermer dans les
376 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
termes, très explicites, du marché du 26 mars 1857 et ne
pas dépasser le chiffre du forfait de 'w.000 francs; qu'il
avait averti M. Cavaillé-Coll itérativement de son inten-
tion formelle à cet égard : une première fois, lorsque , le
15 décembre 1858, il présenta un état d'avancement des
travaux dans lesquels figuraient plusieurs articles de dé-
penses, non prévues au devis, pour lesquelles il déclara
ne prendre aucun engagement; une seconde fois, dans sa
séance du 21 octobre 1859, où tout en déclarant adopter
l'avis de son bureau pour la mise au ton du grand orgue
suivant le diapason arrêté par le ministre d'Etat, il ex-
primait sa volonté que la somme de 4-7.000 francs, fixée
pour l'entière exécution des travaux, ne fût dépassée sous
aucun prétexte; une troisième fois, le 5 janvier 1860,
quand son Président écrivait en son nom à M. Cavaillé-
Coll pour lui renouveler l'expression de sa même vo-
lonté ;
Que dès lors, il n'était pas admissible qu'une des par-
ties put engager l'autre par son seul fait et sa seule vo-
lonté, à dépasser le chiffre fixé, d'un commun accord,
pour prix d'un travail clairement défini et proposé par
l'entrepreneur lui-même;
Que le démontage du mécanisme de l'orgue devait, aux
termes du devis même, entraîner son remplacement par
un mécanisme entièrement renouvelé; et que par con-
séquent M. Cavaillé-Coll devait s'attendre à réparer les
détériorations ou malfaçons que ce démontage ferait
apparaître ;
Que pour ce qui regarde les 28 jeux neufs, ajoutés par
M. Cavaillé-Coll aux 72 jeux primitifs que son devis l'o-
bligeait à reconstruire ou à compléter, cette addition,
qui a motivé dans les sommiers, dans la soufflerie et dans
le mécanisme général un développement proportionnel
de la dépense prévue par le marché, n'a été ni deman-
dée ni autorisée par la Fabrique, et n'a même été l'objet
M. IIAMON (1851-1874). 377
d'aucune demande à elle adressée par le facteur en temps
utile;
Que par suite, au point de vue administratif et légal, le
Conseil devait se considérer comme valablement libéré de
ses engagements envers M. Cavaillé-Coll par le paiement
intégral du forfait de i7.000 francs;
Mais que, prenant en considération l'accroissement de
la valeur réelle et de l'importance artistique de l'instru-
ment par les améliorations, perfectionnements et parties
neuves ajoutés volontairement par M. Cavaillé-Coll, no-
tamment par les 28 jeux supplémentaires, non deman-
dés ni autorisés par le Conseil; et aussi le soin remar-
quable avec lequel il a appliqué toutes les ressources de
son talent et de son art à remplir, dans leurs moindres
détails, ses engagements envers la Fabrique, elle con-
sentait à lui payer, à titre d'indemnité et en sus du
forfait, une somme de 20.000 francs, à condition qu'en
les recevant, il déclarerait renoncer à toute réclamation
contre elle tant à raison des 28 jeux complémentaires par
lui ajoutés au grand orgue et de tous leurs accessoires,
qu'à raison des 112 moteurs pneumatiques d'invention
nouvelle, servant à adoucir le mouvement des 112 regis-
tres de l'orgue et de tous les autres objets qu'il s'oblige-
rait à laisser en place et qu'il abandonnerait à la Fa-
brique. Elle autorisa, en outre, son Président à appuyer
en son nom, auprès du préfet de la Seine et des ministres
d'État et du Commerce, les demandes d'indemnité que
M. Cavaillé-Coll leur adresserait pour les parties neuves
et les procédés mécaniques de son invention qu'il a appli-
qués, en dehors du devis, au grand orgue de Saint-Sul-
pice, dont il a fait un chef-d'œuvre de l'art du Facteur.
Cette offre fut acceptée par M. Cavaillé-Coll.
La dernière grande opération (1) à laquelle M. Hamon
(1) La Fabrique consacra encore une vingtaine de mille francs à diverses
378 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
décida sa Fabrique à prendre part, fut l'acquisition du
presbytère, d'autant plus nécessaire à Saint-Sulpice que
l'autorité diocésaine, d'accord avec l'administration pré-
fectorale, avait résolu de confier désormais la cure de
Saint-Sulpice à une communauté de prêtres, appartenant à
la Compagnie sulpicienne. L'ancien hôtel delà Trémoïlle,
situé rue de Yaugirard, n° 50, au coin de la rue Férou et
en face du Luxembourg-, allait être mis en vente. M. Ha-
mon trouvait qu'il réunissait toutes les conditions dési-
rables à l'établissement de son presbytère, et il offrait
même de contribuer aux frais de son achat et de son amé-
nagement pour une somme de 80.000 francs. La Fabri-
que acquiesça à sa proposition; et, dans sa séance du
12 mai 1860, elle sollicita la ville de se rendre acquéreur
de cet immeuble, et de faire l'avance de la totalité de
son prix ainsi que des frais de son appropriation , en s'en-
gageant à prendre à sa charge et à lui rembourser, en
dix annuités, la moitié de l'ensemble de la dépense en
principal et intérêts.
La ville accepta ces conditions et se rendit acquéreur
dépenses de moindre importance, à la sollicitation de M. Harnon, savoir :
4.500 fr. à l'achat d'une horloge Wagner qui fut placée au milieu du buffet
du grand orgue , et à l'ornementation de son cadran par des ligures en
bois dont l'exécution fut confiée à M. Brun, sculpteur (Délib. du 12 juil-
let 18551;
6.000 fr. à l'achat des lustres du chœur (Dél. du 26 mai 1856);
2.000 fr. aux frais de suspension des 7 lampes et des lustres à cristaux,
donnés par M. le curé à la chapelle de la Sainte Vierge (Dél. du 23 juillet
1860j, et 7.000 fr. pour les vitraux de la même chapelle, qui l'entraî-
nèrent à une double dépense : d'abord à celle de 5.000 fr. que lui coulè-
rent les premiers vitraux qu'elle avait commandés à M. Lusson, l'habile
restaurateur de ceux de la Sainte-Chapelle (Dél. du 17 mai 1858), mais
qui furent refusés par la commission des Beaux-Arts de la ville comme
étant d'un effet nuisible à l'ensemble décoratif de la chapelle (V. Dél. du
12 mai 1860); puis ensuite à celle de 2.000 fr. que lui coûtèrent les vi-
traux actuels, représentant des bouquets de lis groupés autour du chiffre
de la Sainte Vierge.
M. HAMON (1851-1874 ). 379
de cet hôtel, suivant procès-verbal d'adjudication à la
chambre des notaires, du 6 novembre 1860, moyennant le
prix principal de 300.000 francs, lequel, augmenté de ses
intérêts et des frais d'actes (69.672 fr. 75); de ceux d'une
indemnité payée à un locataire évincé (4.500 fr.) et de ceux
de l'appropriation de la maison (60.312 fr. 53), porta son
chiffre de revient total à i3i.785 fr. 28 dont la moitié, à
la charge de la Fabrique, s'éleva à 217.392 fr. 6i, qu'elle
remboursa à la ville en dix annuités, ainsi qu'elle en était
convenue.
Cette nouvelle demeure enchanta le bon curé. « Depuis
« six jours que nous sommes dans notre nouveau pres-
« bytère, écrivait-il, il me semble que je vais faire le
« double et le triple de travail. Jusqu'ici j'ai toujours
« tremblé de froid tous les hivers, et cela me glaçait les
« facultés. Mais dans le palais enchanteur où la Provi-
« dence nous a placés, j'avance dix fois plus l'ouvrage...
« Nous sommes dans un paradis terrestre. Grandes et
« belles fenêtres sur le Luxembourg, dont les arbres et la
« verdure sont une fabrique d'air toujours pur. Exposi-
« tion au midi. Calorifère qui maintient dans nos cham-
« bres une température printanière. Appartements de
« quinze pieds de hauteur et de grande dimension, où
« chaque poitrine aspire toute la portion d'air qu'il lui
« faut... Admirez la Providence : nous avons donné une
« maison aux pauvres; et nous recevons d'elle, en récom-
<( pense , une maison aussi confortable que nous le pou-
« vions désirer (1). »
M. Hamon compléta l'ensemble de ces œuvres par l'a-
chat de deux autres immeubles (2), l'un par adjudication
(1) L'abbé Branchereau, 17e de M. Hamon, p. 291.
(2) M. Hamon rétrocéda ces deux immeubles à la cure de Saint-Sulpice.
ainsi que ses deux maisons de la rue d'Assas, n° 66 et 68, par deux actes
sous-seings privés en date, à Paris, du 8 mai 1874.
380 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
devant le Tribunal civil de la Seine, du 16 mars 1867,
d'une maison, sise rue Garancière, n° 3, qu'il destina à
une maîtrise et à une salle de catéchismes; l'autre par
acte devant M. Harly-Perraud, du 29 juin 1872, rue de
Madame, n° 31, où il installa, le 1er novembre suivant, un
cercle d'employés du commerce et de l'industrie. Il son-
geait aussi à fonder une œuvre de répétitions pour les
élèves de médecine , destinée à contrebalancer l'enseigne-
ment matérialiste de plusieurs chaires de l'État. 11 mou-
rut sans avoir eu la joie de voir sa pensée réalisée, l'année
suivante, par la création des Universités catholiques.
Défenseur de l'infaillibilité doctrinale des Souverains
Pontifes, dès l'année 1820, dans sa chaire de théologie
dogmatique au Séminaire de Saint-Sulpice, il avait cons-
tamment témoigné l'attachement le plus filial au Vicaire
de Jésus-Christ. Il fut heureux de pouvoir en donner des
preuves publiques, en 186i, lorsqu'il reçut à Saint-Sul-
pice les restes d'Arthur Guillemin, zouave pontifical frappé
mortellement au combat du Monte Libretti, après une
lutte héroïque, et, le 1e' juin 1868, à la messe qu'il célé-
bra devant un bataillon de zouaves canadiens en pas-
sage à Paris pour voler à la défense du Pape. « Soyez
« bénis . nobles enfants du Canada , leur dit-il dans une
« allocution éloquente qui fut reproduite par tous les
« journaux, vous êtes dignes de la vieille France qui
« peupla vos contrées... Votre démarche est un grand en-
ce seignement pour le monde : elle apprend à ceux qui ne
« l'auraient pas compris encore qu'on pense au Canada
« ce qu'on pense dans toute l'Église, que Rome n'appar-
« tient pas à l'Italie. Non, Rome n'appartient pas à l'Italie,
« parce que la ville qui commande à l'univers ne peut
« appartenir à aucun autre qu'à son pontife-roi. »
L'année suivante, l'Église célébrait dans le monde en-
tier le jubilé de prêtrise de Sa Sainteté. M. Hamon en fit
l'objet dune fête splendide qui eut lieu à Saint-Sulpice,
M. HAXION (1851-187 i . 381
le 11 avril 1869; et dans un discours magnifique, qu'il
prononça aux Vêpres , devant le Nonce qui officiait , il cé-
lébra la grandeur personnelle de Pie IX et la grandeur
incomparable de la Papauté, la plus grande autorité mo-
rale qui soit sur la terre. Une copie de cette belle allocu-
tion fut adressée au Saint-Père qui l'en remercia par un
bref des plus flatteurs, daté à Rome du 2 septembre sui-
vant (1).
A son tour, le 27 mars 1870, M. Hamon célébra ses
noces d'or sacerdotales. Saint -Sulpice se remplit, ce
jour-là, comme dans ses plus grandes solennités, d'une
innombrable multitude de prêtres et de fidèles , empres-
sés de venir témoigner au vénéré pasteur combien ses
vertus et ses mérites le rendaient cber à tous. Après la
messe, il monta en chaire et, prenant pour texte de son
discours ces paroles d'un des Psaumes : Tu es sacerdos in
œternum, il exprima, dans l'effusion de son cœur pater-
nel, toute sa tendresse pour son troupeau : « 0 chère
paroisse, s'écria-t-il, avec un accent ému qui fit couler
bien des larmes, comme je t'aime avec tes grands sou-
venirs desOlier, des Bretonvilliers, des La Chétardye, des
Lan guet et de tant d'autres, dont je suis honteux de m'ap-
peler le successeur!
« Comme je t'aime avec ton autel où je fus consacré
prêtre, avec la chapelle de la Vierge où, sous l'œil de
Marie, Jésus au Saint-Sacrement reçoit une continuelle
adoration ; avec ta grande église , si souvent trop étroite
pour contenir la foule qui s'y presse; avec ta table sainte
tous les jours si fréquentée; avec tes beaux chants et tes
beaux offices que rehausse si splendidement la présence
du Séminaire !
« Comme je t'aime avec tes confréries et tes associa-
(1) Quo in sermone, dit le Pape, nndique enitet mirifica tua filialis
erga nos et hanc Pétri cathediam pietas , amor et observantia.
382 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE
lions pieuses pour Y enfance , pour la jeunesse et l'âge
mûr, pour l'un et l'autre sexe , pour la classe élevée et la
classe inférieure!...
0 chère paroisse , mon cœur s'ouvre et se dilate pour
t'embrasser tout entière, et il y a large place pour tous.
Os nostrum patet ad vos, cor nostrum dilatation est.
Dilate-toi aussi et embrasse tous tes prêtres dans ton affec-
tion. Dilatamini et vos capite nos. »
Quelques mois après, le désastre de Sedan entraînait la
chute de l'empire et la marche des armées prussiennes
sur Paris. Dans ces douloureuses conjonctures, M. Hamon
rappela ceux de ses prêtres qui prenaient leurs vacances,
en sorte que tous étaient à leur poste lors de l'investisse-
ment de la capitale. Au milieu de ces cruelles épreuves,
si visiblement empreintes du sceau de la colère céleste, le
besoin de recourir à Dieu et d'implorer sa miséricorde se
faisait partout sentir. Le pieux pasteur le rappelait sans
cesse; et à sa voix, les prières ne furent jamais plus fer-
ventes, les exercices de piété plus suivis. En outre, les
combats presque quotidiens qui se livraient sous les
murs de Paris , y amenaient un grand nombre de blessés.
M. Hamon partagea sa paroisse en plusieurs quartiers, et
envoya dans chacun d'eux quelques-uns de ses prêtres vi-
siter chaque jour les ambulances. Plusieurs se joignirent
à leurs confrères d'autres paroisses, pour aller sur les
champs de bataille offrir leur ministère aux mourants et
recueillir les blessés.
« Pendant ces tristes jours, écrivait M. Hamon, le 5 fé-
vrier 1871, après la levée du siège, nous avons exercé en
paix notre ministère. Seulement, pendant une semaine
entière, il nous a fallu déserter l'église visitée par les
bombes et faire nos offices dans les souterrains comme
aux premiers siècles dans les catacombes. La voûte a été
percée en deux endroits ; les poutres et les chaînes de la
toiture ont été gravement endommagées. On va s'occu-
M. HAMON (1851-1874). 383
per de réparer les dégâts... Vous dirai-je que je crains
encore plus l'avenir que le passé? Qu'allons-nous devenir
au milieu de toutes les passions politiques en conflit?
Prions, c'est notre seule ressource (1). »
Par une protection spéciale de la Providence , quand ,
après quatre longs mois de siège et de séquestration , la
malheureuse capitale fut livrée encore aux horreurs de
la guerre civile , horreurs telles que la franc-maçon-
nerie elle-même protesta contre les liens de solidarité
qu'on voulait établir entre elle et la sinistre Commune 2 ,
le clergé et les paroissiens de Saint-Sulpice furent épar-
gnés, le presbytère ne fut l'objet d'aucune perquisition,
les prêtres de la Communauté ne reçurent aucune insulte,
bien que déjà l'arrestation de l'archevêque . de plusieurs
curés de Paris et de trois directeurs du Séminaire comme
otages pût faire craindre le même sort pour les prêtres
de la paroisse.
Le mois de Marie s'ouvrit également, comme les années
précédentes, au milieu d'une énorme affluence. «Nous
sommes bien tranquilles, écrivait M. Hamon à la date
du 5, au milieu de l'émotion générale. Notre mois de
Marie est incomparablement beau. Tous les soirs, à huit
heures, notre église est comble. Jamais, même le jour de
Pâques, je n'y ai vu autant de monde. On chante de tout
son cœur et on prie la Sainte Vierge de toute son âme. »
Mais le 8, il donnait de moins bonnes nouvelles. « Nos
frères sont chassés de leurs écoles, disait-il, et consignés
dans leurs maisons. On veut les habiller en gardes na-
tionaux et les faire marcher contre Versailles. Le Sémi-
naire a eu beaucoup à souffrir. Les gardes nationaux
(1) L'abbé Branchereau , Vie de M. Hamon, p. 344. Les belles pein-
tures à fresque de la coupole de la Sainte Vierge, de Lemoine, furent éga-
lement fort abîmées.
(2) Maxime Du Camp, les Convulsions de Paris, t. IV, p. 63 et 6i,
5" éd.
384 HISTOIRE DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE.
s'y conduisent en vrais brigands. Ils ont volé jusqu'aux
chemises des domestiques et liO francs, qu'ils ont trou-
vés dans leurs chambres... Ils ont consigné les directeurs
avec des gardes à la porte, qui ne laissent pas même
aller à la chapelle pour dire la messe. »
Et le 13, il mandait à la même personne : « Nous som-
mes tristes ces jours-ci. Hier et avant-hier, un club dans
notre église , à la place et à l'heure de notre magnifique
mois de Marie (1). »
Toutefois l'église ne fut pas ainsi envahie sans diffi-
cultés. Voici le récit de Maxime Du Camp :
a II y eut bataille et les femmes furent vaillantes.
« Le 11 mai, vers huit heures du matin, l'église fut
« entourée par les fédérés qui en gardèrent les portes.
« Le motif de cette invasion était étrange. On prétendait
« qu'un télégraphe aérien, placé sur une des tours,
« correspondait avec Versailles et transmettait à la
« Réaction des renseignements sur l'état des forces mi-
ce litaires de la Commune. On eut quelque peine à faire
« comprendre au commandant des fédérés qu'il n'exis-
« tait plus de télégraphe aérien sur les tours depuis
« l'adoption de la télégraphie électrique. »
« A 9 heures, les portes de l'église furent rouvertes;
mais comme on redoutait encore quelque alerte , un des
vicaires alla trouver le délégué siégeant à la mairie
du VIe arrondissement pour le prier de faire en sorte
que le scandale ne se renouvelât pas. Le délégué fut peu
poli. « Faites vos simagrées dans le jour, lui dit-il, si
« cela vous convient, et abrutissez les vieilles bigotes;
<< mais, le soir, l'église est au peuple , et dès aujourd'hui
« nous y établirons un club. »
« Le délégué tint parole; le soir, l'église était ceinte
d'un cordon de troupes; des sentinelles étaient placées
(1) L'abbé Branchereau, Vie de M. Hamon, p. 350 et 351.
M. HAMON (1851-1874). 385
aux portes. Les femmes, leur livre de messe à la main,
rassemblées sur la place , s'agitaient et disaient : « Nous
« entrerons! » Lorsqu'elles se virent assez nombreuses pour
vaincre la résistance des fédérés, elles marchèrent vers
l'église. On croisa la baïonnette contre elles en leur criant :
« On ne passe pas! » Elles répondirent : « Baste! Vos
<( fusils ne nous font pas peur, et nous passerons, malgré
« vous. » Elles le firent comme elles le disaient et péné-
trèrent dans l'église. Les fédérés, les clubistes se jetèrent
derrière elles. Déjà elles étaient maîtresses du terrain
et remplissaient les trois nefs. Les fédérés crièrent :
« Vive la Commune ! » les femmes surexcitées répondirent :
« Vive Jésus-Christ! » Les curieux étaient accourus; l'église
était trop étroite pour la masse du monde qui s'y pressait.
Un éclair de courage passa sur cette foule d'où s'éleva une
énorme clameur : « A bas la Commune! » Les fédérés
ne se sentirent pas en force et se retirèrent. Derrière eux,
on ferma les portes; mais, ce soir-là, il n'y eut ni exercice
religieux ni réunion politique. On était fort troublé dans
le quartier; les maris sermonnaient leurs femmes : « Tu
« vas nous compromettre! » Les femmes tenaient bon, se
jurant entre elles de défendre leur église et de ne pas la
laisser souiller.
« Le lendemain, 12 mai, vers sept heures et demie du
soir, les femmes étaient installées dans la grande nef et
priaient, lorsque des hommes, accompagnés de fédérés
en armes , apparurent et leur ordonnèrent de déguerpir,
parce qu'ils avaient besoin de l'église pour une réunion
publique. Les femmes ne bougèrent pas ; le visage penché
sur leur livre de prières, elles firent effort pour ne pas
entendre les injures — les obscénités — qu'on leur criait
aux oreilles. Le nombre des clubistes augmentait : ils
firent une poussée contre les femmes et entonnèrent la
Marseillaise. Les femmes, tassées les unes contre les au-
tres, ripostèrent en chantant le Magnificat et le Parce,
ÉGLISE SAINT-SULPICE. 25
386 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT- SULPICE.
Domine. Deux voyous en blouse, coiffés d'une casquette
ravalée, escaladèrent la chaire et y déployèrent une
écharpe rouge en criant : Vive la Commune! Les femmes
agitèrent leurs mouchoirs en guise de protestation et,
comme la veille, crièrent : Vive Jésus-Christ! Ce fut en
vain; l'église était envahie; les pauvrettes, malgré leur
courage, n'avaient pas été les plus fortes. Elles eurent
beau continuer à chanter les Litanies , le club s'installa;
il y eut un président, il y eut des assesseurs; un orateur
surgit à la tribune : « Il faut étriper les nonnes , les Jé-
<( suites et les curés ; il faut les flanquer à la porte de cette
« baraque pestilentielle que le peuple saura purifier;
« il faut leur enlever nos femmes et nos enfants qu'ils
<( corrompent, qu'ils abêtissent, et qu'ils font servir à
« leurs orgies. » Cette fois, les femmes de Saint-Sulpice
étaient vaincues; elles abandonnèrent la place à la libre
pensée et se retirèrent en chantant des cantiques (1). »
Pour empêcher le retour de ces scènes scandaleuses,
M. Hamon se décida, dès le 13 au matin, à placer l'exer-
cice du mois de Marie à \ heures du soir, de manière à
laisser le club libre de s'installer, le soir, dans la nef.
A 7 heures, il faisait enlever le Saint-Sacrement et à
8 heures commençaient les déclamations des clubistes,
qui se prolongeaient souvent jusqu'à 11 heures ou mi-
nuit. Le lendemain matin , à 6 heures , le clergé repre-
nait possession de l'église. De la sorte, tous les offices
de la semaine et du dimanche continuèrent à s'y cé-
lébrer, comme à l'ordinaire, jusqu'au 24, jour où une
barricade, élevée à l'angle de la rue de Vaugirard et de
la rue Bonaparte, fut enlevée par les troupes que l'on
accueillit dans tout le quartier comme des sauveurs.
C'était le jour où l'Église faisait la fête de Notre-Dame
(1) Maxime Du Camp, les Convulsions de Paris, t. IV, p. 187 et 188.
M. IIAMON (1851-1874). 387
Auxiliatrice. M. Hamon y vit un nouveau signe de la pro-
tection de la Sainte Vierge sur sa paroisse; et, pour lui
en témoigner sa reconnaissance , il fit placer dans sa
chapelle une plaque commémorative avec cette inscrip-
tion :
In festo B. M. V titulo
Auxilium Christianorum
Maria erat spes nostra ad quain
Confugimus in auxilium ut liberaret nos
et venit in adjutorium nobis, (Ant. festi.)
die Maii XXIV MDCCCLXXI (1).
Le soir même, il fit reprendre les exercices du mois de
Marie , qui continuèrent jusqu'à la fin avec un redou-
blement de ferveur.
Quelques jours après, il écrivait à un de ses amis de
Bordeaux : « Pour nous, prêtres de la paroisse, Dieu nous
a merveilleusement protégés. Vivant, tous les jours, au
milieu d'une légion de démons, qui nous lançaient des
regards décolère et des menaces de mort, nous n'avons
pas été touchés. Pas le moindre dégât dans notre église;
pas une seule maison de la paroisse incendiée, lorsque
autour, tout était en feu. Aussi sommes-nous allés, au
nombre de sept cents, en remercier Notre-Dame de Char-
tres par un pèlerinage solennel... En ce moment, nous
sommes mieux portants que jamais. Je fais imprimer mes
Méditations pour tous les jours de l'année; et, le mois
prochain, je vais prêcher des retraites pastorales pour
(1) « Dans la fête de la Bienheureuse Vierge Marie, sous le titre de Se-
cours des chrétiens, Marie était notre espérance. Nous nous sommes ré-
fugiés près d'elle pour qu'elle nous secourût et qu'elle nous délivrât ; et
elle est venue à notre aide, (Ant. de la fête) le 24 mai 1871. »
388 HISTOIRE DE L'EGLISE SALNT-SULPICE.
me délasser. Adieu, mes bons amis; priez pour moi, que
Dieu n*a pas jugé digne de la grâce du martyre, dont
tant de prêtres de Paris ont été favorisés. Je vous em-
brasse et vous aime tous en Notre-Seigneur(l). »
Les Méditations dont i! parle à la fin de cette lettre,
ne furent pas le seul ouvrage qu'il ait publié au cours
de son ministère pastoral. Dès le mois de juin 185i, il
fit paraître la Vie de saint François de Sales, dont il
avait déjà fini le premier volume avant son départ de
Bordeaux et qu'on attendait avec impatience. Cette Vie,
dune lecture attachante par le charme du style comme
par celui du récit, met bien en relief les traits distinctifs
de cet aimable Saint, son extrême douceur, sa tendre
bonté, les agréments de son langage qui n'ont d'égal uue
les grâces de son esprit; et elle place son auteur au pre-
mier rang des hagiographies contemporains.
Deux ans après, en 1856, il conçut le projet d'un tra-
vail bien plus vaste encore , celui de l'histoire du culte
de la Sainte Vierge en France depuis l'origine du Chris-
tianisme jusqu'à nos jours. Il pensait qu'il ne pouvait pas
choisir, pour élever ce monument littéraire à la gloire de
la Mère de Dieu , un moment plus favorable que celui où
la France elle-même, pour lui témoigner son amour, lui
faisait ériger sur le rocher de Corneille, près du Puy,
avec le bronze des canons pris à Sébastopol, sa statue
colossale sous le titre de Notre-Dame de France. Il pen-
sait aussi que cette Histoire, qui n'avait pas encore été
faite, fournirait la preuve que l'élan remarquable des
âmes vers le culte et l'amour de la Sainte Vierge, qui se
produisait en France depuis plus de trente ans, n'était
pas une nouveauté, mais bien un retour aux traditions
de nos pères , et le réveil du sentiment français , étouffé
(1) L'abbé Brandieieau, Vie de M. Hamon, p. 358.
M. HAMON (1851-1874)
389
par la tempête irréligieuse de 1793. Sous son inspiration,
un comité se forma à Paris sous le titre de Comité his-
torique de Notre-Dame de France. Il s'adressa à tous les
évêques , à l'école des Chartes, à tous les archéologues;
et de tous côtés lui arrivèrent des rapports, des notices,
des documents du plus haut intérêt. M. Hamon se chargea
390 HISTOIRE DE L'EGLISE SAINT-SULPICE.
de fondre ensemble tous ces travaux, de les compléter et
d'en faire un ouvrage. Cetle publication, qui devait ren-
fermer 10 volumes in-8°, n'en contient que sept, qui
parurent successivement de 1861 à 18G6; mais, malgré
plusieurs lacunes et trop de hâte dans la rédaction de
certaines de ses parties, elle forme un monument gran-
diose élevé à la gloire de Marie, qui ne peut que con-
tribuer grandement à propager son culte, et qui, en té-
moignant du profond amour de son auteur pour la
Reine du clergé, lui fait à lui-même le plus grand hon-
neur.
Ses Méditations sont la dernière de ses œuvres. Fruit
de sa longue expérience de la conduite des âmes, elles
forment pour leurs lecteurs assidus et attentifs un guide
sûr dans la voie de la piété et de la vertu , et réalisent
parfaitement le but que se proposait leur auteur en les
écrivant : « celui d'aider les âmes chrétiennes à mieux
(( connaître Dieu avec ses perfections infinies et ses mys-
« tères adorables pour mieux l'aimer et le servir; à
« mieux se connaître elles-mêmes avec leurs défauts et
« leurs devoirs pour se réformer et faire progrès dans
« les vertus (1) ». Il les publia en 1872; et depuis lors,
rééditées bien des fois, elles ne cessent pas d'être très
demandées.
L'année suivante (1873), il eut le bonheur de célébrer,
le 20 juin, la fête du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial, en-
touré d'un grand nombre de ses paroissiens; et de Paray,
il se rendit à Chartres où l'évêque l'avait invité â prê-
cher la retraite pastorale. Ce fut la dernière qu'il donna.
A partir de ce moment-là, il sentit ses forces diminuer
rapidement; il perdit l'appétit et ses digestions devinrent
douloureuses. En juin 187'*, il avait organisé un pèleri-
nage de sa paroisse à Lourdes; mais son médecin l'em-
(1) Préface des Méditations.
M. HAMON (1851-1874). 3'J1
pécha de s'y rendre; il ne put que s'y faire représenter
et offrir à la Sainte Vierge une statuette d'argent où on
le voit tenant dans ses mains l'église Saint-Sulpice, qu'il
présente à la Divine Vierge , et où est gravée cette ins-
cription : « André Hamon, douzième successeur de
« M. Olier en la paroisse de Saint-Sulpice à Paris, con-
« sacre sa paroisse à Notre-Dame de Lourdes. 10 juin
« 1874. »
Dès lors « la maladie cruelle dont il était atteint lit des
« derniers mois de son existence un véritable martyre.
« Au milieu de ses souffrances, cet homme de Dieu ne
v voulut rien relâcher de ses travaux ; tant qu'il put mar-
« cher, il alla visiter les malades; tant qu'il put se tenir
« debout,, il continua à célébrer le saint Sacrifice. Il ne
« s'arrêta que lorsque le mal l'eut terrassé. Son héroïque
« constance devant la douleur ne fut égalée que par sa
« douceur et sa reconnaissance envers ceux qui l'entou-
« raient de leurs soins. Purifié comme for dans le creuset
« de cette suprême épreuve, il a rendu sa belle âme à
« Dieu (le 16 décembre 1874) dans des dispositions si
« saintes, que l'on serait porté plutôt à l'invoquer qu'à
(( prier pour lui ».
Tels sont les termes dans lesquels l'éminent cardinal
Guibert annonçait sa mort dans la lettre qu'il écrivait le
lendemain, 17, à son clergé; et il ajoutait « qu'il éprou-
« vait une affliction profonde de la perte de ce prêtre
« vraiment accompli, dans la vie duquel il nest pas une
« vertu du prêtre et du pasteur qui n'ait brillé du plus
<( vif éclat » *
Une aussi belle vie ne pouvait pas être couronnée par
un plus bel éloge.
Son corps repose dans le cimetière privé des prêtres de
Saint-Sulpice, à Issy. Mais son cœur est demeuré dans sa
chère église de Saint-Sulpice, où il a été placé au bas du
sanctuaire de la chapelle de la Sainte Vierge, sous une
392 HISTOIRE DE L ÉGLISE SAINTrSULPICE.
table de marbre, sur laquelle est gravée l'inscription sui-
vante :
Andréas Hamon
Per annos viginti très
S. Sulpitii parochiam rexit
Plenusque dierum et bonorum operum
Obdormivit in Domino
Anno MDCGCLXXIV
Gujus cor
Ad pedes D. V. Mariae
Quam singulari pietate coluit
In sacello eidem dedicato
Die XV Mensis Augusti' anni
MDCCCLXXXVII
Repositum est (1).
1 1 « André Hamon a gouverné la paroisse de Saint-Sulpice pendant 23 ans,
et il s'est endormi dans le Seigneur, en 1874, plein de jours et de bonnes
œuvres.
« Son cœur a été déposé, le 15 août 1887, aux pieds de la Très Sainte Vierge
Marie, pour laquelle il avait une dévotion particulière, dans la chapelle
qui lui est dédiée. »
CHAPITRE XVII
M. MÉRITAN (1875-1899).
Sommaire : Sa naissance. — Ses études a Avignon. — Il les achève à Saiut-
Sulpice. — Son entrée et ses fonctions successives clans la Compagnie. — Sa
nomination à la cure de Saint-Sulpice. — Importance de ses œuvres parois-
siales. — Il crée le bel établissement du n" v2i> de la rue d'Assas; il agrandit
celui des Krcres. au n° 68 de la même rue. — Il fonde l'œuvre des veilleuses
charitables des pauvres malades. — Enseignement des catéchismes de se-
maine par les prêtres de sa communauté. — Son Manuel de la vie et de la
piété chrétienne. — Discours du cardinal Lavigerie à Saint-Sulpice. lors de
sa croisade contre la traite des Noirs. — Oraison funèbre de M^r d'Hulst. par
M** Touchet, évêque d'Orléans. — Installation à Saint-Sulpice de l'archicon-
frérie de Notre-Dame de Compassion pour la conversion de l'Angleterre. —
Mort de M. Méritan. — Antécédents de M. I.etourneau, appelé à lui succéder.
Le successeur de M, Hamon a été M. Méritan.
Né à Saint-Martin de Castillon (Vaucluse), le 9 avril
1828, M. l'abbé Elzéar Méritan, après avoir fait ses huma-
nités au petit Séminaire d'Avignon et ses premières études
théologiques au grand Séminaire de cette même ville,
vint les achever à Saint-Sulpice, où il entra au mois d'oc-
tobre 1849. Il y resta deux ans et fit ensuite à la Solitude
son année d'épreuve, aux termes de laquelle il fut ordonné
prêtre à la Trinité de 1852 et admis dans la Compagnie
de Saint-Sulpice. Envoyé alors au Séminaire d'Autun, il y
professa la théologie pendant neuf ans et s'y fit remarquer
par la sûreté de son jugement, la solidité de sa doctrine
et l'étendue de son savoir. En 1861, il fut chargé d'aller
occuper la même chaire au grand Séminaire de Lyon,
dont il fut nommé supérieur, le 4 septembre 1870. Il le
39 i HISTOIRE DE L ÉGLISE SA1XT-SULPICE.
dirigeait depuis cinq ans, lorsqu'il fut appelé à la cure
de Saint-Sulpice, dont il prit possession le 13 février
1 875, et dont il demeura titulaire pendant près d'un quart
de siècle.
Le lendemain du jour de son installation était le pre-
mier dimanche du Carême ; après les Vêpres, il monta en
chaire pour commencer lui-même la station quadragési-
male, confiée à un prédicateur qu'un mal foudroyant
avait emporté, quelques jours auparavant. Ce début n'é-
tait pas pour lui sans péril. Il succédait, comme curé, à
un orateur distingué, « à la parole tour à tour iine,
« élevée, émue jusqu'à la tendresse, et ayant parfois de
« magnifiques envolées d'éloquence qui ravissaient son
« auditoire (1) ». Tout autre était son talent, fait de sim-
plicité, de clarté et de gravité de langage, jointes à une
grande force de persuasion , puisée aux sources pures de
la doctrine des maîtres de la théologie. Néanmoins, quel-
que ditïérent qu'il fût de celui de M. Hamon, l'auditoire
d'élite de Saint-Sulpice l'apprécia de suite; depuis lors,
une assistance nombreuse ne cessa pas de remplir la nef
de l'église pour entendre les prônes ou pour suivre les
retraites du nouveau pasteur; « et quand, à sa mort, on
eut retrouvé, soigneusement classés dans ses tiroirs, la
plupart de ses homélies dominicales et de ses sermons de
retraites, entre autres trésors, les belles séries de ses ins-
tructions sur le Pater, sur le canon de la Messe , sur la
conscience, les fidèles réclamèrent avec instance leur pu-
blication (2) ».
Mais si cet homme d'étude, placé ainsi soudainement
et sans préparation à la tête d'une immense paroisse,
s'est révélé, dès son premier sermon, un prédicateur
(1) Notice nécrologique sur M. Méritan, publiée dans la Semaine reli-
gieuse de Paris, des 1G et 23 décembre 1899, p. 800.
(2) Ibid.
M. MÉRITAN 1875-1899). 395
excellent, il a déployé, à un degré non moins égal, pen-
dant les vingt-cinq années de sa direction paroissiale, les
qualités d'un administrateur accompli.
Complétant l'œuvre de son prédécesseur, il en a doublé
l'étendue en créant le vaste et bel établissement qui porte
le numéro 26 sur la rue d'Assas. Là il a groupé plusieurs
œuvres scolaires et charitables qui toutes prospèrent et
sont pleines de vie :
Une école de filles dirigée par les Sœurs de Saint-Vin-
cent de Paul, dont les sept classes, y compris la classe en-
fantine, renferment iOO élèves (1);
Une école professionnelle, corollaire de la première, où
3 4 jeunes ouvrières, brodeuses, monteuses et repasseuses,
sont préparées à former des ouvrières chrétiennes de ces
divers états;
Un patronage, comprenant plus de 200 jeunes filles,
dont au moins 180 se réunissent, tous les dimanches, sous
la direction des Sœurs, pour se récréer, s'édifier et fré-
quenter les catéchismes de la paroisse ;
L'œuvre de Notre-Dame de Bonne Garde, qui donne
le logement et la nourriture à un certain nombre de ces
jeunes filles, qui travaillent en dehors;
Un orphelinat, qui renferme 30 enfants;
Une infirmerie, ouverte à toutes les jeunes filles de la
maison ou de la paroisse qui, étant malades, ne peuvent
pas être soignées dans leurs familles ou se refusent à
entrer dans les hôpitaux publics (2).
Un fourneau, établi à l'entrée de l'école de concert
avec la Société philanthropique, et qui rend de grands ser-
(1) En juillet 1898, 18 élèves ont obtenu de la commission d'examen,
après des épreuves sérieuses, un Certificat d'instruction primaire; 15,
tin certificat d'instruction religieuse, à l'Archevêché; et 16, un diplôme